PDV HEI

Trois ans. Il a fallu trois ans pour que nos chemins se recroisent. Trois ans également pour que mon cœur cicatrise en partie.

Mais suis-je bête, les Contractants ne sont pas censés avoir d'émotion.
[NDA: Les Contractants sont des personnes ayant reçu un pouvoir sans l'avoir demandé.]

Pourtant j'ai tout donné et donnerais tout pour cette femme, Yin. Ou devrais-je dire Izanami.

La Doll que j'aimais a laissé place à une entité capable de détruire les Contractants.
[NDA: Les Dolls sont des Contractants qui ne laissent transparaître aucune émotion.]

Mais dès que nous nous sommes faits face, ces sentiments que je pensais avoir refoulés sont revenus immédiatement. Ah, elle est belle, la faucheuse des ténèbres dénuée de toute émotion...

Izanami, elle, ne semblait pas déstabilisée. Elle m'a regardée, souriante, et m'a demandé :

- Vas-y, tue-moi.

Elle semblait résignée et presque heureuse que ça arrive. Et j'étais en quelque sorte heureux à l'idée de me débarrasser d'elle.

Sauf qu'une partie de moi hurlait que c'était Yin, en face de moi, la seule femme que j'ai jamais aimé et probablement la seule que j'aimerais de toute ma vie. Pourtant, je n'ai pas le choix. Je dois faire impasse sur mes intentions personnelles au profit de celle qui sauvera un plus grand nombre.

Et elle a dû remarquer cette indécision. Son comportement a subitement changé, comme si tout d'un coup, elle hésitait à me laisser faire.

- Dis-moi, Hei... qu'était Yin pour toi ?

Je m'immobilise sur place. Qu'est-ce que c'est que cette question ? Et surtout pourquoi cela l'intéresserait-elle ?

-... Je n'ai pas à te répondre.
- Si tu veux la revoir, tu devrais.

Quoi ?!

Ignorant mon trouble, Izanami continue.

- Yin n'était qu'une Doll pour toi, n'est-ce pas ? Une femme impassible dont tu peux faire ce que tu veux, puisque de toute façon elle ne réagira pas ?

À peine finit-elle sa phrase que je sens mon sang bouillir dans me veines. Jamais je n'ai considéré Yin de la sorte. Jamais je ne lèverai la main sur elle pour quoique ce soit. Et jamais je ne laisserais quelqu'un insinuer cela.

- Retire ce que tu viens de dire.

Le ton est sec et n'admet aucune réplique, le regard furieux montre clairement ce que je pense. Profitant de la confusion d'Izanami, je dévoile les sentiments que j'ai toujours cachés, afin de mettre les choses au clair.

- Rentre-toi ça dans le crâne une bonne fois pour toutes. Yin n'est pas une Doll pour moi, mais la seule femme que j'aimerais jamais. Alors, toi qui lui as pris son corps pour ton stupide objectif personnel, je t'interdis de l'insulter.

Là, je l'ai fait taire pour un moment...

- Pas une Doll, hein...

Izanami s'est figée quelques instants.

- Très bien. Oui, c'est la meilleure chose à faire. Je n'ai rien en particulier contre toi, et de toute façon cette femme ne m'intéresse pas plus que ça. Bien, Hei, je te propose un marché.

Hein ?

- Mon objectif est d'éliminer les Contractants. Toi seul me barre la route. Je te propose donc ceci : si tu me donnes tes pouvoirs, je te rendrais Yin.

C'est tentant, pour sûr, mais...

- Qu'est-ce qui me fait croire que tu dis le vérité ?
- Je m'attendais à cette réponse. Aussi je commencerais par libérer Yin de mon emprise. Je sais que tu n'as qu'une parole et que tu ne te défendras pas. Dans le cas où tu le ferais, je resterai le corps de Yin, donc...
- Je n'ai rien à gagner à te leurrer, j'ai compris.

Je soupire. Je n'y crois qu'à moitié, à ce marché, mais c'est probablement ma seule chance de la revoir.

- Très bien. Tu peux prendre mes pouvoirs si tu veux.
- Parfait.

Aussitôt, Izanami utilise son pouvoir sur moi. J'avais déjà expérimenté un sort de ce type il y a trois ans, et j'aurais préféré ne plus jamais avoir à ressentir cette douleur de nouveau. C'est comme si mon âme était arrachée de mon corps. Mais cette fois-ci, je ne crie même pas. De toutes façons, ce Contrat que j'ai inexplicablement hérité de ma sœur ne m'aurait plus servi à grand-chose maintenant.

Après une minute qui m'a semblée durer une heure, Izanami termine son sort. Je mets un genou à terre, épuisé et encore sonné par cette douleur extrême.

Cependant, contrairement à mes attentes, Izanami tient sa part du marché. Sitôt mon pouvoir évaporé, elle s'effondre.

*Ellipse - Trois jours plus tard*

PDV YIN

Ma tête...

Où suis-je ? Dans un lit, pour commencer. Mais cette pièce ne me dit rien. Ensuite, quelle heure est-il ? Quel jour ? Quelle année même ? Depuis qu'Izanami a investi mon corps, j'ai perdu toute notion du temps.

En parlant d'Izanami... je ne ressens plus sa présence. Aurait-elle décidé de partir ? Mais pour quelle raison ? Elle qui avait si désespérément besoin d'un hôte ?

Soudainement, la réalité s'impose à moi. Hei. Ça ne peut être que lui. Lui qui m'avait promis de me protéger pour au final être pris de court par Izanami.

Il faut que je me lève...

Sauf que mes jambes n'ont pas l'air décidées à me porter. À peine sortie du lit, je m'écroule sur le parquet. Après toutes ces années à être reléguée au second plan, je me suis considérablement affaiblie.

En relevant (difficilement) mon buste, je remarque quelqu'un deboit devant moi, me tendant une main pour m'aider à me relever.

- Tu tiens toujours autant à tout faire toute seule, hein...

Hei.

Je prends sa main pour me lever, mais fébrile et emportée par mon propre élan, je tombe en avant et me retrouve... dans ses bras.

Je suis une Doll !! Je ne ressens aucune émotion !! Alors pourquoi j'ai le feu aux joues et le cœur qui s'emballe ?!

- Euh... Hei... (vite, vite, changeons de sujet)... comment... tu m'as sauvée ? Et pourquoi ?
- Pour répondre à ta première question, j'ai renoncé à mon Contrat, puisque c'est ce qu'Izanami voulait. Pour la deuxième... parce que je ne peux pas te perdre. Je ne veux pas.

Oh non-non-non ne me dites pas que...

- Me dis pas que tu te soucies de moi...
- Plus que tu ne sembles le croire.
- Comment ça ?!
- Si ç'avait été la condition pour te sauver, j'aurais donné ma vie sans hésiter. Je... tiens beaucoup à toi... beaucoup plus qu'à ma propre vie.

Hei... j'ai compris. Je peux enfin te le dire. Moi qui avais peur que ce genre de choses te soient insupportables, je découvre que je me trompais depuis tout ce temps.

- Moi aussi, je t'aime.

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