Je fis plusieurs tentatives pour me relever mais toutes restèrent vaines. Au bout du cinquième ou sixième essai, un pied s'abattit sur mon corps, m'imposant de ne plus bouger. J'eus la sensation qu'un bloc de béton venait de s'abattre sur moi. On aurait dit qu'un mur m'aplatissait. J'eus envie de recracher la mousse au chocolat que je n'avais pas encore bien digérée.

Un crissement de pneus accentua la pression de l'homme sur moi. Le chauffeur avait dû mettre le pied au plancher. Je ne fus pas en mesure de retenir encore plus longtemps le contenu de mon estomac qui finit sur le tapis de voiture. À la suite du freinage inattendu, l'homme leva son pied de mon dos et je pu enfin respirer normalement. Mais cette action me donna un sursaut et la fin du dessert au chocolat partit entièrement de mon ventre.

Je me sentais faible, si fatiguée et épuisée que les évènements qui suivirent me parurent un peu flous. Je sentis une personne me soulever comme si je pesais l'équivalent d'une plume. Il venait de m'extraire du véhicule. Je distinguai alors Luke, me portant tant bien que mal. Je n'arrivais plus à faire le moindre mouvement.

Il marcha de manière intensive en direction de leur voiture garée en plein milieu de la route. Avant de fermer les yeux, je vis Tyler qui se débattait avec deux hommes, le troisième allongé sur le sol, hors d'état de nuire.

À mon réveil, je constatais que j'étais assise dans la voiture des garçons. Ils m'avaient enveloppée avec une couverture chaude. Je la reconnaissais bien car Tyler la laissait sur un des sièges arrière au cas-où il en aurait besoin. Mais ni Luke ni Tyler ne se trouvait dans le véhicule. De plus, je commençais à regretter l'onctueuse mousse au chocolat que mon estomac avait préféré expédier dans la voiture des malfrats plutôt que de rester sagement dans mon ventre.

J'ouvris la portière puis j'entendis des pas sur les graviers. Ils se rapprochaient de telle sorte que je vis Luke apparaître.

— Ça va ? me demanda-t-il.

— C'était qui ces types ? l'interrogeai-je sans faire attention à la question qu'il venait de me poser.

— Trois membres au service des Hauts-Dirigeants, m'informa Tyler qui venait de nous rejoindre.

Il portait des lunettes de soleil qui lui allaient plutôt pas mal. L'intégralité de sa tenue lui donnait un air de gentleman. Tyler portait des lunettes de soleil alors que le temps était très nuageux... J'étais loin d'être stupide.

— Tu peux enlever tes lunettes s'il te plaît, demandais-je. Je ne vais pas m'évanouir à la vue d'un cocard.

Sans riposter, il les enleva mais je fus surprise qu'il n'ait pas d'œil au beurre noir. Après la confrontation entre les hommes et Tyler, cela me semblait logique de voir quelques blessures. Cependant ces yeux n'étaient pas comme d'habitude. Ils arboraient une couleur captivante : oranges clairs avec des teintes dorées. Je ne pouvais plus détacher mon regard de cette beauté jusqu'au moment où il remit ses lunettes sur son nez. Il me dit ensuite une phrase qui me troubla encore plus.

— N'oublie pas Jemma : les vampires sont des créatures abominablement sublimes.

De mon vivant, j'étais certaine de ne jamais avoir entendue ces paroles. Pourtant, je les connaissais et elles résonnaient en moi comme une incantation.

Je regardai le lieu où les garçons m'avaient emmenée. Cet endroit était isolé de toute vie humaine. En me levant, les frères s'écartèrent, me laissant voir un magnifique panorama. Le soleil continuait de se coucher, donnant une luminosité rougeâtre à la vallée. Je me rapprochai du bord de la falaise m'arrêtant entre deux arbres. Je posai une main sur l'un des troncs robustes et j'admirais le spectacle s'offrant à moi. Des oiseaux volaient tranquillement au-dessus d'un village où les habitants devaient regagner leurs maisons. En contre-bas, je vis les voitures circuler dans les différentes rues.

Le soleil déclinait de plus en plus. Avec mon enlèvement, j'avais oublié le but premier de mon départ.

— On va à la casse, vite ! m'exclamai-je en regagnant la voiture.

— On a réfléchi à ça pendant la route. On est dimanche. Elle doit être fermée.

Oh non ! Je n'avais pas du tout pensé à ça ! Qu'allions-nous faire pour retrouver Matthieu ? Une idée me vint à l'esprit. Une fille modèle n'aurait pas pensé à ça mais depuis que je traînais avec Tyler et Luke, je me sentais de plus en plus débrouillarde.

— On trouvera bien un moyen d'entrer, qu'il soit légal ou pas, déclarai-je en me dirigeant vers la voiture de Tyler.

Je refermai la porte derrière moi, un air déterminé. Luke entra dans le véhicule, côté passager. Je le vis se retourner pour essayer de me raisonner :

— Tu es sûre de vouloir y aller ce soir ? La journée a été particulièrement éprouvante, surtout pour toi. Demain sera mieux car tu te seras reposée et peut-être que tu te retransformeras en vampire. Tu as besoin de te reposer, ne va pas au-delà de tes capacités.

Je ne désirais qu'une chose : retrouver mon meilleur ami vivant. C'était trop compliqué à comprendre ? Je levai la tête vers Luke et le regardai droit dans les yeux.

— Vous ne vous imaginez pas, Matthieu est peut-être mort ou en train de mourir à l'heure qu'il est ! Je le connais depuis un bail et je peux vous dire quand il va bien. Là, je le sens, j'ai le pressentiment que quelque chose ne va pas. Et vous me dites d'attendre demain ? Je ne vais pas le laisser tomber. Je le considère comme mon grand frère... Mon grand frère ! S'il crève, je ne m'en remettais pas !

Les larmes se mirent à couler sur mon visage. Tyler venait d'ouvrir ma portière et il avait tout entendu. Je me sentais ridicule à laisser échapper mes émotions de cette manière. Pendant toute la demi-journée, je n'avais pas arrêté de pleurer. La tristesse m'avait épuisée au point que je tombais de sommeil. Mais mes craintes me permettaient de rester éveillée.

Je n'arrivais pas à m'imaginer Matthieu mort. Je voulais que cette pensée s'en aille loin, très loin de moi. Sauf que j'avais toujours suivit mon instinct. J'avais le pressentiment que quelque chose de grave était en train de se dérouler sans que je puisse y faire quoique ce soit.

— Tu es vraiment sûre de vouloir y aller ce soir ? questionna Tyler en me séchant une larme qui glissait tranquillement sur ma joue.

Tyler me posa cette question et pas une autre. Il avait lu mes sombres pensées depuis le début de notre conversation et il ne voulait qu'être rassurant. J'avais l'impression qu'il pouvait mieux me comprendre que Luke. Je lui répondis positivement. Il referma doucement la portière et prit place devant le volant. La voiture démarra. Durant tout le trajet, j'observais silencieusement le ciel.

***

Nous nous trouvions devant une grande grille. S'il y avait eu une imposante maison noire et lugubre avec la lune en arrière-plan, je me serais tout de suite crue dans un film d'horreur. Fort heureusement, seules des voitures en mauvais état se trouvaient derrière cette immense grille. Elle devait bien faire trois à quatre mètres de haut.

— On fait comment maintenant ? nous demanda Luke en croisant les bras sur son torse, un regard en coin.

— Tu vois une autre solution que celle à laquelle tu penses ? déclara son frère.

— On ne va quand même pas balancer Jemma de l'autre côté ?

Pardon ? Avais-je bien compris ? Ils veulent me jeter par-dessus pour que je m'éclate au sol ? Il m'était arrivé bien des fois de tomber de mon un mètre soixante – ce qui reste raisonnable – et ça faisait un mal de chien. Mais alors là, pour deux fois ma taille, ils auront des difficultés à me décoller du goudron !

— Je t'explique, commença le plus âgé des deux hommes.

Ah bah je veux bien parce qu'il est hors de question que je retourne à l'hôpital moi !

— Luke, tu passeras le premier. Une fois de l'autre côté, tu cours, je t'envoie Jemma. Il faudra que tu la rattrapes au vol.

— Attends deux petites secondes, veux-tu. Tu comptes réellement me balancer de l'autre côté comme un vulgaire sac à patates ?

— En quelque sorte oui, répondit-il avec une voix qui ne laissait pas de place au doute. Nous sommes des vampires et pour nous tu ne pèses pas plus lourd qu'une bouteille d'eau.

Je pris une seconde pour réfléchir, en pensant au pour et au contre de cette situation.

— Vu de cette façon, ce n'est pas une mauvaise idée de rentrer chez nous et d'attendre demain que la grille soit ouver...

Je ne pus pas finir ma phrase, Luke venait de prendre de l'élan et sauta par-dessus la grille. Il s'était réceptionné tout en douceur, main droite et genou à terre. Avec un air satisfait, il se releva et me demanda :

— Tu viens ?

Je ne devais peut-être pas lui rappeler que la violation de domicile est probablement punie par la loi d'emprisonnement et d'une amende conséquente. Intérieurement, je bouillonnais de ne pouvoir rien lui dire. J'étais certaine qu'il en faisait exprès de me mettre dans tous mes états. Qu'est-ce que j'avais fait pour qu'il prenne plaisir à m'énerver ?