Chapitre 1

Ma mère me fixe d'un regard préoccupé.

A-t-elle peur pour moi ou est-elle inquiète des dégâts que je pourrais causer aujourd'hui ?

J'ignore son visage anxieux pour me concentrer sur le miroir de l'entrée.

Ce que le reflet me renvoie, c'est le visage d'une fille à l'air un peu perdu, aux yeux sombres et aux cheveux qui cascadent en boucles serrés le long de mon visage et de mes épaules.

D'une main, je replace correctement mon bandana rouge au milieu de mes mèches vagabondes puis souris.

La fille en face de moi souris aussi et je m'aperçois que son sourire un peu en coin m'énerve.

Je laisse retomber les commissures de lèvres avant de soupirer.

Je me retourne vers ma mère qui, avec ses traits tirés par la crainte, paraît avoir pris dix ans de plus.

Je culpabilise un peu de l'avoir négligé ces dernières semaines, sûrement le besoin d'indépendance et de liberté de l'adolescence.

Je lui souris et la prend dans mes bras.

« Ne t'inquiète pas, je la rassure, tout va bien se passer, je te promets que je ferai attention.

- Je sais, ma puce, dit-elle en déglutissant, mais je me fais quand même du souci pour toi...

Je me détache de son étreinte pour la regarder dans les yeux.

- Je ferai attention, promis, je lui assure, regardes-moi maman ! Je ne suis plus la fillette apeurée qui ne savait pas se gérer ! J'ai appris à me maîtriser, tu peux me faire confiance. »

Elle me regarde longuement puis m'embrasse sur le front. Je la prends une dernière fois dans mes bras avant de prendre congé.

Après tellement de nouveau départ, je n'ai plus vraiment peur de la rentrée.

Ma dernière connerie en date ? J'ai mis le feu à un banc dans la cour car une fille de ma classe m'a demandé si « les troubles mentaux étaient héréditaires dans ma famille ou si c'était juste moi ». Malheureusement pour elle, elle était assise sur un banc en bois.

Aujourd'hui, j'ai décidé de ne pas me faire remarquer. C'est vrai que j'aime provoquer et attirer l'attention mais je ne veux plus faire souffrir ma mère. C'est mon seul appuie dans la vie, le seul être auquel je tiens.

En effet, on peut dire que je ne suis pas maître dans l'art de sympathiser, l'amitié n'est pas faite pour moi.

J'ai essayé, vraiment ! Mais l'isolement m'a toujours mieux convenu.

Lorsque l'établissement apparaît après un coin de rue, je le trouve... grand.

Il est soigneusement protégé par une haute grille sombre qui fait le tour et ressemble davantage à une université qu'à un lycée.

Je m'avance et commence déjà à croiser d'autres lycéens qui discutent, rigolent, gloussent.

J'ai mis quelques années à me forger un masque d'impassibilité, comprenant rapidement que mon secret m'empêcherait de construire des relations stables et durables. Et puis, à force de déménager, j'ai appris à me désintéressée de l'amitié, me satisfaisant de l'amour de ma mère.

A présent au milieu des effusions de retrouvailles et des cris de joie des lycéens, je chasse mon sentiment d'envie à leur égard.

Je n'ai pas le droit de les jalouser, ni de me laisser entraîner par la pointe d'amertume qui s'allume en moi.

Je n'ai pas le droit.

C'est ainsi depuis trop longtemps pour que je songe à modifier mon attitude envers les autres. C'est ancré en moi.

Puis, au fond, je pressens que cette rentrée sera différente. Ce n'est ni le haut bâtiment qui se dresse devant moi, ni le fait que j'ai manqué de peu de sortir de chez moi avec mon t-shirt à l'envers qui me souffle cette intuition. C'est seulement une sorte de malaise qui m'envahi, comme pour me prévenir. De quoi ? Que pourrait-il se passer ?

Je refoule mes interrogations pour pénétrer dans l'enceinte du lycée.

Je fais tout pour que ma démarche paraisse souple et assurée, faisant claquer mes semelles sur le bitume. Je sens quelques regards me dévisager. Mon statut de nouvelle se fait déjà remarquer.

J'ai l'habitude de susciter la curiosité mais le plus souvent, j'évite de sociabiliser et intrigue d'autant plus les adolescents. C'est mon rôle. Je suis le mystère à percer, la nouvelle au visage fermé. Je n'ai toujours pas décidé si cette étiquette me convenait...

*

Seule, seule et encore seule. Pourquoi la solitude auquel je m'étais habituée me pèse plus que les années précédentes ?

Le pire était quand même de manger seule. Généralement, j'englouti le plat sans plus de cérémonie avant de retourner en cours mais aujourd'hui, le fait de me retrouver seule a miné mon assurance.

Heureusement, j'ai réussi à garder mon image intacte. J'ai tenté de préserver mon comportement d'adolescente décidée offert aux jugements des autres.

En revanche, c'est dans ma tête que plus rien ne va.

Il faut désormais que j'affronte l'après-midi. Je doute de survivre jusque-là... Je me force à continuer pour ma mère. Je ne me vois pas revenir en pleine journée lui annoncer que j'ai séché le premier jour.

J'avance donc résolument vers mon prochain cours en me répétant qu'il n'y a aucune raison d'angoisser. Au fond, qu'est-ce que je risque ? Ma réputation ne vaut plus grand-chose. Alors pourquoi m'inquiéter ?

J'entre dans la salle et m'assois sur une chaise côté fenêtre. Regarder dehors fera passer le temps plus vite. Enfin j'espère...

La salle se rempli peu à peu d'élève qui chahutent en rigolant.

Oublis-les, Arya.

Répéter cette phrase dans ma tête ne change rien.

Alors que je fais jouer un stylo entre mes doigts, je sens quelqu'un s'installer à côté de moi. Surprise, je tourne la tête et découvre un garçon aux cheveux en bataille.

Il discute activement avec une fille devant lui jusqu'à ce que le professeur arrive et réclame le silence.

La fille se retourne vers sa table et le garçon sort ses affaires.

Moi, j'ai les mains crispées sur mon stylo qui faisait des pirouettes quelques secondes auparavant.

Soudain, il devient collant sous mes doigts. Mon cœur s'emballe lorsque je comprends que mon pouvoir s'est manifesté sans mon consentement. Je fourre furtivement l'objet-traître dans ma trousse en espérant que mon voisin n'ait rien remarqué...

Le cours commence enfin. Il y est question de polyptote, de superlatifs et que sais-je encore. Je n'écoute que d'une oreille, toujours préoccupée par mon imprudence de tout à l'heure.

Puis peu à peu, je prends goût aux remarques du professeur sur le texte. C'est quand même dingue toutes les analyses et interprétations qu'on peut trouver dans de simples mots...

A un moment, mon voisin me demande un stylo rouge car le sien ne fonctionne plus. Distraitement, je fais glisser ma trousse vers lui pour qu'il se serve.

« Hé bah ! s'exclame-t-il, tu fais des expériences sur tes stylos ? Le plastique est tout fondu !

Je me fige sur ma chaise.

Est-ce que je viens vraiment de faire cette connerie ? Vraiment ?!

Je tourne les yeux vers lui en tirant nerveusement sur mes boucles châtaines.

- Eh bien, je marmonne, ça m'arrive, oui.

- Stylé ! affirme-t-il, moi aussi je teste des trucs chez moi, parfois. Au fait, je m'appelle Florian.

- Et moi, Arya.

- T'es la nouvelle, non ? me demande-t-il, faudrait que tu passes chez moi un jour, j'ai plein d'objets et de matériaux !

Ce gars est l'incarnation de la sociabilité. Il me parle depuis seulement deux secondes et me propose déjà d'entrer dans sa maison.

- On verra, je réponds platement.

Je n'ai pas besoin d'amis. Je n'ai pas besoin d'amis.

Pourquoi ai-je besoin de me convaincre de ça alors que ce principe était une évidence pour moi quelques mois auparavant ?

- Attends une seconde...réfléchis alors Florian, tu n'habiterais pas la maison aux volets blancs dans la rue juste après le lycée ?!

- Il me semble oui...je lui confirme en me demandant comment il peut être au courant...

- C'est ouf ! J'habite aussi...

- Monsieur Hadder ! Mademoiselle...euh, la nouvelle ! nous interpelle le professeur, je ne vous dérange pas trop ?

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