Chapitre 4
« Mardi 28 juin 20XX
C'était le dernier jour de classe. Certains ont fait une bataille d'eau dans la cour, il faisait trop chaud.
En rentrant, un homme m'a suivie. Il ressemblait plutôt à un Norvégien, avec un regard fou. Il m'a fait peur. Valentin et ses amis étaient heureusement là. L'homme est parti. Je suis rentrée, j'ai eu envie de pleurer.
J'ai fait des pâtes pour Lise et moi, il faut que j'achète de la crème, la sauce est trop acide sinon.
J'ai à peine 40 euros d'économies pour ces vacances, je pense que je vais seulement aller voir mamie. Lise n'aura pas de congés. C'est dommage. »
Je regarde l'encre sécher sur les pages de mon journal.
Mes parents me l'avaient offert il y a très longtemps ; un très bel ouvrage bleu pastel, de la meilleure qualité qu'il soit. Ils avaient fait graver mon prénom en lettres d'or, sur la couverture : Jade, de grandes et belles majuscules dorées, qui s'étendent noblement sur le fond velouté. Les innombrables pages ont toujours la délicate odeur du papier malgré le temps ; elles sont lignées et discrètement ornées de jolies bannières.
Au début, je m'étais appliquée le plus possible, à détailler mes journées et mes pensées. Mais c'est devenu pour moi une simple mécanique, au fil du temps. Désormais, écrire quotidiennement dans mon journal équivaut seulement à rédiger un compte-rendu monotone.
Je sens mon téléphone vibrer contre ma cuisse. Je le regarde passivement. C'est un simple message venant d'un destinateur inconnu.
Hey
La personne s'est certainement trompée de numéro. Pas besoin de répondre.
Il est presque une heure du matin, ma sœur n'est toujours pas rentrée. Je me lève de mon lit, range mon journal et mon stylo sur mon petit bureau. J'attrape mes écouteurs, les branche à mon portable. Je vais un peu écouter de la musique avant de dormir.
C'est bien le numéro de Jade ?
Je m'immobilise, incrédule. Qui voudrait me parler ?
Décontenancée, je réponds :
C'est qui ?
C'est Valentin !
Je repense au moment de tout à l'heure, lorsqu'il est intervenu entre cet homme et moi. Je me sens profondément gênée.
C'est bien toi Jade hein
Oui, c'est moi
Ça va ?
T'es partie hyper vite tout à l'heure je savais pas si t'allais bien
Oh, il m'écrit pour ça... Je ressens une sorte de chaleur dans ma cage thoracique.
Comment la définir... c'est un sentiment apaisant, comme du réconfort.
Je vais bien, merci beaucoup pour tout à l'heure
Tqt c'était normal !
Comme je t'ai dit la prochaine fois tu envoies chier les relous haha
Devant mon silence, il renvoie :
Bon je sais que c'est pas facile mais au pire tu pourras m'appeler
Ça me fait légèrement sourire.
Je ne suis pas sûre d'être capable de t'appeler si cela m'arrive
Maiiis si tu verras !
Il plaisante, de manière si légère.
Pourquoi s'intéresse-t-il soudainement à moi ?
Comment as-tu eu mon numéro ?
Ta pote t'a pas prévenue ? C'est ton amie Céline qui me l'a passé
Ah oui, j'imagine...
Dis-moi Jade
Tu pars quand ?
En vacances ?
Oui
Tu ne me l'as pas déjà demandé ?
Ma grand-mère m'accueillera peut-être, selon ses envies ; il faut que je l'appelle.
Ah
Mais t'es libre quand à peu près ?
On pourrait se voir
On pourrait se...
Quoi ?
Je suis désolée, je ne connais pas trop ton groupe d'amis
Nan mais on pourrait se voir que tous les deux
Je n'ose pas répondre. J'ai peur d'être maladroite.
Pourquoi ?
J'en ai envie haha
Je me suis rendu compte que je te connaissais pas beaucoup
Mais pourquoi maintenant
Ah t'es fatiguée ?
Non
Enfin si
Mais je veux dire
Mes doigts dansent lentement sur le clavier, encore hésitants.
On est dans la même classe depuis la sixième
Je n'ose pas...
Pourquoi tu t'intéresses à moi seulement aujourd'hui
Je vois qu'il a lu, mais qu'il ne répond pas.
Silence.
Je me sens embarrassée de lui avoir dit ça.
Mais j'ai toujours eu l'impression de ne pas exister, aux yeux des autres.
Eh, mais ça t'arrive d'être cash en fait
Tu m'intéresses, c'est tout
Je sens mon téléphone vibrer dans mes mains à chacune de ses réponses.
Et puis tu restes toute silencieuse c'est compliqué de te parler
Je t'assure que t'es devenue une légende pour les mecs
Ils osent pas t'adresser la parole et ils font que te regarder de loin mdrr
Euh...
J'ai juste envie de passer du temps avec toi
Je sens mon visage s'empourprer.
Donc t'es libre cette semaine ?
Certainement
Je n'ai pas osé lui dire non.
Comment aurais-je pu...
Ça te dit, y a une fête foraine qui s'est installée, tu veux qu'on y aille samedi ?
Je ne suis jamais allée à une fête foraine. Mon cœur s'emballe.
Après si tu veux aller autre part je dis pas non hein !
Te retiens pas
J'ai toujours vu de loin les fêtes foraines. Des visions brèves, animées, enveloppées de chaleur et de convivialité.
Y aller, ce n'était qu'un souhait, un simple soupir de ma part. Cette bribe de chaleur que j'entrevoyais furtivement dans la voiture, avec des lumières colorées qui fusaient de partout, et une vive impression de gaieté, me faisait toujours croire que les personnes qui s'amusaient dedans allaient vivre joyeusement entourées, pour toujours. J'ai pensé que jamais je ne pourrai connaître tout ça.
Mais tout de même... y aller avec Valentin me mettrait profondément mal à l'aise.
Je ne suis pas sûre de pouvoir venir
Un autre jour alors ?
Il insiste.
Je ne sais pas encore, je verrai
Mais merci d'avoir proposé
Ah... tu veux vraiment pas y aller avec moi ?
Et si ta pote Céline vient t'accepterais ?
Je ne suis pas sûre qu'elle ait envie de venir
Je suis fatiguée. Bonne nuit
Je ne peux pas m'empêcher de répondre froidement.
Bonne nuit !
Il n'a pas l'air très vexé.
Lorsque je me glisse sous la couette, confuse, j'entends la porte de mon appartement se déverrouiller.
Il est si tard.
Elle ne rentre qu'à cette heure-ci...
J'entends ses pas dans le vestibule, lents, et nonchalamment las.
Je me demande si ma sœur va manger les pâtes que j'ai cuisinées. Je lui ai laissé une petite assiette toute préparée dans le frigo ; elle n'a qu'à la réchauffer.
Je me demande si elle a remarqué que je n'ai pas mis mon sac de cours dans le vestibule, si elle va comprendre que je n'aurai plus cours demain.
Je me demande si elle viendra me voir, dans ma chambre, juste pour vérifier si je dors.
Je me demande si elle pense à moi, en traversant l'appartement...
Je discerne ses bruits légers dans le couloir. Elle se rapproche.
Est-ce qu'elle vient réellement s'assurer que je dors ?
J'éteins tout, et je me roule précipitamment en boule, mimant un sommeil profond.
Aucun bruit.
J'hésite à ouvrir les yeux...
Elle n'est pas venue.
Je me lève, à tâtons, pour voir ce qu'elle fait.
J'entrebâille légèrement la porte de sa chambre. Il fait sombre. Je discerne sa silhouette, affalée dans son lit. Elle dort déjà.
Pourquoi ai-je espéré, de manière si soudaine, que ma sœur pense à moi ?
Lise est toujours trop fatiguée... Elle n'a pas de temps pour elle.
Elle repartira certainement travailler vers 6 h, sans m'avoir vue une seule fois de la journée.
Ne serait-ce endormie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top