𝐙𝐎𝐑𝐎 𝐗 𝐅.𝐑𝐄𝐀𝐃𝐄𝐑
H A U T E E N
— C O U L E U R —
• c o m m a n d e s •
par -Hazell-
fluff
le reader est accueillie
dans l'équipage et
apprend à maîtriser
ses pouvoirs
PUISSANTS, LES RAYONS du soleil enjolivaient l’île. Mille est une couleur paraient celle-ci. Les branchages feuillus formaient un manteau vert impérial qui, par endroit, se déclinait en d’autres nuances de cette teinte, notamment chartreuse, lime et prairie là où les habitations naissaient. Celles-ci étaient nombreuses, occupant le centre des terres. Leurs toitures présentaient différentes teintes pastel.
Sous l’une d’entre elles, peinte en anis et dont les murs de la même couleur se voyaient traversés de motifs blancs en forme de fleurs et ondulations, une femme s’activait. Depuis que le soleil s’était levé, elle n’avait eu de cesse de récurer et nettoyer avec ardeur et entrain. Le parquet de bois de chêne brillait, les meubles de la même teinte aussi, les cadres dorés étincelaient et les fleurs étaient pourvues à présent d’une nouvelle vitalité.
Le maire du village l’avait condamné à remettre en état l’île pièce par pièce, deux ans auparavant, quand après avoir gouté au plat confectionné par Anita, sa voisine, des pouvoirs s’étaient manifestés en elle. Rien ne lui ferait jamais oublier cette soirée brûlante.
A l’époque, tous l’affectionnaient au même titre que les autres filles de son âge. Les mères de famille aimaient sa sagesse, les pères son sourire attendrissant, les enfants son courage face aux insectes et bêtes de la forêt et adolescents, sa gentillesse contagieuse. Puis, un soir, Anita lui avait tendu un dessert dont sa fille n’avait pas voulu, repue, afin de la remercier de les avoir aidés à tailler leur haie pour l’anniversaire de cette dernière.
La jeune femme avait accepté, pas forcément emballée par l’aspect du fruit confie mais voulant se montrer polie envers la matrone.
Jamais elle ne pourrait parvenir à trouver de mot assez fort pour décrire l’immondice du plat. Tant et si bien qu’elle avait même failli le revomir. Mais, par respect pour son interlocutrice, elle l’avait entièrement mangé, bouchée par bouchée, un sourire aux lèvres.
Anita n’était pas une méchante femme et jamais elle n’avait souhaité cela à celle qu’elle avait nourrie. « Cela » étant le sort que ce simple dessert lui avait réservé. Car, en qualité de coutière, elle n’avait pas de connaissance profonde des fruits et légumes. Et, en fouillant dans les affaires de son défunt mari, ancien capitaine de la marine, elle avait trouvé un bien curieux fruit.
Jamais elle n’avait pas su résoudre à le cuisiner. Tout comme jamais elle ne s’était résolue d’ailleurs à tailler ces haies, son époux ayant toujours eu le loisir de le faire. Alors quand sa voisine s’était proposée de s’en occuper, Anita avait songé qu’il était logique que le fruit lui revienne, en guise de récompense et de remerciement.
Plus tard, dans les notes de l’homme, une explication de la nature de celui-ci lui était apparu. Un fruit du démon, un aliment conférant certains pouvoir à la personne y goûtant, le privant en contrepartie de sa capacité à nager. Et les capacités qu’octroyaient celui-ci n’étaient d’ailleurs pas des moindres.
Le soir-même, un violent chaos avait secoué le village. Les maisons s’étaient animées. Les habitants de celles aux toitures azurines s’étaient retrouvées prisonniers d’une dense glace, les demeures anis s’étaient vues traversées de branchages en tout genre, les incarnadins avaient brûlé et les champagnes s’étaient retrouvées sans-dessus-dessous, balayées intérieurement par des vents violents.
Les habitants s’étaient d’abord entraidés et la jeune femme, malgré la nausée qui l’avait pris après le dessert et avait failli la clouer au lit, était sortie de sa maison parsemée de givre pour prêter main forte aux rescapés. Tous l’avaient remercié quand elle les avait nourris, soigné, les avait aidés à se déplacer jusqu’à l’hôtel de ville qui, entièrement blanc, était demeuré intact.
Mais lorsque le mystère autour de tout cela avait été révélé, à savoir qu’un tiers avait mangé le fruit du démon des couleurs, affectant une des formes des quatre éléments à chaque teinte, le choc avait été grand. Et Anita n’avait pas hésité à designer celle que tous appelaient maintenant Ilote, mot signifiant esclave.
Car sa sentence pour de tels dégâts — même si elle n’avait même pas eu conscience de les commettre et avait appris sa responsabilité dedans en même temps que tous les autres — avait été de réparer toutes les habitations à mains nues.
La première année, elle avait dégivré chaque maison azurine. La deuxième, elle avait replacé à la bonne place et réparer chaque objet des habitations champagne. A présent, elle commençait tout juste à désherber les anis. Et elle n’avait aucune idée de comment elle parviendrait à améliorer celles incarnadins.
En attendant que son dur labeur soit effectué, les familles siégeaient à l’hôtel de ville. Les premiers mois, elle avait donc arpenté un village entièrement vide. A présent, il était un peu plus rempli. Mais les villageois l’ignoraient sans arrêt.
Aussi fut-t-elle particulièrement surprise quand, se posant sur le seuil de la porte des Arper, ce matin-là, une voix fluette et sonore la héla, au loin :
— HÉ ! MADAME PLEINE DE SUEUR ! YOUHOU !
Un claquement retentit suivi d’un cri de douleur au moment où elle se retourna.
— MAIS ENFIN LUFFY, C’EST PAS UNE FAÇON DE PARLER À UNE DAME ! rugit un homme blond, la main brandie au-dessus du crâne d’un garçon brun.
Au pied de ce dernier, un chapeau de paille décoré d’un fin ruban rouge gisait. Elle devina aisément qu’il venait de tomber à ses pieds après la tape du deuxième intervenant.
Ils n’étaient pas seuls. A côté d’eux, une femme rousse esquissa un sourire en agitant la main, imitée par une brune qui n’ajouta, pour sa part, aucun geste et se contenta d’un rictus bienveillant. Plus loin, à côté d’un homme aux avant-bras imposants paré d’une crinière bleue et de longues jambes visibles — car il ne portait qu’un ridicule slip noir — un animal au couvre-chef imposant rouge d’où jaillissaient des bois marchaient. Finalement, en retrait, un homme qu’elle ne parvenait à bien voir mais semblant étrangement pâle sous son épaisse tignasse frisée agita aussi la paume en sa direction.
Etrange, jamais elle ne les avait vu auparavant. Et le simple fait qu’ils la saluent ou même lui parlent trahissait le fait qu’ils étaient étrangers à cette île. Sinon, ils passeraient leur chemin. Tout le monde le faisait quand ils apprenaient ce qu’elle avait fait. Même les touristes.
Alors depuis, elle évitait de lier une quelconque affection avec les nouvelles têtes.
Cependant, cela ne l’empêchait pas de guider ceux qui s’égaraient sur sa route. Le chemin jusqu’à l’Hôtel de Ville pouvait s’avérer compliqué lorsqu’on ne connaissait pas les lieux. Souvent, elle marchait aux côtés des visiteurs égarés jusqu’au périmètre entourant le bâtiment où elle s’arrêtait afin de ne pas vivre l’humiliation d’être chassée. Ils se montraient d’abord surpris par son geste puis, quand elle les recroisait quelques heures plus tard, elle comprenait à leur façon nouvelle de l’éviter qu’ils avaient appris ce qu’elle avait fait.
Un soupir franchit ses lèvres. Ceux-là ne risquaient pas de déroger à la règle. Qu’importe.
— Je peux vous aider ? demanda-t-elle en faisant résonner sa voix teintée de chaleur.
Aussitôt, le blond se détourna du dénommé Luffy qui, massant son crâne, ramassa son chapeau de paille et le plaça à nouveau sur sa tête. Et, dans un geste extravagant, il glissa de plusieurs mètres jusqu’à la clôture blanche bordant la maison et posa un genou au sol, ses mains pressant son cœur.
Ses yeux, soudain fiévreux et particulièrement doux, se posèrent sur la jeune femme qui se demanda aussitôt quelle mouche avait bien pu le piquer.
— Tout d’abord, veuillez excuser l’inconvenance de ce malandrin, voyez-vous, il ne sait pas parler aux femmes ! Et permettez-moi ensuite, si vous le voulez bien, de saluer ce joli minois qu’est le vôtre car le ciel lui-même ne saurait se faire assez bleu pour complimenter vos traits ! Vous pourriez effectivement m’aider en me laissant vous contempler davantage et…
— Mais non, demande-lui où on peut manger de la viande, l’interrompit soudain Luffy.
— MAIS TU VAS LA FERMER, OUI ! s’exclama aussitôt le blond, se retournant violemment pour vociférer sur le brun.
Le dépassant en levant les yeux au ciel, la rousse franchit la clôture ouverte d’un pas, faisant face à la jeune femme qui n’avait pipé mot depuis le badinage du blond. Et, plissant ses jolis yeux marrons en lui accordant un sourire chaleureux, elle agita sa main.
Celle-ci se prolongeait en un bras paré d’un tatouage bleu marine.
— Salut ! On est de passage mais on aimerait manger seulement l’île est déserte ! Tu saurais où on peut casser la croûte ? lança-t-elle.
— Bien sûr, l’île est en rénovation donc il faudra aller à l’Hôtel de Ville mais il y a de très bons cuisiniers, là-bas !
— L’Hôtel de Ville ? répéta-t-elle.
— Oui, c’est le seul bâtiment blanc, vous pouvez pas le louper !
Plissant les yeux, la rousse tourna la tête pour tenter de déceler le lieu concerné. Mais elle ne pourrait pas le voir depuis cette position et l’autre le savait. Cependant elle ne souhaitait vraiment pas s’approcher à nouveau de cet endroit rempli des gens qu’elle avait aimé et qui ne l’aimaient plus, pour leur part.
Derrière elle, l’homme aux cheveux bleus tourna vivement la tête derrière lui.
— Quelqu’un sait où sont Usopp et Zoro ?
— Usopp est resté pour garder le bateau, répondit la brune. Même si je pense à aller le chercher parce que je ne crois pas que nous risquions beaucoup de choses ici. Et Zoro… Et bien je crois qu’il est perdu.
— Encore une fois, soupira le blond. Bon sang ce satané diabolo-menthe n’arrêtera jamais son cirque.
Médusée, la jeune femme les observa faire depuis le perron de la maison. En face d’elle, la rousse se redressa avant de poser les mains sur ses hanches.
— Bah merci pour tes conseils, on va se débrouiller ! lança-t-elle. Au fait, moi c’est Nami ! Et toi ?
Surprise, l’autre se raidit. Le sourire de la dénommée Nami semblait sincère, profondément bienveillant. Mais une certaine réticence l’animait tout de même. Quand bien même ils étaient des étrangers, ils finiraient soit par partir, soit par rester assez longtemps pour la haïr.
Alors mieux valait qu’elle leur confie son nom d’esclave. Mais pourquoi avait-elle donc envie de prononcer le véritable ?
— Elle s’appelle Ilote et vous ne devriez pas lui parler ! vociféra soudain une voix grave.
La jeune femme se raidit avant de se tourner vers la maison voisine couleur champagne, où elle avait entrepris, quelques mois auparavant, de ranger chaque objet à la bonne place. Y vivait seul André, un pêcheur retraité au nez proéminent qui fixait le monde entier avec dureté de son seul œil, l’autre ayant été remplacé par une bille de verre.
Toutes les têtes se tournèrent vers le nouveau venu qui, s’appuyant sur sa canne, descendit doucement la longue pente qu’elle avait construit en rénovant sa maison, sachant combien les deux marches étaient compliqués à dévaler pour lui avec sa patte folle.
— Quoi ? Pourquoi ? s’enquit Luffy tandis qu’elle sentait son cœur se serrer douloureusement dans sa poitrine.
— C’est un démon ! fit-il claquer sa langue contre son palais. Tiens, je suis sûr qu’elle est allée voler quelque chose aux Arper ! C’est les véritables propriétaires de cette maison ! Et ce sont des honnêtes gens ! Toutes les maisons sont à des honnêtes gens ! Et je suis sûr qu’elle les a tous volé !
— Bah pourquoi ils sont pas dans leurs maisons ? interrogea Nami. Je la comprends, moi aussi j’hésiterai pas, à sa place.
La phrase de la rousse lui fit l’effet d’une claque. Le temps d’un instant, elle se demanda si elle n’avait pas rêvé ses paroles. Car nul n’avait jamais eu cette réaction face aux accusations — fausses — d’André.
— C’est à cause d’elle ! Elle a détruit leur maison ! C’est une vile créature ! Un monstre sans âme ! cracha-t-il.
Elle sentit ses yeux la brûler et fut prise d’envie de se réfugier derrière la porte close. Mais les ordres étaient clairs : une fois qu’elle avait nettoyé une maison, elle n’avait plus le droit d’y remettre les pieds. Même dans la sienne, une incarnadine.
Une fois son dur labeur terminé, le maire lui donnerait une barque et elle serait exilée.
— Surveillez votre langage ! tonna le blond entre ses dents. Ce n’est pas poli de s’adresser de la sorte à une demoiselle !
— Mais ce n’est pas une vraie femme ! C’est un démon !
— Moi aussi on m’a longtemps qualifiée de démon, résonna soudain la voix de la brune. Car on ne me comprenait pas.
— Vous ne comprenez pas ! s’époumona le vieil homme. Elle est vraiment un démon ! Elle l’a mangé et il est en elle !
Ses épaules se raidirent. Qu’importe la gentillesse de ces étrangers et leur volonté apparente de la défendre, ils finiraient par lui montrer le dos. Inexorablement.
— Hé ! T’as mangé un fruit du démon ? résonna soudain la voix du dénommé Luffy.
Surprise, elle eut un sursaut. Il ne lui laissa pas le temps de répondre.
— Nous aussi !
Là-dessus, tendant la main en sa direction, il l’observa tandis qu’elle écarquillait les yeux, voyant son bras s’allonger brutalement. Un rire enfantin franchit ses lèvres et, aussitôt, la femme brune exécuta un geste des mains. Avec horreur, l’esclave vit une paume jaillir du sol parsemé d’herbe qu’elle avait fraichement coupé.
Puis, franchissant le perron, l’animal paré d’un chapeau rouge agita les pattes.
— Et moi je suis un renne qui parle ! lança-t-il en riant.
— Et moi je suis décédé ! ajouta l’homme étrangement pâle sous ses cheveux frisés.
Là, elle réalisa que sa pâleur n’était pas liée à une peau manquant cruellement de mélanine, non. Car il n’y avait pas de peau. Ni de nerfs. Ni de vaisseaux. Ni de muscles.
Il s’agissait d’un squelette.
Son cœur rata un battement et ses yeux s’écarquillèrent. Oui. Un squelette. Ni plus ni moins que des os demeurant pourtant capables de mobilité. Mais elle n’eut le temps de s’en émouvoir que Luffy surenchérit dans un autre rire enfantin :
— On est des démons, nous aussi !
Là, une sensation étrange la prit aux joues. Et, en posant sa main sur celle-ci, elle réalisa de quoi il s’agissait. Elle souriait. Pour la première fois depuis deux ans, ils lui avaient arraché un rictus. Car pour la première fois depuis deux ans, le regard qu’on posait sur elle n’était pas empreint d’un mépris sans borne.
Son ventre trembla sous l’allégresse.
— Ça te dit de venir manger avec nous ? lança Luffy en agitant la main. T’as l’air sympa !
Ses épaules frémirent, prise de court par leur gentillesse.
— Non ! Vous comprenez pas ! Elle a détruit notre village ! insista André.
— La ferme, le vioc, répondit le noiraud en lui tirant la langue.
Abasourdie, l’intéressé n’osa répliquer. Sous son chapeau de paille et derrière la clôture, le garçon en profita alors pour lancer, radieux :
— Allez, viens !
ꕥ
A mesure qu’ils s’enfonçaient dans la dense forêt, celle-ci s’amenuisait. Les arbres tendaient à disparaitre et quelques sons moins animaux résonnaient. Des rires, des cris, des paroles puissantes et quelques tintements de métal.
Le soleil pointait haut dans le ciel et, comme chaque midi, les habitants devaient s’être installés au pied de l’Hôtel de Ville pour se nourrir auprès des stands. Rarement la jeune femme avait eu l’occasion de les voir. La première fois qu’elle avait pénétré le périmètre autour de haut bâtiment blanc pour prévenir les Helmest que leur maison était prête et les attendait, des gardes l’avaient solidement empoignée avant de la rejeter dans la forêt.
Ce jour-là, elle avait vu le grand édifice pour la dernière fois. Haut, tout en marbre et colonne, traversé de lettres sombres formant le nom de l’île « Pastel Aloha Island », il s’était élevé. Et, à ses pieds, sur des pilotis de bois, des draps blancs avaient été tendus sous lesquels différents commerçants avaient repris leur activité.
Chapeau de Paille et son équipage se dégoteraient bien quelque chose à se mettre sous la dent.
– Dis, Ilote, chez qui on peut aller chercher de la viande !? lança Luffy, dans son dos.
Elle lui lança un sourire par-dessus son épaule en enjambant un buisson. Au loin, elle vit le rennes, flanqué sur les cheveux du squelette, l’observer avec un sourire. Devant eux, s’aidant de main qu’elle faisait jaillir du sol, Robin grimpait les pentes les plus ardues. Sanji, lui aidait Nami à faire de même tandis que le fraichement débarqué Usopp, un jeune homme au nez prodigieusement long, s’était accroché aux épaules du charpentier aux cheveux bleus.
Jetant un coup d’œil au noiraud qui venait juste de la rattraper, elle sourit.
— Anita, la couturière, a un fils qui cuisine excellement bien. Il s’appelle Ricardo, vous gagnerez à manger chez lui, lança-t-elle.
— Si on lui dit qu’on vient de ta part, il nous en donnera plus ? rétorqua-t-il.
Aussitôt, elle détourna le regard.
— Non, évitez de mentionner que vous me connaissez.
La bonne humeur du groupe retomba drastiquement. Elle sentit les yeux de chacun s’abaisser en sa direction. Mais, s’immobilisant aux pieds d’un chêne qu’elle ne connaissait que trop bien, elle força un sourire factice en se tournant vers eux.
Ils la regardèrent faire, médusés.
— Je ne peux pas avancer plus loin, continuez tout droit. Vous atteindrez l’Hôtel de Ville. Vous verrez, les gens sont très accueillants !
Luffy fronça les sourcils.
— Pourquoi tu peux pas nous suivre ? lança-t-il.
— J’ai des travaux à finir, désolée, mentit-elle à moitié, ne voulant admettre qu’elle était bannie.
— Allez, tu peux bien faire une pause ! insista-t-il.
— Souhaitez-vous mon aide ? avança Sanji, un sourire charmeur aux lèvres.
Embarrassée, elle esquissa un rictus en retour avant de secouer la tête, déclinant. Et, comprenant qu’elle n’arriverait pas à les convaincre de la laisser partir, elle prit elle-même le chemin inverse, les dépassant en agitant la main.
Ils la regardèrent faire, surpris :
— Au revoir et bon appétit !
Un sourire étirait ses lèvres. Sourire qui s’évanouit peu à peu tandis qu’ils disparaissaient de son champ de vision. Bientôt, assez éloignée pour ne plus entendre leurs cris et rires, elle s’arrêta. Poussant un long soupir, elle s’efforça de garder son dos tourné vers l’Hôtel de Ville.
Certains jours étaient plus rudes que d’autres et elle se sentait isolée. Les gens refusaient de lui parler, certaines zones lui étaient interdites. Ses pouvoirs, qu’elle peinait à contrôler, effrayaient les villageois et elle saisissait pourquoi.
Elle aussi aurait eu peur. Alors elle s’efforçait de tarir ses émotions. Car elle avait compris que lorsqu’un sentiment vif la prenait, un pouvoir germait. La nuit de l’incident, le fruit du démon avait tant dérangé ses intestins qu’elle avait hurlé de douleur dans son oreiller, couverte de sueur. Le lendemain, les habitations étaient sans dessus-dessous.
Prenant une profonde inspiration, elle bascula la tête en arrière, fermant les yeux. Il ne fallait pas qu’elle y pense. Sinon la tristesse la submergerait et les fleurs rosées brûlerait, d’autres branches jaillirait de l’herbe, les pétales jaunes provoqueraient des brises et du ciel coulerait une pluie fine. Quand bien même les dégâts ne seraient pas bien nombreux, elle se ferait davantage sermonner par les villageois.
— Mais c’est pas vrai, où ils sont passés !?
Soudain, une voix grave éveilla son attention. Ouvrant les yeux, elle remarqua la silhouette haute et particulièrement musclée d’un homme. Un bel homme. Très bel homme. Du genre de ceux dont elle n’avait pu lire la description que dans les pages de journaux de voyage.
Un tee-shirt blanc formait un contraste avec sa peau hâlée, laquelle était striée de diverses cicatrices, sans doute vestiges de combats. Cette hypothèse, elle la formula en voyant les trois katanas pendant à sa taille ceinturée par d’épais rubans vert émeraude. Cette tenue habillait un corps athlétique donnant sur une mâchoire carrée semblant avoir été taillée dans la roche. Au-dessus de celle-ci, de fines lèvres sous-plombaient un nez droit encadré par un œil strié d’une balafre et un autre, inquisiteur. Au sommet de ce crâne, des cheveux mentholés s’agitaient légèrement au rythme de la brise.
Le cœur de la jeune femme s’accéléra dans sa poitrine. Jamais elle n’avait vu telle beauté. La cadence soudaine et effrénée de son rythme cardiaque le lui démontra bien, d’ailleurs.
Soudain, ses yeux s’écarquillèrent. Il ne l’avait pas remarquée. Mais entre ses mèches, une fleur venait de jaillir. D’un rouge profond. Elle détourna le regard, alarmée. Une émotion forte et des cheveux verts… Elle n’avait pas contrôlé son pouvoir et venait de faire pousser une tulipe.
— Putain, mais ils sont où, c’est pas pos…
Soudain, la voix grave de l’homme mourut dans sa gorge. Il venait de la remarquer, assise sur un tronc d’arbre mort et rivant ses yeux loin de lui. Il ne sut quoi dire, pris de court par la présence d’une humaine mais aussi par la beauté de celle-ci.
Il n’était pas le genre de soldat à s’arrêter sur ce genre de détails superflus. Lui ne vivait que pour devenir escrimeur.
Cependant ses yeux s’écarquillèrent tout de même devant la silhouette de cette inconnue.
— Euh…, tenta-t-il d’une voix enrouée avant de se racler la gorge. Eh ! T’aurais pas vu un petit avec un chapeau de paille, deux femmes, un animal, un truc cyborg, un mec au long nez, un squelette et un balai à frange blonde ?
Surprise qu’il s’adresse à elle, elle sentit son cœur s’emballer mais s’efforça de ne pas le regarder, craignant que d’autres fleurs ne germent dans ses cheveux. Il avait beau être attrayant, il détenait des katanas. Trois, plus précisément.
Que ferait-il en se rendant compte de ses pouvoirs ?
— Je… Je les ai conduits à l’Hôtel de Ville, Luffy avait faim.
— Mmmm…, laissa-t-il entendre en plissant l’œil. Ouais, ça m’étonne pas de lui. Et ça te dérangerait de m’y emmener ?
Mal à l’aise, elle croisa les jambes. Fronçant les sourcils en voyant avec quelle ardeur elle s’efforçait de ne pas le regarder, l’homme baissa les yeux vers sa propre tenue. Peut-être avait-il oublié de mettre son pantalon ? Non, ce n’était pas cela.
— C’est tout droit, lâcha-t-elle en pointant l’endroit qu’elle venait de quitter. Tu peux les rattraper rapidement si tu te presses !
— Ouais… Mais le problème c’est que j’ai un léger souci d’orientation et avec tous ces arbres, je vais sans doute me planter.
Elle ne répondit pas, mal à l’aise.
— Ce serait vraiment un problème de m’y emmener ? ajoute-t-il.
Elle ne pipa mot, embarrassée. Le regarder pourrait entraîner des conséquences mais fuir autant tout contact visuel était encore plus gênant. De plus, elle ne parvenait pas à trouver une façon de le pousser à continuer seul sans révéler ses actions.
Actions dont elle avait terriblement honte.
— Quoi ? railla-t-il en la voyant se taire. Ils vont te brûler, s’ils te voient ?
Elle tressaillit, écarquillant les yeux. Oui, peut-être. A vrai dire, elle ne savait pas. Mais, pour sûr, ils n’auraient pas la clémence de se contenter de la repousser, comme la dernière fois. Leur colère était bien trop grande, immensément grande. Et elle semblait empirer avec les années.
L’homme de son côté, haussa les sourcils. Le silence de l’inconnue était plus éloquent que toutes réponses. Et cela ne présageait rien de bon.
Mais il n’eut le temps de lui demander de détailler davantage.
— ILOTE ! rugit soudain une voix. QU’EST-CE QUE TU VIENS FAIRE ICI !? T’AS DU TRAVAIL, IL ME SEMBLE !
La jeune femme sursauta, reconnaissant la voix de Maximilien, un des jeunes soldats gardant l’Hôtel de Ville afin d’empêcher une quelconque invasion. L’invasion étant elle, bien entendu. Les touristes étaient accueillis à bras ouvert.
Le mentholé se tourna aussitôt en direction du garçon aux boucles blondes et lâches qui venait d’apparaitre dans son uniforme de l’armée. Sa veste noire — anciennement bleue marine mais troquée contre cette teinte depuis l’incident — sertie d’épaulettes blanches d’où jaillissaient deux guiboles drapées dans un pantalon aussi clair.
— TU DEVRAIS PAS ÊTRE ASSISE A GLANDER ! rugit-il en approchant de la femme, n’ayant pas remarqué l’autre homme qui se trouvait dans l’ombre d’un arbre. ALLEZ, DEBOUT !
Atteignant ledit arbre, il empoigna son épée dans un tintement métallique, menaçant. Elle sentit ses yeux s’imbiber de larmes à cette vision. Jadis, Maximilien avait été un ami et même un prétendant. Mais il la haïssait, à présent.
Arrivant à l’endroit où se trouvait l’autre homme qu’il n’avait toujours pas remarqué, il ouvrit la bouche :
— ALLEZ, ESPECE DE…
Mais sa voix mourut dans sa gorge. Là, à l’instant, sur sa pomme d’Adam, le contact d’un métal froid l’avait pris de court. Il se raidit, abasourdie, avant de lentement tourner les yeux vers son agresseur.
La main droite pendant le long de son corps et le visage baissé tourné vers le sol, il semblait plongé dans ses pensées. Mais, au bout de son bras gauche tendue, la lame de son katana brillait, atteignant la gorge du blond.
— Alors c’est comme ça qu’on s’adresse aux femmes, ici ? Pardonne ma surprise mais je trouve ça assez scandaleux, mon cher.
Maximilien ne pipa mot, le dos raide et les yeux écarquillés, effrayé à l’idée qu’au moindre mouvement de travers, son assaillant ne lui tranche la gorge.
— Alors ? Tu ne réponds pas ? insista ce dernier. Est-ce trop dur de parler quand un homme te fait face ? Tu ne peux t’adresser qu’à plus faibles que toi, hein ?
— Plus faible ? s’étrangla le blond. Elle a détruit notre village ! Nous sommes tous retranchés dans l’Hôtel de Ville, à cause d’elle ! Et nous ne portons plus de couleur alors que c’est ce qui faisait la fierté de notre île et même son nom !
Les sourcils de l’épéiste se froncèrent.
— Des couleurs ? répéta-t-il tandis que son œil alla se poser sur l’inconnue assise sur le tronc d’arbre. Je peine à croire qu’une créature de ton genre qui n’ose même pas me regarder ait vraiment de tels pouvoirs.
Là, enfin, elle accepta le contact visuel. Tendue, elle posa les yeux sur le nouveau venu. Et, à l’instant même où leurs regards se croisèrent, qu’elle se plongea dans son unique pupille, son cœur s’emballa.
Au sommet du crâne du sabreur, une rose germa brutalement. Rouge.
— Elle t’a eu ! s’exclama Maximilien en voyant la fleur que l’autre homme n’avait pas remarqué.
Effrayée, Ilote ne perdit pas un seul instant. Que ferait le mentholé en découvrant qu’elle était responsable de la pousse de cette plante ? Bondissant loin du tronc, elle courut. Les deux hommes se trouvant en plein milieu du chemin menant au village, elle n’eut d’autre choix que de s’en aller en direction de l’Hôtel de Ville.
Mais ce n’était pas grave. Elle allait se contenter d’atteindre la lisière qu’elle ne pouvait pas traversée et emprunter un autre sentier, plus long, pour retourner aux maisons qu’elle devait rebâtir.
— HEY ! ATTENDS ! l’interpella le sabreur.
Terrorisée, elle ne courut que plus vite, se glissant derrière les gros arbres et imposants buissons afin de se cacher. Sur ses traces, l’épéiste tenta de la rattraper. Mais il lui fallut très peu de temps avant de réaliser que son sens de l’orientation était trop mauvais pour qu’il parvienne à localiser une femme connaissant ce lieu comme sa poche.
Jurant, il donna un coup de pied dans le sol.
Elle, de son côté, ne mit qu’une poignée de secondes avant de ralentir, comprenant qu’elle l’avait distancé. Mais, les mains sur ses genoux et le corps plié en avant pour reprendre sa respiration, sa joie fut de courte durée.
Soudain, la sensation d’une lame froide sur sa gorge lui coupa le souffle. Une épée. Juste sous son menton.
Dans son dos, la voix caverneuse du capitaine Halmers retentit soudain :
— C’est la dernière fois que tu dépasses les frontières de l’Hôtel de Ville, Ilote.
ꕥ
Elle ne voyait rien. Sur sa tête avait été déposée une cagoule et, si elle pouvait entendre autour d’elle la rumeur des conversations des villageois, elle ne les voyait pas. Pourtant, elle savait qu’eux, la regardaient. Cela s’entendait au silence qui prenait peu à peu place à mesure qu’elle avançait.
Ses poignets et mollets étaient liés par des chaines, ne lui permettant d’effectuer que de petits pas. La tête baissée et ravalant du mieux qu’elle pouvait ses larmes, elle ne parvenait à lutter contre l’humiliation cuisante qu’elle vivait. Là, devant ceux avec qui elle avait passé les dernières années, pieds nus sur la place de l’Hôtel de Ville, enchainée comme un animal, elle était forcée de faire son chemin.
Bientôt, une main ferme sur son épaule l’arrêta dans son avancée. On frappa l’arrière de ses genoux. Elle tomba lourdement au sol.
— HALMERS ! scanda la voix chevrotante du maire. QUE SE PASSE-T-IL ? NOUS AVONS DES INVITES, ENFIN !
— Ilote a essayé de pénétrer l’Hôtel de Ville, monsieur.
Quelques murmures inquiets s’élevèrent dans la foule. Avait-elle tenté de les attaquer ? Fomentait-elle sa vengeance ?
— Non ! objecta-t-elle malgré sa cagoule. J’étais loin des frontières, je…
Sa voix mourut dans un étranglement de douleur. Quelqu’un venait de la frapper dans le ventre.
— Tais-toi ! rugit Halmers.
Il mentait. Elle n’avait pas tenté de s’approcher de l’Hôtel de Ville. Mais cela faisait deux ans qu’il tentait par tous les moyens de la faire exécuter. Et, aujourd’hui, nul ne la sauverait. Elle ne pourrait pas fuir.
— Hé ! M’sieur le maire ! retentit une voix particulièrement enfantine et ingénue. Pourquoi vous l’aimez pas ? Elle a été cool, avec nous !
Elle reconnut Luffy. Son cœur se serra. Quand il apprendrait la vérité, il la haïrait comme les autres.
— Cool !? répondit Halmers. Elle a mangé un fruit du démon ! Elle peut transformer n’importe quelle couleur en élément ! Nos maisons sont arc-en-ciel ! Les bleues ont été gelées, les jaunes, détruites par des vents violents, les vertes envahies de plantes et les rouges, brûlées ! Elle a essayé de tous nous tuer !
Un concert d’approbation retentit autour de l’accusée qui, recroquevillée au sol, trembla.
— Mais c’est trop cool ! reprit Luffy, attirant des exclamations outrées parmi les villageois. Dis, Ilote, tu veux faire partie de notre équipage ?
Au sol, la concernée se raidit. De toutes les réactions qu’elle avait imaginées, celle-ci n’en faisait pas parti.
— ET PUIS QUOI ENCORE !? rugit le maire. C’EST MA PRISONNIERE !
— Elle m’a surtout l’air d’une femme rongée par la culpabilité qui se plie à vos punitions plus que déraisonnables, lança la voix de Robin.
— Sérieusement, insista Sanji, enchainée et frapper une femme de la sorte… Si elle ne risquait pas d’être un dommage collatéral, je flanquerais une raclée à ses bourreaux.
— NE SOUS-ESTIMEZ PAS UNE VILE DEMONE SEDUCTRICE !
— Elle ressemble surtout à une prisonnière injustement retenue ! insista la brune.
— OUI DIS-LEUR ROBIN CHÉRIE ! TU SAIS COMMENT PARLER TOI, OHLALA !
Malgré son état, Ilote eut tout de même la force d’écarquiller les yeux en entendant cette voix d’abruti dégoulinante.
— Bon, libérez-la ! lance Luffy. Elle doit rejoindre notre équipage !
Le rire gras d’Halmers lui répondit.
— Et pourquoi cela ? lança-t-il.
— Parce que je le veux, c’est tout.
— T’es un petit comique, toi ! s’enquit le capitaine.
Une main se referma sur la nuque d’Ilote, la forçant à se redresser. Et, empoignant sa cagoule, Halmers ajouta :
— Ta veste est rouge ? Observe par toi-même ce qu’elle fera, à bord de ton équipage !
Sous la cagoule, ses yeux s’écarquillèrent. Non. Le rouge devenait flammes et, si elle avait pu se contrôler la première fois qu’elle avait vu Luffy, la situation aujourd’hui était autrement plus stressante. Et si elle le tuait sans même le faire exprès ?
Le tissu quitta sa tête et elle ferma aussitôt les paupières. Quelques instants durant, rien ne se passa. Mais quand Halmers réalisa qu’elle gardait les yeux clos, sa colère s’accentua et il saisit brutalement sa mâchoire, la secouant pour la forcer à ouvrir le regarder.
Elle tint bon quelques instants. Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle avait aimé ce village, avait traversé ses rues en étant salué par ses habitants, aimée et chérie. Aujourd’hui, tout avait changé. Ils ne vivaient que pour la haïr. Et, parfois, elle se demandait s’ils n’avaient pas raison de le faire.
Comme maintenant, par exemple. Enchainée et humiliée, Halmers secouant son visage avec hargne.
— Lâche-la.
Soudain, brisant le silence seulement ponctué d’insultes d’Halmers, une voix. Grave, autoritaire. Une qui fit augmenter la cadence de ses battements de cœur. Celle qu’elle avait entendu dans la forêt. Le sabreur.
Il était là.
Une ombre plana sur son visage. Elle réalisa qu’il était debout, devant elle. Et à en juger par la façon dont le capitaine s’était raidi, il devait avoir posé sa lame sur la gorge de l’homme comme il l’avait fait avec Maximilien, tantôt. Délicatement, précautionneusement, elle entrouvrit les yeux et vit effectivement deux jambes parées d’un pantalon noir juste devant sa tête.
La main sur sa gorge se fit moins pressante avant de la laisser entièrement filer. Elle prit une profonde inspiration.
— Roronoa Zoro, lança le capitaine, mal à l’aise, comme c’est plaisant de te revoir.
Elle se raidit. Le chasseur de pirates ?
— C’est comme ça que tu traites les femmes dans ton village, Halmers ?
Evidemment, ils se connaissaient. Elle n’avait pas été sur l’île à cette époque mais, des années auparavant, un pirate avait terrorisé le village, en faisant son gagne-pain et leur extorquant leurs richesses.
Zoro leur en avait débarrassé.
— Ce n’est pas une femme, c’est…
— Je sais exactement ce qu’elle est, gronda-t-il entre ses dents serrées. Et elle n’a rien à voir avec cet homme qui vous terrorisait. C’est vous qui la terrorisez et si je dois faire le grand ménage ici elle ne fera pas partie des expédiés.
Elle sentit son estomac se tordre et une douce chaleur la prendre. Quelque chose de différent, plus puissant venait de l’envahir. Quand Robin, Sanji et Luffy l’avaient défendue, elle s’était sentie soulagée et même reconnaissante.
Maintenant, une certaine euphorie la prenait.
— Tu ne sais pas ce que tu dis. Regarde tes cheveux ! Elle t’a déjà ensorcelée !
Tressaillant, elle ouvrit brutalement les yeux et leva la tête, regardant celle de Zoro. Celui-ci abaissa ses iris en sa direction, lui infligeant un contact visuel pénétrant. Sur sa tête, la rose était encore là. Mais, à l’instant où ils se virent, là, un coquelicot corail jaillit derrière son oreille.
Abasourdie, elle baissa le regard, gênée.
— Désolée, je fais pas exprès, murmura-t-elle, paniquée.
— Je le sais bien, répondit-il. Sinon tu n’éviterais pas à tout prix les contacts visuels.
Elle acquiesça, soulagée car enfin comprise. Fixant le sol blanc, tremblotante, elle ne pipa mot. Au-dessus d’elle, la lame du sabreur demeurait tournée en direction du capitaine.
— Jamais je ne vous ai demandé un quelconque prix pour la capture du pirate car ce n’est pas dans mes habitudes. Mais je prends la fille, aujourd’hui, si elle est d’accord. Mon capitaine la veut dans son équipage et aucun d’entre vous à part elle ne peut négocier cela.
Sa voix était ferme, il ne posait aucune question. Il affirmait. Et, corroborant cela, il s’agenouilla bientôt à sa hauteur, abaissant enfin sa lame. Le visage du sabreur entra dans le champ de vision de la femme et, sans aucun sourire mais aucune animosité non plus, il souffla de sorte qu’elle seule puisse l’entendre :
— Alors ? Qu’en dis-tu ?
La gorge sèche, elle le fixa, abasourdie. Vraiment ? Pouvait-elle vraiment quitter cette île ? S’en aller sans un regard ? Retrouver la liberté après deux années passées sous un nom d’esclave ? Était-ce seulement possible ?
Le regard que posait Zoro sur elle lui suffit à comprendre que oui. Une marguerite jaillit, proche de sa tempe.
— Alors, Ilote ?
— (T/P), répondit-elle précipitamment.
— Quoi ?
Déglutissant péniblement, elle s’éclaircit la gorge.
— C’est mon vrai prénom. Je m’appelle (T/P).
Là, un sourire étira les lèvres du mentholé qui acquiesça légèrement. A cette vision, une tulipe jaillit à côté de la rose. Puis, il reprit :
— Alors, (T/P) ? Tu veux bien nous rejoindre ?
— Même si je contrôle pas bien mes pouvoirs ?
— Même si tu contrôles pas tes pouvoirs, approuva-t-il.
Un frisson la parcourut. Il lui tendit la main. Hésitante, elle finit par la saisir. A ce contact chaud, une orchidée jaillit derrière son oreille. Cette fois-ci, il la sentit. Mais, lorsqu’il vit le sourire gênée de la jeune femme, ses traits s ‘adoucir.
Alors, elle murmura :
— J’accepte.
ꕥ
Debout sur le pont, elle ne parvenait pas à croire ce qu’elle voyait. Large, flanqué de mats et d’une partie couverte semblant comporter un nombre innombrable de salles, ce navire était tout bonnement époustouflant.
— Bah voilà, c’est chez toi maintenant, retentit la voix de Luffy dans son dos.
Debout à côté du restant de l’équipage, il l’observait avec intérêt, curieux de voir ce qu’elle en pensait. Mais ils n’eurent même pas besoin de le lui demander, son sourire béat suffit à leur répondre.
— On va bientôt repartir, lance-t-il. Tu es sûre que ça te va ?
— Oui, bien sûr ! Vous avez réussi à convaincre le maire alors je ne peux qu’accepter moi-même !
Se tournant vers les pirates, des larmes de joie imbibèrent ses yeux.
— Vous n’avez aucune idée d’à quel point vous venez de changer ma vie ! Jamais je vous remercierai assez !
Même si elle s’adressait à tous, ses yeux se posèrent sur Zoro quand elle prononça ces mots. Tous le remarquèrent. Y compris l’intéressé qui, détournant la tête, tenta de dissimuler les rougeurs sur ses joues.
Il ne remarqua même pas la rose qui venait d’éclore sur sa tête.
— Bon…, balbutia-t-il, la gorge sèche. On a des choses à faire, nous !
Là-dessus, il s’éloigna. Elle le regarda faire, prise au dépourvu et légèrement vexée. Mais les autres ne s’en formalisèrent pas et, à leur tour, se dispersèrent. Sanji gagna la cuisine, Luffy sur les talons, Robin le salon, Nami alla se planter sur le pont supérieur tandis qu’Usopp, Brook et Chopper s’éloignaient en discutant.
Le sabreur posa ses armes à côté de lui et, s’allongeant sur le dos, coinça un bras sous sa tête avant de fermer les paupières. Légèrement désarçonnée, elle le regarda faire.
Comment s’occuper, à présent ?
Alors qu’elle s’apprêtait à songer aux possibilités lui étant offertes pour tuer l’ennui, son cœur fit soudain un bond dans sa poitrine. Là, sur sa tête, une autre fleur. Puis une autre. Et une autre.
A une vitesse folle, elles se succédèrent. Tant et si bien que, fronçant les sourcils, il finit par ouvrir les yeux. Aussitôt, sachant que son crime était signé, elle ferma les siens et se retourna, crispée.
Qu’est-ce que j’ai fait ? Il va me tuer, c’est sûr ! C’est insupportable de vivre avec une folle pas capable de maitriser son fruit du démon ! Mais merde je suis vraiment qu’une empotée, je me déteste sérieux ! Ses pensées défilaient à toute vitesse dans sa tête.
Quand soudain, une main ferme se posa sur son épaule.
— Hé.
Se retournant dans un sursaut, elle se retrouva aussitôt face à l’œil perçant de Zoro. Son estomac se tordit en remarquant à quel point il était proche d’elle. A deux pas de sa position, plus précisément.
Mais, surtout, elle crut hurler en constatant que des dizaines de fleurs différentes et colorées avaient jailli entre ses cheveux.
— Oh ! Je suis vraiment tellement désolée, je…
Elle tendit la main pour retirer l’une des plantes mais son poignet se retrouva brutalement arrêté par les doigts de Zoro. Il l’avait saisie.
— N’y touche pas, lâcha-t-il simplement.
Là, ses yeux se baissèrent. Cela n’avait pas pris longtemps, il la haïssait, à présent. Il ne voulait même pas qu’elle l’aide corriger son erreur par peur qu’elle l’aggrave. Ce n’était pas surprenant mais l’idée qu’elle puisse embarquer ici l’avait tellement grisée que son cœur la tiraillait, maintenant.
Zoro, constatant sa mine renfrognée, réalisa que son geste pouvait prêter à confusion.
– Je les aime bien, c’est tout, ajouta-t-il, embarrassé, en lâchant sa main. J’ai pas envie de les retirer.
L’estomac de la jeune femme se souleva et elle sentit son cœur battre avec ardeur. Il était là, juste en face d’elle, son œil la fixant avec intensité et un fin sourire sur ses lèvres montrant qu’il l’acceptait comme elle était.
Sa gorge se serra.
— Merci, murmura-t-elle du bout des lèvres.
Un silence prit alors place, plutôt embarrassant. Mais Zoro s’éclaircit la gorge, le rompant.
— Tu veux rester avec moi, cette après-midi ? Généralement je dors ou je fais du sport mais on peut juste discuter, si tu veux ?
Son attention la toucha.
— Tu n’es pas obligé de changer tes habitudes pour moi, tu sais, ajouta-t-elle.
Brutalement, il détourna le regard. Mais elle vit tout de même les rougeurs qui tintèrent sa joue. Son estomac remua à cette vision.
— Oui mais… ‘Fin ça me dérange pas. Je suis plutôt content que tu rejoignes notre équipage.
— Ah oui ? répondit-elle dans un sourire espiègle. J’avais cru comprendre que le grand chasseur de pirate était pourtant du genre solitaire.
Il s’éclaircit la gorge bruyamment pour se donner une certaine contenance.
— Faut croire que les choses changent… Et puis je pourrais t’aider à te maitriser ! Je sais pas pourquoi je fais ressortir autant ton pouvoir mais le mieux pour combattre un problème est d’affronter sa source !
Une pierre tomba dans l’estomac de la jeune femme. Elle déglutit péniblement.
Elle, elle savait exactement pourquoi elle ne parvenait plus à contrôler son pouvoir en sa présence.
ꕥ
— Tu vas y arriver, allez, un petit effort !
Les poings serrés, Zoro l’encourageait depuis plusieurs longues heures maintenant. Si l’équipage avait d’abord été surpris, étant plutôt habitués à le voir dormir, ils s’étaient maintenant remis de leurs émotions et ne regardaient même plus la scène.
Le soleil s’était couché et le ciel noir les survolait. Assis en tailleur sur le pont principal, ils faisaient face à un drap blanc tendu où le sabreur avait soigneusement dessiné plusieurs cercles de différentes couleurs.
Les bleus, rouges et jaunes étaient intacts. Au prix de nombreux efforts, elle était finalement parvenue à maitriser son pouvoir face à ces teintes. Prenant une profonde inspiration, elle avait imaginé une étendue calme qui ne coulerait pas, une eau stagne dans laquelle elle nagerait sans qu’aucun mouvement n’en perturbe la surface. Et aucun gèle n’avait couvert les dessins bleus.
Puis, après avoir manqué d’enflammer à six reprises le drap, elle s’était projetée dans une maison enflammée où elle marcherait sans que jamais le feu ne la brûle. Et, à son grand étonnement, cela l’apaisait.
Finalement, debout sur une plage où le vent soufflait avec force, son esprit l’avait visualisée au milieu de ce climat violent, ressentant la bourrasque. Mais où aucun grain de sable, parasol ou objet ne se verrait projeter. Comme s’ils survivaient aux brises.
Tout résidait dans la visualisation. Elle l’avait compris.
La couleur supposait l’existence de l’élément et c’était à elle de le freiner, le rendre inefficace. Partout où il y avait du bleu, il y avait de l’eau, partout où se situait du rouge, le feu l’attendait et le jaune formait toujours la naissance du vent.
Il fallait simplement qu’elle les étouffe.
— Oh non ! s’exclama-t-elle.
Seul un élément lui résistait. La terre. Le vert. Chacun des cercles tracés étaient jonchés de plantes et fleurs.
— Ce n’est pas grave, réussir à maitriser trois des quatre éléments en une poignée d’heures est déjà bien.
— C’est pas une poignée d’heures…, minauda-t-elle. Deux ans que j’ai avalé ce truc et je ne suis même pas capable de…
Se tournant vers lui, elle tenta de dissimuler son embarras en lui offrant un sourire factice. Mais il comprit rapidement ce qui la travaillait et, sans trop y réfléchir, posa une main large sur sa joue, apaisant.
Là, ses yeux s’écarquillèrent et elle sentit son cœur battre à toute vitesse.
— Oh, désolé, lâcha-t-il en réalisant son geste, ôtant sa main.
— Attends ! Tes cheveux !
Il fronça les sourcils, passant la paume dessus.
— Il n’y a aucune plante ! constata-t-il en haussant les sourcils.
La réalité la frappa. Depuis le début de l’exercice, elle refusait de regarder le sabreur de peur de provoquer une nouvelle poussée de pouvoirs. Mais elle n’avait pas envisagé qu’il puisse être son eau calme, sa maison enflammée ou sa plage tempêtueuse.
Alors qu’il l’était. Il était son point d’ancrage !
— Tu as réussi ! s’exclama-t-il.
— J’ai réussi ! répéta-t-elle, si euphorique qu’elle ne réfléchit pas longuement et sauta au cou de l’homme.
D’abord surpris, ce dernier eut un temps d’arrêt en sentant ses bras entourer son coup et son visage se loger dans le creux de son épaule. Quelques secondes s’écoulèrent et il réalisa qu’il appréciait cette sensation. Qu’elle était apaisante.
Alors, refermant les bras autour de son corps, il la serra à son tour dans ses bras.
L’estomac de la jeune femme se tordit à cette sensation. Quelques secondes s’écoulèrent durant lesquelles elle ne put s’empêcher de sourire béatement, profitant de cette étreinte. Puis il se recula légèrement pour regarder son visage. Elle fit de même.
Tout proches l’un de l’autre, ils s’observèrent en silence quelques instants. Leurs nez se frôlaient et leurs souffles chauds se mêlaient. Ils étaient bien, là. Quoi que légèrement angoissés. Car elle le trouvait si fort et splendide. Et qu’il songeait qu’elle était si belle, dans ses bras.
Alors ce fut comme une évidence quand leurs lèvres se posèrent soudain l’une sur l’autre. Doucement. Une simple caresse. Une tentative.
Puis la main de Zoro se posa sur sa joue et elle tira légèrement sur son haut pour le rapprocher. Leurs bouches se mirent en mouvement, s’ouvrant et laissant leurs langues se mêler l’une à l’autre. Se liant et s’embrassant, ils se pressèrent toujours plus l’un contre l’autre, tentant de trouver l’angle idéal pour ne jamais se quitter.
Quelques instants s’écoulèrent et ils s’écartèrent l’un de l’autre, à bout de souffle. Puis, posant son front sur le sien, Zoro lâcha dans un sourire timide :
— Bienvenue à la maison.
7666 mots
os un peu plus
court que d'habitude
mais j'espère qu'il
vous aura plu
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