C H A P I T R E 3
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Point de vue de Asher - 19h avant la poursuite...
La porte du commissariat s'ouvre suite à la pression que j'exerce pour la pousser. J'ajuste mon insigne accroché à ma ceinture. Après une longue traversée, je peux percevoir plusieurs sonneries de téléphones qui retentissent dans l'établissement. Je dévisage les employés attelés à leur bureau, le nez plongé sur leur écran. L'ambiance n'est guère différente de celle de Manhattan. Je tourne pensivement la tête vers l'enseigne à ma droite où est inscrit le rappel « New York City Police Department ».
Je reprends mes esprits et quitte ma contemplation en cheminant vers les escaliers que je grimpe tout en m'imprégnant de cet univers bien trop familier. Je salue d'un signe de tête plusieurs personnes qui m'adressent une salutation en retour après avoir compris que je suis le petit nouveau. Mes pas s'arrêtent devant la pièce où j'ai rendez-vous. Je prends une faible inspiration et pousse la porte après avoir frappé. Un homme est plongé dans ses papiers. Il relève instantanément sa figure à mon arrivée pour me contempler comme l'ont fait jusqu'à présent les autres. Il s'appuie sur son bureau pour se redresser et me faire face.
— Vous n'avez pas perdu de temps, me salue le chef de police.
Il contourne ce dernier, parsemé de diverses piles de dossiers, frôlant par la même occasion une étagère remplie de cadres. Sans doute des récompenses ou divers titres de distinction. Sous ce silence de plomb, je finis par reprendre la parole.
— Je suis l'agent Blake du FBI, je suis ici... débuté-je avant d'être interrompu.
— Je suis au courant, me coupe-t-il.
— Mes supérieurs ont jugé bon de me reléguer certaines affaires non résolues qui commencent à traîner.
Décidé à ne pas mâcher davantage mes mots avec quelqu'un qui n'a pas l'air de vouloir prendre non plus des pincettes, je lui fais face sans flancher. Il esquisse un faible sourire et secoue doucement la tête. La relation entre la police départementale et le FBI est souvent compliquée. Je suppose que par fierté, ils ne préfèrent ne pas montrer qu'ils sont dépassés par les événements. Cependant, cet affront ne semble pas le laisser insensible et je me doute que si l'affaire n'est pas résolue, c'est pour une bonne raison. C'est un des centres les plus efficaces, ils ont dû rencontrer énormément de difficultés. Si on m'a envoyé ici, c'est pour essayer d'élucider l'affaire Hunter. Un vagabond déjà recherché depuis de nombreuses années sur qui personne n'a pu mettre la main. Sans compter qu'il est à la tête d'un gros réseau secret qui, jusqu'à présent, n'a pas eu de mal à couvrir ses traces.
— Où êtes-vous logé ?
— Non loin du Bronx, annoncé-je.
Il me toise, les sourcils froncés alors que je me remémore les instants de la veille. Notamment ce café où j'ai passé une courte partie de la soirée. Le regard de cette femme me revient soudainement à l'esprit ainsi que notre conversation et le sentiment de l'avoir déjà rencontrée. C'est extrêmement compliqué d'arriver à s'intégrer dans ces milieux et je ne pensais pas qu'il me serait aussi difficile de pouvoir aborder quelqu'un. Mais il faut avouer que je me suis trompé, elle est bien plus méfiante que ce que je me suis imaginé. Même après avoir tenté une seconde approche. S'ils sont tous comme ça, ce n'est pas gagné. Wilson me tire de mes pensées en me tendant une clé USB que je fixe quelques secondes avant de reporter mon attention sur lui.
— J'ai déjà les dossiers, nous avons pris les devants.
Une lueur d'agacement circule dans ses iris avant qu'il ne la jette sur son plan de travail.
— Votre bureau est au fond du couloir. J'espère que vous vous y ferez vite. Concernant cet appartement, il serait plus sage d'être dans le coin, me conseille-t-il.
Je me lève pour sortir, mais suite à cette réplique, ma main se fige sur la poignée de la porte. Je tourne légèrement la tête par-dessus mon épaule en l'apercevant, du coin de l'œil, toujours au même emplacement.
— Vous connaissez le dicton. Si tu connais ton ennemi et que tu te connais toi-même, tu n'auras aucune raison de craindre l'issue de cent batailles.
Le reste de la matinée passe plutôt vite étant donné la tonne de paperasse qui m'a occupée au moins deux bonnes heures. Sans compter l'appel « compte rendu » à mes supérieurs pour savoir comment j'avais tâté le terrain. Je quitte l'établissement pour la pause déjeuner avec pour objectif de profiter de mettre de l'ordre dans mon nouveau logement. Cela me permettra de commencer un peu à enquêter de mon côté.
Je longe les ruelles qui semblent toutes se ressembler, mais en prenant soin d'éviter certains coins que j'ai repérés hier matin. Celui où j'ai renversé la jeune femme qui s'est quasiment enfuie par la suite en fait partie. Malgré moi, je passe devant le café du Neo Jag où je me suis arrêté hier. Je me surprends à observer à travers la vitre la cinquantenaire s'agiter dans tous les sens en voguant de client en client. Ce café n'a rien d'exceptionnel en soi, mais si la jeune serveuse que j'ai vue hier était là, j'aurais certainement été tenté d'entrer.
C'est extrêmement dur de remettre son visage mais je connais assez cet air désappointé pour comprendre qu'elle m'a menti. Néanmoins, je me poursuis mon chemin à travers la ville en constatant qu'elle n'est pas sur son lieu de travail. Je rejoins un quartier moins défavorisé et chemine vers mon immeuble. J'extirpe mes clés de la poche de mon blouson pour regagner mon domicile. Après la traversée de plusieurs étages, je pénètre dans mon refuge en laissant choir les affaires sur mon passage pour m'attaquer aux cartons qui longent l'entrée.
Je m'approche de l'un d'eux puis m'arrête au centre de la pièce. Positionné face au grand tableau transparent qui couvre une bonne partie du mur, je croise les bras en le contemplant avec attention. La boîte de feutre qui est accrochée au-dessus, accompagnée d'aimants, tremble à l'instant où je l'effleure. Je m'empare ensuite de l'un des cartons, le seul qui ne contient pas d'affaires personnelles. J'écarte les battants pour saisir le premier dossier qui apparaît sur la pile. Celui pour lequel je suis venu ici, Hunter, le fugitif fantôme. J'attrape la première feuille qui me vient, elle retrace un profil schématique. Simplement parce que cet individu n'apparaît dans aucune de nos données. Pas de fiches d'identité et encore moins de renouvellement, aucune empreinte sur les lieux après l'enquête. Absolument aucune trace de lui sauf ce portrait-robot réalisé à partir de plusieurs descriptions faites par d'anciens suspects. Je pose un aimant sur la feuille que je place au centre du tableau en lisant les seules informations que nous possédons à cette heure.
« Surnom : « Hunter »
Âge : Entre 28 et 32 ans
Occupation : Chef de cartel »
Je prends du recul pour porter mon attention sur un autre document. Celui-là comporte le nom de plusieurs hommes suspectés de faire affaire avec lui. Chacune de ces personnes a la particularité de se trouver à chaque fois sur les lieux d'incidents. Par exemple, le braquage en 2007, nous avions réussi à retrouver l'un des suspects présents dans quatre autres attaques différentes. Il était absolument impossible qu'il s'agisse d'une coïncidence étant donné que celui qui a mené les opérations était toujours le même d'après ceux qu'on a interrogé.
Hunter.
Cet homme arrive à apparaître et disparaître sans jamais laisser aucune trace. Même si ce n'est pas le cas de tous ses acolytes, nous n'avons rien pour les arrêter puisqu'il n'y a aucune preuve matérielle et concrète qu'ils ont participé avec lui sous n'importe quelle forme. Je plaque une nouvelle feuille en diagonale de celle de Hunter et attrape un ruban adhésif rouge pour les relier l'une à l'autre. Il s'agit de ma première piste, si je veux remonter jusqu'à Hunter, il faut que je trouve ces hommes.
Je m'apprête à continuer mais je m'immobilise lorsque mon téléphone se met à sonner. Je retiens ma respiration en déchiffrant le numéro de Wilson, le dirigeant du commissariat. Je décroche, convaincu qu'il doit s'agir d'une urgence.
— J'espère que vous êtes suffisamment prêt pour affronter ce qui va suivre, ça sera le moment de voir si le FBI est à la hauteur de cette affaire.
— De quoi parlez-vous ? riposté-je d'un ton froid.
— Allumez votre télévision, Blake.
Il raccroche. Mon téléphone glisse sur la table basse et je me rue vers la télécommande. Je n'ai pas le temps d'analyser les boutons pour mettre la chaîne d'information que le poste s'ouvre aussitôt sur ma source de convoitise.
— Dans la nuit du 8 mai, la villa du célèbre homme d'affaires Brett Tyson a été braquée. Les malfaiteurs se seraient introduits durant un événement privé et auraient dérobé des millions de dollars avant de s'enfuir...
Je coupe la télévision et me précipite vers mes affaires et mon manteau, je prends mon téléphone pour composer le numéro de Wilson. Ce dernier décroche au bout de quelques sonneries.
— Envoyez vos hommes pour quadriller la zone, j'aurais aussi besoin de cinq autres personnes pour consulter les témoins. Je m'occupe du propriétaire.
Je raccroche avant qu'il n'ait eu le temps de répondre et saisis mes clés de voiture.
La chasse aux sorcières est ouverte.
Le trajet durant lequel je me rends jusqu'à la villa braquée semble prendre une éternité, mais pas assez pour me décourager dans ma quête. Je soulève d'une main la balise jaune interdisant l'approche du public ou encore des journalistes qui dirigent leur caméra sur les personnes qui circulent devant la maison. Plusieurs agents s'approchent de moi, je montre brièvement ma plaque jusqu'à ce qu'ils acquiescent. Je chemine vers l'équipe qui a monté une tente non loin de la bâtisse. À l'instant où je soulève la bâche, je tombe nez à nez avec Wilson qui pivote aussitôt vers moi suite à mon arrivée brutale. En face de lui, trois chaises sont alignées et occupées.
— J'avais demandé de m'occuper des interrogatoires ? râlé-je une fois à sa hauteur.
— Nous ne comptions pas vous attendre toute la journée, grimace-t-il à voix basse après m'avoir entraîné loin des présumés suspects.
Un autre agent le remplace aussitôt pour l'interrogatoire. Nous nous retrouvons bientôt à l'étroit entre plusieurs bureaux de fortune autour desquels s'active une dizaine de personnes.
— Vous devriez vous occuper de Brett Tyson, le propriétaire, parce qu'il n'a pas lâché un mot concernant la soirée. Il passe son temps à harceler mes gars sur des broutilles, ça sera l'occasion de voir ce que vous êtes capable de faire.
Sur ces mots, il me lorgne puis s'éloigne. Je tente de garder une expression impassible et me dirige vers la maison après être sorti de ce cocon rempli de tension. Au fur et à mesure que j'approche, des éclats de voix se font de plus en plus entendre et vu du ton, je devine facilement qu'il s'agit du propriétaire. Le genre de réaction normale d'un homme qui vient de se faire voler des millions, mais qui est assez prétentieux de croire qu'on est à sa disposition. Les rayons du soleil qui percent entre les feuilles des arbres me procurent l'espace de quelques secondes, une douce source de chaleur apaisante. Cependant, je me laisse rattraper par la voix de ce dernier qui commence déjà à me taper sur le système.
— Vous devriez être en train de les chercher dehors au lieu de foutre votre merde chez moi ! hurle l'ancien millionnaire.
Je viens de faire irruption dans l'entrée après avoir perçu des bribes de conversation entre cet homme costumé et l'un de mes collègues dont l'air catastrophé laisse paraître qu'il ne sait plus où se mettre face à son hostilité. Je vole à son secours en l'interpellant d'un ton que j'aurais espéré moins rude. Je m'arrête à sa hauteur en m'apercevant qu'il me tourne toujours le dos.
— Cet homme travaille pour la police scientifique, interviens-je.
Il pivote pendant que l'intéressé me lance un signe de tête avant de refermer sa combinaison blanche pour retourner dans la salle où l'infraction a été commise. De mon côté, je parcours la pièce du regard, interpellé par les sculptures aux couleurs criardes qui font assez tache dans le décor.
— C'est vous qui menez l'enquête ? m'agresse-t-il.
— Veuillez me suivre, je suis là pour les questions.
Je m'apprête à l'emmener dans un endroit plus calme, je me tourne en me rendant compte qu'il n'obtempère pas. Je prends mon mal en patience, étouffant une série de remarques cinglantes qui me traversent l'esprit devant son air hautain.
— Où est votre supérieur ? aboie-t-il. Il est hors de question que je laisse des incompétents s'occu...
— C'est moi le supérieur, rétorqué-je brusquement avec une pointe d'agacement dans la voix.
— Ce n'est pas trop tôt ! lance-t-il.
Il passe telle une bourrasque près de moi pendant que j'arque un sourcil en essayant de comprendre son changement d'humeur subite. Je le suis rapidement dans son bureau jusqu'à ce qu'il referme la porte derrière moi. Je tire l'une des chaises et m'assois en posant un dictaphone à mes côtés. Le principal concerné prend place alors que j'attends d'apercevoir le faisceau lumineux rouge de l'appareil.
— Il s'agissait d'une fête privée ? repris-je.
— La fête est un prétexte. En réalité, je devais rencontrer des investisseurs étrangers, répond-il aussitôt.
— Pourquoi ne pas avoir fait ça dans un contexte plus privé qu'une fête ?
— Ils se sentent plus en confiance s'ils en ont plein la vue, sans compter les distractions, complète-t-il.
Un sourire carnassier s'étire sur ses lèvres, son attention se rive par-dessus mon épaule. Je me tourne brièvement et aperçois un groupe de jeunes femmes qui se font escorter par d'autres agents envoyés par Wilson. Au vu de ces visages qui trahissent un jeune âge, j'essaie de faire l'impasse sur leurs tenues légères, si on peut appeler ça comme ça. À vrai dire, il n'y a plus vraiment place à l'imagination concernant les courbes d'une femme.
— On se détend, elles sont majeures, contre-attaque Tyson devant mon air troublé.
J'ignore sa remarque, ennuyé par son comportement irréfléchi. Rien qu'en disant ça, il a déjà la tête d'un coupable et il ne semble pas mesurer l'impact de ses mots lorsqu'il s'adresse à l'un de nous. Souvent les hommes de sa trempe ont la mauvaise idée de croire que parce qu'ils ont dû pouvoir et de l'influence, nous sommes de leur côté. Je ne dis pas que les flics corrompus n'existent pas, mais de mon côté, ce genre d'expérience est assez rare. La plupart des gars dans mon secteur ont la tête sur les épaules et ne se laissent pas berner par des promesses qui peuvent leur coûter leur travail. On a plus à perdre qu'à gagner la plupart du temps.
— Vous avez déclaré vouloir rencontrer des investisseurs ? continué-je en le dirigeant vers les questions qui m'intéressent le plus.
— Ils ne sont jamais venus, à croire que l'argent n'achète plus personne, ironise-t-il.
— Connaissiez-vous leur identité ?
Je me redresse, pris d'intérêt lorsqu'il secoue négativement la tête. C'est sacrément stupide d'avoir été confiant au point de laisser entrer dans sa maison des tas d'inconnus. Qu'elle soit surveillée ou non, il s'est exposé lui-même au danger et les voleurs n'ont pas hésité à en profiter. Il leur a laissé une entrée bien trop facile, permettant au renard de s'engouffrer dans le poulailler sans même le démasquer.
— Quelque chose vous a paru inhabituel lors de cette soirée ? Notamment des personnes qui s'isolent ou encore des profils suspects ?
— Cette fête est fréquentée par des gens de mon niveau social, si ce n'était pas le cas, ils auraient été virés dès le début. Les invités sont triés sur le volet, ricane-t-il une fois avoir assimilé où je veux en venir.
Je peine à rattacher cette affaire à Hunter. S'il est vraiment coupable, les hommes qu'il embauche auraient un profil qui se serait immédiatement détaché des invités. Que ça soit au niveau de la prestance, de leur manière de parler ou encore de se tenir. Ils n'ont pas les mêmes codes, pourtant de ce que je vois cette façon de s'attaquer à gros et de disparaître est tout à fait propre à leur manière d'agir. Plusieurs détails font écho à mes précédentes enquêtes, notamment sur les profils auxquels ils s'attaquent. Ils ont beau faire attention, il y a des constantes partout et des choses qui ne changent pas d'un braquage à un autre. Malgré tout ce qu'il me dit, j'arrive à détecter une possibilité en passant en revue mentalement les gens présents.
— Et que faites-vous du personnel ? continué-je.
Il ouvre la bouche puis la referme sans trouver matière à redire. Ce sont les seules personnes qui ne sont pas triées parce que les hommes comme lui ont tendance à refiler le sale boulot à ceux qui feraient n'importe quoi pour avoir un salaire. Dans ces conditions, on attire tous les profils. Les braqueurs se sont peut-être infiltrés dans le personnel sans qu'il s'en rende compte et ont probablement été proches de lui toute la soirée.
— Des hommes ont surveillé les caméras durant la fête ?
— Oui, mais rien n'a été enregistré. Je ne vous apprends rien, maugrée-t-il.
Il se tasse contre le dossier de son fauteuil, pensif. À vrai dire, ce genre de situation est assez familier pour moi. Dans les différents braquages que j'ai reliés à Hunter, c'est un mode d'action assez courant et le type qu'il engage pour faire ça doit être sacrément doué pour ne laisser aucune trace, je dois l'avouer.
— C'est comme si quelqu'un avait effacé à distance, complété-je en le voyant chercher ses mots.
— Vous devez les retrouver, ils doivent me rendre mon fric.
Il frappe son poing sur la table en marbre. Le pot métallique qui contient plusieurs stylos tremble après le coup. Ses yeux restent rivés dans le vide. Devant son expression, je comprends qu'il ne vaut mieux pas insister. Je me redresse de mon assise, cependant, il ne semble toujours pas s'être aperçu de mon mouvement.
— Nous vous contacterons pour plus d'informations, ce sera tout pour le moment.
Face à son manque de réaction, je me tourne et quitte la pièce. Je tire légèrement sur ma cravate, oppressé par cette dernière. Bien qu'elle n'y soit pour rien. Depuis que je suis ici, je vis quotidiennement dans cette sensation de malaise, d'étouffement. Parfois, je garde l'impression de me rapprocher un peu plus de ma proie et d'autres jours, j'ai l'impression d'en être encore loin. Je marche en direction de la sortie et lorsque mon pied touche le gazon, je prends une inspiration en fixant l'agitation des hommes sous la tente.
Pendant que je m'y dirige, mon attention se focalise sur un objet dans l'herbe, qui à la lueur du soleil, brille d'un éclat argenté. Je me penche et fourre ma main dans ma poche pour en sortir un mouchoir, je saisis cette trouvaille avec le tissu propre. Il s'agit d'un bouton blanc sans doute provenant d'une chemise et pendant que tout le monde s'agite autour de moi, je maintiens ma prise et la fourre dans un sachet en plastique. Je pivote en fixant pensivement les alentours. Quelqu'un a dû contourner le système de surveillance puisque d'après les agents de sécurité, il n'y avait personne dans cette zone.
Si on reprend l'hypothèse que les vidéos ont été effacées à distance, je ne vois qu'un seul moyen pour parvenir à ça. Le hacker a dû faire ça à une distance moyenne c'est-à-dire ni trop loin ni trop près de la maison et quoi de mieux que de tenter ça dans un coin calme. Un endroit comme un jardin pendant que l'attention est rivée au maximum sur ce qui est dans la maison. Ils ont perçu le danger à l'intérieur mais n'ont pas pensé qu'il pouvait aussi venir de dehors. Je jette un coup d'œil aux témoins présents qui parlent avec les officiers. Je soulève de nouveau la bâche en arrivant en furie vers l'un des agents qui s'occupent des identifications.
— Je veux la liste de toutes les personnes qui travaillent dans l'informatique dans le secteur, toutes celles qui sont susceptibles de s'y connaître en piratage. Même s'ils ont déjà été identifiés comme étant anciennement dans des gangs. Je veux qu'on passe chaque profil en revue et qu'on interroge chaque témoin pour faire une reconnaissance faciale au poste.
Je tâte le sachet au fond de ma poche tout en sentant la chaleur du soleil qui a atteint son zénith au-dessus de ma tête. La journée suit lentement son cours, pourtant il me reste une chose à faire, une action qui pourrait résoudre l'enquête. Reprendre là où la police de New York s'est arrêtée et fouiller les planques qui seraient susceptibles de les abriter.
— Je souhaite qu'on me communique la liste des adresses qui pourraient servir de repère pour un cartel. Des lieux qui n'ont pas encore été explorés, qu'il s'agisse de boîtes de nuit ou même des planques de squatteurs. Je les veux toutes dans un rayon de dix kilomètres à partir de cette villa, ils ne doivent pas être bien loin.
Le soleil décline beaucoup trop vite à mon goût. La lumière s'atténue au fur et à mesure que je quitte les établissements suspects. À vrai dire, j'ai perdu le compte à partir de cinq, à force de passer les avenues et de me perdre dans des usines désaffectées. Si ce n'est pas ça, ce sont des immeubles dépravés, des clubs qui ont l'air d'être irréprochables en surface, mais qui, en fouillant, doivent être sans aucun doute les pires trous de prostitutions ou autre. J'ai l'impression de creuser dans de l'eau en cherchant désespérément à atteindre une réponse sans jamais pouvoir la toucher. Cet aspect impalpable, je le ressens à chaque croix que j'effectue sur ma liste en retirant les adresses qui n'abritent pas la vérité que je cherche absolument à trouver. Je tire un second trait en m'appuyant sur le capot de la voiture. Je suis à la sortie d'un lieu qui s'avère être encore un échec.
Mes collègues se saluent entre eux, mais je reste plongé dans mes pensées. Je réplique par un faible sourire et les regarde s'éloigner pour terminer cette longue journée éprouvante. Mon service est terminé tout autant que le leur, pourtant, je surveille une nouvelle équipe s'apprêter à prendre le relais. Il reste deux dernières planques inachevées.
Au loin, les véhicules disparaissent et je regagne le mien en agrippant le volant pour aller directement à la dernière, espérant obtenir satisfaction. Heureusement pour moi, elle est à peine à vingt minutes et je ne tarde pas à la rejoindre. Cette fois, quelque chose attire mon attention et je garde les phares éteints pour ne pas être vu. Plus loin, sous un lampadaire, une moto est garée et montée par une personne qui a les yeux rivés vers la planque que je dois visiter. Les paupières plissées, je remarque une seconde y disparaître.
J'attends patiemment qu'elle ne soit plus ici pour allumer les gyrophares en espérant pouvoir tenter une interpellation sur la première. Cependant sa réaction fut tout sauf ce que j'espérais. Elle démarre avec panique en trombe et j'active aussitôt ma radio roulant à toute vitesse derrière elle.
— À toutes les unités, rapatriement immédiat ordonné à la dernière planque. Je répète, rapatriement à l'adresse de la dernière planque ! m'exclamé-je.
Je dépose l'appareil puis augmente ma vitesse jusqu'à planter un violent coup de frein en constatant que le fugitif s'arrête dans une voie sans issue. Il est pris au piège. Je quitte mon véhicule en dégainant mon arme dans sa direction. Plusieurs ordres sortent de ma bouche, pourtant j'ai énormément de mal à me concentrer en tentant de capter un morceau de son visage derrière cette visière sombre. La nuit n'arrange rien pour la distinction de formes physiques.
Il s'échappe à toute jambe. Je me précipite à la suite de cette personne en abandonnant l'idée de la neutraliser. Elle bouge tellement que je risque de la blesser mortellement et j'ai besoin d'elle vivante pour l'interroger. D'autres avertissements franchissent mes lèvres, mais elle n'obtempère pas et se contente de gravir les obstacles. On se rapproche de la ville. Je la rattrape sans difficulté et je lui fais face l'espace de quelques secondes. Quel genre de fugitif essaie de capter le regard de son traqueur autant de temps ?
Comme si elle lit dans les pensées, j'accélère l'allure puisqu'elle m'échappe. Je débouche sur la route en comprenant son plan. Elle tente de me semer dans la foule. En l'espace de quelques secondes, je suis entouré de monde ce qui m'empêche de voir correctement autour de moi. Un juron s'extirpe hors de mes lèvres. Je tourne sur moi-même, laissant tout ce qui m'entoure se mélanger dans mon champ de vision.
Bon sang qu'est-ce qu'il m'a pris ?
**
J'inflige rageusement un coup dans la portière de la voiture qui claque sous l'impact. Autour de moi, deux véhicules de police quittent la ruelle pour rentrer faire leur rapport pendant que certains sont restés pour baliser les lieux et essayer de récupérer les empreintes. Une descente dans le club a pris place ainsi qu'une analyse des empreintes sur les lieux. Après avoir perdu le motard, je suis retourné au club pour faire face aux renforts avec impuissance.
Je demeure cependant sceptique à l'idée de ce protocole incontournable. Le fugitif possédait des gants lors de sa fuite, nos chances de trouver des traces sont à présent bien réduites. Sans compter la moto qui a sans doute été volée, elle doit être bourrée d'ADN à un point qu'il sera difficile d'en tirer une bonne conclusion. Je saisis doucement ma tête entre mes mains, frustré de ne pas avoir réussi à attraper le fugitif qui ne m'a échappé que de peu. Je suis maintenant coincé ici à diriger un groupe alors que je devrais être en ce moment même dans le club qui figure parmi les lieux suspectés d'abriter le cartel de Hunter. L'individu sur cette moto devait attendre quelqu'un. Je tente de laisser cette amertume de côté et fixe la sortie du bâtiment au loin en apercevant du mouvement. Je pivote vers une des femmes qui travaille pour la police scientifique. Penchée vers le sol, elle redresse la tête en entendant le son de mes pas.
— Je reviens dans cinq minutes, l'interpellé-je.
Elle opine positivement pendant que j'opère rapidement un demi-tour en esquivant les voitures qui bloquent le passage aux curieux qui tentent de s'approcher tant bien que mal. Ils sont sans doute à la recherche d'une stupide sensation forte. Je me rue vers l'attroupement de journalistes et de civils qui se sont regroupés derrière la bande de signalisation marquant une interdiction de passer « police line do not cross ».
Je dévie la tête vers l'entrée du club à présent bien visible et m'arrête devant l'une des voitures en apercevant un groupe escorté. Des suspects interpellés et attachés par des menottes. Ils défilent devant moi en direction du fourgon. Je scrute chacun de leur visage. Il m'est facile d'en reconnaître certains au vu du tableau de suspects que j'ai établi chez moi. Les noms défilent avec rapidité dans mon esprit comme Clyde ou Salvatore. Cependant, je constate en voyant les deux derniers du cortège que quelque chose ne va pas.
— Wilson ? l'appelé-je.
Le principal concerné se retourne vers moi les sourcils froncés.
— Blake, vous êtes censés être avec la police scientifique, gronde-t-il entre ses dents.
Je ne réponds pas. Nous ne connaissons pas le visage de Hunter. Avec un peu de chance, il doit s'agir de l'un des deux hommes, mais dans le cas contraire, nous sommes tellement focalisés ici qu'on lui offre la possibilité d'avoir le temps de s'échapper de nouveau. Le problème dans ce cortège, c'est que le dernier n'est pas enregistré dans mes fiches. Le principal concerné se tourne justement avant de monter dans le véhicule qui doit les emmener au commissariat. Il a regardé avec inquiétude les alentours, mais son attention s'est ensuite posée sur moi. Il cherche quelqu'un. Je détaille sa tenue pour parvenir à déceler moindre indice jusqu'à ce que je remarque le sac qui lui est retiré. Exactement le genre de celui qui était dans le dos du fugitif que j'ai poursuivi.
Il doit chercher le motard, c'était lui le passager, compris-je quand il disparaît dans le fourgon.
— L'un des hommes n'est pas dans nos registres sur le cartel, le dernier de l'escorte, ajouté-je.
— Il doit s'agir d'un coursier, ou peut-être quelqu'un de moins impliqué, m'explique Wilson d'un air convaincu.
Il opère un demi-tour pour se fondre dans la foule médiatique. Je l'interpelle en faisant abstraction des différents appels qu'on nous lance pour répondre aux questions.
— Le dernier suspect qui est monté dans le véhicule, je voudrais l'interroger. Je pense qu'il a un lien avec le motard, constaté-je à son intention.
Il hausse les épaules l'air blasé avant de s'éloigner.
— Maintenant que le FBI a le nez chez nous, on n'a plus trop le choix, marmonne-t-il.
J'ignore sa pique et scrute le fourgon partir, escorté par d'autres voitures de police. J'esquive habilement les questions des journalistes qui se mettent à fuser dans tous les sens et soulève la bande plastique. Après être revenu en direction du secteur qui m'est attribué, je m'arrête au bout de plusieurs secondes à côté de la jeune femme que j'ai laissée tout à l'heure.
— Du nouveau ? l'interpellé-je en arrivant à sa hauteur.
— On n'a pas trouvé d'empreintes ici. Deux hommes sont en train d'analyser le grillage que vous avez grimpé avec le motard. Je crains que s'il en trouve, elles doivent être couvertes par les vôtres, soupire-t-elle.
— Je vais retourner à l'endroit où je l'ai perdu pour voir si je trouve quelque chose, déclaré-je en prenant compte de sa remarque.
Elle acquiesce et se replonge dans son travail alors que je m'approche du chariot à roulette près d'elle qui comporte son matériel. Je m'empare d'une paire de gants que j'enfile délicatement ainsi qu'un sachet transparent que je plie en deux entre mes doigts. Mes pas se dirigent ensuite à l'endroit où je l'ai poursuivi sur quelques mètres. J'esquive mes collègues qui continuent leur recherche, le nez plongé au sol avec des lampes aux reflets bleuâtres destinées à apercevoir les empreintes qui s'y dessinent. Je m'arrête devant la grille dont une partie a été repliée. En me voyant arriver, l'un des hommes tire la surface pour me permettre de passer en dessous. Je m'y faufile en lui adressant un remerciement.
— Vous avez trouvé des empreintes ? leur demandé-je, animé d'une pointe d'espoir.
— Pas pour l'instant, s'excuse-t-il.
Je poursuis mon chemin sans rien ajouter de plus, après tout, je ne peux pas affirmer si le suspect portait des gants. Ce qui pourrait rendre l'identification compliquée si c'était le cas. Je ne tarde pas à atterrir au centre-ville et lève la tête vers la ligne droite qui s'étend devant moi. Je ferme les yeux quelques secondes me remémorant la scène. Je revois la personne courir et même en essayant de me souvenir de certains détails, je n'ai aucune certitude concernant son sexe. Sa veste couvrait largement ses formes et c'est compliqué de pouvoir déterminer de dos si c'est un homme ou une femme.
La rue principale est maintenant quasiment déserte à l'exception du flot de voitures toujours aussi important. Pendant que le feu revient au rouge, je profite pour traverser la route et me positionner de l'autre côté du trottoir. C'est le dernier endroit où je l'ai vu. Je tourne sur moi-même pour me remettre dans l'ambiance en détaillant l'allée. Étant donné la longue lignée de magasins, il est impossible qu'elle soit partie par-là. Autrement, elle serait trop longtemps restée à découvert. Il fallait trouver une ruelle ou un endroit où le motard aurait pu se réfugier. Les klaxons retentissent et je pivote vers les voitures qui continuent à circuler.
Peut-être qu'il a pris un taxi ? Non.
Le temps d'en trouver un aurait été trop long.
Comment s'est-il volatilisé de la sorte ?
Je m'apprête à rebrousser chemin pour chercher ailleurs, mais une masse noire attire mon attention dans une poubelle à quelques pas de moi. Un vieil homme se tient au-dessus, près de lui, un casque traîne au sol avec la visière fissurée. Je m'approche doucement, muni de mes gants pour marchander cette pièce à conviction avant qu'il ne laisse trop de traces dessus. Peut-être que nous n'allons pas repartir à zéro et quelque chose me dit qu'avec les suspects arrêtés et ces indices, nous sommes proches de trouver le groupe de voleurs qui a pillé le coffre de la villa.
La mission pour laquelle je suis venue.
J'aurais en plus le pouvoir de mettre la main sur celui qui a commis un délit de fuite. Je baisse finalement les yeux vers mon sac bien rempli et commence à opérer un demi-tour, déterminé plus que jamais à faire analyser ces deux pièces.
Je te tiens maintenant.
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