Chapitre 4 - Chute
~ "There would have been a time for such a word" Macbeth ~
Au sortir du sommeil, la délicieuse présence de Atsuhiro à ses côtés fut la première chose dont Setsuha eut conscience. Contre sa peau, la main du magicien était moite d'être restée posée sur sa hanche. Elle percevait son poids sur le matelas. La portion de draps soulevée par son buste. Les effluves chauds de son corps après une nuit de repos.
Les yeux clos, Setsuha se blottit un instant dans ces sensations douillettes, avant de remuer légèrement ses ailes ébouriffées. Elle souleva les paupières, acclimatant son regard au jour qui filtrait par les volets fermés. Dans la pénombre grise de sa chambre, elle distingua le profil de l'homme étendu à côté d'elle. Ses boucles en pagaille s'étalaient sur son front et l'oreiller. Son visage endormi respirait la sérénité.
Attendrie, elle souleva une aile pour frôler de ses plumes le bras allongé entre eux, et remonta jusqu'à son épaule. Du bout des doigts, elle exécuta ensuite le même trajet, tirant des frémissements à Atsuhiro. Sa figure s'anima lorsqu'elle arriva sur sa joue. Tandis que sa respiration se raccourcissait et que ses cils papillonnaient, elle dévala la courbe de sa mâchoire, puis passa un pouce léger sur sa lèvre inférieure. Celle-ci s'étira sur un sourire de malice indolente. Il pressa la bouche pour embrasser la pulpe de son pouce.
Setsuha émit un souffle amusé, puis traça l'arête droite de son nez, incapable de s'arrêter de dessiner ses traits, de le sentir sous ses doigts.
— Tu es du genre tactile au réveil, ou je dois profiter parce que c'est exceptionnel ? la taquina Atsuhiro.
— C'est plutôt exceptionnel, répondit-elle avec un rire encore enroué par la nuit.
Réalisant que la douceur et l'intimité du moment n'avaient rien d'une lubie, le magicien la considéra avec sérieux. Il pressa sa hanche, avant de faire courir ses ongles contre sa peau tendre.
— Qu'est-ce qui est en train de tourner sous tes jolies frisettes ? s'enquit-il à mi-voix.
Setsuha reposa sa main sur son oreiller et laissa s'étirer quelques secondes le silence confortable qui planait sur eux. Le regard doux, elle répondit :
— Je suis en train de tomber amoureuse de toi.
Ce n'était pas encore un je t'aime. C'était un je t'aime à venir. Une confession de ses sentiments autant qu'un aveu de faiblesse. Un don de son cœur autant qu'une imploration de le préserver.
Les yeux de Atsuhiro s'arrondirent. Son souffle se suspendit. Puis une vive émotion plissa son faciès. Il lui adressa un sourire de tendresse et de gratitude infinies. Se redressant sur sa prothèse, dont le mécanisme émit des protestations sous le mouvement, il glissa sa main valide derrière le crâne de Setsuha et appuya son front au sien, les paupières fermées. Le temps d'une respiration, il ancra ces mots entre eux.
La mine émue, Setsuha gonfla la poitrine, avant de se redresser quand Atsuhiro descendit sur ses lèvres. Elle resserra les jambes autour de lui alors qu'il se rapprochait pour souder leurs deux corps.
Lorsqu'ils quittèrent enfin les draps trempés et défaits, Setsuha passa seule dans la salle de bain – l'étroitesse de la pièce ne permettant pas d'accueillir ses ailes et une personne supplémentaire – pendant que Atsuhiro aérait la pièce et la literie. Quand il y entra à son tour, elle lui caressa la mâchoire au passage, éprouvant la naissance de sa barbe.
Elle eut la surprise de découvrir qu'il avait improvisé un petit-déjeuner avec ce qu'il avait trouvé dans ses placards, et n'eut qu'à se préparer son thé. Elle versait la boisson odorante dans l'une de ses tasses favorites au moment où un appel de son frère fit s'illuminer son téléphone.
— Je te réveille pas ? vérifia-t-il quand elle décrocha.
— Non, ça fait un moment que je suis levée. Tu as besoin d'un truc ?
— Le Featherly Yours a fermé ? s'étonna son frère d'un ton scandalisé. J'ai voulu réserver, mais...
Setsuha ne put s'empêcher d'éclater de rire. Le Featherly Yours était un bar de nuit exclusif aux individus ailés. Elle s'y était souvent rendue en compagnie de Muhaoto, qui éprouvait bien plus qu'elle ce besoin de fréquenter leurs pairs en cercles fermés.
— Oui, il y a eu une grosse polémique à cause de leurs critères d'admission, ils ont commencé à avoir mauvaise presse. La plupart de leurs habitués n'ont pas voulu y être associés et l'ont déserté... ils n'ont pas pu tenir.
— Je voulais qu'on y retourne pendant que je suis là, lâcha Muhaoto d'un ton dépité.
— Désolée, il va falloir qu'on se trouve une autre adresse. Mais tu travailles en ce-moment, non ? Tu as le temps de sortir ?
— Pas tous les soirs, et je risque d'annuler à la dernière minute mais disons que j'ai des disponibilités...
— C'est super ! Promis, j'essaie de nous trouver un coin sympa.
La voix d'Atsuhiro s'éleva alors depuis la salle-de-bain :
— Setsuha, je peux t'emprunter de l'arnica ?
— Oui, c'est sous le lavabo ! lui lança-t-elle en retour.
Son aîné s'exclama alors :
— Oh mais tu es pas toute seule ! Setsuuuu, gronda-t-il, tu m'as pas tout dit, la dernière fois.
— Ça pouvait attendre, rétorqua espièglement la jeune femme.
— Tu vas me dire que tu as déjà trouvé mieux que Hawks ?
— C'est pas parce que tu idéalises Hawks que c'était un homme pour moi, pouffa-t-elle.
— Et lui l'est ?
— Lui l'est.
— Ailé ?
— Nooon, Mumu. Pas ailé. Ni mutant. C'est Atsu, un intermittent du spectacle.
— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu trouves à un type comme ça ? s'indigna-t-il avec un rire.
— Alors, je te prie de réserver ton jugement. C'est un homme de goût et il a beaucoup de classe.
— Voyez-vous ça ? Et il se produit où, ce gentleman ?
— Nulle part, avoua-t-elle. J'ai l'impression que c'est difficile pour lui en ce-moment. Il me dit pas tout, mais rien qu'hier il est arrivé avec de ces bleus...
— Tout de suite moins classe, ironisa son aîné. C'est quoi son Alter ?
— Aucune idée.
— Vraiment ? ... Tu l'appelles comment ? « Atsu » ?
— Euh oui, pourquoi ?
Le silence se fit à l'autre bout du fil. Quand Muhaoto reprit, ce fut avec un calme glaçant. Son ton terriblement neutre camouflait une subite tension.
— Il sait que tu es au téléphone avec moi ?
— Quoi ? Non ? Qu'est-ce que tu...
— Attends. Tu peux t'isoler deux minutes ? Il faut que je te pose une question.
Un pincement d'appréhension serra soudain l'estomac de la jeune femme. Son aîné s'exprimait avec bien trop de gravité pour qu'il s'agît d'une simple indiscrétion de sa part. Elle s'exécuta, les sourcils froncés, et sortit sur son balcon. La froidure matinale courut sur sa peau sans lui tirer le moindre frisson. Le grondement permanent du trafic montait jusqu'à elle.
— Je suis dehors. Dis-moi ce qu'il se passe, Muhaoto.
— J'espère que je me trompe, mais... ce type. Comment il s'appelle ?
— Sako Atsuhiro.
Muhaoto lâcha un juron étouffé. Le cœur battant, elle attendit qu'il reprenne la parole. Un soupir préoccupé crachota dans le haut-parleur, puis son frère demanda :
— Il a une prothèse au bras gauche ?
— Oui, articula-t-elle d'une voix qui menaçait de flancher.
— S'il-te-plaît, petite sœur, soit très honnête avec moi. Est-ce que tu savais, est-ce que tu as eu le moindre doute, de qui il est ?
Il s'agissait davantage d'une supplique teintée d'inquiétude que d'une accusation.
— Non. Muhaoto, je comprends rien à ce que tu es en train de me dire, là.
Et pourtant une réponse s'esquissait déjà, à la lisière de son esprit. Les connexions s'opéraient sans qu'elle ne veuille les reconnaître.
— Sako Atsuhiro, commença son aîné, le timbre sombre. Est un vilain et membre de la Ligue. Il se fait appeler Mr Compress.
Le sang gela dans les veines de Setsuha. Toutes ses pensées se figèrent, absorbées dans un gouffre d'incrédulité. Puis une lucidité implacable la gagna. La vérité, irrécusable, s'étala sous ses yeux.
Gentleman. Prestidigitateur. Voleur. Vilain.
Tout faisait sens.
Sa présence à la Tokyo Opera City, avant le braquage de Twice et Compress, ses habitudes au Baratin, son aplomb lorsqu'ils y avaient rencontré Dabi... jusqu'à cet interrogatoire subtil au sujet de Hawks que Mr Compress lui avait fait passer. Toutes ces questions détournées et affirmations couvertes...
Prise de tremblements, elle se raccrocha au bord du balcon. Sa respiration s'emballa. Un fol instant, elle considéra l'option de prendre son envol sur le champ.
— C'est pas vrai, geignit-elle. Qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je fais...
— Du calme. Du calme. Tout allait bien avec lui, avant que j'appelle ?
— Oui.
— Bon. Tu es pas en danger pour l'instant, alors.
Plongée dans un courant d'épouvante, elle laissa sa tête s'affaisser entre ses épaules, les yeux fermés, le front plissé.
— Mais je peux pas lui faire face comme ça !
— Trouve une excuse. Lui dis pas que tu étais au téléphone avec moi, mais sers-toi du coup de fil comme prétexte ! Tu as juste à sortir de chez toi et à venir me retrouver, d'accord ?
Il avait raison. Elle ne pouvait rien laisser paraître. Or, dans l'incapacité de masquer son trouble, il lui fallait une justification. Une raison de mettre abruptement fin à leur matinée.
— D'accord. Je vais faire ça.
— Je reste joignable, ok ? Et au moindre souci, j'envoie une équipe !
Setsuha dut prendre plusieurs inspirations, aller puiser en elle la posture de neutralité inculquée par sa profession, afin de rassembler tout l'aplomb dont elle avait besoin pour franchir la fenêtre du balcon. Elle réprima un sursaut en avisa la silhouette de Atsuhiro à l'intérieur. Sorti de la salle-de-bain, il se servait un bol de riz.
Bien évidemment, il remarqua aussitôt le désarroi sur sa figure. Ses yeux noisette s'emplirent de sollicitude.
— Tout va bien ?
— Non, admit-elle avant d'être rattrapée par une bouffée de panique et de filer vers sa chambre en bafouillant : une minute !
Elle combattit les larmes en s'affairant à rassembler ses affaires et à les ranger dans son sac à main. Fébrile, elle s'efforça de réfréner son empressement. Le pas souple de Atsuhiro l'informa qu'il la rejoignait.
— Setsuha ? l'apostropha-t-il d'un ton confus.
Elle s'immobilisa devant la fenêtre qu'elle venait de fermer, se frotta le visage pour se reprendre, et pivota vers lui en tiraillant l'une de ses boucles. Il lui fallut s'empêcher de scruter sa physionomie, de disséquer sa posture, en quête de la plus infime trace de fausseté.
— Je suis vraiment désolée, il faut que j'y aille. Je crois que j'ai fait une grosse erreur à mon stage, mentit-elle. Je dois aller régler ça.
Atsuhiro fronça les sourcils. Elle fut sidérée qu'il put avoir l'air autant préoccupé pour elle.
— Oh, c'est si grave que ça ? Ça va aller ?
— Je sais pas encore. J'espère.
Au moins parut-il saisir le message subliminal d'écourter son séjour chez elle, car il fit le tour du lit afin de récupérer ses chaussettes et sa ceinture. Elle en profita pour s'esquiver dans le séjour. Quand il voulut débarrasser le petit-déjeuner abandonné sur la table, elle l'arrêta depuis le genkan, où elle enfilait déjà ses bottes.
— Non laisse, je m'en occuperai !
Bien que chaque seconde qui passait lui faisait redouter qu'il commence à se montrer soupçonneux ou inquisiteur, le vilain ne fit qu'obtempérer. Dès qu'ils furent chaussés, ils descendirent au pied de l'immeuble, les talons de Setsuha claquant devant lui. Sur le trottoir, il frôla sa manche des doigts et se pencha pour l'embrasser. Prise de court, elle détourna la tête. Atsuhiro cilla, décontenancé, aussi s'empressa-t-elle de se rattraper d'un baiser sur la joue.
Son odeur lui était toujours aussi agréable. Toujours aussi familière.
— Tiens-moi au courant, lui lança-t-il alors qu'elle s'éloignait déjà, incapable de prolonger la mascarade.
Chaque foulée lui faisait l'effet d'un soulagement autant que d'un crève-cœur. Elle pressa le pas, la gorge douloureusement serrée, le pouls martelant ses tempes. Ses yeux s'embuèrent alors qu'elle serrait les ailes contre elle. La honte et la trahison lui fendaient la poitrine. Elle avait cru de bout en bout à son numéro galant, avait gobé le sirop de chacun de ses mots, avalé tous ses mensonges dorés.
Pourquoi ?
La question l'obligeait à serrer les dents pour ne pas se désagréger sous sa morsure.
Que tirait-il de toute cette comédie ? Dans quel but l'avait-il séduite ? Entre sa connexion avec Hawks, son domaine d'étude et son lien de parenté avec Muhaoto, trop de réponses possibles se profilaient. Mais la moindre d'entre-elles justifiait-elle d'aller si loin dans la manipulation de ses sentiments ? Ou bien, dans son arrogance de maître de la scène, avait-il voulu voir jusqu'à quel point il pouvait la conquérir ?
Elle parvint à l'hôtel d'affaire ou séjournait son frère sans y voir plus clair. Dès qu'il lui ouvrit, ses défenses lâchèrent et elle fondit en larmes. Elle s'effondra contre lui avec des sanglots déchirés, alors qu'il l'attirait à l'intérieur de la chambre et refermait derrière eux. Une aile de Muhaoto vint l'entourer, la recouvrant de sa chaleur moelleuse à la manière d'une oisillon vulnérable. Inquiet, il palpa son crâne et son dos.
— Tout va bien ? Il t'a rien fait ?
Incapable d'articuler entre ses hoquets et les larmes qui lui brûlaient les joues, elle secoua négativement la tête. Alors il l'aida à retirer ses chaussures et l'emmena s'asseoir au bout de son lit. S'apercevant qu'elle grelottait, transie par le choc, il saisit le plaid et le lui étala sur les genoux.
— J'ai été tellement naïve, geignit-elle finalement.
— Tu le connaissais depuis longtemps ?
— Non pas tant que ça, admit-elle en reniflant. Je l'ai rencontré il y a deux mois. Mais ça se passait tellement bien, je...
Le dire ne fit que rendre plus tangible l'amplitude de la duperie. Il l'avait séduite si vite. Elle lui avait fait confiance si facilement.
Muhaoto pressa son aile contre la sienne.
— C'est pas de ta faute, Setsu, lui dit-il avec douceur. C'est lui, il a tout fait pour. Je vais pas t'apprendre comment ça marche, hein ?
Elle acquiesça du chef. Bien sûr, elle avait toutes les clés pour analyser les choses sous le prisme logique et prédicteur de son domaine professionnel. Or elle ne s'en sentait pas le courage.
Quand ses épaules cessèrent de tressauter et que sa respiration se régularisa, Muhaoto lui apporta une tasse de thé. Ses yeux noirs la fixèrent avec une prévenance mêlée de sérieux.
— Écoute, même s'il est fourbe et bon acteur, ce n'est pas un agent entraîné. En s'approchant autant de toi, il a forcément laissé échapper des informations. Regarde, il t'a même donné son vrai nom.
Setsuha pinça les lèvres, avalant les larmes salées qui y avaient roulé. Elle peinait déjà à encaisser le fait que chaque moment passé avec Atsuhiro n'était que mystification. Pour l'heure, elle se sentait incapable d'en faire la rétrospective.
— Est-ce que ça peut attendre ? La dernière chose dont j'ai envie c'est d'y penser, là.
Son frère hocha la tête, compréhensif.
— Oui, pardon. C'est juste... le boulot.
Elle tiqua soudain :
— Oh, attends, je vais devoir le signaler, non ? s'affola-t-elle.
Elle ne pouvait même pas imaginer de devoir livrer aux autorités jusqu'au dernier détail de sa vie intime. De formuler et répéter ce qui la meurtrissait tellement qu'elle avait envie de se recroqueviller sous ses plumes.
— Non, décréta Muhaoto. C'est l'AISP et la Commission qui sont sur le coup et ils seraient capable de t'utiliser comme appât... ou pire. Repose-toi pour le moment, on fera le point quand ça ira mieux, d'accord ?
Il allait se relever quand elle lui saisit la main. Les yeux agressés par ses pleurs, elle lui adressa une mimique reconnaissante.
— Merci. De m'avoir prévenu et d'avoir été là.
Muhaoto lui serra la main en retour, avec une affection qui se passait de mots.
~ "Le moment serait toujours venu de prononcer ces mots." Macbeth ~
Et la vérité est enfin tombée !
J'ai beaucoup hésité sur la façon de l'amener, mais je voulais une situation où Setsuha sait sans que Atsuhiro sache qu'elle sait...
Vous vous en doutiez toutes, c'est Muhaoto qui a vendu la mèche :D
Qu'est-ce que vous en avez pensé ?
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