Chapitre 30 - Fantôme



~ "Doomsday is near. Die all, die merrily." Henry IV ~





Le souffle fébrile d'Ending s'épanchait dans l'air froid. Sa tenue empestait la sueur et l'humidité. Dabi s'en accommodait sans broncher. Son attention se portait en contrebas, sur la demeure des Todoroki lovée dans la nuit. Depuis le toit de l'immeuble d'en face, il bénéficiait d'une vue imprenable sur l'allée conduisant à l'entrée.

Les fenêtres découpaient des carrés de lumière qui éclairaient les arbustes du jardin. Des ombres se mouvaient à l'intérieur. Le tout respirait l'insouciance et le confort. Le patriarche Todoroki, réuni avec ses enfants et leurs amis autour d'un repas copieux, par une rude soirée d'hiver. Un tableau à réchauffer les cœurs gelés.

Maintenant que t'es numéro 1, tu as le temps pour ta famille, hein, Enji ?

Son paternel devait se gargariser de cette réunion, de ce beau rôle de père rassemblant ses enfants pour un moment convivial. Sa chère petite Fuyumi, avide de pacification. Son rétif Natsuo, qui flairait avec méfiance ce revirement. Et son précieux Shoto, qui apprenait tout juste à connaître le reste de la fratrie. Pensaient-ils qu'une rasade de saké et une bouchée de riz suffiraient à enfouir le passé ?

Dabi allait s'assurer que non. Il changerait en cendre ce goût de bonheur.

Un nouveau passage d'une silhouette derrière une vitre fit trépigner Ending.

— Là, je peux y aller, non ? s'impatienta-t-il.

Dabi leva une main indolente pour le retenir.

— Attends. Attends qu'il sorte.

— Qui ? Endeavor ?

— Non. Le premier qui se lassera de cette mascarade.

La prédiction du vilain s'accomplit deux heures plus tard. Un rectangle lumineux se découpa quand la porte d'entrée s'ouvrit, et Natsuo gagna le portail à pas rageurs.

Il est quand même resté jusqu'au bout du repas, observa Dabi avec un reniflement cynique.

Ending se tendit comme un chien d'arrêt ayant relevé l'odeur de sa proie.

— Là ?

— Là, confirma Dabi, un sourire féroce aux lèvres.

La créature vidée de sa substance, à la sanité perdue depuis longtemps, s'élança dans le vide en poussant un hululement de joie. Dabi s'installa sur le rebord, coudes en appui sur les cuisses, pour suivre le spectacle.

Il assista à tout. L'interférence des élèves de UA lui tira une moue contrariée, mais il avait eu ce qu'il voulait. Il avait ébranlé Endeavor dans son sentiment d'intouchabilité. Il avait incisé ses illusions de toute puissance.

Alors que Ending, maîtrisé, geignait dans la rue dévastée par le chaos de l'affrontement, Dabi se dressa sur ses pieds. Il se tint au-dessus de son œuvre, savourant la satisfaction qui palpitait en lui. Guère plus qu'une braise vouée à étouffer, mais il ne s'agissait que d'un avant-goût. Le véritable triomphe viendrait bientôt.

Pour l'heure, il se contentait de la vision offerte par le grand corps d'Enji vouté sous l'émotion, à genoux sur le goudron verglacé. A cette distance, les visages n'étaient qu'un flou pour lui, aussi ne pouvait-il distinguer leurs expressions. Mais il décela nettement l'hébétement de Natsuo à son port de chiffon.

Son cadet releva soudain la tête. Le pouls de Dabi accéléra.

Il lui était impossible de voir ses yeux, pourtant il sut.

Leurs regards s'étaient croisés.


— — —


Profitant d'un répit dans l'afflux de commandes, Kaya tira son téléphone de sa poche de tablier pour consulter ses nouveaux messages. Kuze l'avait autorisé à le conserver à titre exceptionnel, afin qu'elle puisse rester joignable par les jumeaux. Le nom de Natsuo s'afficha à l'écran et les premiers mots du message la poussèrent à l'ouvrir.

Il l'informait qu'il était dehors et demandait à lui parler. Kaya fronça les sourcils devant la concision du message, l'appréhension remuant dans ses entrailles. Elle dut cependant le faire attendre avant de pouvoir sortir le retrouver. La chaleur moite de la salle l'accompagna à l'extérieur. Elle trouva Natsuo occuper à faire craquer du bout du pied une congère souillée.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Tout va bien ?

La figure pâle et tirée du Todoroki la saisit davantage que le froid.

— Il est là ? demanda-t-il.

— Qui ?

— Dabi. Il est là ?

Désormais en alerte, Kaya enfouit les mains dans les poches de sa parka.

— Non, pas ce soir.

Natsuo tourna pourtant son regard anthracite vers le mur du bar, comme s'il pouvait percevoir la présence du vilain à l'intérieur. Une ombre douloureuse imprégnait ses traits. Son souffle auréolait sa figure de vapeur à chaque expiration.

— Natsuo...

— C'est toujours nous. C'est toujours par rapport à nous.

— De quoi tu.. ?

— La façon dont il a provoqué Shoto, le soir de l'enlèvement de Bakugo. L'attaque contre mon père, le jour de sa nomination. Et maintenant, moi, juste après qu'on s'est réunis pour la première fois depuis des années. C'est nous que Dabi vise.

Un nœud terrible serra la gorge de Kaya. Elle attendit qu'il reprenne, suspendue au déroulé de ses pensées. Natsuo plongea les yeux dans les siens. Une lueur de détresse, telle qu'elle ne lui avait jamais connu, y affleurait.

— Tu connais son vrai nom ?

Il ne lui demandait pas de le lui révéler. Il voulait une confirmation. Avant même qu'elle ne trouve quoi répondre, son expression la trahit. Natsuo se décomposa. Les mains plaquées à son visage, comme pour contenir l'émotion dévastatrice qui l'envahissait, il prit une subite inspiration, sous le choc. Inspiration. Expiration. Bouffées de condensation dans l'obscurité.

Puis, ses yeux cessèrent de fouiller le vide. Il secoua la tête, d'un air de dénégation, et abaissa les bras avec lenteur.

— Non. Non, c'est pas possible. Il est mort.

Chaque mot, un jet rapide de vapeur, plein de hargne. Kaya, elle, retenait son souffle, heurtée par la peine incommensurable qui menaçait de le morceler sous ses yeux. Il ne servait à rien de nier. Natsuo connaissait la vérité, à présent. Il devait juste l'accepter.

— Il y a jamais eu de corps, Natsuo.

— Personne aurait pu survivre à ça ! Tu y as pas été, tu as pas vu ! La colline entière a...

— Il y aurait eu son corps. Vous l'auriez trouvé.

L'évidence frappa Natsuo. Il écarquilla des yeux incrédules devant cette vérité incontestable.

— Dabi ? Dabi est mon frère ?

— Je suis désolée. Je l'ai su que récemment.

Il passa une main tremblante dans ses épis blancs, en un geste de réconfort aussi machinal que vain. Un geignement de supplice filtra entre ses dents serrées. Kaya se rapprocha alors qu'il piétinait.

— Non, trancha-t-il. Non, non, ça tient pas. Pas après tout ce temps. Je sais pas si ce mec essaie de se faire passer pour lui, ou peut-être qu'il y croit lui-même, mais c'est juste un grand malade. Ils ont même pas le même alter !

Une fureur blessée l'animait. Les yeux rougis par des larmes qui ne coulaient pas, il domina Kaya de toute sa hauteur. Elle soutint son regard sans flancher.

— Pourquoi tu es venu, alors ? Si c'est juste un usurpateur détraqué, pourquoi tu me poses la question ?

— Je... je veux savoir qui c'est. Ce qu'il a contre nous.

— C'est Tõya.

Le Todoroki l'empoigna brusquement par les pans de sa veste.

— Arrête !

— C'est lui, Natsuo.

— Tu l'as jamais connu ! Comment tu pourrais savoir ?

Kaya plissa les paupières, partagée entre la compassion et le ressentiment.

— Et toi ? Tu as déjà rencontré Dabi ? Shoto est le seul qui se soit retrouvé face à lui. Regarde-le en face, regarde le droit dans les yeux. Et là tu pourras me dire si Tõya est mort.







~ "Le jour du jugement est proche. Mourrez tous, mourrons joyeusement". Henry IV ~





Un chapitre un peu plus court, cette fois ! 

Mais avec un revirement capital !

Je fais une légère distorsion au canon, parce que j'ai envie d'exploiter davantage les relations de la famille Todoroki ~

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