Chapitre 13 - Prisonnier
~ "And every tales condemned me for a villain." Richard III ~
La vigilance inscrite en Keigo ne se relâchait pas durant son sommeil. Le premier coup de sonnette l'en arracha brusquement. Au troisième, la lucidité se fit dans son esprit. Couché sur le ventre, il se souleva sur les avant-bras et envoya ses plumes à travers son duplex. La signature biologique de l'individu derrière la porte l'interpella. Ses ailes engourdies s'ébrouèrent.
Il bondit à bas de la plateforme supérieure de l'appartement et se réceptionna avec souplesse dans l'espace principal. Captant ses mouvements, la lumière s'enclencha, diffusant un éclairage tamisé et automatiquement adapté à l'heure tardive. Tandis qu'il ouvrait à Setsuha, ses plumes lui rapportèrent le premier tee-shirt qu'il trouva. Il l'enfila en hâte alors que l'ailée entrait. La détresse irradiait d'elle avec une intensité qui fit sombrer le cœur du héros.
- Hawks, commença-t-elle sans pouvoir articuler davantage.
Des hoquets brisés la secouèrent. Elle se plia sur elle-même, impuissante à contenir ce qui la ravageait. Le duvet de ses ailes s'ébouriffait dans son dos. Un amer pressentiment commençait à se former dans les entrailles de Keigo. Il la prit avec douceur par les épaules et les lui frotta.
- Respire, lui dit-il en mimant une grande inspiration. Respire. Viens t'asseoir.
Tout en la conduisant vers le canapé, il poursuivit sa démonstration d'un souffle ample, afin qu'elle puisse s'y raccrocher. Sa respiration saccadait moins quand elle fut assise, mais les larmes inondaient ses yeux noirs et dévalaient ses joues. Ses frisures blanches mouchetées lui faisaient un halo échevelé. Un parfum de grand air et de fumée émanait de son manteau.
Keigo se pencha pour lui soulever les mollets et retirer une à une ses bottines. Il en disposa sur le côté puis frictionna le bras de la jeune femme.
- Ils ont Muhaoto, lâcha-t-elle au prix d'un pénible effort. Dabi et Compress, ils l'ont... ils avaient un Nomu...
Le sang bourdonna aux oreilles de Keigo. Sa main s'immobilisa sur le bras de Setsuha.
- Tu les as vu ? s'inquiéta-t-il, alarmé par l'odeur de suie qui l'imprégnait.
Elle dut prendre une profonde inspiration pour empêcher sa voix de flancher. Les larmes qu'elle essuyait se renouvelaient aussitôt sur ses joues trempées.
- J'ai... suivi mon frère. C'était un piège. Ils l'ont blessé... à l'aile, je sais pas si c'est grave. Atsuhiro l'a...
Son visage se plissa, comme si elle retenait de toutes ses forces un pique de douleur. Interpellé, Keigo lui pressa le bras.
- Atsuhiro ? répéta-t-il. Tu connais sa véritable identité ?
- C'était lui. L'homme que j'ai rencontré. C'était Sako Atsuhiro. Mon frère l'a appris et m'a révélé il y a une semaine que c'était Compress.
Abasourdi, Keigo cilla.
- Tu... as eu une relation avec Compress ?
- Je me sens si bête, gémit-elle en se prenant la tête. J'ai gobé tout son numéro. Et tout à l'heure, il était si... insensible.
Évitant ses ailes, Keigo passa un bras autour de ses épaules pour l'attirer à lui. De sa main libre, il lui caressa les cheveux.
- Non. Non, t'y es pour rien. C'est un vilain, Setsu. C'est lui le responsable. Et moi, à la limite.
Dabi lui avait toujours paru le plus redoutable des deux. Il avait manqué de vigilance. Mr Compress représentait un autre type de menace, mais une menace tout de même.
- Toi ? s'étonna Setsuha.
- Tu sais que j'ai des connexions avec la Ligue. Je peux pas te donner les détails pour des raisons confidentielles, mais j'ai les moyens d'entrer en contact avec Dabi... et Compress.
Setsuha se décolla de lui pour le dévisager. Ses larmes se tarirent sous la lueur d'espoir qui s'alluma dans son regard.
- Tu peux trouver où ils le gardent ? Si tu as le lieu, ce sera possible d'envoyer une équipe...
Il pinça les lèvres devant son emballement.
- Je peux pas faire ça. J'ai besoin de leur confiance. Mais je vais m'assurer de son état et je te promets que je vais tout faire pour trouver comment le libérer.
- Laisse-moi venir, demanda Setsuha avec une résolution naissante.
- Je suis désolé, t'es pas censée savoir de quoi je traite avec eux. Tu me fais confiance ?
Prononcer ses mots lui brûla la gorge au vinaigre. Inconsciente de ses états d'âme, Setsuha dû se résoudre à acquiescer. Un soulagement infecté de culpabilité monta en lui. Elle avait trop confiance en lui pour songer à la possibilité qu'il puisse être lié à l'enlèvement de son frère. Une confiance qu'il était le dernier à mériter. Après tout, Muahoto aurait sans doute pu mener sa mission à bien si Keigo ne l'avait pas vendu à la Ligue.
- - -
Vu d'en haut, la maison rurale paraissait parfaitement abandonnée, avec sa toiture de chaume crevée et de tôle couverte de mousse. Le muret qui délimitait le terrain disparaissait sous un enchevêtrement de plantes grimpantes et de branches mortes. Hawks se posa sur la dalle bétonnée rongée par les herbes du jardin. Des monticules de débarras s'amoncelaient sous l'auvent. Des carreaux manquaient aux shoji de verre. Dans la pénombre du petit jour, la maison paraissait glaciale.
Keigo savait que la Ligue s'accommodait ces derniers temps de conditions de logement déplorables, mais il doutait qu'elle occupe les lieux. Ils n'avaient choisi ce coin reculé et oublié que pour y détenir Muhaoto.
Sitôt que ses semelles touchèrent terre, Keigo envoya ses plus infimes plumes à la recherche de l'agent de l'AISP. La porte de bois coulissa sur la silhouette en imperméable esquinté et haut de forme râpé de Mr Compress.
- Il va bien, lui lança le vilain.
Pour une fois, Hawks ne se donna pas la peine d'afficher une mine cordiale. Dissimuler sa contrariété ne ferait que le rendre suspect à leurs yeux.
- Avec une aile perforée ? cracha-t-il.
- On l'a traité. Ça ira.
Aucun membre de la Ligue n'avait ni les compétences ni le matériel pour s'occuper d'une blessure telle que la lui avait décrite Setsuha. Si Sako disait vrai, cela signifiait qu'ils avaient fait appel à un associé possédant soit l'Alter approprié, soit de solides connaissances médicales. Quelques mois auparavant, Shigaraki avait pu se remettre des balles qu'il avait reçues sans être admis à l'hôpital. Quelqu'un soutenait médicalement la Ligue dans l'ombre. Malgré la sensibilité du contexte, Hawks ne pouvait s'empêcher de consigner mentalement le moindre indice.
Il étrécit les yeux tandis qu'il dévisageait Sako. Sous la toile de son long manteau, le vilain frissonnait dans la froideur matinale.
- Je doute que vous ayez pu lui apporter davantage que le minimum syndical, rétorqua Keigo. Cette planque est une ruine et il gèle, ici. Comment vous voulez le maintenir en vie comme ça ?
- Les Fukurõ sont résistants au froid, lui rappela Sako, le timbre neutre.
Keigo renifla avec aigreur.
- T'es bien placé pour le savoir, hein ?
- Je l'ai été, du moins.
- Tu vois, c'est ce que j'arrive pas à comprendre. Qu'est-ce que tu pouvais bien vouloir à Setsuha ? Je peux pas croire que t'en aies juste eu après son statut de psychocrimino. Tu as dû vite te rendre compte qu'elle était trop professionnelle pour lâcher des infos juste pour tes beaux yeux.
L'un des émissaires duveteux qui parcouraient les alentours capta soudain une présence vivante. Sous terre. Dans un espace assez vaste pour qu'un homme puisse s'y tenir debout, emplit d'une atmosphère sèche. Keigo distingua son souffle, lourd et fébrile, son rythme cardiaque rapide, ses frémissements... Muhaoto luttait contre la douleur, assommé par les efforts que fournissait son corps pour réparer son aile.
Face à Hawks, Compress eut un geste indisposé de la main.
- C'est me prêter des motifs vulgaires. Peut-être que mes intentions étaient un peu plus complexes que ça ?
- Peut-être que c'était un coup de foudre, suggéra une voix railleuse dans le dos du magicien. Je trouve ça très manichéen, comme accusations, héros.
Keigo se rembrunit davantage à la vue de Dabi, sorti à son tour de la bâtisse. Il se fendit malgré tout d'un sourire ironique :
- Forcément, j'imagine que tu te sens concerné. Kaya va bien ? Le détective Tsukauchi aimerait bien avoir de ses nouvelles.
Dabi roula des yeux sous ses paupières indolentes.
- Tu vas ramener les Tsukauchi sur le tapis à chaque fois ? Ça devient redondant.
Comme chaque fois qu'il prononçait leur nom, une note d'avertissement farouche vibra dans sa gorge. Keigo devait bien admettre que, de tous les crimes dont le vilain s'était rendu coupable, nuire à la fratrie n'en faisait pas partie. Une affection authentique et réciproque les liait. Si Dabi, qui apparaissait comme les plus amoral des deux, avait pu développer une telle relation avec Tsukauchi Kaya, était-il envisageable que Sako ait pu être un tant soit peu sincère avec Setsuha ?
De ce qu'elle lui avait relaté, il n'avait jamais exercé de chantage à l'affection, jamais tenté de la culpabiliser ni de l'isoler. Il n'avait tiré aucune des ficelles propres à l'emprise. En dépit de son aversion à l'encontre du magicien, Keigo se devait de considérer l'infime possibilité que Sako éprouve un réel attachement envers Setsuha. Il s'agissait d'un levier qu'il ne pouvait pas négliger.
- Désolé, s'excusa-t-il. C'est juste que j'ai du mal à adhérer, sur ce coup-là.
Dabi inclina la tête et le considéra avec une lueur maligne dans le regard. De l'air d'un chat en attente que sa proie batte de l'aile.
- Tu vas pas retourner ta veste ?
- Non. Je vous enverrai pas les forces héroïques. Mais je me suis engagé auprès de Setsuha à veiller à ce que Muhaoto reste indemne.
Dabi fit mine de lui livrer le passage.
- Tu veux le voir ?
- Et me griller auprès de l'AISP ? cingla Keigo.
- Il était impératif pour nous de nous débarrasser de sa surveillance, intervint Compress. Mais on ne veut rien de lui. Tu peux dire à Setsuha que son frère ne sera pas davantage brutalisé.
- Parfait, je suis sûr qu'elle sera ravie de savoir que son ex ne fait que séquestrer son frère.
L'inspiration affectée que prit Sako fut visible sous son masque et son imperméable. Le faciès de Dabi se para d'un flegme mauvais.
- Lâche l'affaire, Numéro 3. Je me fous de votre copine de chouette, je peux toujours décider de roussir quelques plumes à son frangin.
Il oubliait bien commodément que leur copine de chouette comptait parmi les amies proches de sa partenaire. Compress s'interposa de nouveau en tirant une feuille de papier pliée, qu'il tendit à Hawks :
- Si tu veux assurer les meilleures conditions possibles pour Fukurõ, tu pourrais commencer par nous fournir les traitements dont il a besoin.
Keigo parcourut la liste. Produits antibiotiques, matériel de pansage stérilisé, antidouleurs... rien qu'il ne pouvait se fournir. Il empocha la feuille.
- C'est très bien tout ça, mais vous comptez le garder combien de temps ?
- Le temps qu'il faudra, rétorqua Sako d'un ton sans appel.
Il aurait dû voir venir cette réponse. Les plumules qu'il avait dispersé sur le site revinrent à lui, à l'exception d'une seule, dissimulée dans le plumage de Muahoto. La distance l'empêcherait de percevoir son environnement à travers elle, mais au moins pourrait-il la tracer s'ils déplaçaient l'agent.
- Je viendrais vérifier comment il va.
- - -
Fukurõ avait mauvaise mine. Son teint d'ambre était terne et une pellicule de sueur luisait sur son visage. La douleur et la fatigue tendaient ses traits. Des traits dont la ressemblance avec ceux de Setsuha tordait le ventre à Atsuhiro. Il la retrouvait dans la ciselure du nez et dans l'amande des yeux. Dans l'air distingué qu'ils partageaient. Chaque minute que l'ailé passait séquestré dans ce sous-sol aggravait le tort que Atsuhiro causait à Setsuha.
La luminosité crue de l'ampoule suspendue par des fils dénudés au plafond fit ciller l'agent. Quand sa vue se fut acclimatée, une onde de surprise parcourut son faciès en découvrant Compress, parvenu au bas des marches de bois vermoulu. Le vilain avait ôté son chapeau et son masque, ne conservant que sa cagoule, de sorte que Fukurõ puisse avoir accès à son regard.
Sac de pharmacie en main, il s'approcha du prisonnier. Celui-ci n'exécuta pas le moindre geste de recul. Il redressa simplement le dos aussi droit qu'il le pouvait en dépit de ses poignets et de ses chevilles attachés par des colliers de serrage en plastique. Son aile blessée frémit sous le mouvement.
Atsuhiro déposa à sa portée la bouteille d'eau qu'il apportait, et lui tendit deux plaquettes de comprimés différents, ainsi qu'une paire d'onigiri industriels. Puis il tira de son sac les produits de pansage.
- Je vais devoir manipuler votre aile, avertit-il.
Un nouvel éclat de surprise passa sur le visage de Fukurõ, décontenancé par le respect des codes ailés qu'il lui témoignait. Après un instant de réticence, il étendit la couverture de son aile. Ses rémiges trainèrent dans la poussière. Atsuhiro s'accroupit et retira ses gants. Tandis que Fukurõ débouchait la bouteille et avalait son traitement, il entreprit de décoller la gaze tachée de sang brun.
Sous l'œil scrutateur de Fukurõ, il étudia l'aspect de la plaie, autour de laquelle les plumes avaient été rasées. À son grand soulagement, elle ne dégageait pas d'odeur particulière et demeurait propre. Il imbiba un coton d'antiseptique pour en nettoyer les bords, à petites pressions précautionneuses, sa main libre glissée sous le rebord de l'aile pour la stabiliser.
- Dabi a dit que j'étais encore en vie parce que je suis le frère de Setsu, lâcha soudain Fukurõ.
L'espace d'une fraction de seconde, les doigts de Atsuhiro suspendirent leur travail.
- Il aurait eu aucun scrupule à vous incinérer si ça n'avait pas été le cas, confirma-t-il.
- Et pourquoi est-ce que lui aurait des scrupules ?
Sous sa cagoule, Atsuhiro se composa un masque de détachement.
- Disons que votre sœur a des connexions.
- Parmi lesquelles tu figures ?
Il s'interrompit de nouveau afin de confronter les yeux noirs de Fukurõ.
- Si votre question est de savoir si j'ai plaidé votre cause, alors oui : j'ai demandé à Dabi qu'on vous épargne.
- Pour Setsuha, voulut confirmer l'ailé.
Atsuhiro reprit déboucha le tube de crème antiseptique.
- Je n'ai aucune envie de m'en prendre à sa famille.
L'agent jeta un coup d'œil circonspect à son aile transpercée.
- Ah bon.
- Croyez bien que je regrette qu'on en soit arrivé là.
- Ah bon ? répéta Fukurõ, cynique.
Atsuhiro laissa échapper un soupir. Chercher à se justifier ne serait que pure perte, pourtant il se surprenait à vouloir convaincre Fukurõ de sa sincérité. Ce dernier insista :
- Tu n'as rien fait pour empêcher d'en arriver là.
- Je sais.
Il couvrit la plaie d'un carré de gaze propre, puis lui fit signe de soulever son aile afin de lui permettre de traiter l'envers. L'immense couverture duveteuse, dépourvue de la moindre moucheture, se mue sans un bruit.
- Alors qu'est-ce que tu voulais à ma sœur ? voulut savoir Fukurõ.
Sa question était parfaitement légitime, pourtant Atsuhiro lui décocha une œillade agacée. Indifférent à sa position de prisonnier, l'agent menait l'interrogatoire sans en démordre.
- Rien. Rien de répréhensible.
- Ah bon.
Cette fois, sa réplique fut pleine d'un scepticisme glacé et sans concession. Face à son animosité, Atsuhiro retrouva sa contenance de galant homme de la scène. Ses paupières s'étrécirent sur ses yeux espiègles, un sourire badin étira ses lèvres.
- Pour moi, c'est une merveilleuse personne pleine d'esprit et de charme. C'était tout.
Contre toute attente, le court silence qui s'ensuivit lui indiqua que Fukurõ pesait ses mots. Quand le vilain en eut terminé avec son aile, il la ramena à lui, et lâcha :
- Si une once de tout ça est vrai, alors tu as vraiment fait les pires choix possibles.
Oh, il en avait bien conscience.
Fukurõ finirait sans doute par quitter ce sous-sol, mais la faute de Atsuhiro, comme un oiseau blessé, y resterait enfermée.
~ "Et chaque histoire me condamne comme un scélérat" Richard III ~
Un chapitre axé sur les conséquences des mensonges de Atsuhiro !
Comme d'habitude, les liens entre les filles compliquent les choses et j'adore quand les gars en discutent x)
Puis j'ai beaucoup aimé écrire la scène Atsuhiro/Muhaoto, et développer un peu la personnalité de Muhaoto !
Un avis sur la situation ? Sur Atsu ? Des attentes pour la suite ?
Je n'oublie pas vos commentaires, j'y réponds dès que possible, merci énormément du soutien !
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