Chapitre 14
Pour l'occasion, Gènaro nous a prêté deux grandes voitures pour transporter la vingtaine de Touchés. Orange et Bleu, une femme blonde à peine âgé ont été désignés pour être nos chauffeurs.
Installée entre Mindy et un autre garçon que je ne connais pas, j'ai l'impression de sentir le moindre petit gravier qui passe sous les roues. Nous empruntons des sentiers, des petits chemins de terre, évitant les grandes routes pour empêcher le plus possible le contact avec les autres conducteurs.
Les soubresauts du véhicule semblent me bercer, en résonnance avec les battements de mon cœur. Depuis plusieurs jours, j'ai le sentiment d'être constamment angoissée, ça m'agace. Angoissée par quoi, au juste ? De ce que je vais retrouver au Refuge ? Du sort de la planète qui dépend de mon discours ? Ou peut-être des deux à la fois...
Le trajet est assez long mais nous arrivons bientôt à l'orée d'une forêt.
« Je ne peux pas continuer plus loin, s'excuse Bleu, bonne chance les jeunes !...
Je lui souris dans le rétroviseur pour la remercier. Ça ne sera pas une partie de plaisir.
Avant de rattraper mes compagnons, je m'avance vers Bleu.
- Pourquoi ne pouvez-vous pas continuer ?
- Eh bien, débute-t-elle, depuis notre attaque, un champ de force empêche les non-Touchés de le traverser et comme ça, ils n'ont pas eu à changer d'endroit.
La deuxième voiture rejoint la nôtre et tout le monde est enfin réunit.
- C'est le moment... je soupire pour moi-même.
Je vois alors Sheila s'avancer vers moi.
- Je ne t'ai jamais vraiment aimé, me souffle-t-elle, mais je suis avec toi, dragonnette. ».
Je lui lance un regard courroucé à l'énonciation de ce surnom ridicule, alors qu'au fond de moi je souris. Car si Sheila est avec moi alors j'ai plus de chance de convaincre et moins de remarques perfides à contrer.
*
« Ils sont revenus !!! s'écrit une voix de l'intérieur, ouvrez les portes !
Les baies vitrées sont ouvertes par plusieurs mains impatientes qui se pressent devant nous.
Une fois que nous nous sommes tous retrouvés à l'intérieur, Jeanna se fraye un chemin dans la foule compacte de ses protégés.
- Je me suis tellement inquiétée ! s'exclame-t-elle, nous tentions de créer un plan pour vous retrouver et vous libérer ! Comment avez-vous pu vous évader ?!
- On ne s'est pas évadés, je déclare en m'avançant vers elle vers le centre du self, là-bas, nous avons appris la vérité.
Le visage de Jeanna perd ses couleurs et elle replace une mèches rebelle derrière son oreille.
- Viens dans mon bureau, s'il te plaît, me demande-t-elle en me prenant le poignet.
Je fronce les sourcils mais la suit à travers la foule.
- Arya ! s'écrit alors une voix familière.
Je tourne le visage et découvre Florian, les yeux d'abord pétillant de joie de me revoir puis d'une colère sourde qui voile ses si beaux yeux clairs.
Le revoir me retourne l'estomac. Je pensais ne jamais ré-avoir l'occasion d'admirer ses traits et la clarté de ses yeux.
Et pourtant il est bien là, alors que je lui avais demandé de s'enfuir de cet endroit où il ne sentait pas à se place. Il est resté. Pour moi ? Savait-il au fond de lui que je reviendrais ?
- On règlera ça plus tard, je lui souffle.
Quand je me suis détournée de lui, j'éprouve un pincement au cœur. J'aurais aimé que nos retrouvailles se passent dans d'autres circonstances...
Je passe alors Florian au second plan pour me concentrer sur mes pas qui suivent ceux de Jeanna.
Nous arrivons rapidement dans un couloir où elle m'entraîne dans une pièce simple : un bureau, un placard et une bibliothèque. Seule pointes de couleur, un tapis persan. J'aurais imaginé son bureau plus coloré, fantaisiste.
- Quelle vérité ? me demande de but en blanc Jeanna.
Je mets un moment à me rappeler de quoi elle parle. Puis les mots me viennent, se bousculant aux portes de ma bouche.
- C'est incroyable ! je commence, je sais tout maintenant ! Gènaro n'est pas un ennemi, il veut juste réparer ses erreurs ! Ils ont retiré la magie de l'air mais la Terre ne peux plus tourner normalement sans cette touche de magie dans la nature, il faut nous rendre là-bas pour rendre nos pouvoirs ! Sinon, la planète court à sa perte ! Il faut agir vite !
Jeanna m'observe calmement, ses yeux rivés au miens.
- Arya... articule-t-elle, tu es plus naïve que je ne le pensais, tu les crois vraiment ?
- C'est la vérité, Jeanna, il faut me croire !
- Et tu allais servir ce discours à tout le monde ? me gronde-t-elle, tu ne peux pas raconter des bêtises à tort et à travers...
J'ai l'impression qu'elle s'adresse à moi comme à une jeune enfant qui ne comprend encore rien au monde. Mais ce que je raconte est vrai et elle ne veut pas me croire.
- Jeanna, vous êtes la doyenne, j'ai besoin de votre soutient ! Gènaro m'a prêté des preuves pour pouvoir vous convaincre.
- Tu as des preuves ?! répète-t-elle scandalisée, Arya, donne-moi ces preuves dans ce cas.
Son comportement m'intrigue. Et m'inquiète surtout.
Soudainement, je n'ai plus envie de lui confier mes preuves.
- Il faut... je vais retourner dans le self.
Je veux faire demi-tour mais Jeanna m'agrippe le bras et m'assois violemment sur une chaise.
- Tu n'iras nulle part, tu m'entends ? me menace-t-elle, cette vérité que tu viens d'apprendre, je la connais déjà ! Et depuis plusieurs années même ! Et il ne sait encore rien passé ! Je ne rendrais pas mes pouvoirs ! Tu as bien compris ? Mes pouvoirs sont à moi et à personnes d'autres !
Je la regarde, horrifiée, complètement choquée.
Jeanna savait tout ça et elle a injustement laissé croire aux autres Touchés que Gènaro était des monstres ! Cette femme est complètement folle, elle se laisse aveuglée par son besoin de puissance sans se soucier ce que cela peut entrainer.
Je veux partir mais elle utilise sa voix suraiguë pour me clouer sur place. Mes oreilles sifflent douloureusement.
- Sheila, Mindy et tous ceux qui m'accompagnaient connaissent aussi la vérité et vous ne pourrez pas les faire taire, je réplique en grimaçant.
- Tu es à leur tête... me répond Jeanna, il me suffit de te faire subir une mort très douloureuse pour les dissuader de reprendre ton relais.
- Vous voulez me tuer !? je répète sonnée, Jeanna, vous voulez tuer une adolescente ? De toute façon si vous nous empêchez de dire la vérité, nous allons tous mourir avec notre planète.
- Mindy a très bien survécu ! siffle la doyenne entre ses dents, les changements atmosphérique ou maritimes, son corps a réussi à s'adapter et tout le monde en fera autant !
C'était donc ça, le problème de Mindy...
- Vous avez fait souffrir une pauvre adolescente juste pour prouver qu'on pouvait s'adapter ? je fulmine, cette fille est une sirène ! Qui dit que les non Touchés vont survivre !?
- On s'en fiche des pauvres mortels, dit Jeanna en haussant les épaules, si seuls les Touchés subsistent c'est que les humains normaux n'avaient pas leur place en ce monde.
- Va te faire soigner, Jeanna, je marmonne, ma mort ne persuadera pas Sheila de tout oublier.
Dans un accès de rage, Jeanna m'attrape les épaules et me fait basculer par-dessus la chaise.
Dans un choc sourd, nous retombons toutes les deux sur le sol. Le temps que je reprenne mes esprits, Jeanna me retourne et passe son bras devant ma gorge. Je tente de me dégager mais elle resserre sa prise, m'étouffant un peu plus.
Je sens ma trachée se comprimer et je commence à gesticuler, paniquant en sentant que l'air ne passe plus.
Mes yeux se révulsent, j'essaye de cracher pour mieux respirer mais je n'y arrive pas. Elle m'étrangle. Je n'ai plus assez de force pour invoquer mes flammes.
Au moment où mon cerveau manque d'oxygène et où je vais m'évanouir, j'entends un claquement, des cris, la prise autour de mon cou est enfin desserrée.
L'air entrant de nouveau dans mes poumons me brûle. Je crache du sang, restant allongées pour mieux reprendre mon souffle.
Je tourne la tête pour apercevoir Florian, aux prises avec Jeanna. Inquiète, je veux lui crier de s'éloigner de cette folle-furieuse mais seul un râle franchit mes lèvres.
Une migraine atroce me prend la tête et mes membres sont tout engourdit, mais cela ne m'empêche pas de lever une main tremblante et de propulser une gerbe de flammes en direction de Jeanna qui reçoit l'impact dans le dos. Sonnée et étonnée, elle s'écroule sur Florian.
Un temps mort s'écoule. Puis mon corps s'affaisse après mon effort et Florian se relève tant bien que mal, poussant une Jeanna inerte sur le côté.
Il vacille un peu en s'avançant vers moi. Il a un bleu qui prend forme au niveau de sa tempe et sa lèvre est coupé, laissant un filet de sang s'échapper.
Ma gorge est toujours aussi sèche et les mots que je voudrais prononcer ne sortent pas.
Florian s'agenouille devant mon corps meurtri et fatigué puis me soulève dans ses bras pour me ramener dans le self.
Quand je sens qu'on approche, je lui intime de s'arrêter.
- Qu'est ce qui passe, Ary' ? demande-t-il inquiets.
Je lui souris pour lui montrer que tout va bien et je le vois froncer les sourcils, ne comprenant pas ma demande.
Puis avant qu'il ne pose une question, je m'approche de son visage, ses yeux clairs à quelques millimètres des miens avant de sceller mes lèvres aux siennes. Je sens ses bras me portant se raidir alors qu'il répond à mon baiser. Je m'accroche encore plus fort à lui lorsque je sens le goût du sang provenant de sa lèvre fendue.
Puis je m'écarte, toujours un sourire aux lèvres.
Une fois de retour dans la salle, des murmures curieux et surpris s'élèvent à mon passage dans la foule.
- Quelqu'un peut-il la guérir ? cris Florian aux personnes alentours. ».
Il me dépose sur une table où je sens à peine la matière fraîche sur mes bras et mes jambes.
Quelqu'un affirme que c'est un guérisseur, il s'approche donc de moi à son tour. Je ferme les yeux.
Je sens alors mon sang affluer dans mes veines et des drôles de picotements qui me parcours toute la colonne vertébrale. J'ai l'impression de pouvoir mieux respirer et de respirer de l'air plus pur. Je rouvre les yeux, revigorée.
Je me relève sur les coudes et voit Sheila, Mindy, Valentine, Ben et Florian autour de moi. Je leur souris pour leur signifier que je vais beaucoup mieux mais perd mon air léger en reconnaissant les blessures au visage de Florian.
Je remarque un jeune garçon à mes côtés, en déduit que c'est lui le guérisseur.
- Guéris-le aussi, s'il te plaît, je lui demande en désignant Florian.
- Non, ça va, t'inquiète, répond-t-il en grimaçant, ce n'est rien du tout.
Je lui lance un regard signifiant « c'est non-négociable » avant que le garçonnet, d'un geste de la main referme la coupure à la lèvre de Florian et fasse disparaître son bleu.
Bientôt, tout le monde est tout à fait normal.
Je ne sais pas si c'est un effet de la guérison ou si c'est seulement moi qui ai changé au cour des derniers jours mais à cet instant, une immense joie m'envahit de voir tous ces gens, des gens qui me soutiennent et qui restent avec moi, quoi qu'il se passe.
Dans un élan soudain, je me mets debout sur la table, balaye la salle de mon regard.
Cette fois, personne ne m'empêchera de leur dire la vérité.
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