Chapitre 18 : Art tactile


~ "Our bodies are our gardens, to the which our wills are gardeners" Othello ~


Devant le miroir de sa chambre, Taru soupira. Ses cheveux, soigneusement brossés, cascadaient sur ses épaules et jusqu'à ses hanches, en ondulations lustrées. Elle n'aurait jamais pensé que leur teinte invariable s'avérerait plus contrariante que ses habituelles fluctuations de couleur. Aucune des tenues qu'elle avait essayées n'était parvenue à briser l'impression terne que lui renvoyait ce flot de gris.

La jeune femme avait finalement opté pour un gilet en grosses mailles rose pêche, assorti à sa longue jupe florale. Un collant porté en dessous la garantirait du fond d'air froid de fin novembre. Tout en se préparant, elle consultait de temps à autre son téléphone, pour suivre l'échange en cours sur le groupe qu'elle partageait avec Nori, Kaya et Setsuha. Cette dernière leur partageait les dernières nouvelles concernant le sauvetage de son frère. Sako Atsuhiro lui avait apparemment enfin confirmé que l'échange aurait lieu.

Soulagée, Taru lui répéta qu'elle pouvait la solliciter pour le moindre service dont elle aurait besoin, et Kaya lui proposa de cracher dans le verre de Sako s'il se présentait au Baratin. Puis, avec plus de sérieux, l'étudiante promit d'intercéder auprès de Dabi afin qu'il s'assure que la libération de Muhaoto se déroule sans accroc.

Taru reposa son smartphone et fit la moue devant la glace. Elle décida d'appliquer une couche de mascara sur ses cils, et de nouer deux rubans satinés dans ses cheveux. Le tout complété par le pendentif offert par Hawks.

Quand elle passa dans le salon, elle trouva une Chika affalée devant la télé, la mine renfrognée, et un Dakin assit à la table de la salle à manger, occupé à faire défiler le contenu de son écran de téléphone d'un air détaché. De toute évidence, la semi-guéparde s'irritait de sa présence, mais rechignait à quitter sa place.

Tous deux levèrent les yeux tandis qu'elle enfilait son duffelcoat et ses bottines. Les iris topaze de Chika la scrutèrent de haut en bas, et un rictus malicieux ne tarda pas à étirer sa frimousse.

— Tu vas à un date ?

Taru se figea et effleura le losange pourpre par-dessus son manteau. Elle faillit nier, puis se ravisa. Son rendez-vous avec Hawks ne relevait d'aucune urgence ni problématique à résoudre. Il ne s'agissait que de s'octroyer un moment ensembles, dans un cadre agréable. Le héros le lui avait proposé sans lui révéler ce qu'il avait prévu, par volonté de préserver la surprise.

— Oui, admit-elle. Je mange pas ici ce soir.

Ignorant l'aigreur qui assombrit le visage de Dakin, elle dégagea ses cheveux du col de son duffelcoat.

— Mets la langue ! lui cria Chika avant qu'elle ne claque la porte.

Elle retrouva Hawks à la sortie de la gare de Musutafu. À la lumière des enseignes et des réverbères, le liseré noir qui bordait ses paupières semblait tracé au pinceau. Son sourire accueillant diffusa une agréable tiédeur dans la poitrine de Taru.

— Je suppose que tu as eu l'info, pour le frère de Setsu ? s'enquit-il.

— Elle nous en a parlé tout à l'heure. Tu penses que c'est faisable ?

— Je viens de voir avec Dabi et Compress, lui dit-il à mi-voix. Ils vont s'y tenir. Quoiqu'avec Dabi, on est pas à l'abri des mauvaises surprises.

— Il a gardé Muhaoto en vie à cause de Kaya et Compress. Ça aurait pas de sens qu'il fasse tout capoter maintenant.

Hawks grimaça.

— Dabi est pas vraiment quelqu'un de sensé.

Elle en aurait ri, si la situation n'avait pas été aussi sensible.

— Où est-ce qu'on va, alors ? demanda-t-elle afin d'en revenir à leur programme de la soirée.

La physionomie du héros s'adoucit. Il esquissa une moue espiègle, manifestement satisfait de ses plans.

— Par ici, l'invita-t-il en lui tendant la main.

Taru s'en saisit avec plaisir, appréciant de sentir sa paume ferme contre la sienne. Hawks la gratifia d'une pression affectueuse, puis l'entraîna vers les petites rues du quartier.

— Je cherchais quelque-chose qui pourrait te changer un peu les idées... de façon plus efficace qu'un ciné ou un bowling, expliqua-t-il avec une once d'humour.

Ils s'arrêtèrent devant un établissement dont la façade aveugle, avec sa devanture sombre couverte d'affiches et de motifs peints à la peinture fluorescente, évoquèrent à Taru une boîte de nuit. Or une demi-douzaine de personnes patientait déjà à l'entrée, et la soirée ne faisait que débuter. Studio Art Néon, indiquait l'encadré fixé à la porte.

— C'est un atelier ? supposa-t-elle, prise d'une curiosité grandissante.

— J'avais peur que tu connaisses déjà !

— Non, pas du tout.

— Tu vas voir, je pense que ça va te plaire.

Taru fut un instant surprise que la présence de Hawks ne leur attire que quelques coups d'œil sympathiques. Puis, elle identifia certains des visages qui les précédait. Un cocktail d'influenceurs et de membre issus de cercles élitistes composaient la file d'attente.

La main toujours soudée à celle de Hawks, elle se rapprocha de lui pour souffler :

— Ça s'adresse à certains milieux en particulier ?

Il étouffa un rire et, l'épaule appuyée contre la sienne, inclina la tête vers elle.

— Pas spécialement, mais pour des raisons de tranquillité, certaines réservations ne sont ouvertes qu'aux clients justifiant d'une certaine notoriété. Histoire qu'on ne s'importune pas entre participants.

Taru se rappelait très bien à quel point le héros avait été accaparé lors du gala de Geidan. Elle prit soudain conscience qu'ils n'avaient pas réellement profité d'un moment ensembles depuis leur séjour à l'auberge rurale, au début de l'automne.

— J'ai l'impression d'être une horrible snob en disant ça, mais : ça m'arrange.

Hawks tourna une mine finaude vers elle, une lueur facétieuse reluisant sous ses paupières.

— Ah oui ?

— C'est-à-dire que, où qu'on aille... même quand tu viens chez moi, il y a Shin et les enfants, puis Dakin...

— Tu sais que tu peux venir chez moi quand tu veux ?

— À condition que t'y sois, et j'ai pas l'impression que ce soit beaucoup le cas.

Il claqua de la langue en guise d'approbation, puis son visage s'éclaira.

— Ça veut dire que tu serais pas contre davantage de da... de sorties ensembles ? Tous les deux ?

Le pouls de Taru s'emballa. Elle s'humecta les lèvres, pesant sa réponse, avant de désigner l'atelier d'un signe de tête.

— À voir comment celle-ci se passe ?

La porte s'ouvrit à cet instant, et le groupe du créneau précédent quitta l'atelier. Les suivants furent invités à rentrer. Ils furent accueillis par une musique downtempo, qui se diffusa en ondes frémissantes et moirées dans l'esprit de Taru. Plongée dans l'obscurité, la salle n'était éclairée que de lampes UV. Des diffuseurs crachaient des senteurs chaudes auxquelles se mêlaient les effluves de peinture. Les participants se débarrassèrent de leurs affaires, se déchaussèrent, et reçurent chacun une corbeille de matériel.

Séduite par l'atmosphère, Taru se retourna vers Hawks, qui lui adressa un sourire radieux. Sous la lumière ultraviolette, ses dents ressortaient avec une blancheur phosphorescence, et ses iris semblaient baigner dans un halo néon. Dans son dos, chacune de ses plumes était devenue une lame rétroréfléchissante. Frappée par la vision qu'il lui offrait, la jeune femme le dévisagea. Une fossette amusée se creusa dans la joue du héros.

— Tu veux me dessiner, pas vrai ?

— Si tu te voyais, tu comprendrais.

— Tu devrais te voir, rétorqua-t-il d'une voix onctueuse.

Ce qui la fit s'apercevoir qu'il la couvait du regard, prêtant à peine attention à la disposition de la salle. L'endroit n'était décoré que de néons et de peintures phosphorescentes. L'animateur les invita à prendre place sur les coussins éparpillés au sol. Quand tous les participants furent installés, il prit la parole, d'une voix aux inflexions hypnotiques :

— Bienvenue à cet atelier d'Art Néon. Il s'agit d'un atelier de bien-être à visée thérapeutique. Ici, nous travaillons la reconnexion à soi par la connexion à ses sens, notamment au toucher, ainsi que par la connexion à l'autre. La dimension artistique nous sert de média, en ce qu'elle favorise l'entrée en état de « flow » et permet le lâcher prise.

Commençant à entrevoir le principe de l'atelier, Taru demeura attentive, le dos droit. L'animateur poursuivit :

— Bien sûr, la construction de cet atelier n'est pas sans fondement : le toucher et l'activité artistique sont deux moyens d'agir sur le système parasympathique, c'est-à-dire le système qui régule vos paramètres physiologiques et agit sur votre état de relaxation et de bien-être. Vous aurez peut-être remarqué que nous vous avons fourni de quoi peindre, mais pas de support. C'est parce que vous êtes le support.

Taru baissa machinalement les yeux vers les pinceaux et les tubes de peintures qui garnissaient son panier.

— Tous nos produits sont contrôlés selon les normes en vigueur et lavables à l'eau et au savon, leur assura l'animateur. N'ayez pas peur de tacher vos vêtements. Nous vous invitons à explorer votre corps, et celui de votre partenaire, sous une nouvelle dimension. Pendant l'heure et demie qui va suivre, votre peau est davantage qu'une enveloppe : c'est une toile. Sentez-vous libre de vous en saisir pour une belle création en duo.

La jeune femme ramena ses mèches grises par-dessus son épaule, et pivota vers Hawks. Le héros étudiait les différentes pointes de pinceaux, la mine curieuse. Son mouvement lui fit ramener son regard sur elle.

— J'ai le sentiment que cet atelier n'est pas que pour moi, fit-elle remarquer avec une pointe d'insinuation.

Hawks se fendit d'un sourire dénué de contrition.

— Tu sais que j'aime être ton modèle, alors j'allais pas laisser passer l'occasion d'être ta toile.

Elle gloussa, puis se saisit d'un pinceau qu'elle fit rouler entre ses doigts. L'absence d'un support traditionnel la déstabilisait plus qu'elle ne l'aurait soupçonné. Elle jeta des coups d'œil dérobés aux autres paires autour d'eux.

— Je sais pas par où commencer...

Comme le groupe peinait à s'installer dans l'activité, l'animateur intervint, de son ton apaisant :

— Prenez le temps de trouver votre rythme. Commencez par de petits motifs, des zones évidentes. La main, le visage...

Résolue à laisser l'inspiration venir, Taru reposa son pinceau, et leva le menton pour présenter son visage au héros.

— Tu commences, l'incita-t-elle.

Hawks farfouilla dans son panier, et versa quelques noix de peinture sur sa palette.

— Tu sais que je suis pas artiste, hein.

— Mais tu sais te maquiller.

Comme il se rapprochait, son souffle amusé s'écrasa sur la figure de Taru.

— Je sais faire des lignes. On va partir sur des lignes, alors.

Elle eut un rire, mais il plaça ses phalanges sous son menton pour lui signaler de rester immobile. Taru se figea. Son rythme cardiaque lui parut soudain nettement distinct. Les yeux mi-clos par réflexe, elle devinait l'air concentré du héros. Puis la pointe du pinceau, humide de produit, effleura sa pommette. Les poils froids et gluants lui chatouillèrent la peau par petites touches. Hawks pinça les lèvres, absorbé dans son œuvre. Il remonta jusqu'à sa tempe, traçant des motifs qui diffusaient des fourmillements sur le visage de la jeune femme.

Enfin, il se recula pour admirer son travail. Ses paupières s'ouvrirent largement alors qu'il la détaillait.

— Wow, ça rend bien ! s'ébahit-il.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

Hawks esquissa une moue espiègle, et appliqua son index contre ses lèvres. Le contact, chaud et empreint de connivence, fit monter le sang aux joues de Taru.

— Tu verras.

Elle sourit contre son doigt, qu'il retira sans cesser de la contempler.

— À mon tour, décréta-t-elle. Donne-moi ton bras.

Hawks s'exécuta, lui offrant son bras nu. Plutôt que de piocher un pinceau, Taru choisit de tremper directement ses doigts dans la peinture. Soutenant d'une main le poignet du héros, elle souligna les contours de son articulation, puis suivit les tendons et parcourut le renflement de ses muscles superficiels. La pulsation ténue du pouls d'Hawks s'inscrivait au creux de sa paume. Engluée par la substance phosphorescente, la pulpe de ses doigts glissait contre le grain ferme de son épiderme. Dans la pénombre de la salle, elle lui dessina un flot de rayons pétillants jusqu'au coude.

L'aspect primaire de la méthode, et son manque de familiarité avec ce type de matériaux, rendit son travail grossier. Pourtant, elle en conçut une certaine satisfaction, conquise par le charme sensuel du procédé.

— C'est drôle, observa-t-elle. On a peu de couleur et je peux rien faire de trop élaboré... mais ça détend.

— J'imagine que c'est parce qu'on est moins dans une visée de production que de... processus.

— Oui, mais ça va au-delà de ça. Essaie sans pinceau, tu vas voir.

Ce disant, Taru tendit le bras, paume vers le haut. L'air un rien décontenancé, Hawks enduisit ses pouces de peinture orange et rose.

— Bon, j'y vais à l'impro, avertit-il.

Il recueillit sa main par en dessous et posa les doigts sur l'intérieur de son poignet, qu'il massa en gestes concentriques. Une coulée de bien-être se diffusa dans les veines Taru. Sous les pouces de Hawks, les couleurs se mélangeaient, il les étala de plus en plus haut sur son avant-bras, étirant la chair tendre de la jeune femme vers l'extérieur.

— C'est vrai, admit-il, pensif. J'ai l'impression de travailler de l'argile, mais... vivant.

Il s'arrêta quand il eut atteint le creux de son coude, et essuya ses doigts sur un chiffon. Ses yeux ocre restèrent un instant posés sur le tracé de ses mains inscrit sur la peau de Taru, comme s'il s'imprégnait après coup de la portée de son geste. Puis, il battit des cils, et décréta :

— Il va te falloir plus de surface.

Là-dessus, il fit passer son tee-shirt par-dessus sa tête, et extirpa ses ailes des ouvertures dorsales. Son torse tonique, aux volumes râblés, se découpait à la lueur des néons. Hawks inclina la tête, les paupières étrécies, lui offrant le faciès le plus effronté de son répertoire.

— Choisis, l'invita-t-il.

Taru s'empara de sa tablette, et rapprocha son coussin de sorte à atteindre son épaule. Stabilisant sa posture d'une main appuyée contre l'omoplate du héros, elle dessina un soleil stylisé, tout en jaune et orange, sur la rondeur ferme de son épaule. Cette fois, l'immobilité de Hawks lui parut empreinte de tension. Sa respiration s'amplifia, communiquée à la jeune femme par le mouvement de son trapèze sous sa main.

Elle eut envie de laisser à nouveau ses mains errer sur la superficie exposée de son corps, de façon plus franche encore que lors des essayages. Or, la conscience que chaque contact laisserait une trace reluisante les empêchait de les initier à la légère. S'ils voulaient se toucher, il fallait l'incorporer dans l'œuvre qu'ils construisaient.

À la manière dont Hawks la parcourut du regard quand son tour vint, cherchant la prochaine parcelle sur laquelle travailler, elle sut qu'il suivait le même raisonnement. Alors, elle replia un genou, et remonta sa jupe pour découvrir sa jambe. Le héros n'eut aucune hésitation à glisser la main derrière son mollet pour l'attirer à lui. Sa prise ferme et tiède sous l'articulation de son genou fit frémir Taru. Sa conscience se concentra sur ce point de contact, qu'elle percevait avec une acuité décuplée.

Hawks cala son pied nu contre sa cuisse, plaça son index et son majeur parallèlement, puis dévala toute la longueur de son tibia, en deux longues traînées bleu et rose. Son parcours évolua en caresses flagrantes, prodiguées par les reptations de ses phalanges autour du triceps bombé de Taru. Comme celle-ci s'alanguissait entre ses mains, il releva ses yeux aviaires vers elle. Ses iris luisaient comme du miel liquide.

— J'ai vraiment passé un bon moment, pendant les essayages, déclara-t-il, une note canaille dans la voix. Mais on est quand même plus à l'aise comme ça.

Son allusion aux initiatives subtiles de la jeune femme lorsque Detnerat lui avait présenté ses prototypes lui tira un sourire de connivence.

— C'est sûr que ça aurait pas été la même chose avec un ciné ou un bowling.

Hawks fit rouler ses doigts autour de sa cheville, lui dessinant un bracelet lumineux, et ses traits se plissèrent sur une grimace penaude.

— Promis, on fera des sorties plus... conventionnelles, affirma-t-il avant de la relâcher.

Une audacieuse idée de surenchère traversa Taru. Elle porta ses doigts enduits de peinture violette à ses lèvres et, sous le regard captivé du héros, s'en étala une couche autour de la bouche. Quittant son coussin, elle s'agenouilla à côté de lui, posa la main sur son bras, et approcha le visage de son épaule encore vierge de substance phosphorescente. Elle imprima une marque de baiser sur le volume de son deltoïde. Son sang s'échauffa de sentir l'épiderme du héros, la résistance compacte de l'épaule, contre ses lèvres.

Hawks se raidit, puis sa posture se relâcha. Il pencha la tête sur son autre épaule, dégageant l'accès à sa gorge. Un chemin de peau crème, tendue sur sa charpente musculeuse, s'offrit à Taru. Elle l'emprunta.

Sa bouche mouillée de peinture suivit le faisceau musculaire, laissant des marques brouillonnes dans son sillage. La chaleur du héros imprégna ses lèvres. Son parfum de myrrhe abricoté lui emplit les narines. Elle pouvait presque goûter sa saveur à travers l'arôme chimique du produit.

La peinture sécha sur sa bouche en quelques baisers. Elle étala une dose fraiche de bleu électrique, puis, son abdomen frôlant le bras de Hawks, elle reprit sa dissémination de marques à la jonction entre son épaule et son crâne. Le souffle du héros s'était accéléré. Il posa une main sur sa hanche, se raccrochant presque à elle, quand elle effleura sa jugulaire.

Chaque centimètre que Taru recouvrait lui insufflait une satisfaction fébrile, irrassasiable. Elle atteignit le repli souple sous sa mâchoire, puis découvrit le contact râpeux de ses picots blonds. La cascade de ses cheveux ruisselant sur lui, elle laissa un dernier baiser à l'angle de sa mâchoire. Hawks prit une profonde inspiration avant de redresser la tête.

Le cœur de Taru s'affola devant la vision qu'il constituait, à demi-nu, nimbé par les couleurs des néons, les marbrures phosphorescentes de ses baisers éparpillées sur le côté de son cou, ressortant avec netteté dans l'obscurité. L'intimité lascive de son geste, révélée en couleurs voyantes, fit se contracter quelque chose au fond de son ventre.

— Je peux te piquer ton idée ? demanda Hawks, un pli fripon à la commissure des lèvres.

Sans répondre, Taru ramena sa chevelure par-dessus son épaule pour dégager sa nuque, et lui tourna le dos, menton baissé. Elle perçut les mouvements du héros derrière elle, entendit le faible sifflement du tube de peinture. Puis elle sut, à la façon dont sa colonne fut rasée par une aura magnétique, qu'il s'était rapproché. Elle ferma les yeux quand son souffle fit frémir les petits cheveux à la base de son crâne. Il posa une main contre sa taille.

Le premier baiser se posa, doux et pâteux de produit, sur ses cervicales. Elle dut pincer les lèvres, surprise par l'intensité du contact. Déjà, il pressait sa bouche sur un point à côté. Encore. Et encore. Le froid de la peinture se mêlant à la tiédeur de sa respiration. Le léger son adipeux de chaque baiser chatouillait les oreilles de Taru. Elle crispa les doigts sur les plis de sa jupe, la respiration fiévreuse.

Hawks embrassa toute la courbe de sa nuque, avec lenteur et délectation, avant de faire une pause pour appliquer une nouvelle couche de produit. Il remonta près de son oreille, enduisit la zone tendre derrière le coin de la mâchoire, puis glissa, en une coulée pulpeuse et gourmande, jusqu'à l'épaule de Taru. Elle prit une vive inspiration. Sa tête s'emplit d'un brouillard moite.

La main du héros posé sur sa taille glissa jusqu'à son estomac. Il y appliqua une infime pression tandis qu'il passait à son échine, s'appliquant à la couvrir de traces humides. Chaque pression de sa bouche se réverberait jusque dans le bas-ventre de Taru. Elle aurait voulu s'abandonner entre ses bras et lui donner l'entièreté de son corps à badigeonner.

Quand il en eut terminé, Hawks lui indiqua, d'une voix devenue un peu rauque :

— À toi.

Elle eut l'impression de sortir d'un bain chaud et sirupeux. Fébrile, elle se retourna, et s'installa à genoux entre ses jambes. Elle commença par passer son pouce le long de ses clavicules. Le menton levé d'un degré pour l'observer, Hawks lui évoquait un esprit d'or et de langueur, avec sa bouche tâchée de peinture et l'éclat suave, frôlant l'insolence, dans ses yeux. Son torse se soulevait sous des doigts tandis qu'elle les promenait le long de son pectoral. Chaque ligne qu'elle effectuait ajoutait à l'étendue de sa marque sur lui.

— Désolé, lâcha-t-il soudain. On est plus trop dans la thérapie que j'envisageais.

— Non, mais je vais pas m'en plaindre, s'amusa Taru. C'est... fort, de faire ça avec toi.

Le regard du héros se fit plus profond.

— Ça me plaît aussi, souffla-t-il. Je sais pas où je vais quand il s'agit de toi, et en même temps... j'ai pas l'impression d'avoir besoin de me poser la question.

Elle acquiesça, ne saisissant que trop bien le sens de ces mots. L'intimité qui s'était tissée entre eux n'avaient plus rien d'équivoque, sans qu'ils ne se décident pourtant à la sceller. Ils restaient dans l'exploration, se laissant porter par le courant. Un doute flotta dans l'esprit de la jeune femme. Elle posa les doigts sur le plexus de Hawks, et descendit jusqu'à son ventre, laissant quatre longues lignes roses.

— Tu es sûr ? l'interrogea-t-elle. Même si je te disais que, tant que j'aurais pas résolu ça, je ne me sens pas d'aller au-delà de ce qu'on fait maintenant ?

Ce disant, elle désigna ses mèches argentées. Si elle devait donner libre cours à ses sentiments pour Hawks, elle voulait être capable de les éprouver pleinement, sans être parasitée par ce blocage qui faisait dérailler ses émotions et son Alter.

— Je le savais déjà, affirma-t-il d'un ton compréhensif. Je te l'ai dit, je me pose pas de question. Faire comme on le sent, sans prévoir, sans attentes, ça me va parfaitement. Pour une fois que je peux vivre quelque chose que j'ai pas besoin d'anticiper en permanence. Être avec toi, c'est juste une bouffée d'air frais, Taru.

Une montée d'affection se dilata dans la poitrine de la jeune femme. Elle apposa ses paumes contre les côtes du héros, et descendit, de façon lente et appuyée, jusqu'à son pelvis, avant de remonter contre sa ceinture abdominale, à pleines mains, et d'évaser son parcours pour atteindre ses flancs. La peinture s'étalait comme de la crème à son passage. Le corps de Hawks se granulait de frissons. Des spasmes peauciers parcouraient.

— C'est réciproque, souffla-t-elle, enivrée par ses réactions. Merci.

Il lui rendit un regard chargé d'émotion tandis qu'elle s'essuyait les mains dans son chiffon. Elle se sentait curieusement rafraîchie, comme délestée d'un poids. Il n'avait jamais fait aucun doute pour elle que Hawks lui laissait l'espace de guérison dont elle avait besoin. Pourtant, leurs rapports se nouaient toujours plus étroitement, sans qu'elle ne veuille y mettre un terme ni s'y engager tout à fait. L'ambivalence l'avait davantage rongé qu'elle ne voulait l'admettre, jusqu'à ce qu'il y mette un terme.

Elle qui avait dû mesurer toute sa vie les répercussions de ses actions, pouvait cette fois s'abandonner à ses envies, affranchie de toute contrainte. Elle investissait ce qu'elle souhaitait dans cette relation, ni plus ni moins.

Désireuse d'en profiter, de goûter à cette insouciance, Taru, toujours à genoux devant Hawks, souleva les fesses de ses talons, puis remonta son débardeur sur son ventre, jusqu'à son sternum. Il cilla devant son abdomen nu et replet, mais n'eut pas besoin d'indication pour comprendre ce qu'elle lui proposait.

L'anticipation tourbillonna dans la cage thoracique de Taru alors qu'elle le regardait couvrir derechef ses lèvres de peinture. Ses mains robustes s'apposèrent de part et d'autre de sa taille. Les paupières abaissées, il tendit le cou, et pressa sa bouche sous ses côtes.

Hawks recula la tête, et prit le temps d'apprécier cette unique touche phosphorescente, avant de la gratifier d'une deuxième. Ces baisers étaient recueillis, tendres, flattant la mollesse de sa chair. Chacun d'eux exacerbait la sensibilité de Taru, noyant son estomac d'une mare de chaleur. À mesure qu'Hawks descendait vers le renflement de son ventre, ses paumes glissaient sur les replis de ses flancs.

Quand il atteignit son nombril, il enfonça les doigts dans ses reins. Son haleine s'épancha, moite, contre la peau de Taru, alors qu'il ouvrait la bouche. Ses lèvres dévalèrent la plaine de son bas-ventre, douces comme du satin sous la pellicule grasse. Prise d'un vertige ardent, la jeune femme plongea les doigts dans la tignasse du héros. Il appliqua un dernier baiser à la frontière de son aine, plus fort que les précédents, avant de relever la tête vers elle.

Le bout de son nez avait traîné dans la peinture. Un air hagard voilait son regard. Ses lèvres brillaient dans l'obscurité.

— Je pensais pas que cet atelier me ferait autant d'effet, plaisanta-t-il dans un souffle.

Taru frotta son pouce contre l'arête de son nez pour étaler la tache bleue.

— Je regrette pas. C'était vraiment une bonne idée.

L'animateur annonça un instant après qu'il était temps pour les participants de terminer leurs dessins en cours, puis de se diriger vers les glaces pour admirer leur œuvre. Curieuse de découvrir son reflet, Taru prit Hawks par le coude, et le conduisit devant les miroirs muraux. Son reflet lui renvoya l'image d'une figure sombre, dotée d'une cascadante chevelure pâle. Des lotus orange décoraient sa joue. L'intérieur de son avant-bras luisait de marques abstraites. Des baisers mouchetaient son ventre, accompagnés d'une coulée verticale sous son nombril. Elle se tourna, soulevant ses mèches ondulées, pour contempler les traces des lèvres de Hawks entre ses épaules.

Il l'attira à lui, et brandit son portable de sa main libre.

— On fait une photo ?

Taru se blottit volontiers contre son flanc, admirant l'harmonie de leurs deux corps soudés dans la pénombre et les couleurs phosphorescentes qui les couvraient. Du bout des doigts, elle effleura son ventre.

— C'est presque dommage de devoir les effacer.

Elle aurait aimé pouvoir contempler à loisir ces inscriptions de leur affection sur la peau de l'autre. Hawks lui adressa un sourire fluo dans le miroir.

— On en fera d'autres.




~ "Nos corps sont nos jardins, desquels nos volontés sont les gardiniers" Othello ~





Un chapitre 100% Hawru !

J'avais très très hâte de l'écrire et de le poster, mais comme toujours avec ce genre de chapitre, à chaud j'en doute beaucoup ! 

Je voulais que Hawks et Taru posent un peu les mots sur leur relation, j'espère que celle-ci est claire...

Puis ils vont toujours plus loin dans le croustillant ~

J'adore pouvoir développer leur intimité physique, qui est une dynamique différente de celles du Tokaya et du Atsuha.


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