Chapitre 42
L'heure n'était plus à la rigolade. Après la mise en garde que venait de me faire Tyler, je replaçai les lunettes de soleil sur mon nez. Il ne valait mieux pas que les garçons soient déstabilisés par mes yeux. Si j'étais si dangereuse qu'il semblait le prétendre, il fallait trouver une solution au plus vite.
— Bon on fait quoi pour moi ? questionnai-je en essayant de voir quelque chose derrière ces deux écrans noirs. Je ne peux tout de même pas revenir en cours avec des yeux bizarres ?
Tyler plongea sa main droite dans sa poche et en sortit une petite pochette. Elle était blanche, le même gabarit que celles offertes par l'orthodontiste lorsque j'avais eu un appareil dentaire. Cependant, elle n'était pas remplie de petites élastiques rondes et jaune pâle, au contraire, j'ai cru qu'elle était vide. En me focalisant sur le contenu, je pus décerner des cercles en plastiques finement colorées.
— Je vais te mettre ces lentilles. Ça va te donner l'iris marron ou noir, on verra le résultat après. Avec ça, tu ne te feras pas remarquer.
Il fallait que j'enlève mes lunettes. Que se passera-il s'il était vraiment envoûté par mes yeux ?
« Je pense que je vais réussir à me contrôler. Tu n'es pas vraiment mon style de fille malgré le fait que tu sois mignonne. »
Il avait encore entendu mes pensées. Certes ce n'étaient que des mots mais j'eus la sensation d'avoir subitement arrêté de réfléchir. Je voulais bien le croire car je n'étais pas à l'aise avec les situations ambigües de ce genre.
C'est alors que je me souvins d'une remarque de son frère. Luke avait affirmé que la relation amoureuse de Tyler était compliquée. Mais la situation amoureuse avec qui ? Qui était cette autre personne si ce n'était pas moi ? La fin de sa deuxième phrase laissait des doutes planer.
Luke continuait de faire le guet tandis que Tyler se concentrait pour me positionner correctement les lentilles.
— Comment faites-vous pour les mettre tout seul ? le questionnai-je.
— L'habitude, répondit-il simplement. Voilà ! J'ai fini.
Super, maintenant je vais encore être en retard en cours. Nous traversâmes l'espace vert à la vitesse humaine puis nous arrivâmes devant la porte de la salle. Le cours de SVT avait débuté et je n'osais pas imaginer la tête de notre cher professeur Yougman en nous voyant débarquer avec dix minutes de retard. Cela ne pouvait pas plus mal tomber. La manière et le prof que j'aimais le moins. La poisse était avec moi !
Sachant le nom de notre professeur, Tyler avait insisté pour nous accompagner jusqu'à la salle. Nous frappâmes à la porte et lorsque le prof m'aperçut, il commença la phrase qu'il avait préparée pour bien me rabaisser. Sauf que, surprise, il referma sa bouche en voyant l'homme qui se trouvait derrière moi. Tyler venait d'apparaître et le visage du professeur se décomposa.
« Maintenant je pense qu'il va te laisser tranquille. Pas vrai Rupert ? »
— Bonjour monsieur, je vous ramène Jemma qui ne se sentait pas bien. Elle va mieux, nous y avons veillé.
Je vis Mr Yougman faire un signe de la tête pour acquiescer. Il n'avait pas dit le moindre mot, ce qui était inhabituel.
« Noooon ! C'est pas vrai ! Mr Yougman est un vampire lui aussi ! »
« T'as tout compris Jemma » déclara Tyler.
J'avais probablement l'air d'un poisson. Je m'explique : à la suite de cette découverte, j'avais écarquillé les yeux tout en continuant de fixer l'homme en blouse blanche. Lui, par contre, avait contracté les muscles de sa mâchoire pour se retenir de nous sermonner un bon coup. L'agacement se lisait distinctement sur son visage.
— Au revoir Mr Wyllis, je crois que vous n'êtes plus scolarisé dans cet établissement depuis un moment, déclara-t-il sur un ton sec.
Il referma la porte violemment. Une vague de chuchotement s'éleva mais fut vite interrompue par le claquement de la règle en bois sur le tableau. Mr Yougman était de l'ancienne école et ces pratiques avaient tendance à nous effrayer assez rapidement. Luke et moi nous assîmes à nos places respectives. J'écoutais les bavardages assez discrets que le professeur n'arrivait pas à percevoir. Les filles se demandaient qui était le beau garçon qui nous avait accompagnés, s'il était un parent de Luke, son frère, un cousin ? Ces hypothèses me firent sourire.
Nous n'avions plus que deux longues heures d'SVT et après, la journée était terminée pour nous. Pendant ces interminables minutes, je regardais par la fenêtre les arbres dépourvus de feuilles. L'hiver était là, je n'avais aucun doute sur ça. Mais la sensation qu'il ne finirait jamais était elle aussi présente.
Quand je tournai la tête vers le tableau, mon regard croisa celui de Mr Yougman. Il m'en voulait mais restait terriblement muet. Tyler avait fait un miracle. J'étais enfin débarrassée d'un prof que je n'appréciais pas particulièrement. Je me sentais tellement légère que j'aurais pu m'envoler loin, très loin de ce cours. Une interrogation me fis rapidement revenir sur cette chaise de classe : comment Mr Yougman n'avait-il pas été étonné de voir que j'étais moi aussi un vampire ? Tyler l'avait-il prévenu antérieurement ?
La sonnerie mit fin à mes réflexions. Je rejoignis Luke pour lui proposer d'aller chez Matthieu. Pendant que nous avions fait un exercice sur les matières rocheuses, je m'étais souvenue que j'avais oublié de faire part de ma découverte à la casse automobile aux deux vampires. Depuis hier, je ne pensais qu'à aller fouiller sa chambre pour dénicher un indice qui pourrait nous permettre de le retrouver.
Je sentis Luke hésiter face à ma requête. C'était étrange mais je sus à l'avance qu'il n'allait pas venir avec moi aujourd'hui.
— Désolé Jemma, je ne vais pas t'accompagner cette fois-ci. Mais je demande à Tyler de te prendre au passage si tu veux. À cette heure, il a fini son travail.
Je fis un bref signe de la tête. Il s'éloigna de moi pour passer le coup de téléphone. À la fin de l'appel, il m'informa que son frère allait arriver dans quinze minutes. En revanche, il s'excusa car il ne pouvait pas rester à attendre avec moi.
Je le vis s'éloigner dans la rue. Sa silhouette se mélangea à la foule de jeunes et je le perdis de vue. En tournant la tête vers la direction opposée, je repérai un banc dans l'alignement du mur délimitant l'enceinte de l'établissement. Je vins m'asseoir dessus en posant mon sac sur mes genoux. Je fis glisser la fermeture Éclair pour chercher mon MP3 tombé entre deux cahiers. Je plaçai les écouteurs dans mes oreilles et la musique commença à défiler doucement. Mon genre de musique du moment : les vieilles chansons de groupes iconiques comme Queen ou encore les Rolling Stones.
En grattant le banc pour enlever les résidus accumulés, je me remémorai mon geste qui m'avait permis d'avoir actuellement de la bonne musique dans mes oreilles. Ce matin, j'avais jeté mon MP4 dans mon sac au cas où j'en trouverai l'utilité. Je n'avais plus de téléphone portable et ma seule solution de secours pour écouter de la musique avait été que je redonne du service à cet objet. Il avait bien prit la poussière dans mon armoire mais il n'avait pas perdu de sa qualité audio.
Je soupirai un grand coup pour expulser tout l'air de mes poumons qui ne fonctionnaient plus. Je me sentais décompressée à chaque fois que j'entendais ce morceau. La voix punk de Billie Joe Armstrong dans 21 Guns me faisait toujours fondre comme de la neige au soleil. C'était la musique du matin en mangeant mon breakfast, du soir qui, quand j'étais humaine, m'endormait à tous les coups... Je repassai la chanson une deuxième fois puis d'autres musiques plus récentes passèrent.
Une voiture noire s'arrêta juste devant moi et la vitre du passager se baissa, laissant apparaître un Tyler souriant, au volant du véhicule.
— Mademoiselle a commandé un taxi ? demanda-t-il d'une voix suave.
Tout le long du trajet, je lui fis part de la découverte sur la voiture de Matthieu la vieille. Je lui expliquai qu'il ne s'était pas trompé dans la reconnaissance du véhicule qui nous avait percutées. Il compatit à ma souffrance suite à la confirmation de ce que nous avions vu sur les caméras de surveillance.
Quelques minutes plus tard, nous étions arrivés chez Matthieu. La maison semblait vide. Je n'entendais personne bouger et il n'y avait aucune odeur humaine à proximité. Je sonnai pour m'assurer qu'elle n'était pas habitée. Aucun mouvement. Tyler me rejoignit après avoir stationné la voiture plus loin. Il me demanda :
— Comment comptes-tu t'y prendre pour entrer. Tu as un double des clés peut-être ?
— Avec Matt, on sortait parfois le soir et lorsqu'on rentrait, on passait par une fenêtre derrière la maison. Il y en a une qui ferme mal.
— Hum. Ça résout le problème de clés, déclara-t-il en arquant un sourcil, impressionné.
J'enjambai le muret puis nous marchâmes jusqu'au fond du jardin. Tyler me suivait de près tout en surveillant que nous ne soyons pas pris la main dans le sac. Arrivés devant la fenêtre, la luminosité de cet après-midi me permit de voir parfaitement ce que je faisais. D'habitude, lorsque nous rentrions avec Matthieu, ce n'était pas avant minuit, une heure du matin.
Vive les feuilles de cours cartonnés données par le prof d'SVT. J'aurai aimé lui crier « Voilà monsieur Yougman, pour une fois que vos cours me servent à quelque chose ! ». Car il était vrai que dans notre situation, grâce à ces fichus feuilles de carton, j'avais réussi à en loger une au niveau de la traverse haute qui avait un défaut. L'usure de cette fenêtre nous avait été très bénéfique.
Je parvins à décaler une partie de la fenêtre pour qu'elle coulisse. Il ne fallait pas me demander ce que je venais de déplacer, j'aurais été incapable de l'expliquer. Tout ce que je pouvais dire était que le geste restait relativement simple à exécuter.
J'entrai la première et je courus vers la porte de la pièce pour vérifier qu'elle n'était pas fermée. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas et je pus l'ouvrir. Nous nous aventurâmes sans bruit dans la maison. En traversant le couloir, j'entendis un bruit. Produit par une troisième personne, j'en étais certaine ! Je montai les escaliers à la vitesse de l'éclair mais rien n'avait bougé au premier. J'entrepris d'aller à l'étage au-dessus.
Dès la première marche, ce scénario me semblait bizarre. Tyler ne me suivait pas, je ne savais pas où il était et ce qu'il faisait.
— Tyler, t'es où ? demandai-je.
Je perçu sa phrase par télépathie : « Si tu veux qu'on se fasse repérer, continue de parler à voix haute. Je suis là, je te suis. ». Je le vis arriver avec une certaine lenteur qui me stupéfia. En plus de cela, il avait les yeux rivés sur son portable alors que nous étions venus pour une chose plus importante qu'un SMS.
« Bon je vais là-haut voir s'il y a quelqu'un. »
« Oui va voir à l'étage ! »
Je ne compris pas pourquoi il venait de « parler » aussi fort. Je n'étais pas loin et encore moins sourde. D'accord, je le dérangeais pendant qu'il pianotait sur son portable mais un minimum de respect !
Tout en soufflant, je me dirigeai vers les marches. Je n'en montai que deux : une masse noire venait d'apparaître en haut de l'escalier.
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