CHAPITRE 7

Mon père venait de m'attraper le bras sans que je me rendre compte. Il s'était réveillé si rapidement que je n'avais pas pu esquiver son geste. Il me rapprocha de lui et me tourna pour que je sois face à lui.

— Qu'est-ce que tu fous là l'cafard ? T'as pas quelqu'un d'autre à aller emmerder ?

La surprise m'empara. Il était vrai que je le voyais souvent dans cet état mais je ne m'étais pas encore habitué. Il y avait belle lurette que la flamme d'amour d'un père pour son fils s'était éteinte dans son cœur. Ce n'était plus des rapports père et fils que nous avions mais plutôt tyran à victime. La haine qu'il avait accumulé au cours de ces derniers mois pouvait facilement se lire dans ses yeux. Encore fallait-il qu'il les pose sur moi.

— Tu fous quoi avec mon paquet ? continua-t-il en hurlant toujours plus fort. C'est toi qui me voles toutes mes clopes !

Clac ! Une gifle magistrale s'abattit sur ma joue droite.

— Répond ! C'est toi p'tit morveux ! AVOUE !

Clac ! Le revers sur l'autre joue. Comme je ne bronchais pas, il leva sa main, prêt à me donner une autre torgnole qui, cette fois-ci, me propulserait au milieu du salon. Mais elle ne vint pas. Ma mère m'avait encore une fois sauvé de ses griffes.

— Lâche-moi ! ordonna-t-il à la femme derrière le canapé qui maintenait son bras. Tu vas me lâcher ? Tu n'as pas vu que ton fils me pique non seulement mes bonnes bouteilles de bière mais en plus mes clopes pour les fumer en cachette ?!

— Premièrement, tes bonnes bouteilles je les ai remises à LEUR place et deuxièmement, mon fils NE FUME PAS !

Elle avait crié comme elle ne l'avait encore jamais fait. Du tac au tac, sa réponse claquait encore dans mes oreilles. Maman qu'as-tu fais ? Ne crois-tu pas que je sais pourquoi tu dors si mal, pourquoi tu as perdu l'appétit, pourquoi tu es devenue aussi vulnérable que moi ? Oh maman, comment s'annonce la terrifiante nuit que tu vas passer ?

Mon père m'arracha violement le paquet ainsi que la cigarette de mes mains après s'être détaché de l'emprise de sa femme. Cette dernière fit le tour du canapé pour me prendre par le bras. La force de la pression qu'elle exerçait sur ma peau était beaucoup plus faible. Une fois arrivés en bas de l'escalier, elle me retourna face à elle pour me dire :

— Matt, tu montes dans ta chambre et tu n'y bouges pas. Quoi qu'il puisse arriver, quoi que tu puisses entendre, tu restes dans ta chambre en attendant que je vienne te chercher. C'est bien compris Matthieu ?

Il y avait une sorte de supplication dans sa voix mêlée à de la crainte. C'était si rare aussi qu'elle m'appelle par mon prénom. Elle ne le prononçait que lorsqu'il fallait que je fasse ce qu'elle me dise sans discuter. Pour mon père, c'était différent. Je subissant ses nom dégradants à longueur de journée. Les surnoms qu'ils me donnaient étaient tous lancés pour me faire croire que je n'étais qu'un moins que rien. Du temps de Kaylee, je n'aurais jamais pensé qu'un tel retournement de situation puisse arriver.

Assis sur mon lit, j'observais les lieux qui m'étaient plus que familiers. Tout était parfaitement bien rangé. À ma droite, une sombre armoire qui faisait la largeur du mur. Je pouvais encore voir le petit clou dans le bois grisé qui maintenait autrefois un cadre. Un cadre avec une photo très chère à mes yeux... L'objet n'était pas plus grand qu'une feuille A4. Il y avait eu un temps une photo de moi avec Kaylee. Elle venait de se réveiller d'une sieste et je lui avais donné le biberon. L'instant d'après, mon père nous avait pris en photo pour se remémorer ce souvenir. Mon père me l'avait reprise quelques semaines après sa mort.

Le jour où la photo avait été prise, nous étions conviés à un repas entre voisin et Kaylee n'avait pas arrêtée de bouger dans la pelouse après son biberon. Alors je m'étais précipité sur elle pour qu'elle stoppe tous ses mouvements. Miraculeusement, c'est ce qu'il s'était passé. J'avais toujours rêvé d'avoir un petit frère mais une sœur était encore mieux. Et ce rêve avait causé ma perte. Depuis cette nuit-là, mon père était plus que persuadé que j'avais tué Kaylee car je n'avais jamais voulu d'une petite sœur.

Il y avait déjà un certain temps que je ne pleurais plus quand je me prenais des coups, quand il m'accusait à tort ou quand il m'insultait. Le décès de Kaylee avait tout changé dans notre petite vie paisible pleine de gaité. Le dernier repas entre amis que nous avions fait s'était mal fini. Un des invités avait prononcé le prénom de Kaylee et avait essayé de raisonner mon père. Ce dernier était parti en vrille : il avait crié qu'il faisait ce qu'il voulait de sa vie parce que c'était la sienne. On était ensuite rentré chez nous et ma mère avait pleuré un bon moment. Mon père n'avait pas cessé de répéter que nous ne reverrions plus jamais ces amis. Il avait fait un trait sur ses bonheurs passés en nous emprisonnant avec lui.

Ce même soir, je m'étais préparé pour dormir. J'avais éteint la lumière de la salle de bain avant de me diriger vers ma chambre. J'avais alors allumé la lampe de chevet à droite de mon lit. Je n'avais pas entendu mon père arriver derrière moi. Je m'étais retourné et j'avais vu qu'il tenait un torchon de cuisine dans sa main. Il l'avait levé derrière lui et d'un coup, il l'avait abattu sur mon petit corps torse nu. Je m'étais mis à hurler de douleur mais il avait continué. Ma mère avait alors accouru pour cesser ce terrifiant spectacle. Cela n'avait duré que quelques minutes mais ce moment avait tout changé dans ma vie. Ma mère était intervenue et m'avait sauvé pour la première fois ne se doutant pas qu'il y en aurait d'autres similaires. Et pour la première fois aussi, elle venait de se sacrifier.

Un cri dissipa mes sombres souvenirs. Je m'étais installé, oreille contre la porte, écoutant attentivement le moindre bruit qui pourrait me parvenir. Sauf que tout ce que je pu entendre fut des bruits de pas dans les escaliers. Pris de panique, je me précipitai à mon bureau, ouvrant le premier livre qui me vint. Les pas lourds s'approchaient dangereusement de moi. Puis un silence vint s'installer. Un instant où aucun bruit ne vient le casser, un moment qui vous glace le sang à vous en pétrifier sur place.

Un mot prononcé sembla redonner vie aux pas. Ce mot, je le connaissais bien. C'était celui qui faisait partit de mes nombreux surnoms désobligeants. « Cafard » disait-il comme si je ressemblais à ce petit insecte. Le silence revint vite mais j'eus du mal à me détendre. Je m'adossais contre le dos de la chaise en bois et desserra mes mains du livre. Ah, ce livre qui m'avait suivi... Si les pages pouvaient raconter autre chose, elles ne conteraient pas l'histoire d'un chevalier au cœur pur mais plus tôt celle d'un petit garçon que la vie n'avait pas épargné.

Je venais de m'installer sur le lit, continuant le livre qui m'étais venu dans les mains quelques minutes au paravent, lorsque ma mère entra dans ma chambre. Je la vis apparaître avec un plateau dans ses mains. Elle le posa sur mon bureau après avoir fermé la porte. Elle replaça une partie de ma couette avant de s'asseoir en bout de lit. Je sentais bien le flot d'épuisement qu'elle portait en elle. Malgré le fait que je lui obéisse (en grande partie) et que je l'aide, son état n'allait pas en s'améliorant.

— Tu veux manger quelque chose ? me demanda-t-elle.

J'opinai du chef sans rien prononcer. Je m'approchai de mon bureau qui était devenu accessoirement table à manger. Je posai le livre sur le bord et commençai à triturer les aliments dans mon plat. Il était garni d'un simple steak haché avec quelques haricots trop cuits. Encore un coup de mon père...

— Tu n'as pas faim ? questionna-t-elle en se levant de mon lit. Qu'est-ce qu'il ne va pas Matt ?

Elle était juste à côté de moi. Je voulais tout lui dire. Que c'était devenu insupportable depuis la mort de Kaylee, que je ne reconnaissais plus l'homme qui vivait sous le même toit que nous, qu'il me faisait faire toutes sortes de choses lorsqu'elle n'était pas là, que je prenais mon temps pour rentrer à la maison tous les soirs pour passer le moins de temps en sa présence, que j'avais la boule au ventre tous les jours et que ma seule façon de m'évader était de dormir. Et encore fallait-il que je ne fasse pas de cauchemars...

Doucement, elle me caressa les cheveux. Cette sensation de sa main qui se baladait dans mes mèches brunes m'apaisait. Elle avait un don pour ça.

— Tu peux me parler. Ne garde pas tout pour toi, ce n'est pas bon. Tu le sais en plus trésor...

Je ne pus empêcher mes larmes de couler. Voyant cela, elle se mit à genoux et me prit dans ses bras. Je redoutais que les mots sortent tous seul de ma bouche mais en même temps je me sentais incapable de dire quoi que soit.

Ma crise finie, je pus enfin lui dire de ma petite voix fluette :

— Je suis fatigué maman...

Ce n'était pas très persuasif mais au moins elle arrêta de me poser des questions.

— Alors va dormir mon cœur.

On s'approcha tous deux de mon lit. Elle s'assit pendant que j'enfilais mon pyjama. Je m'allongeai puis elle me borda le lit. Elle rajouta même une couverture au niveau de mes pieds pour que je puisse la tirer au cas où j'aurai froid durant la nuit. Elle me déposa un baiser sur mon front en décalant quelques mèches de cheveux avec sa main. Puis elle sortit.

J'éteignis la lumière de ma chambre et je remarquai que mes volets n'étaient pas fermés. Les lumières de la rue me permettaient de voir vaguement l'intérieur de la pièce. Je pris deux trois coussins et les plaça en ligne. Je les recouvris par la suite avec mes draps puis enfila mes chaussures. Silencieusement, je me levai direction la fenêtre. Une rafale de vent s'engouffra aussitôt dans l'habitat. Une voiture au loin démarra et je vis ses feux se perdre dans l'obscure forêt.

J'enfourchai le rebord de la fenêtre quand soudain, des pas lourds accompagnés d'un grognement se firent entendre. Le bruit provenait du couloir... Mon père était derrière la porte. S'il lui venait l'envie de l'ouvrir, j'étais un homme mort !

* * *

Va-t-il se faire prendre ou son père passera-t-il son chemin dans venir le voir ?

J'espère que ce chapitre vous aura plu. Il était plus long que les précédents mais aussi plus dense en informations.

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