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Traversant le passage piéton, je laisse mon regard errer sur les environs. Le quartier me parait quelque peu sombre, alors que nous sommes en journée. Les grands et miteux appartements surplombant les lieux y sont pour quelques choses. L'endroit n'est pas des plus propres mais je ne suis pas en position discuter. Il me faut un toit et au plus vite. Alors peu importe l'insalubrité, j'accepterai tant que je peux me le payer. Ca change énormément comparé à la maison dans laquelle j'ai grandi ou encore le luxueux appartement que je viens de quitter mais je ne suis pas en position de chipoter. 

Suivant les indications du GPS sur mon téléphone, j'arrive devant l'un des grands bâtiments gris où un homme dans la quarantaine que j'imagine être l'agent immobilier m'y attend. Il tient un classeur rouge, contrastant énormément avec le décor dans lequel j'ai mis les pieds. Il me dévisage mais fait un pas dans ma direction me voyant arriver à ses côtés.

Mademoiselle So Hyun, m'interpelle l'homme en fronçant les sourcils. ❞


J'acquiesce d'un signe de tête, confirmant mon identité et il me tourne le dos pour s'avancer vers l'entrée de l'un des immeubles s'érigeant devant nous. Il compose les chiffres dans le digicode et me tient à peine la porte pour me laisser entrer à mon tour. Bon, pour la politesse, on repassera. Je ne relève pas ; j'ai vraiment besoin d'un logement alors je ne vais pas faire des manières pour si peu.

Il se met à monter les escaliers qui, en passant, ne sont pas des plus soignés. Entre les murs tagués, les marches dont le ciment s'effrite par endroit, une marche sur trois et la rambarde qui est tout sauf stable, je suis sûre que les pièces de l'autre côté du mur ne sont pas plus accueillantes. Une odeur d'humidité et d'urine m'arrache de peu un haut le cœur. J'essaye du mieux que je peux d'enfouir mon nez dans la laine de mon écharpe afin d'échapper à cette odeur nauséabonde. Cela sera un peu plus difficile à supporter, mais peu importe, j'imagine que je pourrai  bien finir par m'y habituer. 

Les étages défilent, et l'homme n'a toujours pas décidé de s'arrêter à un palier. J'aurai peut-être du demander à quel étage se trouve l'appartement. Ce n'est que lorsqu'on atteint ce qui me semble être le dernier étage, qu'il se fige dans son ascension. J'ai compté douze étages. Ca ne va pas être facile de monter toute ces marches, mais je pourrais le faire. Ce n'est pas cela qui m'arrêtera. 

 Essoufflée, je le regarde sortir un trousseau de clés, et grogner contre trois d'entre elles qui ne souhaitaient pas rentrer dans la serrure, avant d'enfin y arriver au quatrième essais pour ouvrir cette fameuse porte. 

Nous entrons, toujours en silence et tombons face à une pièce sombre, où l'odeur de l'humidité règne en maître dans les lieux. Je la ressent tout autours de moi, à m'en faire frémir de malaise. J'ai presque peur de la voir apparaître au coin de la pièce, pour nous inviter à entrer. L'odeur du renfermé est étouffante et je me retiens de rendre ce qui se trouve dans mon estomac. 

L'agent immobilier décide enfin de se racler la gorge pour se tourner vers moi avec un regard neutre.

Voici le studio. La porte au bout est celle de la salle de bain et des toilettes, le tour est rapidement fait, me dit-il alors qu'il s'appuie sur la porte d'entrée, les bras croisés.

J'ai bien peur que s'il se laisse encore aller contre cette porte, elle risque de s'effriter sous son poids. Le bois à l'air si usé que je suis sur que la serrure ne sert pas à grand chose.  Je n'y prête pas davantage attention et me dirige vers le fond de la pièce pour essayer d'observer mon futur logement de plus près.  Un évier ainsi qu'un plan de travail s'y trouvent contre le mur, à droite.

A gauche, la fameuse porte menant à la salle de bain. Je l'ouvre et une odeur d'égout me fouette en pleine face. Je cherche à tâtons l'interrupteur, sachant que, malgré tout, j'allais accepter. Peu importe son état déplorable, ce dont j'ai très peu de doutes, étant donné l'état général des lieux. Je n'ai d'autre choix que d'accepter, pour avoir enfin un toit. En effet, la salle de bain miteuse nécessite un lavage de fond en comble pour la rendre potable. 

J'étouffe un haut le cœur en refermant la porte pour me tourner vers l'agent immobilier en tentant de masquer une grimace de dégout.

 Je le prends, ai-je affirmé une main posée sur mon ventre.


Rapidement après signer le contrat de bail, je me retrouve avec les clés de cet appartement, ou plutôt, de ce grenier miteux.  Je pourrai au moins payer le loyer avec le salaire que je gagnerai. J'ai pu avancer avec mes économies restantes pour prouver ma bonne foi et affirmer que je ramènerai ma fiche de pays le mois prochain. 

Le salaire suffira pour le loyer et de quoi grignoter, mais pas pour la longue durée. Bientôt je ne serai plus seule. Je caresse discrètement mon bas ventre encore plat alors que je tourne sur moi même dans ce qui est devenu mon chez moi. Avec un bon coup de serpillère, une journée ou deux de ménage et le petit studio sera surement accueillant pour une petite famille. 

Mais vide. 

 Je serai ta maison, ta famille.

Il n'y a aucun lit. 

On vivra juste tout les deux.

Aucun berceau. 

Je suis vraiment désolée mon ange, que tu viennes sur Terre dans des conditions  pareils.

Aucune armoire pour ces petits pyjamas. 

Excuse moi ... excuse moi de ne pas être une mère à la hauteur et t'offrir un foyer adéquat.

J'espère pouvoir rendre cet endroit en un semblant de foyer, pour qu'il ne lui manque de rien. Ce petit être n'aurai déjà pas de père. 

 Je te le promet mon ange, tu ne ressentira pas son manque.

Je vais tenter de combler ce vide, que ce soit dans nos vies mais aussi dans notre foyer. Et pour cela, je dois me mettre à la rechercher d'un autre revenu, rapidement, avant que je ne puisse plus pouvoir bouger aussi aisément. 

Pour l'instant, je suis au pied de l'immeuble, de retour du motel, mes affaires en main.

Heureusement, ma valise n'est pas si lourde, je me vois déjà mal la traîner sur douze étages, mon endurance sera mise à rude épreuve. Il m'a donc fallu une bonne vingtaine de minutes pour enfin arriver jusqu'au bout, essoufflée. 

Une fois les pieds de nouveau au studio, je dépose ma petite valise dans le coin de la pièce dans un lourd soupire.

Je tourne sur moi-même pour observer une énième fois, ce qui est devenu mon chez-moi, notre cocon. Ce n'est pas accueillant, propre, ni lumineux, mais c'est à moi. Et rien que de savoir que je suis enfin seule, enfin presque, suffit à me rendre mon sourire épuisé.

Je m'approche de la fenêtre et laisse glisser mon doigt sur la poussière qui y a été amassée. La vue est aussi joyeuse que ce que renferment les murs, mais mon sourire s'agrandit alors que je sens ma vue se brouiller. Peut-être qu'il pleuvra dehors, ou sur mes joues. Je suis loin du pavillon luxueux, loin du duplex chaleureux. Mais je m'y sens légère, entre ces murs rapprochés, beaucoup moins oppressée.

Un éternuement me sort de mes pensées, et je reviens à la réalité. Je ne sais pas si c'est le léger courant d'air entrant par la fenêtre mal fermée ou la poussière, qui me provoque un second éternuement faisant envoler des particules de poussières plus loin. 

Je m'éloigne de la vitre pour ouvrir les deux placards sous l'évier, dans l'espoir de voir apparaître une conserve. Mais mis à part une toile d'araignée pendante, une ombre qui file rapidement et un des tuyaux qui goutte lentement... rien.

Bon, ce n'est pas si grave, j e n'ai pas faim après tout, je suis encore pleine avec le bon chocolat chaud de Seokjin, si je mange quelque chose il risquerait de finir dans la cuvette. 

Je me tourne vers ma valise dans le coin et en sors mes habits, afin de faire un matelas de fortune. Je note mentalement que le premier achat à faire sera bien évidement un matelas après les courses. Pour l'instant, le sol m'accueille. Il faudrait que je fasse une liste des choses essentielles que je devrai me procurer en priorité. 



Le lendemain, c'est avec quelques difficultés et courbatures que je me réveille pour me précipiter vers la salle de bain. La nausée, comme presque tous les matins à présent me sert de . Mais je n'ai plus rien à rendre, mon estomac est bien vide depuis de longues heures. La bile que je recrache m'arrache des larmes de douleur sous la brûlure de son passage.

Après m'être assurée d'en avoir fini avec cet horrible moment, j'efface mes yeux humides de larmes avant de me rincer la bouche. Je dois veiller à utiliser de l'eau au minimum, pour ne pas faire gonfler la facture. Alors je me fais une toute petite toilette, juste pour rester présentable.

Je me prépare rapidement en piochant dans le peu d'habits que j'ai dans ma valise. Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour arriver au café, alors je préfère sortir en avance pour m'assurer d'éviter un quelconque retard. 

Je me retrouve à dévaler rapidement les escaliers, avant de trottiner dans la rue encore presque vide de tous piétons. L'air est frais et me donne l'énergie nécessaire alors que je consume ma petite cigarette de matin. Le soleil se lève à peine lorsque je franchis la porte du café.


Seokjin m'accueille de son sourire adorable, comme tout les matins. Il me demande d'aller déposer mes affaires au vestiaire et me changer pendant qu'il me prépare un chocolat chaud. Je crois que sans sa bienveillance, je ne sais pas où j'en serai aujourd'hui. J'ai envie de croire qu'il est cet ange gardien que le ciel à enfin choisi de mettre sur mon chemin. Ces petits gestes tout simple comme son sourire chaleureux ou le fait qu'il me prépare cette boisson chaude chaque matin me réchauffe le cœur. 

 J'opine du chef et me dirige vers l'arrière de la salle pour enfiler mon petit tablier et ranger mes affaires au fond d'un casier. Je ne prends pas la peine de le fermer à clé ; seuls Seokjin et Jungkook ont accès à cette pièce. Et étrangement, j'arrive à leur faire confiance. Seokjin est celui qui pour l'instant sans qu'il ne le sache veille sur moi et me maintiens en vie et Jungkook, il a cette innocence qui brille au creux de ces pupilles.

Je rejoins Seokjin dans la cuisine alors qu'il enfourne les petits croissants au beurre. Je repère ma tasse de chocolat chaud fumante au coin du plan de travail avec cette chantilly qui en déborde légèrement et la récupère en le remerciant.

Je l'amène à mes lèvres et après une longue première gorgée, durant laquelle je savoure son gout sucré traverser mon œsophage et me réchauffer, je lâche un soupir de plaisir. Il est vraiment délicieux.

Hé bah ! T'aimes vraiment le chocolat chaud, se moque gentiment Jin en passant à mes côtés pour attraper un saladier sur le plan de travail.

Les tiens sont divinement bons, je lui réponds en avalant une autre gorgée.

Oui je sais ! Allez, file en salle préparer les tables, une longue journée t'attend, m'ordonne-t-il en m'adressant un sourire que j'eus du mal à comprendre.


Je ne relève pas son sourire et sa dernière remarque avant de quitter la cuisine pour rejoindre la salle encore vide. Je dépose ma tasse à moitié vide sur le comptoir pour me diriger vers les premières tables afin d'en retourner les chaises. Je réprime une grimace de douleur alors que mon dos me lance. Dormir sur le sol n'est pas du tout confortable.

Je n'ai pas à me plaindre, je tais mes courbatures au dos et termine par retourner les autres sièges et les placer correctement. J'espère pouvoir garder ce travail aussi longtemps que je le peut. Je doute que dans quelque mois je pourrais aussi aisément préparer la salle chaque matin, alors je me donne au maximum à présent. 

Et peu de temps plus tard, alors que je prépare la caisse pour la journée, les premiers clients font leur apparition. Des habitués qui viennent prendre leur dose de caféines pour commencer la journée.

Aujourd'hui, Seokjin m'a demandé d'assurer le service en salle, il s'occupera de la caisse. Et c'est donc ainsi que je me retrouve à prendre les commandes entre les tables de ceux qui décident de prendre leur petit déjeuner sur place.

Une adorable femme âgée de la cinquantaine appelée Na Yung s'installe à une table au près de la vitrine, une habituée du café. Elle vient toujours une fleure à la main, souvent un tournesol pour illuminer nos journées. Selon son défunt père, une simple fleure aurai le don d'ensoleiller la journée grise de quelqu'un. C'est une adorable fleuriste qui aime prendre son petit déjeuner avec nous avant d'ouvrir sa boutique de fleures. Seokjin veille toujours à ce son thé soit prêt, cette adorable femme est réglée comme une horloge, toujours à l'heure. 

━ Bonjour Ajumma, votre fleure est tout aussi rayonnante que vous ce matin, je la salue  avec un chaleureux sourire heureuse de la revoir

  ━ Voyons So Hyun, je t'ai dis plusieurs fois de m'appeler Unnie, Ajumma me vieillie trop, se moque gentiment Na Yung.

━ D'accord, d'accord Unnie, j'essayerai de m'en souvenir, votre thé est entrain de se préparer par Seokjin, vous souhaitez autre chose avec ? 

━  Je me suis réveillée avec une envie de sucre et de gourmandise aujourd'hui, vous avez encore ces petites tartelette à la pêche ?

━ Oui toujours ! 

━ Alors ajoutes en moi une s'il te plais ma belle, demande Na Yung alors qu'elle tire de son sac son petit carnet et un petit stylo.


 Je note sa commande et lui assure qu'elle sera rapidement prête et accueille d'un sourire en même temps un homme qui a franchis la porte d'entrée. Il était tout vêtu de noir, un jeans noir ainsi qu'un pull manche long noir accompagné d'une paire de lunettes noires. 

Je le vois s'installer au fond, une table pour deux personnes. Je devine donc qu'il va consommer sur place et me dirige donc vers lui. 

Bonjour monsieur ! Que puis-je vous servir ? Je lui demande d'un sourire professionnel.


Il se contente de se poser un peu plus confortablement contre le dossier de son siège avant de lentement retirer ces lunettes de fumée de noir. Elles dévoilent un regard cerné mais perçant. Sans que je ne comprenne, un frisson parcouru mon dos. Je n'arrive pas à détacher mes pupilles des siennes qui se permettent de me fixer de haut en bas avant qu'un soupire quitte ces lèvres charnues. Je remarque enfin ces traits, des joues légèrement creusées, assorties à ces cernes et des lèvres pulpeuse qu'il plisse. Et enfin il daigne m'adresser la parole. 


Un café.


Il accompagne ses dires d'un sourire en coin alors qu'il me reluque ouvertement. Je connais se genre de regard, ce genre d'homme. Il émane de lui cette étrange qui m'en donne des frissons. Le ton de sa voix, sa manière de m'observer, ces lèvres qui s'étirent de manière insolente et sa posture droite contre le siège, comme si le monde lui appartenait, je reconnais ce genre de personne ... 

Respire So Hyun, ce n'est qu'un client qui boira son café et s'en ira, n'en tiens pas rigueur et ne le prend pas personnellement, tu sais comment ce genre de personnage agissent. Ce n'est pas le moment de faiblir, non au contraire, c'est l'occasion de me prouver que je ne me laisserai plus marcher sur les pieds et que je n'aurai plus peur, du tout. J'acquiesce poliment avant de reprendre la parole.

Souhaitez-vous autre chose ? Je demande en fixant mon carnet entre mes mains.

Rien pour l'instant, beauté.


Je relève la tête brusquement, les yeux écarquillés sur son visage. Son sourire au coin est toujours présent alors qu'il passe son doigt sur ses lèvres, me toisant toujours, la malice dansant au creux de ses pupilles, malgré les cernes qui lui assombri son regards. Je fronce rapidement les sourcils  en crispant ma main sur mon crayon et carnet et décide de ne pas relever, pour rejoindre le comptoir en soufflant discrètement.

J'y trouve Seokjin qui me sourit alors qu'il me prend le bloc-notes des mains. Il n'y avait pas plus de clients, l'heure de pointe matinale était passée depuis une demi-heure. Seuls un couple au fond de la salle, Na Yung près de la vitre et ce client lourd étaient présents au café.

Ça va ? me demande Seokjin d'un regard soucieux en me tendant un plateau.

Oui oui ! Je vais donner son thé à madame Min, je lui dis d'un sourire qui j'espère être convaincant.

Ce n'est pas un petit élément perturbateur tel que cet homme désagréable qui m'empêchera de faire mon travail comme il le faut. Je reviens vers Seokjin et je retrouve le café sur son plateau prêt. Je le récupère et souris en me dirigeant vers cet homme qui semble perdu dans ses pensées, à observer ce qui se passe de l'autre côté de la vitre.

Je dépose délicatement son plateau alors qu'il tourne son visage vers moi, n'abandonnant pas ce sourire narquois que j'ai tout a coup envie de le lui faire avaler, ou peut-être de fuir. 

En fait, j'ai changé d'avis, déclare-t-il en poussant le plateau vers moi. Le thé de cette dame me donne envie, me dit-il en me la montrant d'un hochement de tête. Tu peux m'en faire un pareil ?


Je garde mon sourire poli et attrape le plateau en crispant mes doigts dessus, ignorant son tutoiement et son comportement. Je respire profondément en me dirigeant d'un pas déterminé vers Seokjin. Il m'adresse un sourire alors qu'il est occupé avec le couple à la caisse. Je vais donc moi même préparer ce thé afin de servir rapidement cet homme et m'en débarrasser. 

Je verse l'eau bouillante dans une tasse avant d'y déposer un sachet de thé aux senteurs pomme verte, deux sachets de sucre et une petite cuillère. J'attrape un petit biscuit pour le déposer avec, dans l'espoir qu'il se taise pour consommer et enfin partir.

Je me retrouve rapidement devant lui, le plateau juste à côté de l'une de ses mains posée sur la table. Je vais pour me retourner afin de rejoindre la cuisine, mais il me fait un signe de main pour que je reste. Je souffle intérieurement en levant les yeux vers le haut discrètement, avant de me mettre à le fixer.

Il plonge le sachet de thé dans l'eau bouillante avant d'y ajouter un petit peu de sucre. Je laisse mes yeux le détailler alors qu'il touille distraitement son thé. Sa mâchoire est assez marquée, alors que ses lèvres pulpeuses arborent toujours ce même sourire. Ses cheveux noirs retombent sur son front, voilant légèrement ses yeux qui ne s'empêche pas de briller d'insolence à peine cachée. 

Ses yeux qu'il relève enfin pour me toiser et me dire de ce même air qui se veut nonchalant et que je devine quelque peu moqueur.

J'aime mon thé avec du citron.

J'irai vous en chercher un autre, je lui dis en essayant de cacher mon agacement.

Je préfère y plonger une tranche.

Bien, je vais vous chercher cela.


Je lui tourne le dos en passant ma main sur mes cheveux pour les plaquer en arrière. Une fois arrivée en cuisine, je me lâche et souffle d'agacement en cherchant un citron dans le réfrigérateur. Mais où est-ce qu'il est ?

Aucune trace de citron dans le réfrigérateur, pourtant Seokjin a bien fait des macarons au citron, la veille. Il doit bien y en avoir quelque part. Je fouille encore de fond en comble une dernière fois, avant d'abandonner. Il n'y en avait apparemment plus.

Bon, ce n'est pas la mort, je n'ai qu'à proposer à cet homme une autre tasse, avec un thé saveur citron. Ça ne changera pas grand chose, on sent le citron dans les deux cas. Je me redirige vers la salle pour verser un verre d'eau bouillante avec un sachet d'infusion de ce fruit aux saveurs fraîches et acides. Je n'oublie pas le sucre et une petite cuillère avant d'enfin m'avancer vers cette table au fond, face aux vitres.

Je dépose le plateau délicatement sur la table, le glissant vers lui en lui adressant un sourire poli. Il fait valser son regard entre sa tasse fumante et mon visage pendant une bonne dizaine de secondes. Ses lèvres pulpeuses dessinent un sourire en coin pendant qu'il passe une main sur ses mèches noires.

Je crois avoir demandé un thé au citron.

C'est le cas, monsieur, je lui dis en poussant sa tasse vers lui. Le thé est bien au citron, je fais en relevant l'étiquette du sachet.

Je sais lire, dit-il en claquant sa langue contre son palais. Par contre, toi, tu ne sembles pas comprendre, ajoute-t-il d'un sourire moqueur. J'ai demandé à ce qu'une tranche de citron y soit trempée.

Bien.

Avec un soupir que je peine à étouffer, je reprends le plateau et me dirige vers Seokjin en caisse. Il ne semble pas me remarquer, occupé à ranger sa monnaie. Je dépose ce que je tiens en main en l'interpellant d'un regard fatigué. Mon dos commence à me lancer, la nuit n'a pas été de tout repos et le manque de sommeil commence à se faire sentir.

Je me masse le bas du dos en demandant ce que je dois faire pour ce client un peu lourd. Et c'est avec un regard désolé qu'il me demande d'aller en acheter et en profiter pour faire le plein dans la réserve de citrons. De plus, comme si le sort s'acharnait sur moi aujourd'hui, je dois aller à plus d'une quinzaine de minutes du café, alors que la petite épicerie du coin suffirait. Si seulement Jungkook était là, il aurai pu le faire à ma place. 

Car d'après Seokjin, le patron insiste pour faire les courses dans un magasin bien spécifique. Et c'est ainsi qu'une vingtaine de minutes plus tard, je me retrouve avec un sachet de 10 kilos de fichus citrons, que je me trimbale dans les rues.

J'essaye de presser le pas pour ne pas faire attendre davantage ce client fatigant et arrive enfin au café. Il est clairement là dans le but de me déranger et me mettre à bout, je ne vois pas d'autre explication ; qui attendrai plus d'une  heure pour un thé avec une tranche de citron. 

Je traverse la salle sous le regard insistant du noiraud et celui désolé de Seokjin. Je me retiens de fusiller du regard cet homme et souris à mon supérieur en lui tendant le sachet de citron.

Mon dos l'a bien senti. Et pas que.

Seokjin me demande de préparer ce foutu thé avant de reprendre mon service, je suis bien tentée de cracher dans son thé mais me retiens. Je peine à tenir jusqu'au bout, cette journée n'est pas des plus faciles.

J'ai besoin de respirer, mon cœur bat frénétiquement et la sueur perle sur mon dos, je la sens. La nausée, elle, me nargue. J'ai besoin de me détendre, de décompresser. 

J'ai besoin de respirer. 

J'ai besoin d'une cigarette. 

Oui, c'est ce qu'il me faut pour tenir.

Il ne me reste plus qu'une demi-heure avant ma pause. Mes jambes sont cotonneuses mais je tiens bon, les clients se font plus nombreux et le brouhaha est présent au café. J'ai l'impression que ma tête est sur le point d'imploser. Heureusement que Jungkook arrive dans l'après-midi pour m'aider, je me sentirais moins démunie.

Cette demi-heure m'a semblé s'allonger dans le temps, s'éterniser. Seokjin a sûrement remarqué que je n'étais plus au top de ma forme, en me faisant une remarque sur mon teint qui semblait blafard. Ce n'est pas de ma faute, entre ma nuit peu confortable, mes nausées et mon estomac vide, je me demande comment j'arrive encore à tenir debout. Il m'a donc gentiment proposé de rester au comptoir pour encaisser les clients alors qu'il se balade en salle pour servir. 

Et rapidement, une fois que les aiguillent du temps ont indiqués trois heures trente, je me suis précipitée à l'arrière-cour; une sorte de petite terrasse à l'abri des regards. 

Une cigarette d'une main et mon briquet de l'autre, je m'adosse contre le mur en brique.

Je n'ai rien dans l'estomac et je sais que fumer dans cet état n'est pas la meilleure des choses à faire, mais j'en ai besoin. Ma tête va exploser de fatigue et mes muscles vont lâcher, alors un petit remontant est bien ce qu'il me faut, là maintenant si je veux éviter de m'écrouler. 

La première inspiration est si libératrice. Je vois cette fumée que je rejette, s'envoler doucement vers le haut. Je la vois quitter mon corps pour s'évaporer dans l'air, emportant avec elle, petit à petit l'angoisse qui avait pris possession de mon esprit.

La seconde est toute aussi apaisante, et rapidement, je ne compte plus. 

Je me contente d'inspirer profondément pour ensuite expirer toute cette fatigue.

C'est toujours aussi apaisant, envoûtant. 

Je me sens un peu plus légère, moins engourdie. 

Ça fonctionne toujours, même si cette fois-ci, il n'est pas la cause de ma fatigue. Il n'est pas la raison de mon corps douloureux et courbaturé.

De premières gouttes viennent s'échouer sur mon visage, le rafraîchissant. 

Il commence à pleuvoir. 

J'aime pas la pluie, elle m'empêchait de sortir.
Cette nuit où je crois que tout a commencé, la pluie m'avait empêchée de prendre l'air.

J'essaye d'effacer ces souvenirs qui se débattent pour réapparaître. 

Je veux les voir s'évaporer comme cette fumée qui quitte mes lèvres. 

Je veux les voir disparaître, elles et toutes les autres avec lui. Toutes ces petites choses qui me ramènent inlassablement à lui.

Il pleut et je suis à présent dehors.

Je ne dois plus penser à lui lorsqu'il pleut. Il pleut et c'est normal. Il n'y a plus Dae Sung pour m'empêcher d'en profiter. 

J'ai le droit d'être sous la pluie. 

Je ne dois plus détester la pluie. 

Un soupir accompagné d'une fumée quitte mes lèvres alors que je me laisser glisser contre le mur. Le poids de tout ces démons pèse un peu trop pour moi, le sol m'appelle. Je suis accroupie à fixer le ciel qui pleure. Son humeur est maussade et mélancolique. Ce ne sont pas de grosses larmes qui s'échappent de lui, juste des perles discrètes emporté par le souffle du vent, comme s'il tentait de soupirer discrètement. 

Ma cigarette est finie, elle s'est consumée mais j'en veux encore. Et une seconde vient trouver sa place entre mes doigts alors que mes paupières se referment.

Je dois penser à autre chose. 

Concentre-toi sur autre chose, So Hyun.

Tiens, ce client de ce matin.

Il m'a bien fait tourner en bourrique. Il est de ces hommes qui se croient tout permis. Je les connais bien, finalement. Ces hommes à la bouille d'ange qui aiment avoir tout et tout le monde à leurs pieds.

Sa manière de tutoyer, celle de donner des surnoms écœurants "beauté", et encore celle d'exiger les choses comme si elles lui étaient dues.

Rien pour l'instant, beauté.

Beurk, beauté, il a dit. Je plains ses collègues au boulot. Avec son air hautain, il respire la fortune. Je peux mettre ma main à couper, il est haut placé dans une de ces foutues entreprises aux hauteurs vertigineuses. Ou peut-être simplement un héritage qu'il traine derrière lui qui lui fais croire qu'il est au dessus de tout le monde. 

S'il a une secrétaire, la pauvre ! Devoir supporter un lourd pareil ! Ou bien était-elle comme celles qui sont aveuglées par le statut et l'argent ? Non, non, arrête de tout généraliser, So Hyun. Elles ne sont pas toutes comme elle. Elles ne volent pas toutes le mari des autres.

Je crois avoir demandé un thé au citron

Pff, un thé au citron, c'est un thé au citron. Avec une tranche de citron ou un sachet de thé, on le sent, son foutu citron. Et dire que j'ai dû me trimbaler dix kilos de citrons pour une toute petite tranche ! Il en a de la chance, que j'ai besoin de ce travail sinon je m'aurai peut-être fait un plaisir de lui verser son foutu thé au citron sur sa belle tronche d'ange déchu.

Je sais lire. Par contre, toi, tu ne sembles pas comprendre. J'ai demandé à ce qu'une tranche de citron y soit trempée.

Par contre, toi, tu ne sembles pas comprendre.

Il pleut.

Par contre, toi, tu ne sembles pas comprendre.

Je suis dehors.

Par contre, toi, tu ne sembles pas comprendre.

Je suis trempée.

Par contre, toi, tu ne sembles pas comprendre.



❝━ Allez chou ! Ça serait super sympa.

J'ai dit non.

Nous étions dimanche soir et comme toutes ces soirées, une fois par semaine, nous sortions nous balader dehors. Nous prenions l'air avant de commencer une nouvelle semaine de travail. Enfin, surtout pour lui qui avait des journées chargées. Moi j'étais à la maison, c'était bien moins fatigant.


Non, c'était pas moins fatigant, j'étais juste enfermée.


J'aimais ces petits moments, où l'on marchait en silence, main dans la main. On se perdait souvent à travers les petites ruelles et découvrions de nouveaux cafés avec de jolies terrasses. Ou encore ces petites expositions de peintres contemporains dont j'aimais tant admirer les toiles.


C'était seulement nos derniers moments en tant que couple normal.


C'était des moments emplis de douceur, juste tous les deux. Et ce soir, il souhaitait décrocher de cette habitude, sous prétexte qu'il avait déjà pris un bain.


Et j'aurais dû vider sa baignoire, après son bain.


❝━ Mais mon cœur, c'est notre moment à deux.

Et moi je te dis qu'on est déjà là, à deux, ça ne te suffit pas ?

Mais-

Il n'y a pas de mais qui tiennent, il pleut et j'ai pas envie de finir trempé pour une simple ballade.

Je soupirai d'agacement. Il était vraiment ronchon, ces derniers temps, à vouloir tout refuser. On ne passait vraiment plus trop de temps ensemble. Juste aujourd'hui, il avait passé sa journée enfermé dans son bureau, et ensuite dans la salle de bain.


Il m'évitait tout simplement.


Nous étions certes ensembles au même endroit, mais il me semblait si loin de moi. J'avais l'impression qu'il était ailleurs, sûrement un cas difficile à la plaidoirie. Son travail de juge lui rongeait le moral, parfois ainsi que tout son temps.


Il avait seulement trouvé mieux au travail.



Et cette sortie nous ferait du bien à tous les deux j'en suis sûr. Lui pour s'aérer un peu l'esprit. Moi pour l'avoir à mes côtés.


C'était seulement pour me sentir un peu aimée.


❝━ Mais la pluie, c'est cool ! Et puis il suffit d'être bien couverts et avoir un parapluie !

Par contre toi, tu ne sembles pas comprendre.

Et sans que je ne comprenne ce qui m'arrivait, je me retrouvai tête à l'envers sur son épaule. Ses mains qui maintenaient mes jambes, serraient un peu trop fort. J'étais certaine d'avoir des petits bleus. J'avais vraiment cru à l'un de ses jeux taquins.


J'étais aveugle.


J'essayai de me débattre gentiment de sa poigne alors qu'un rire échappa la barrière de mes lèvres. Il marchait rapidement à travers le couloir de notre appartement, déterminé. Sous mes mouvements de résistance et les siens brusques, mes coudes cognèrent contre les murs, alors qu'il tournait.


C'était mes premiers bleus, d'une longue liste.


Je reconnus le carrelage de la salle de bain.

Et mon corps rencontra le marbre de la baignoire. Ma tête claqua contre la paroi alors que je fus prise de frissons. L'eau froide rencontra ma peau à travers mes habits à présent mouillés. Mes bras glissèrent sur les rebords alors que j'essayais de me débattre pour me redresser. Et deux autres mains, les siennes, vinrent appuyer sur mon épaule et mon crâne. La pression de ses doigts sur mon corps m'enfonça dans l'eau gelée.


Il n'avait pas vidé la baignoire.


Mes mains glissèrent avec le peu de savon qui restait sur les bords. J'essayai de me débattre, la respiration coupée et le cœur affolé.


Il n'avait pas vidé la baignoire. J'aurais dû le faire.


Mes poumons me brûlèrent, de l'eau commença à s'y infiltrer alors que mes bras et jambes me faisaient douloureusement mal.


Il n'avait pas vidé la baignoire. J'aurais dû le faire. J'aurais dû me taire.


Je n'avais plus d'air.

Et alors que j'étais sur le point de lâcher prise, me laisser aller, la pression sur mon crâne s'envola. D'une force que j'avais cru m'avoir quittée, je me redressai, haletante, le cœur au bord de la rupture.

❝━ Voilà, t'es trempée maintenant, alors me pète plus les couilles.


Et il était parti.


Il sortit de cette salle de bain en me tournant le dos. Il m'adressa un regard que je ne su déchiffrer. Mes yeux étaient embrumés, mais j'avais cru voir un sourire en coin, un regard de malice. Il voulait seulement s'amuser. Comme des enfants qui s'amusaient à se noyer dans une piscine, ce n'était rien de bien méchant.


Qu'est-ce que j'étais aveugle et idiote de penser ainsi.




HEAVEN PAIN


Hey, non vous ne rêvez pas, un autre update. Ces derniers jours j'ai ressenti ce besoin d'écrire sur CAS, c'est comme une nécessité, alors j'espère que ce chapitre un peu tristounet vous aura plu. 

Prenez soin de vous et si vous subissez des violences, qu'elles soient parentales ou conjugales, n'hésitez pas à en parler ! Il ne faut pas garder cette douleur mentale en soi.


Je vous dis à très bientôt,

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