L ' E S P R I T
— F R A P P E U R —
• s c é n a r i o •
(commande par
@yumeko_yum )
(t/p) achète une maison qui
s'avère être hantée... par un
démon qui semble haïr son
petit-ami
— Je ne sais pas, chérie… Honnêtement, elle ne me dit rien, cette maison, grimace mon petit ami en observant les photographies que je fais défiler sur mon cellulaire.
Une paille logée entre les lèvres, les coudes plantés sur la table, je ne lève pas mon gobelet pour en aspirer le liquide. Devant moi, Gabriel fronce les sourcils et je me redresse, me rappelant qu’il ne supporte pas que je manque de tenue lorsque nous sommes en public.
Impeccable dans sa chemise blanche, mon petit ami tient adroitement sa tasse de café. Le menton levé, il ressemble davantage à un mannequin posant pour ce produit qu’à un homme appréciant sa boisson. Cependant, cela ne m’intéresse pas. Je suis actuellement absorbée par notre sujet de conversation.
Je viens d’acheter une fabuleuse maison.
— Mais attends ! je rétorque en voyant qu’il ne semble pas adhérer à mes goûts. T’as pas vu l’intérieur !
— Je n’ai pas besoin de voir l’intérieur pour comprendre pourquoi le prix était aussi bas, (T/P) ! J’arrive pas à croire que tu te sois fait arnaquer comme ça…, se morfond-il en jetant un regard aux tables autour de nous, remplies de couples bien plus détendus que nous. J’aurais dû t’accompagner pour les visites.
Haussant un sourcil, je verrouille mon portable. Cela fait trois ans que je suis avec Gabriel et, j’ai beau apprécier ce garçon, je dois avouer que sa manie de vouloir tout contrôler a tendance à m’insupporter.
— Et pourquoi tu aurais dû m’accompagner ? je demande en me laissant tomber dans mon siège, croisant les bras sur ma poitrine.
Mon ton semble le surprendre, car il écarquille les yeux. Cependant, reprenant bien vite contenance, il repose sa tasse de café en s’éclaircissant la gorge. Ma mâchoire se contracte en le voyant faire.
Il me traite comme une cliente. Je l’ai vu faire par le passé. Lorsqu’il souhaite convaincre une personne de signer un contrat, il adopte la même posture avant de lui servir un sourire faussement sympathique…
Je déteste quand, au lieu de me parler normalement, il s’adresse à moi comme si j’étais un de ses clients, un de ses investissements. J’ai toujours la sensation qu’il me prend pour une idiote dans ces moments-là.
Ignorant les émotions négatives qui m’assaillent, j’attends son argument :
— Acheter une maison représente un investissement conséquent. Avec tes économies, tu peux t’offrir quelque chose d’élégant sans être extravagant. Il vaut mieux parier sur la sûreté et, étant donné l’état de cette maison, je tends à parier que des rénovations seront à faire et je ne crois pas que tu auras les revenus suffisants pour te les permettre. Je me doutais que tu ne prendrais pas ces éléments en compte et j’aurais dû y penser avant de… Pourquoi tu rigoles ?
La main sur la bouche, j’ai bien tenté de dissimuler mon hilarité face à son discours condescendant et même un brin paternaliste. Seulement, ces dernières phrases étaient trop pour que je garde un air sérieux.
— Tu me crois réellement trop stupide pour prendre en compte le coût des travaux avant d’acheter une maison qui vaut plusieurs centaines de milliers d’euros ?
Il sursaute presque.
L’unique côté positif, lorsqu’il commence à me parler comme il le fait avec ses clients, est que j’ai le loisir de le rabrouer comme aucun ne le fait. Je ne m’en prive jamais. Et cela le prend à chaque fois de court.
— Cette maison a un charme ancien et les usures qui vont avec. Je compte bien la rénover, même lui apporter ma touche personnelle, mais c’est un véritable bijou ! Et je te prierai de ne pas insulter mon intelligence en pensant que je n’ai pas pris cela en compte.
Ses épaules s’affaissent.
— Je… Évidemment. Tu as raison. Navré, chérie. J’ai été insultant.
Penchant la tête sur le côté, il m’accorde un regard doux, saisissant ma main qui trainait sur la table.
— J’ai juste peur que tu te sois fait avoir… Cette maison est si grande qu’elle ressemble à un manoir et son jardin est immense… Étant donné le prix si bas, je me dis qu’il doit y avoir un loup. Tu es sûre que tu as bien repéré toutes les rénovations à faire ? Il n’y aurait pas une énorme réparation qui coûterait des millions, cachée dans un grenier ?
Glissant la paille de ma boisson entre mes lèvres, j’inspire le breuvage sucré, regardant ailleurs. En effet, le prix bas de cette immense maison aux allures de musée cache un loup…
Cela fait neuf fois que la maison change de propriétaire.
En quatre ans.
L’agent immobilier chargé de la vente a bien tenté de me le cacher. Cependant, lorsque je suis sortie, une vieille dame tricotant sur le perron du pavillon à côté m’a interpellée. Intriguée, je me suis approchée et elle m’a raconté une bien curieuse histoire…
Régulièrement, des jeunes couples débordant d’amour s’y installent. Mais ils ne tiennent jamais bien longtemps. Une atmosphère pesante régne dans les pièces et, inexorablement, les propriétaires finissent par partir en courant, abandonnant l’endroit derrière eux dans des hurlements de terreur. Le voisinage prétend même qu’il est hanté par une force démoniaque.
J’ai bien cru que Stacy, l’agent immobilier, allait tuer cette vieille dame lorsqu’elle l’a entendue me raconter cette histoire. Je dois avouer d’ailleurs que cela m’a légèrement inquiétée, de prime abord.
Cependant, je n’ai pu me résoudre à l’abandonner.
Le jour où Stacy s’est garée devant le portail de ce manoir, mes yeux se sont écarquillés d'émerveillement. Franchissant les grilles noires et foulant le chemin pavé jusqu’au perron, j’ai observé les mille et unes fleurs colorées s’étendant en bosquet autour de la bâtisse. Mon cœur s’est d’ailleurs attendri devant le charme ancien de cette dernière. Les surfaces blanches et toits cuivrés se sont mariés en une construction d’architecture beaux-arts.
Lorsque j’y ai posé le pied, une bouffée d’air frais a gonflé mes poumons. Je n’ai pu m’empêcher de slalomer entre les pièces, toujours plus curieuse de les découvrir. Et, à plusieurs reprises, je me suis surprise à penser que cet endroit me semblait familier.
Je me sentais chez moi.
— Bon, ma chérie, je vais y aller, ma pause est finie, déclare soudain Gabriel en regardant sa montre.
Il n’attend pas ma réponse et, posant un baiser sur mon front, tourne les talons. Je le regarde s’en aller sans y prêter attention.
Un sourire excité étire mes lèvres et j'attrape mon téléphone, euphorique. Puis, sans parvenir à me freiner, je déverrouille l’écran et regarde à nouveau les photographies de ma maison.
Un soupir d’aise me prend face aux clichés.
— Oui. C’est chez moi.
— Kitty ! Maman est rentrée ! je lance à tue-tête en refermant la porte derrière moi.
Aussitôt, le clapotis des coussinets de mon chat résonne sur les marches de marbres et je vois le quadrupède traverser l’escalier circulaire. Émue, j’observe la beauté du soleil traversant les larges fenêtres et baignant de sa lumière les parois blanches de mon intérieur.
— Oh, j’arrive pas à croire que je suis ici chez moi ! je lance en riant bruyamment d’excitation tandis que mon chat s’enroule autour de ma jambe, frottant sa tête à mon mollet.
Regardant autour de moi, je gonfle mes poumons au maximum avant d’expirer dans un sourire ébahi.
— Passons aux choses sérieuses, j’affirme en marchant jusqu’au salon, attrapant un carnet et un stylo que j’avais laissé sur la table basse.
Kitty me suit dans des ronronnements satisfaits. Je me rends compte qu’elle apprécie autant que moi ce manoir.
— Il est temps de commencer à planifier les rénovat…
Je sursaute quand retentit un bruit de verre brisé. Étouffant un cri, je me tourne vers la source du son, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Il a semblé venir d’une autre pièce…
Jetant un regard à Kitty, je me fige soudain, effarée.
Les yeux écarquillés, il fixe un angle dans la pièce. Les poils hérissés, sa queue fouettant l’air, il sort les griffes sans oser bouger. La gorge nouée, je suis son regard.
Et je ne suis pas étonnée de voir qu’il n’y a personne. Ou du moins, personne de visible.
— Kitty, calme-toi, c’est sans doute juste le vent, je déclare davantage pour me rassurer que pour elle.
Quelque chose m’empêche de me déplacer. Je crois que je suis légèrement apeurée. Je me doute que je devrais aller voir la source du bruit de verre brisé ayant retenti. Mais, je ne souhaite pas laisser Kitty seul.
Ce dernier pousse un miaulement rauque et sourd, continuant de fixer le coin de la salle.
— Calme-toi, mon ange. C’était juste le vent, j’insiste en le soulevant du sol, le serrant contre moi.
Quelques pas me suffisent à trouver la source du bruit. Sans même quitter la pièce, en m’approchant à nouveau de la cage d’escalier circulaire, j’aperçois des débris de verre au pied de ce dernier. Levant le nez, je réalise qu’il s’agit d’une des lianes de cristal qui constituent le lustre.
Je dépose un baiser entre les oreilles de mon chat, regardant les morceaux éparpillés sur le carrelage.
— Ouh… Je vais aller chercher quelque chose pour nettoyer cela.
Posant Kitty sur le canapé, je fais mine d’ignorer le fait qu’il regarde aussitôt le même angle de la pièce, ses oreilles se couchant. Saisissant une pelle et une balayette, je me hâte de nettoyer les débris avant de retourner auprès de mon quadrupède.
— Alors…, je lance en tendant à nouveau la main vers mon carnet et mon stylo. Par rapport à ces rénovat…
Ma voix meurt dans ma poitrine. Brutalement, chacun de mes traits retombe et un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Prise d’une bouffée de chaleur, j’ignore mes doigts qui tremblent autour du carnet.
Les pages ont été arrachées.
Regardant autour de moi, je ne trouve aucune trace des feuilles. Mais, il y a quelques instants, je sais que le contenu de ce carnet était intact. Je l’ai acheté hier, spécialement pour l’occasion. Je voulais y documenter les rénovations de la maison.
— Bon…, je lance dans un rire nerveux, tentant de calmer mon cœur battant à toute allure.
Je ne crois pas en l’existence du paranormal. Alors j’aurais tendance à incomber la chute d’un lustre à la détérioration de ce dernier et le malaise d’un chat, à sa méconnaissance d’un nouveau lieu… Cependant, là, je ne peux pas ignorer les signes.
— Bon, d’accord, je prononce en fermant le carnet, prenant une profonde inspiration.
Et je ne sais trop ce qui me prend lorsque, me levant, je déclare à haute voix :
— Si quelqu’un se trouve ici et qui que tu sois, je ne suis pas venue te déranger. Mais, j’ai investi de l’argent dans cette maison, alors j’estime pouvoir la réclamer de droit.
Une porte claque. Je sursaute.
Cependant, une force inconnue m’anime et me pousse à continuer mes paroles :
— Je considère extrêmement déplacé le fait que tu ne te manifestes que maintenant. Si tu ne voulais pas de ma présence, tu aurais aussi bien pu le montrer durant ma visite.
La télévision s’allume. Ma respiration se bloque. Je tremble, mais garde les yeux ouverts.
Il cherche simplement à me faire peur. S’il souhaitait me blesser, le lustre serait tombé lorsque je me tenais en dessous et il n’aurait pas arraché les pages du carnet, mais mes bras.
Alors, ignorant la terreur qui m’habite, je saisis la télécommande et j’éteins la télévision.
— Je te demanderai de te montrer plus courtois à l’avenir. Me couper la parole comme tu viens de le faire est particulièrement déplac…
Je sursaute quand la sonnerie retentit. Stridente, sa mélodie me ramène à la réalité et je comprends l’absurdité de la situation.
Debout dans mon salon, je suis en train de disputer un ennemi invisible, sous prétexte que les pages de mon carnet ont disparu et que mon chat semble mal à l’aise. Jetant un regard à ce dernier, j’espère presque me sentir moins stupide en constatant de l’inquiétude dans son regard.
Mes yeux s’écarquillent en le découvrant, allongé sur le dos, les paupières closes, en train de ronfler bruyamment. Sa langue pend sur ses dents et il semble faire d’agréables rêves…
…Rien à avoir avec le chat paniqué que j’ai vu, il y a quelques secondes.
Saisissant mon carnet, je l’ouvre. À ma grande surprise, je découvre alors ses pages intactes, comme si elles n’avaient jamais été arrachées. Les sourcils froncés, je regarde autour de moi. La télécommande est toujours sur le meuble télévisé, là où je croyais l’avoir saisie, il y a quelques secondes, afin d’éteindre l’appareil. Elle n’est pas sur la table basse, à l’endroit où j’étais convaincue de l’avoir replacée.
Aurais-je rêvé de tout cela ? Est-ce le surplus d’émotions après l’achat de cette maison ? Ou est-ce une profonde fatigue ?
La sonnerie retentit à nouveau, me rappelant à la réalité.
— Il y a quelqu’un ? résonne une voix que je reconnais aussitôt.
Je me précipite pour ouvrir à ma voisine. La vieille dame sourit à pleines dents en m’apercevant, derrière la porte.
— Désolée, j’ai mis du temps à réagir, je me justifie en inspirant une odeur de pâtisserie.
— Si le moment est inadéquat, je peux repasser, se soucie-t-elle en faisant un pas de recul.
— Non ! Pas du tout ! Entrez !
Je remarque alors le plat qu’elle tient dans les mains. M’écartant, je la laisse passer et elle murmure quelques exclamations ébahies en pénétrant le manoir. Je souris en voyant son émerveillement.
— Elle m’a fait le même effet, la première fois que je suis venue, j’acquiesce en lui emboîtant le pas.
— Cette maison a toujours été d’une beauté époustouflante.
Nous atteignons le salon et le regard de la dame s’agrandit en voyant mon compagnon, ronflant sur le dos.
— Oh ! Mais en voilà, une charmante vision ! Je peux ? demande-t-elle en avançant une main vers sa tête, s’arrêtant pour avoir mon autorisation.
Sans me laisser le temps de répondre, Kitty ouvre les yeux et gratifie la main de la dame d’une léchouille. Je ris doucement. Elle pousse aussitôt un soupir attendri et gratte l’oreille du matou.
— Oh, j’en connais un qui adore sa nouvelle maison, chantonne-t-elle tandis qu’il ronronne.
Je dois avouer qu’il en donne l’impression…
Les chats sont des animaux sauvages habitués à s’inquiéter de l’éventualité d’un prédateur. Naturellement, ils se comportent de manière à se protéger. Cependant, lorsqu’ils sont en totale confiance et ne ressentent aucun danger, ils se détendent entièrement.
Un chat qui s’allonge sur le dos, exposant son ventre et ses points faibles, fermant les yeux, ce qui l’empêche d’épier la venue d’un éventuel prédateur, est un animal qui ne s’imagine pas une seule seconde encourir le moindre danger.
Alors, lorsque je vois Kitty si à l’aise, je ne peux que douter de moi-même. L’ai-je réellement vue feuler contre un ennemi invisible, il y a quelques minutes ?
— Excusez-moi, ma chère ? retentit la voix de ma voisine, me tirant de mes rêveries. Puis-je m’alléger de ceci ? Il s’agissait d’un cadeau de bienvenue. Une tarte. Ma spécialité !
— Oh ! Il ne fallait pas ! je souris tendrement, saisissant le cadeau. Merci beaucoup ! Je vais le mettre au réfrigérateur et en profiter pour aller nous chercher des rafraîchissements. Que désirez-vous ?
Je sens mes muscles se détendre en la voyant caresser affectueusement Kitty. Plus les secondes passent, plus je réalise que j’ai dû en réalité cauchemarder ce qu’il s’est passé, il y a quelques minutes. J’étais tellement éreintée que la sonnerie m’a réveillée et je n’ai même pas réalisé que je sommeillais.
— Oh ! Auriez-vous, par le plus grand des hasards, de la citronnade ?
— Figurez-vous que oui ! je réponds en posant le breuvage sur un plateau, entre deux verres garnis de glaçons. Je vous apporte ça tout de suite.
Quelques minutes plus tard, Kitty se love contre la cuisse de Renée qui, après avoir complimenté ma citronnade, m’a divulgué son prénom. Émue par l’affection de mon chat, elle n’a de cesse de complimenter le quadrupède qui bave allègrement sur son genou.
— Et… Enfin, je crois avoir déjà la réponse à cette question mais… Est-ce qu’il s'accommode bien de la maison ?
— Oh, depuis que nous sommes arrivés, il découvre sans arrêt de nouveaux endroits où dormir. C’est bien simple, il pique des sommes partout sauf dans son panier !
Elle rit doucement, attendrie.
— Et vous croyez qu’il gardera son calme lorsque vous commencerez les rénovations ? demande-t-elle en buvant une gorgée.
Brutalement, l’atmosphère s’épaissit. Mon dos se courbe et je bois une gorgée de citronnade, soudainement assoiffée. Une pression lourde s’appuie sur mes épaules.
— Oh, que… Quelle chaleur ! je lâche dans un rire. Voulez-vous un autre verre ?
— Volontiers !
Je jette un regard à mon chat qui dort toujours aussi paisiblement. Cette vision me rassure légèrement, mais je peine à ignorer mes poils se hérissant sur ma nuque. J’ai du mal à exécuter le moindre geste, comme si l’air était du sable et que le fendre nécessitait un effort physique.
— Je… Je ne pense pas qu’il réagira mal aux trav… aux travaux, je prononce difficilement, ma gorge se serrant.
J’agite ma paume devant mon visage pour m’éventer. Je ne comprends pas pourquoi l’air est soudain devenu si lourd et presque irrespirable, mais je peine à rester droite, sur mon fauteuil.
J’avale une nouvelle gorgée tandis que Renée observe son verre d’une mine soucieuse. Le liquide me rafraîchit à peine.
— Puis-je me permettre une question, ma chère ?
Je prends une profonde inspiration, sentant la chaleur enliser mes moindres muscles. Puis, la gorge trop serrée, j’acquiesce simplement en avalant une autre gorgée.
— Quelles rénovations comptez-vous faire ?
Assoiffée, je ne réponds pas tout de suite et me sers un autre verre.
— C’est votre propriété et je ne vous dirai jamais comment vous en occuper, mais… Cette maison a une beauté unique. Dans tous les quartiers, ces bâtisses ont été presque détruites… Les murs ont été abattus, les carrelages anciens remplacés par du parquet dernier cri, les fenêtres d’époque ont laissé place à de larges baies vitrées…
Respirant difficilement, je tente de me concentrer sur ce qu’elle dit. Mais il fait tellement chaud qu’il me faut de longues secondes avant d’assimiler ses paroles.
— Encore une fois, vous faites ce que vous voulez. Je veux juste savoir si ma maison sera la seule à conserver son charme d’époque ou si elle gardera sa sœur aînée…
Péniblement, j’ouvre la bouche.
— Jamais… je n’amocherai… de cette façon… ma maison…
Ses sourcils se froncent en m’entendant prononcer difficilement ces paroles. Buvant une nouvelle gorgée, je termine cependant avec un peu plus de facilité :
— Son charme d’époque me l’a fait acheter… Je suis tombée amoureuse de cet endroit, je… Je compte simplement réparer la plomberie, l’électricité, isoler et… repeindre les murs écaillés…
Soudain, ma poitrine se détend. Comme si elle avait été prisonnière d’un étau qui se dissipe, elle se gonfle d’un air plus léger. La chaleur se défait et je me redresse. L’atmosphère ne pèse plus du tout sur mes épaules. Il me semble qu’une force invisible vient de retirer un poid énorme de mes épaules.
Devant moi, Renée m’offre un tendre sourire.
— Oh ! Je suis soulagée de l’entendre ! Cela peut sembler stupide, mais mon quartier a beaucoup changé depuis le décès de mon Albert. J’espérais que cette maison reste.
— Ne vous inquiétez pas. Vous pourrez venir voir les travaux, d’ailleurs ! Je crois que je vais commencer par le plus gros, qui est l’isolation. Cette bâtisse est une passoire thermique…
— Vraiment ? Vous êtes adorable !
Un sourire tendre étire mes lèvres en voyant le regard de cette femme s’illuminer. Posant une paume sur sa joue, elle regarde autour d’elle.
— Cette maison avait besoin de quelqu’un qui sache l’aimer comme elle est.
Les mois se sont écoulés depuis que j’ai emménagé dans cette maison. Au fil des jours, puis des semaines, je me suis sentie de plus en plus à l’aise dans cet endroit. À la suite de cette après-midi où j’ai cru être dans un lieu hanté, rien de suspect ne s’est plus jamais produit. Je suis confortée dans l’idée qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve. Le manoir ne me semble plus hostile.
Au contraire, parfois, j’ai même la sensation qu’il m’aide. Cela peut paraître étrange, mais il m’arrive de me demander si ma maison n’est pas vivante.
Hier matin, en sautant dans mes chaussures, prête à m’en aller pour travailler, j’ai réalisé qu’il me manquait mes clés. Alors, commençant à paniquer, j’ai retourné les coussins de mon canapé en déclarant à voix haute que je ne pouvais me permettre d’être en retard. Un bruit métallique a retenti et j’ai jeté un regard par-dessus mon épaule. Au même moment, un objet argenté a traversé mon champ de vision avant de tomber à mes pieds.
Il s’agissait de mon trousseau. Il est atterri devant moi, comme tombé du ciel.
— Kitty ! je lance en sortant de ma chambre, m’étirant dans un bâillement bruyant. Où es-tu, mon beau ?
Chaque matin, la première chose que je fais est de chercher mon chat afin de le nourrir et de passer du temps avec lui avant d’aller travailler. La semaine, je passe mes journées au bureau et le week-end, je fais des rénovations dans la maison. Je ne trouve donc plus vraiment le temps de me prélasser aux côtés de Kitty. Mes seuls moments avec lui sont le petit-déjeuner et le dîner. Je compte bien en profiter un maximum.
Descendant le long escalier de marbre circulaire, je jette un regard au lustre. Chaque matin, j’observe ce splendide luminaire constitué de lianes de cristal. Il en existe plusieurs, dans la maison. Mais aucun ne me fait le même effet que celui-là.
Posant une main sur la rampe, je m’imagine un instant être une princesse se rendant à son premier bal. Cependant, mes rêveries prennent très vite fin.
— Kitty !
Mon chat sursaute, pris en flagrant délit. Les feuilles de la plante dans laquelle il se trouve remuent quand il se tourne vers moi avant de se figer, tétanisé. Ses yeux, ronds comme des soucoupes, fixent un point à côté de moi, comme si je n’étais pas là.
— Combien de fois allons-nous avoir cette conversation ? Ce n’est pas parce que tu ne me regardes pas que je ne te vois pas ! je lance en croisant les bras, tapotant du pied sur le sol.
D’un bond, il traverse la pièce, laissant une traînée de terre dans son sillage. Je soupire en entendant ses griffes crisser sur le sol tandis qu’il dérape, tentant de s’accrocher au carrelage dans sa course furieuse.
Disparaissant de mon champ de vision, il émet quelques autres sons avant qu’un autre, sourd, retentisse. Je lève les yeux au ciel en reconnaissant le bruit qu’il fait à chaque fois qu’il se cogne contre le canapé.
— Tu t’es pas fait mal, mon cœur ? je demande d’un ton peu convaincu en terminant de descendre les escaliers.
Vexé, il refuse de me regarder. Ses oreilles sont couchées et il fixe ses pattes. Je ris doucement à cette vision et, parvenant à sa hauteur, le soulève du sol.
— Bon, on va se préparer un bon petit-déjeuner et oublier ça, je déclare en le calant contre ma poitrine, arrivant dans la cuisine.
Kitty tend la patte vers l'îlot central, alors je l’y dépose. Il se hâte d’aller sur son petit tapis, à côté de sa gamelle. Je pouffe face à cette vision, m’empressant de le servir.
Je n’ai pas le temps d’ouvrir sa nourriture qu’il donne des coups de tête dans ma main. Soupirant, je le pousse avec le coude, mais il revient à la charge, me pressant de lui donner sa pitance.
— Kitty, ça n’ira pas plus vite si tu fais ça, au contraire !
Il continue de me pousser. Je l’éloigne, mais il revient.
Soudain, il recule. Ou plutôt, il glisse en arrière. Ses pattes avant se plient et ses traits se tirent, comme s’il forçait sur ses muscles pour essayer d’avancer. Il demeure immobile alors qu’il donne l’impression de lutter pour bouger. Pourtant, rien ne le retient.
Les sourcils froncés, je lui sers sa nourriture et, aussitôt, il avance. En quelques pas, il atteint sa gamelle et entame d’en dévorer le contenu.
— Régale-toi, je ris doucement sans réfléchir davantage à ce qu’il vient de se passer.
Me tournant vers les placards, je soupire avant même de les ouvrir. Puis, plaquant ma paume sur mon front, je me maudis silencieusement.
— Oh non ! La semaine dernière, j’ai oublié de faire les courses et je n’y suis pas allée durant la semaine. Je crois que j’ai rien à manger pour ce mat…
Ouvrant la porte du placard afin de prouver mes dires, je me tais brutalement en écarquillant les yeux. Mes étagères sont pleines à craquer et soigneusement rangées, comme si les courses avaient été faite il y a une heure.
Étrange…
— J’étais pourtant sûre d’avoir oublié d’y aller hier…
Quelques secondes, j’observe les aliments en fronçant les sourcils. Mais bientôt, je secoue la tête en haussant les épaules dans un sourire.
Mes étagères sont pleines et je n’ai pas à aller en courses. Pourquoi se plaindre ? Autant accepter cette situation. Qu’importe si je deviens folle et ai oublié que j’ai fait les courses. Au moins, j’ai du chocolat !
— Allez, un petit-déjeuner et on reprend les travaux ! Les ouvriers ont fini l’isolation, mais je ne ferai pas de pause. Il y a un problème de plomberie dans la troisième salle de bain et je compte bien y remédier ! j’explique à Kitty tout en préparant à manger.
Ce dernier se fiche royalement de ce que je raconte, continuant de dévorer avec intérêt son repas. Je ne peux m’empêcher de pouffer de rire face à sa petite truffe couverte de pâté.
Soudain, mon téléphone vibre. Découvrant qu’il s’agit d’un appel de mon petit copain, je décroche et le pose en haut-parleur à côté de moi afin de continuer mes confections.
— Allô, Gabriel ? je lance en m’affairant autour des ingrédients.
— Oui, chérie ? Je ne te dérange pas ?
— Je prépare le petit-déjeuner pour Kitty et moi ! Je t’ai mis sur haut-parleur.
— Le petit-déjeuner ? s’étonne-t-il aussitôt. À cette heure-ci ? Il est dix heures !
Levant les yeux au ciel, je prétends ne pas comprendre son reproche et souris :
— Oui, je suis super matinale en ce moment parce que je fais des rénovations ! Mais ne t’inquiète pas, je ferai une grasse matinée demain.
Il ne répond pas. Gabriel me connaît assez pour savoir que je fais semblant de ne pas comprendre ses insinuations. Il est du genre à se lever avant le soleil et à espérer que tout le monde fasse de même. Or, nous n’avons véritablement pas le même rythme de vie.
Il s’agit de la raison principale pour laquelle je ne veux pas emménager avec lui.
— Bon, je me disais que ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu, reprend-il d’un ton bien plus doux. Que dirais-tu que je passe ce soir pour qu’on se fasse une soirée plateau-télé ?
Une porte claque. Je sursaute.
— C’était quoi, ça ?
— Rien, je réponds aussitôt dans un sourire. Sûrement le vent qui a claqué une porte…
Disposant mon petit-déjeuner dans une assiette, je sors quelques couverts.
— Bah, écoute, va pour ce soir ! Vingt heures, ça te va ?
— Je serais là à dix-neuf. Salut, chérie.
La communication se coupe. Je me tourne vers l’écran éteint de mon cellulaire, interloquée.
— Merci de me demander mon avis, je grommelle en piquant un peu trop brutalement un aliment avec ma fourchette. Après tout, c’est pas comme si c’était chez moi…
Un soupir me prend.
— Bon, inutile de se concentrer là-dessus. Je lui en parlerai ce soir. Pour l’instant, j’ai des rénovations à faire… Pas vrai, mon Kitty ?
Mon chat ronronne tandis que je gratte l’arrière de son oreille.
Oui, en effet. Tout cela attendra ce soir.
— J’arrive ! J’arrive ! je lance en secouant mon tee-shirt couvert de plâtre.
Derrière la porte se découpe la silhouette de Gabriel. À peine l’ai-je ouvert qu’un sourire étire mes lèvres en découvrant mon copain, impeccable dans son costard.
Je m’approche pour déposer un baiser sur ses lèvres. Aussitôt, il recule d’un pas. Je me fige tandis qu’il me détaille de bas en haut.
— (T/P)... As-tu une idée de ce que ce costard m’a coûté ? demande-t-il en désignant mon jogging couvert de saletés.
Je réalise alors que j’ai failli le tacher et m’excuse maladroitement, embarrassée. Je ne me rendais pas compte que nous devions nous habiller de façon aussi élégante pour ce soir… Comme il s’agissait d’un “samedi plateau-télé”, je ne songeais pas qu’il se mettrait sur son trente-et-un.
Me décalant, je le laisse passer. Il pénètre la maison et j’en profite pour saisir mon tee-shirt et renifler ma propre odeur. Je grimace en constatant que j’ai énormément sué.
— Tu as une idée de ce que tu veux regarder ? je demande en le suivant, agitant mon haut afin de l’aérer un peu. Le samedi soir, Kitty et moi, on aime bien regarder Monster Hig…
— Il y a un documentaire extrêmement intéressant sur le krach boursier de 1929, déclare-t-il d’un ton signifiant qu’il a déjà choisi ce que nous allons regarder.
Mes sourcils se haussent tandis qu’il s’installe sur le canapé. Aussitôt, Kitty quitte ce dernier en lui lançant un regard mauvais. Mon cœur se serre quand mon petit compagnon quitte la pièce.
Il n’a jamais aimé Gabriel. Cela est réciproque.
— Enfin… Le krach c’est intéressant, mais j’imaginais quelque chose d’un peu moins sombre et…
— Chérie, je connais ta passion pour la culture du vide, mais je pense que nous pourrions nous pencher sur quelque chose d’un peu plus… nourrissant intellectuellement. Tu ne crois pas ? déclare-t-il en me regardant par-dessus son épaule.
Du coin de l'œil, j’aperçois un vase glisser sur une table, s’approchant dangereusement du bord, comme poussé par le vent ou une main invisible. Cependant, je ne cours même pas pour le rattraper, trop scandalisée par ce que je viens d’entendre.
Soit, cela fait longtemps que je n’ai pas eu de soirées en tête-à-tête avec Gabriel. Mais en aurait-il oublié à qui il s’adresse ?
— Quand tu parles de culture du vide, tu veux aussi parler de tes mains ?
— Comment ça ? répond-il en fronçant les sourcils.
— Je te parle du fait que tu aies le culot de te pointer chez moi les mains vides. Et en parlant de quelque chose de “ nourrissant”, j’espère que tu comptes lever ton cul de ce canapé pour cuisiner avec moi, parce que sinon tu vas avoir faim, mon bonhomme. Je ne vais pas te servir.
Me tournant, je m’apprête à quitter la pièce. Je remarque alors que le vase de tantôt est à nouveau à sa place, au milieu du présentoir. Je ne peux m’empêcher de sourire.
— Et retire tes chaussures. Je ne sais pas où tu as vu que tu pouvais traîner des semelles qui ont marché dans la rue chez moi.
Je me dirige en direction des escaliers. Kitty quitte aussitôt son coin pour m’emboîter le pas.
— Je vais prendre une douche. Comme je t’avais demandé de venir à vingt heures, je comptais me doucher à dix-neuf heures, mais tu m’as pris de court en venant plus tôt. Tu peux te servir dans le réfrigérateur ou mettre une série en attendant.
En plein milieu des escaliers, je lance :
— Ou tu peux prendre le stylo et le carnet devant toi afin de rédiger des excuses pour ton comportement !
Gabriel a dû comprendre que son comportement était absolument déplacé. Sur la table basse se trouve une multitude d’assiettes garnies de différents mets. Plus de plateau devant la télévision, mais un véritable buffet.
Encore étourdie des vapeurs de ma douche brûlante, je souris en voyant cela. Il sort de la cuisine au même moment, une bouteille de jus dans les mains.
— Je suis vraiment désolé pour mon comportement de tout à l’heure. J’ai raté une vente aujourd’hui et je me suis défoulé sur toi. C’était déplacé.
— C’est pas gra…
Une porte claque. Nous sursautons.
Je suis sans doute bercée d’illusions, mais une partie de moi a envie de croire que ma maison ne veut pas que je termine ce “ce n’est pas grave”. Elle veut que je cesse de passer outre les comportements immatures et déplacés de Gabriel.
Ce dernier n’a pas le temps de me demander pourquoi une porte vient de claquer. Je souris aussitôt et reprends ma phrase :
— Tant que tu as compris tes torts. Inutile de s’attarder dessus.
Aucune porte ne claque. Je souris.
Il m’imite lorsque je m’installe sur le canapé. J’observe la nourriture s’étalant devant moi, sentant mon estomac remuer. Absorbée par les rénovations d’aujourd’hui, je n’ai pas pris le temps de déjeuner et je crois que je serai capable de dévorer un bœuf.
— Ça a l’air super bon, Gabriel ! je le félicite. Merci d’avoir pris le temps de…
— Comme j’ai fait à manger, je choisis le programme, lance-t-il en allumant la télévision sous mon regard ébahi.
Apparaît devant mes yeux le visage d’une femme au visage austère. Assise dans une chaise de velours face à la caméra, elle parle une langue étrangère tandis que des sous-titres apparaissent. En même temps, son nom, son prénom et son métier — Ellen Poe, journaliste économique pour le Times — se matérialisent à côté de son visage. Gabriel ne m’a même pas laissé le temps de dire quoi que ce soit.
Ouvrant la bouche, je m’apprête à protester, mais mon regard se pose sur la table basse garnie. Une dizaine de bols s’étalent devant moi… Soit, ils ne contiennent que des mets déjà prêts — des olives, des chips, des tomates cerise… Cependant, il a tout de même pris le temps de les disposer.
Je ne suis pas sûre que protester contre son choix de programme alors qu’il a fait un effort soit une bonne façon de l’encourager…
— Tu peux me passer le bol de chips, s’il te plaît ? demande-t-il sans détacher son regard du programme.
Pinçant les lèvres, je m’exécute en tentant de dissimuler ma déception. Une partie de moi se sent coupable de ruiner la soirée avec ma mauvaise humeur. Nous ne voulions pas regarder la même série, évidemment que l’un d’entre nous allait être déçu…
— Merci.
Sans rien manger, je me glisse au fond du canapé. Je crois que je n’ai même plus faim. La perspective de regarder un documentaire sur la détresse financière de milliers de personnes ayant dégénéré jusqu’à une vague de suicide tout en dégustant des apéritifs me déplaît.
— À l’époque, intervient soudain un professeur parlant notre langue, on dit qu’il “pleuvait des banquiers”. C’est une expression bien sombre pour désigner le nombre de banquiers qui se sont défenestrés.
Je me renfrogne, enfonçant ma tête dans mes épaules.
Soudain, la chaîne change. Mes yeux s’écarquillent et mon cœur fait un bond en apercevant la silhouette de Clawdeen Wolf et Cleo de Nile, deux personnages du dessin animé Monster High. Aussitôt, je me tourne vers Gabriel dans un sourire vibrant.
— Je ne pensais pas que tu changerais de chaîne pour moi ! C’est tellement gentil de ta part ! Merci tel…
— Qu’est-ce que tu racontes ? peste-t-il sans même me lancer un regard, se penchant en avant pour ramasser la télécommande qu’il avait posée sur la table basse. J’ai absolument pas changé de chaîne, c’est un bug. Putain, ça me saoule, c’était une partie vraiment intéressante !
Mon cœur se serre douloureusement en entendant son ton si agressif. Il n’a pas simplement prononcé ces paroles, il les a crachées. Je comprends qu’il soit embarrassé par l’idée que j’ai cru qu’il faisait un geste pour moi alors qu’il n’en était rien. Mais cela ne justifie pas qu’il me parle de cette façon…
J’ouvre la bouche, prête à lui rétorquer qu’il n’a pas à me parler comme ça. Mais, il se met à pester :
— Putain, mais c’est quoi cette télécommande de merde ! La chaîne veut pas changer !
Du coin de l'œil, j’aperçois Kitty qui s’est redressé en entendant les voix familières de Draculaura et Franky. Aussitôt, ses oreilles se tendent et il se lève, s’installant devant l’écran. Ses yeux suivent attentivement son dessin animé favori.
Cette vision, douce et calme, tranche abruptement avec celle de Gabriel qui grogne et vocifère, martyrisant les boutons de ma télécommande.
— Putain ! Mais, qu’est-ce qu’elle a, cette conne, a pas capter !
Exaspéré, il abat la télécommande sur la table basse dans des coups secs. Je me redresse aussitôt.
— Hé ! Où est-ce que tu te crois ? Ça t'appartient pas !
— T’as bien raison ! Mes affaires fonctionnent, elles ! crache-t-il pour toute réponse, levant à nouveau la télécommande pour la frapper contre la table.
Je tends la main afin de freiner son geste, mais je n’ai même pas le temps d’attraper son poignet. Il relâche brutalement l’objet dans un hurlement, plaquant sa main contre sa poitrine en pestant de douleur.
— Putain, putain, putain, ça brûle ! Ça brûle ! Mais c’est quoi cette télécommande de merde !?
Un instant, je suis tellement agacée que je songe à lui dire d’arrêter ses caprices. Cependant, il ouvre la main pour regarder sa paume et j’écarquille les yeux en constatant que sa peau a viré au rouge vif.
Je me lève aussitôt, sautant par-dessus le dossier du canapé.
— Viens ! Il faut passer ta main sous l’eau ! Vite !
Il quitte aussitôt sa place pour m’emboîter le pas. Je m’apprête à entrer dans la cuisine pour préparer de quoi le soigner.
Soudain, Gabriel pousse un hurlement. Me retournant, je le vois attraper son pied et sautiller à cloche pieds.
— Putain, mais il fait quoi sur le sol, ce putain de lego ! s’insurge-t-il en désignant une brique rouge minuscule, juste à côté de lui.
Je devine qu’il a marché dessus. Le voyant si furieux, je n’ose pas lui dire que je n’ai aucune idée de ce que ce jouet fait là : je n’en ai pas chez moi.
— Putain de putain de merde ! peste-t-il en tenant son pied endolori. Je commence à en av…
La jambe sur laquelle il sautille se plie soudain. Il bascule en arrière et sa hanche heurte de plein fouet le coin de la table basse. Un cri traverse sa gorge lorsqu’il s’effondre. Sa tête cogne alors le bas du fauteuil et il sursaute. Abattant sa main sur son front, là où il s’est cogné, il ne fait pas attention et son bras balaye le bol de sauce salsa posé sur le coin de la table. Le contenu tombe sur son visage.
— OH PUTAIN, CA BRULE ! MES YEUX ! CA BRÛLE ! MES YEUX !
À côté, Kitty se tourne en l’entendant gémir. Quelques instant, le chat renifle la sauce épicée sur les paupières de mon copain. Intrigué, il observe Gabriel avant de se tourner pour faire face au meuble télévisé.
Tétanisée, je ne réagis même pas. Cependant, lorsque mon chat lève la patte arrière, je trouve la force de murmurer :
— Oh non… Pas ça…
Mais je ne peux rien faire à part observer, impuissante, le jet qui jaillit de l’entre-jambe de Kitty, arrosant la poitrine de Gabriel. Ce dernier se contorsionne, hurlant en sentant l’urine du chat imbiber ses vêtements.
— Je… Non… C’est pas cool, ça…, je murmure sans bouger, atterrée par la scène.
Soudain, je me redresse, regardant derrière moi. Mais il n’y a personne.
Étrange… J’aurais juré avoir entendu un rire, à l’instant.
— D’accord, passez une bonne soirée. J’espère en tout cas que ça ira m…
Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que Gabriel raccroche brutalement. J’observe quelques instants l’écran noir de mon téléphone avant de reporter mon attention sur Kitty. Allongé au milieu d’une flaque de sauce salsa, le chat se prélasse dans les vestiges de la catastrophe qu’a été cette soirée.
Les bols entassés, ceux renversés, les meubles poussés, la sauce imprégnée dans le tapis, les poils maculés et poisseux de Kitty… Regardant autour de moi, je ne sais plus où donner de la tête.
Poussant un long soupir, je me laisse tomber sur le canapé. Ma tête bascule en arrière tandis que j’observe le plafond si haut au-dessus de moi.
— Je n’en attendais pas grand-chose… Mais cette soirée a réussi à décevoir mes attentes.
Cela fait un moment que les discussions s’évanouissent entre Gabriel et moi. Nous persistons dans cette relation, passant quelquefois des soirées ensemble pour donner l'illusion que des sentiments existent encore. Il me semble que nous sommes simplement terrifiés à l’idée d’être seuls.
Seulement, ce soir, il m’a paru évident que, ironiquement, nous ne nous sentons jamais aussi seuls que lorsque nous sommes ensemble.
— Fais chier, je grommelle en fermant les yeux, encaissant difficilement la très longue soirée que nous venons de vivre.
Tandis que mon chat urinait sur Gabriel, je n’ai pas bougé, pétrifiée. Puis, un rire a retenti et je me suis tournée brutalement, cherchant la source de ce son. Mon copain m’a alors vu me déplacer et s’est enragé, constatant que je ne lui venais pas en aide ni ne grondais mon chat pour son action.
Je n’ai même pas eu le temps de platement m’excuser. Il s’est levé dans un cri de colère et a claqué la porte. Je l’ai rouverte aussitôt, voulant le suivre. Mais, se retournant dans un regard noir, il a craché qu’il préférait être seul. J’ai obtempéré.
Une heure après, il m’a rappelé depuis l’appartement de sa meilleure amie. Il m’a expliqué qu’elle avait soigné sa main et qu’il avait pu se nettoyer, mais qu’il était trop fatigué pour rentrer chez lui. Gabriel m’a simplement informé qu’il allait dormir chez elle et je n’ai même pas eu le temps de leur souhaiter une bonne soirée qu’il a raccroché.
Je suis consciente que je devrais angoisser de le savoir seul aux côtés de Mary. Par le passé, il m’est arrivé de jalouser la façon qu’ont ses joues rosées de se hausser lorsqu’elle sourit tendrement, étirant ses lèvres pulpeuses. Mon poing a pu se serrer en surprenant l’affection profonde dans ses yeux bruns, lorsqu’elle regardait Gabriel. Je sais qu’elle l’aime. Je l’ai toujours su. Alors, je ne supportais pas l’idée qu’ils soient seuls ensemble.
Cependant, ce soir, je n’en ai plus rien à foutre.
À vrai dire, cela fait même plusieurs mois que cela ne m’intéresse plus.
Par le passé, je me définissais au travers de ma relation avec Gabriel. C'est un brillant commercial, j’avais réussi dans la vie. Nous étions ce couple jalousé, envié… Je crois que je ne me présentais à son bras, non pas parce qu’il s’agissait de son bras, mais parce que cela me permettait de me présenter. Nous chérissions le fait de ne pas être seuls ainsi que les apparences. Puis, quand nous avons atteint le point où nous n'étions jamais autant seuls que lorsque nous étions ensemble, nous n’avons plus chéri que les apparences.
Cependant, les derniers mois ont été différents. Peu à peu, la brillance de mon image a cessé de m’importer. J’ai passé moins de temps à la lustrer, à veiller à ce que chaque angle de ma personne tisse une toile que les autres ne pourraient qu’aimer. Et j’ai réalisé combien je haïssais la vie que je menais.
Chaque matin, je me levais avec l’unique ambition d’impressionner les autres. Les clichés s’enchaînaient, défilant en un diaporama tape-à-l’œil sur mes réseaux sociaux. Des photographies de nos voitures de sport, des gratte-ciel que nous fréquentions, de nos tenues assorties, de l’illusion d’une vie de richissimes amants…
Souvent, je me rappelle la soirée que nous avons passée, à l’occasion de la Saint-Valentin, il y a deux ans. Il m’avait offert une bague hors-de-prix et m’avait filmée tandis que je la déballais. À une époque, cela m’aurait gênée. Mais, nous avions atteint un stade où nous nous filmions mutuellement, et ce, sans interruption. Alors j’ai ouvert l’écrin, enfilé l’anneau et il a saisi ma main dans la sienne, a caressé ma peau de son pouce avant d’arrêter la vidéo.
Touchée par son cadeau, je lui avais tendrement sourit. Mais mon rictus s’était vite fané lorsqu’il avait secoué sa paume, tentant de se défaire de nos doigts entremêlés.
“C’est bon, j’ai finis la vidéo, tu peux me lâcher.”
Oui… Nous n’étions pas heureux…
La première fois que j’ai posé le pied dans cette maison, je me suis enfin sentie à ma place. Ce sentiment ne m’a pas quitté, au fil des mois. J’ai trouvé bonheur dans les petites choses du quotidien. Descendre les escaliers le matin en prétendant être une princesse se rendant au bal, manger avec Kitty sur le comptoir en le câlinant, retaper et prendre soin de ce manoir, brique par brique… Tout cela me contente.
Gabriel n’a pas tout cela. Pourtant, je sais qu’il ressent le même vide que celui qui me creusait encore, il y a quelques mois. S’il est venu ici ce soir, cela montre bien qu’il n’a pas l’impression d’avoir qui que ce soit d’autres. Et, je dois avouer que je n’ai pas été une très bonne hôte.
— Putain, je soupire en saisissant mon téléphone, déverrouillant ce dernier.
Le visage de Gabriel apparaît sur l’écran lorsque j’appuie sur son contact. Notre conversation s’ouvre et je me retiens de soupirer devant les SMS que nous avons échangés.
Même eux témoignent de l’absence totale d’affection entre nous. Le dernier remonte à plusieurs semaines. Lorsque nous devons nous voir, nous préférons nous appeler. Nous avons perdu l’habitude de nous envoyer des mots doux par message.
“Betty veut récupérer son classeur. Elle dit que tu l’as.”
“Elle se trompe.”
“Elle dit qu’elle a vérifié chez elle et que tu es la dernière personne à l’avoir pris.”
“Dis-lui de m’appeler.”
Je soupire. En plusieurs mois, notre unique conversation par message a été ça, alors que nous ne vivons même pas ensemble. Et, je ne peux pas dire que nos appels ont été moins secs.
Notre relation touche à sa fin, je le sais. Mais cela ne signifie pas que Gabriel ne mérite pas un minimum de respect. Et ce qu’il s’est passé ce soir a été particulièrement humiliant pour lui.
Dans un énième soupir, je commence à pianoter sur mon téléphone.
“Hello, Gaby. Je voulais m’excuser pour ce soir et…”
Je ne termine pas la phrase que je tape, le correcteur automatique modifiant soudainement ce que je viens de taper.
“Hello, Gaby. C’était super drôle ce soir…”
Mes sourcils se froncent brutalement.
— Quoi ? Mais comment tu penses que j’ai pu vouloir écrire ça ? Il n’y a aucun lien entre les mots !
Frustrée, j’efface la sélection et tape à nouveau des excuses. À nouveau, le correcteur automatique s’en mêle.
“Hello, Gaby. T’étais ridicule ce soir…”
— Quoi ? je m’impatiente, outrée par la version que propose mon cellulaire.
Encore, je retire cette phrase transformée pour inscrire celle que j’ai en tête. Un cri de frustration manque de franchir mes lèvres quand la phrase change à nouveau.
“Hello, Gaby. Tu fais pitié.”
— MAIS C’EST UNE BLAGUE ?
Aussitôt, j’ouvre les paramètres du téléphone. Je ne vais sûrement pas laisser ce maudit correcteur automatique faire sa loi plus longtemps. Une fois désactivé, il ne me posera plus problème.
Poussant ma joue avec ma langue, j’émets quelques sons de frustration en arrivant sur la page dédiée à ce maudit correcteur. Je pose le pouce sur le curseur, prête à l’abaisser.
Soudain, mon écran grésille. Des lignes vertes et roses le barrent, comme s’il avait subi un choc violent.
— Mais qu’est-ce qu’il se passe, à la fin ? je grommelle, agacée.
L’écran devient subitement noir. Pensant l’avoir verrouillé par inadvertance, j’appuie à nouveau sur le bouton. Cependant, rien n’y fait. Je le presse de plus en plus furieusement à mesure des secondes s’écoulant, mais il demeure éteint.
Je dois lutter contre l’envie de crier en réalisant qu’il vient de mourir dans ma main. Alors que je le traite extrêmement bien, qu’il n’a jamais subi le moindre choc, que je l’ai littéralement acheté il y a moins d’un an, ce téléphone de malheur a rendu l’âme.
— Putain, mais pourquoi ça arrive maintenant ? je m’exclame, luttant contre l’envie de le balancer à travers la pièce.
Fixant l’écran, je continue de m’acharner sur le bouton, espérant qu’un miracle se produise et qu’il se rallume.
— Allez, allez ! Fonctionne ! Juste dix minutes ! Fonctionne ! S’il te plaît…
— Pour que tu envoies des excuses au bouffon qui te sert de copain ? Et puis quoi encore…
Un hurlement strident franchit mes lèvres. Dans un sursaut, je lève la tête.
À cet instant, il me semble que le monde se bouleverse.
Une pierre tombe dans mon estomac, accompagnant la chute de tous mes organes. Ils s’écroulent en moi tandis qu’une vague de chaleur étouffante exulte de ma peau, m’emprisonnant dans une torpeur paralysante. Ma gorge s’assèche et mes mains tremblent.
Il y a un homme dans mon salon.
Les lueurs tamisées projettent leurs ondes nébuleuses sur le paysage qu’est sa silhouette. En arcs presque vaporeux, la lumière orangée se dissipe le long de ses jambes étendues devant lui, disparaissant presque à hauteur de sa taille où je ne distingue plus aucun détail de sa personne, seulement ses contours.
Une chaleur crépitante exulte de l’homme assis sur mon fauteuil. Au bout de son coude planté dans un accoudoir jaillit une main qu’il pose devant sa bouche. Son bras gauche, lui, est étendu lascivement par-dessus l’autre accotoir et sa main chute mollement dans le vide. Je déglutis péniblement en apercevant de longs ongles noirs au bout de ses doigts fins. Ceux-là pourraient broyer une gorge ou arracher des yeux en une fraction de secondes, je le sais.
Je suis incapable de dire comment je le sais. Mais, je le sais.
Peut-être est-ce la noirceur qui exulte de cette silhouette dont je ne distingue que les contours. Ou alors, la terrifiante force que je devine derrière chaque muscle saillant, chaque forme finement sculptée. Enfin, surtout, cela se comprend dans le soupir empli de brutalité qui franchit ses lèvres lorsqu’il tourne la tête vers moi.
Je ne distingue rien de sa personne. Mais, ses yeux brillent dans l’obscurité. Une lueur écarlate dans laquelle s’est figée une pupille noire à la manière d’une épée plantée dans une flaque de sang.
Soudain, deux autres yeux s’ouvrent juste en dessous des premiers. Là, ma torpeur se dissipe aussitôt et je reviens à moi.
Un hurlement strident franchit mes lèvres et je lui balance mon téléphone au visage.
Sans perdre un instant, j’attrape Kitty et saute par-dessus le canapé, rejoignant la porte d’entrée dans des cris de terreur. Cependant, je n’ai pas le temps d’atteindre la sortie qu’un nuage noir éclot devant mes yeux et l’homme se matérialise juste devant moi.
Kitty dans les bras, je ne réfléchis pas et abats mon front contre son menton.
Dans un autre hurlement, je me jette sur les escaliers, les montant à toute vitesse. Des larmes de terreur roulent sur mes joues tandis que je regarde par-dessus mon épaule. Mon cœur s’emballe toujours plus fort à mesure que je gravis les marches. Les yeux rivés derrière moi, je constate que l’homme ne m’a pas suivie.
Mon pied se pose sur la dernière marche. Un rire retentit devant moi. Je sens mes organes chuter dans mon corps. Je n’ose même pas me tourner pour lui faire face. Il était en bas, il y a deux secondes. Comment a-t-il pu atteindre l’étage avant moi et sans que je le voie ?
— Et où crois-tu aller, comme ça ?
Je hurle de terreur, lui faisant enfin face. Mais, je n’ai pas le temps de le regarder. Kitty saute de mes bras, apeuré par mon hurlement. Ses pattes frappent ma poitrine pour s’élancer, me poussant.
Je tombe en arrière. Mon cœur remonte jusqu’à ma gorge, se figeant dedans. Je n’arrive même pas à crier, mes yeux s’écarquillant seulement tandis que je bats des mains, cherchant une prise, n’importe quoi à laquelle me raccrocher. Mais, il est trop tard.
Avec horreur, je vois le décor basculer autour de moi. Mes fesses percutent les marches, faisant tressauter mes jambes qui s’élèvent soudain, menaçant de passer par-dessus ma tête. Je ferme les yeux, me préparant à l’impact de mon crâne contre le sol.
Soudain, tout s’arrête.
Mon corps retrouve une position allongée. Ma tête flotte encore dans les airs ainsi que le reste de mon corps qui quitte le sol. Puis, un bras se glisse sous mes genoux et un autre, contre mes omoplates. Mon flanc se presse contre un torse chaud. Quelques instants, je ne bouge pas, encore sous le choc.
Puis, ma joue tombe sur une épaule dénudée et brûlante. Le contact de nos peaux, l’une contre l’autre, m’arrache un sursaut.
J’écarquille les yeux.
Avec horreur, j’aperçois le visage d’un homme, au-dessus de moi. Des traits fins, inertes, figés en une moue dénuée de toute expression, me font face. Je ne remarque presque pas ses lèvres pleines, sa mâchoire d’acier ou ses cheveux rosés en bataille, mon regard étant aussitôt attiré par les sigles tatoués sur son visage.
Trois traits strient ses pommettes de chaque côté. Le plus bas marque la naissance de deux arcs qui dessinent sa mâchoire, se rencontrent quasiment à hauteur de son menton, où deux autres traits verticaux sous plombent ses lèvres. Une marque horizontale barre son nez. Finalement, un point encadré de symboles orne son front.
Choquée et tétanisée, je ne bouge pas durant de longues secondes, mon cœur battant à tout rompre.
Soudain, deux des six traits sous ses pommettes remuent. Mes poils se hérissent et ma gorge se bloque en réalisant ce que sont réellement ces tatouages. Ce ne sont pas des traits. Ce sont des yeux.
Ceux-là s’ouvrent. Quatre yeux écarlates me fixent. Un hoquet me secoue.
— Oh, c’est pas vrai, grommelle-t-il et ses pupilles roulent dans ses orbites.
Je hurle. Un court instant seulement. Une large main se pose sur ma bouche, étouffant le moindre son. Je m’agite alors, tentant de m’échapper. Mais, ses deux bras me tiennent solidement.
Un spasme me prend. S’il me tient dans ses deux bras et qu’une autre paume est posée sur mon visage, m’empêchant de crier… Combien en a-t-il ? A-t-il autant de bras que de yeux ?
Une larme de terreur coule sur ma joue.
— Ne me regarde pas comme ça, soupire-t-il d’un ton exaspéré. Tu crois pas que si je te voulais du mal, je t’aurais laissé tomber dans les escaliers ?
Ce qu’il dit fait sens. Mais, cela ne me calme pas. Il a quatre yeux, au moins trois bras et sait se matérialiser n’importe où.
Putain, mais c’est qui, ce gars ?
Comme s’il lisait dans mes pensées, il déclare dans un rictus :
— Je suis Sukuna, l’esprit qui hante cette maison.
Ce n’est pas possible. Que quelqu’un me réveille. J’ai dû m’endormir sur le canapé et je fais un mauvais rêve.
— Et je suis assez surpris de devoir te l’apprendre parce que j’ai tout fait pour que tu le saches.
Mes sourcils se froncent. Les siens se haussent.
— Sérieusement ? peste-t-il en voyant mon air déconcerté. La lumière qui s’éteint toute seule quand tu as la flemme de bouger de ton lit pour appuyer sur l’interrupteur ? Ton téléphone qui est systématiquement branché à côté de ton lit pour charger la nuit alors que tu l’oublies dans toutes les pièces imaginables le soir ? Le placard qui est toujours rempli quand tu oublies de faire les courses ?
Mes sourcils ne se défroissent pas. Ses quatre yeux s’écarquillent davantage.
— La terre des plantes qui n’est jamais sèche ? La caisse de Kitty qui est toujours nettoyée ? La télévision qui est toujours éteinte le matin alors que tu t’es endormie devant elle le soir, allumée ?
Je croyais qu’elle se mettait automatiquement hors tension…
— La bouilloire qui est encore chaude, même après des heures sans l’avoir remise au micro-ondes ?
Oh, ça, c’est génial.
— Tu t’es jamais dit que tout ça, c’était étrange ? s’exclame-t-il, levant la main qu’il maintenait sur ma bouche pour la secouer dans les airs d’un air désemparé.
— Non, j’ai juste trouvé ça cool.
Il me repose au sol. Regardant autour de moi, je réalise que nous sommes dans le salon, au milieu des canapés. Tout a été nettoyé, il n’y a plus de sauce sur le sol ni de bols éparpillés sur la table.
Glissant mon regard jusqu’à Sukuna, je peux confirmer qu’il a effectivement quatre bras. Deux d’entre eux sont posés sur ses hanches, au bout d’un autre se trouve une main qu’il a plaquée sur sa bouche et le dernier s’arrache presque les cheveux.
Il m’observe, médusé.
— Je… Je…
Il bégaye quelques instants, ne sachant pas quoi dire. Puis, il tranche finalement :
— Époustouflant.
Mes sourcils se froncent. Face à mon incompréhension, il étaye :
— Les humains sont débiles, je le sais, ça fait un sacré moment que je les pratique… Mais bon sang, toi, t’es vraiment un spécimen.
Sa tête bascule brutalement quand ma main s’abat sur sa joue. Les yeux écarquillés, il se fige quelques instants, réalisant ce qu’il vient de se passer.
— Tu viens de me gifler ?
— Tu m’as traitée de débile.
— Mais, il y a quelques instants, tu hurlais de terreur et tu as failli mourir en me fuyant… Et maintenant, tu me gifles ?
Pinçant les lèvres, je ne réponds pas tout de suite. Quelques longues secondes s’écoulent avant que j’insiste :
— Tu m’as traitée de débile.
Penchant la tête sur le côté, ses quatre yeux se plissent tandis qu’il me dévisage. Les sourcils froncés, il maintient cette expression hostile de longs instants durant.
Finalement, un léger rictus étire ses lèvres.
— Ouais… T’es un sacré humain, toi.
Sa paume se pose sur ma tête, la frottant affectueusement. Les yeux écarquillés, je ne réagis pas.
— Peut-être même que t’es mon humain favori. En tout cas, t’es celui qui m’insupporte le moins.
Là-dessus, il se jette sur le fauteuil, ses jambes balancées par-dessus l’un des accoudoirs et ses omoplates se pressant contre l’autre. Médusée, je le regarde faire.
— Un humain favori ? je répète, interloquée.
Ses épaules se haussent.
— T’es la seule que j’accepte chez moi… Je ne te hante pas et je te gâte même. Tu t’es jamais dit que cette maison avait l’air étrangement… vivante ?
Mes yeux s’écarquillent soudain. Cette fois où Kitty fixait un angle, tétanisé, qu’un morceau du lustre s’est décroché et que les pages de mon carnet ont été arrachées… J’ai cru que j’avais rêvé ces minutes-là. Mais, elles sont bel et bien survenues !
Allongé en travers du fauteuil, il pose un bras sur son front, m’observant entre ses paupières mi-closes.
— Tu… Pourquoi tu ne m’as pas hantée, comme tous ces propriétaires avant moi ?
— Propriétaires… C’est un bien grand mot. Cette maison était à moi avant de leur appartenir. Si je dois accepter que quelqu’un d’autre possède mon chez-moi, cette personne doit respecter les lieux. Et toi, ma chère…
Son long doigt me pointe.
— Tu as été la seule à le faire.
Un sourire étire ses lèvres. Sincère, quoique légèrement malicieux.
— Alors j’accepte de partager mon bien et, comme tu t’occupes de ma maison, je m’occupe de toi. Cela me semble logique…
Kitty saute sur son ventre. Il ne réagit pas et je réalise que je l’ai souvent vu rôder autour de ce fauteuil. Je suppose que Sukuna s’y installe régulièrement, sans que je le voie. Le matou s’enroule sur les abdominaux saillants de l’esprit frappeur.
Les jambes tremblantes, je me laisse tomber sur le canapé. Je n’ai plus peur. Cependant, je dois encore encaisser le choc de ce que je viens de découvrir.
— Cela fait… des mois que tu ne te montres pas. Pourquoi maintenant ?
Il hausse les épaules.
— Je suis fatigué d’essayer de te faire comprendre que ton petit ami n’est pas bon pour toi. J’ai décidé de te le dire en face.
Il est vrai que les rares fois où Gabriel est venu ici, les choses ne se sont pas bien passées. Il s’est endormi dans mon lit et s’est réveillé sur le sol à chaque fois. Parfois, il voulait ouvrir une armoire et la porte le frappait au visage. Aussi, lorsqu’il mangeait dans mon réfrigérateur, même si nous avalions deux yaourts venus de la même barquette, le sien était périmé pour une obscure raison.
Sukuna ne veut pas de mon petit ami chez lui.
— Tu… Pourquoi tu ne l’apprécies pas ?
— Tu es beaucoup trop bien pour lui, il le sait, alors il te rabaisse. On est mieux tous les trois, quand il n’est pas là.
Ses doigts grattent l’oreille de Kitty tandis qu’il l’observe affectueusement. J’observe la scène, peinant encore à croire qu’il ne s’agit pas d’un rêve.
Cependant, je dois me rendre à l’évidence. Mon colocataire est un esprit frappeur.
Les semaines sont passées depuis que j’ai trouvé Sukuna dans mon salon et les choses reviennent peu à peu à la normale. De temps à autre, il apparaît sous sa forme humaine, mais, la plupart du temps, il conserve son invisibilité.
Je devine sa présence lorsqu’il parle avec Kitty dans le salon pendant que je prends ma douche dans la salle de bain. J’ai réalisé qu’il faisait cela pour me rassurer sur le fait qu’il ne m’espionnait pas quand j’étais nue.
Parfois, dans un demi-sommeil, j’entends la télévision se couper. Ou alors, je flotte dans les airs jusqu’à ma chambre où il m’installe. Quand mes menstruations sont douloureuses, un plateau vole jusqu’au canapé à chaque repas. Je n’ai pas besoin de me lever ni de réchauffer les bouilloires qui restent toujours à bonne température.
— Merci, Sukuna, je souris doucement quand la carafe d’eau s’élève seule dans les airs, versant son contenu dans mon verre.
— Tout le plaisir est pour moi.
Il est toujours invisible. Cependant, le fait de savoir qu’il est présent me rassure d’une certaine façon. Et, je me sens moins seule.
C’est étrange… Avec Gabriel, je me sens toujours seule alors qu’il est à côté de moi, qu’il me parle, qu’il me touche. Avec Sukuna, sans qu’il fasse rien de tout cela, je suis accompagnée.
— C’est le weekend. Gabriel m’a dit qu’il aimerait passer. On ne s’est pas revu depuis… Tu sais…
— La sauce salsa supplément urine ? pouffe la voix de Sukuna tandis que Kitty ronronne contre le fauteuil où il est assis.
— C’est pas drôle !
— Oh que si, ça l’est ! Et ça montre que ni la maison, ni ton chat, ni moi ne voulons de lui. Sérieusement, qu’est-ce que tu lui trouves, à ce gars ?
Je hausse les épaules, piquant dans mon assiette, vexée. Sukuna soupire.
— Hé… Ne te morfonds pas. Je sais juste que tu mérites mieux. Il ne sait pas s’occuper de toi.
— Et t’as besoin que je sois en forme pour retaper la maison ? je ris sans conviction.
Il ne répond pas.
Un silence embarrassant s’installe et je continue de piquer dans mon assiette. Un épisode de Monster High défile à l’écran, captivant Kitty et je fais mine d’être autant passionné que lui par ce dessin animé.
Cependant, malgré son invisibilité, je sens la brûlure du regard de Sukuna sur moi.
Malgré la réticence de Sukuna, je suis allée acheter de quoi préparer un délicieux plateau-télé pour ce soir. Gabriel vient à dix-neuf heures et je tiens à ce que tout soit parfait à ce moment-là.
Je veux me racheter pour la dernière fois.
— Il ne mérite pas le quart des efforts que tu fais pour lui…
La silhouette de Sukuna se matérialise, adossée à l’encadrement de la cuisine. Dans un soupir, il regarde mes mains couvertes d’aliments et les différents ustensiles que j’ai utilisés pour cuisiner.
Secouant la tête d’un air désemparé, il se montre dépité par la scène.
— Quoi ? Je croyais que ce serait mignon…, je réalise en regardant le bazar autour de moi.
— Tu es mignonne. Pas lui.
Je fais mine de ne pas avoir entendu ce qu’il vient de dire et ignore les frissons qui me parcourent.
— Tu penses que ça ne lui plaira pas ?
— Non, je… Enfin, si, il est tellement idiot qu’il est fichu de ne pas apprécier tes efforts.
Mon estomac se retourne et je regarde le bazar sous mes yeux. Une fois que tout cela sera nettoyé, je pourrais donner l’illusion que tout a été fait soigneusement, mais les aliments auront une certaine allure…
— Qu’est-ce que je devrais faire pour que ce soit parfait ? Appeler un traiteur ?
— Oh, mais c’est déjà parfait ! À une exception près : lui. Quitte-le.
— Ma…
La sonnerie de mon téléphone portable retentit et j’essuie ma main. Voyant le contact de Gabriel sur mon écran, je fais glisser l’icône du téléphone. Nerveuse, je décroche dans un rire.
— Allô, chér…
— Je ne vais pas pouvoir venir, me coupe abruptement mon petit ami.
— Oh…
Mes sourcils se haussent.
— Quelque chose s’est passé ? Tu n’as rien ? Tu as besoin de…
— C’est bon, je vais bien.
— Tu veux qu’on reporte à demain ?
— Non, pas demain.
— Alors, peut-ê…
— Je t’arrête tout de suite. Ce sera ni demain, ni un autre jour. Je… Je voulais pas te le dire par téléphone et je voulais te voir ce soir pour te l’annoncer, mais…
Mes entrailles se soulèvent en entendant cette dernière phrase. J’ai soudain mal. Non… Ne me fais pas ça… Pas quand je suis restée par crainte que tu aies mal… Ne fais pas cela par téléphone… Pas quand j’avais tant d’estime pour toi que je ne suis pas partie alors que je le voulais… S’il te plaît, fais au moins semblant de me respecter et viens me voir en face. Je ne réagirai pas mal, je te laisserais partir… Juste… Montre-moi un peu d’estime… Mais, les vœux silencieux n’y changeront rien.
Nous avons tous les deux trop d’estime pour lui et pas assez pour moi.
— La dernière fois qu’on s’est vu, je suis passé voir Mary, car j’ai réalisé que ça faisait trop longtemps que je faisais semblant de ne pas réaliser à quel point je l’aimais, et ce, simplement pour t’être fidèle… Mais je préfère être fidèle à mon cœur.
— Atten…
— C’est fini, (T/P).
Il raccroche. Mais, je garde le téléphone collé à mon oreille quelques secondes encore, réalisant à peine ce qu’il vient de se produire.
Au bout d’un moment, je le pose sur la table, au milieu des autres aliments que je préparais pour lui. Pour nous. Mon ventre se soulève à cette vision. J’ai honte.
Honte de ne pas m’avoir écouté. Honte d’être restée quand je ne le voulais plus. Honte d’avoir essayé de sauver une relation déjà morte. Honte que Sukuna ait assisté à cela…
Je lève la tête vers lui. Ses quatre bras sont croisés sur sa poitrine et, adossé au mur, il fixe le sol d’un air nonchalant. Mais, la lueur écarlate allumant ses yeux le trahit.
Il est furieux.
— T’avais raison, je lâche d’une voix étranglée, me forçant à sourire.
Il ne dit rien, la mine sombre.
— Je… Je crois que j’ai plus qu’à nettoyer tout cela… Je demanderai aux voisins s’ils en veulent ou… Si jamais tu as faim… Je ne sais pas si tu ressens la sensation de faim ou…
Une main se pose sur l’arrière de mon crâne, m’enfouissant dans un torse chaud. Aussitôt, l’odeur de Sukuna m’embaume dans un cocon rassurant, le même que j’ai ressenti la première fois que je suis entrée dans cette maison.
Deux bras s’enroulent autour de moi, se logeant dans ma cambrure, tandis qu’une première main se pose sur mes omoplates et l’autre masse mon crâne. Sukuna m’enveloppe entièrement dans son aura apaisante.
Alors, à l’abri, j’éclate en sanglots.
— Chhhh…, murmure-t-il en caressant doucement mon dos et ma tête. Il n’en vaut pas la peine.
— J… Je sais, mais… J’ai tellement la sensation de ne pas avoir été du tout respectée durant cette relation…
— Alors, ce qu’il vient de se passer est la meilleure chose qui pouvait arriver…
Je sais. Mais, cela fait mal. Je me fiche que Gabriel ne soit plus mon petit ami. Il n’y a que le manque de respect qui me fait mal.
Durant un temps, nous restons comme ça. Je suis bien dans ses bras. Mieux que nulle part ailleurs. Et cette chaleur douce, doublée d’une odeur apaisante que je ne saurais décrire, finit par tarir mes larmes.
— Là…, chuchote-t-il tandis que sa main posée sur le creux de mon dos remonte sur ma joue, me forçant à le regarder.
Jamais je n’ai été aussi proche de Sukuna. Nos nez se frôlent en une caresse électrique tandis que mon regard suit, comme hypnotisé, la courbure de chaque gravure ornant son visage. Parcourant le trait sur sa mâchoire, je ne peux m’empêcher de regarder ses lèvres, légèrement rosées. Embarrassée, je fixe ses yeux pour savoir s’il m’a surprise. Mais son regard est lui-même posé sur ma bouche.
— Tu as l’air d’aller mieux…, chuchote-t-il avec douceur. On va pouvoir reprendre.
Mes sourcils se froncent. Il essuie une larme qui n’avait pas séché sur ma joue. Son ongle frôle ma pommette et je frissonne.
— Reprendre quoi ?
— La cuisine. Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser abandonner ce que tu as commencé ?
Mon cœur se serre en regardant ces plats que je préparais pour Gabriel.
— Je… Je ne suis pas d’humeur, Sukuna… Faire ça seule, c’est l…
— Seule ? répète-t-il en me lâchant, saisissant des ustensiles sur le comptoir. Hors de question que tu gères ça seule !
Mon cœur rate un battement lorsqu’il sourit à pleines dents. Je réalise que je n’avais jamais vu cette facette de lui.
D’une certaine façon, Sukuna m’a toujours montré qu’il s’inquiétait pour moi. Au travers de ses petites actions, via l’air désemparé qu’il affiche à chaque fois que Gabriel est mentionné. Cependant, il a toujours été clair : il s’occupe de moi pour que je m’occupe bien de la maison. Une personne triste ou malade ne peut avoir assez d’énergie pour restaurer cet endroit.
Seulement, à cet instant précis, alors que je regarde son large sourire, tandis qu’il fait apparaître des livres de cuisine dans un claquement de doigt, je me surprends à penser qu’il est peut-être moins monstrueux et rustre qu’il ne le prétend…
…Et je dois dire que cette idée me plaît.
— Ce chat est vraiment passionné par Monster High, commente Sukuna en avalant une brochette faite maison.
Cuisiner avec Sukuna est rapide, efficace et extrêmement drôle. Malgré mes multiples erreurs de mesure, mes mouvements maladroits, il a été patient avec moi. Deux de ses bras rattrapaient mes bêtises tandis que les deux autres nettoyaient.
Ayant quasiment terminé notre tâche, nous avons allumé la télévision, le temps de finir les préparatifs. Depuis la cuisine, nous pouvons voir que Kitty est déjà sur la table basse, observant avec grand intérêt ce qu’il se passe à l’écran.
Un sourire ému étire mes lèvres et je l’observe avec douceur.
— Attention !
Une main attrape brutalement la mienne, qui tient un énorme couteau. Regardant le pain que je coupais, je réalise que la lame de l'ustensile n’est passée qu’à quelques millimètres de mon doigt. Je ne m’en étais pas rendue compte, occupée à regarder Kitty.
— Espèce d’empotée, t’as failli te faire mal !
Une chaleur m’envahit, tétanisante, lorsque son autre main saisit celle avec laquelle je tiens le pain. Son torse chaud se colle à mon dos et il manipule mes doigts, les positionnant mieux.
— Tu vois, il faut se tenir comme ça pour éviter de se blesser. Ton comportement est très dangereux.
Je frissonne contre lui, la bouche soudain sèche. Le contact de nos peaux m’électrise presque autant que la pression de ses pectoraux saillants contre mes omoplates.
Il coupe le pain en utilisant mes mains. Je me laisse faire, paralysée par une douce torpeur.
Soudain, son menton se loge dans le creux de mon épaule et il chuchote :
— Ce serait dommage que ma rénovatrice se blesse, n’est-ce pas ? Comment la maison pourrait-elle être entretenue ?
Cette phrase devrait me faire l’effet d’une douche froide. Mais, je n’arrive pas à revenir à la raison. Je ne ressens que la caresse brûlante de sa peau et la douceur de ses attentions.
Qu’importent ses raisons, Sukuna m’a toujours traitée comme si ce manoir était un château et que j’en étais la reine.
— Et c’est bon…
Le pain est coupé, mais ses mains restent sur les miennes. Son troisième bras se glisse sous le mien et saisit mon menton, me forçant à tourner la tête pour le regarder.
Nos nez se frôlent et il susurre contre ma bouche :
— Tu mérites une belle soirée.
Cette soirée est belle, en effet. Plus que n’importe quel plateau-télé en compagnie de Gabriel. Les choses ne changent pas vraiment. Nous sommes à la même place, devant la même série, en compagnie du même chat.
Cependant, ce soir, je me sens plus légère.
— Alors ? demande Sukuna dans un rictus espiègle, me voyant poser ma fourchette.
J’ai goûté tous les plats sans exception. Et ils sont délicieux. Leur goût est si bon que je n’ai pas su m’arrêter et je mâche une énième bouchée, ne répondant à l’Esprit qu’en levant le pouce.
— Et bah, dis-donc… Quel appétit…
— Je… Mff… Tu me gâtes trop, Sukuna.
— Je dois bien cela à celle qui s’occupe si bien de chez moi. Cette maison est la seule chose qui compte à mes yeux.
Penchant la tête sur le côté, je me replace sur le canapé pour lui faire face. La couverture qui nous couvre bouge un peu à ce geste.
— Je peux te poser une question ?
— Oh… C’est le moment où tu veux savoir qui je suis et quelles sont mes origines.
Je lui montre un sourire gêné et ses traits s’adoucissent. Il ne semble pas perturbé par ma question.
— J’étais un démon impitoyable, dans le corps d’un homme bon. Beaucoup trop bon. Les années sont passées et nous sommes devenus une seule et unique personne. Un équilibre.
— Tu veux dire que vous êtes… deux ?
Il secoue la tête dans un rire doux.
— Non. Je ne suis qu’une seule et unique personne. Un équilibre parfait entre nous deux. J’ai gardé mes pouvoirs mais, j’ai développé davantage la personnalité de l’humain que j’habitais. Nous avons convergé…
— C’est pour ça que tu n’es pas…, mes lèvres se pincent, je crains de l’offenser, mais il m’encourage à parler. C’est pour ça que tu n’es pas méchant ?
— Oh, je le suis… Je peux être épouvantablement démoniaque, cruel et froid.
Ses yeux glissent jusqu’à mes lèvres avant de remonter jusqu’à mes yeux.
— Mais tu mérites mieux, tu ne crois pas ?
Je déglutis péniblement face à son air sérieux. Il sourit doucement.
— Le démon que j’étais ne voulait que le pouvoir. L’homme que j’étais voulait le bien des autres et… L’hybride que je suis devenu ne veut que la paix. Une vie solitaire dans un manoir, tiraillée entre la culpabilité que ressent l’homme en moi et la rancœur du démon.
Je frissonne. Le yin et le yang… Un équilibre parfait. Une balance idéale qui est peut-être la raison pour laquelle je n’ai pas peur.
Aux côtés de Sukuna, je ne me sens pas en danger.
— Mais je suis encore capable de cruauté. Je suis un mélange entre le bien et le mal et toi…
Il ne me regarde même plus, fixant le vide.
— Tu fais ressortir le meilleur en moi.
Un frisson roule le long de mon échine. Je tremble, émue et saisie par cette déclaration. Mon cœur se soulève et je l’observe, attendrie.
— Sukuna…
Me redressant, je cherche son regard qu’il garde fixé dans le vide. Alors, je me penche un peu plus, tentant de le croiser. Mon nez frôle sa joue avant d’arriver devant le sien.
Là, ses quatre yeux se posent sur moi. Ils s’écarquillent, comme subjugués par ce qu’ils voient.
Soudain, sa main se pose sur ma joue, me maintenant devant lui. Je frissonne, assaillie par la chaleur se répandant autour de nous. Déglutissant péniblement, je surprends ses yeux qui dérivent sur mes lèvres. Je passe ma langue dessus et aperçois ses pupilles qui se dilatent, assombrissant son regard.
Une autre main se pose sur le creux de mon dos. Doucement, il penche la tête sur le côté.
— Le meilleur…, chuchote-t-il tendrement.
Ses lèvres posent sur les miennes.
Ma poitrine gonfle quand mes yeux se ferment. Ma respiration se bloque, chamboulée par l’équilibre parfait de force et de douceur de ce baiser. Ses lèvres ont un goût sucré. Son odeur se répand en moi, apaisante. Je fonds dans cette étreinte.
Deux de ses mains caressent mon dos, me pressant davantage à son torse, tandis que les autres tiennent ma nuque et mon crâne, approfondissant l’échange. Je gémis contre lui quand nos langues s’enroulent.
Au bout de longs instants, nous nous séparons. Son front se pose sur moi et je souris doucement.
— Je… C’est la première fois depuis longtemps que je me sens aussi bien, je chuchote tandis que sa main caresse ma joue.
— Il n’y a que toi qui me fais sentir comme ça…
— Comment ?
— Vivant.
Je ne tiens plus et me jette à nouveau sur ses lèvres. Ses bras s’enroulent plus solidement et il s’allonge sur le canapé, m’entrainant avec lui. Mes coudes se plantent de chaque côté de son visage sans que je cesse un instant de l’embrasser.
Mes gémissements s’étouffent contre ses lèvres.
Lorsque je me réveille le lendemain, je ne me trouve pas dans mon lit, mais la télévision a été éteinte. Au loin, je perçois le tintement d’ustensiles et devine que Sukuna cuisine.
Tout me revient. Cuisine. Rupture. Plateau-télé. Baiser.
Mes yeux s’écarquillent en réalisant ce qu’il s’est passé. Hier, j’ai embrassé le démon qui habite chez moi. À plusieurs reprises. Longtemps. Moins de deux heures après que mon copain m’ait quittée.
Pourtant, je sais qu’il ne s’agissait pas d’un pansement. Non. J’en avais besoin depuis longtemps. Non pas pour me remettre de Gabriel. Simplement pour lui.
Sukuna.
À vrai dire, depuis que j’habite ici, je me dis que je suis toujours mieux en ces lieux avec lui. Maintenant, je sais qu’il y a quelqu’un derrière ces gestes attentionnés. A chaque bouilloire chaude pendant mes menstruations, à chaque caresse sur ma tête quand je réfléchis sur mon ordinateur, à chaque repas préparé… Quelqu’un pense à moi.
Une personne qui me fait rire durant nos travaux ensemble. Il m’aide à réparer la plomberie et je le devine parfois sous l’évier, en train de bricoler le siphon. J’ouvre alors le robinet, l’aspergeant et, même si je ne peux pas voir son expression faciale, j’éclate de rire en entendant ses grognements.
Tout cela… J’ai besoin de tout cela. Je me sens entière avec tout cela…
Mais à présent, que va-t-il se passer ?
— Bien dormie ?
Sukuna, habillé d’un de mes sweatshirts, pose un plateau sur la table basse et je souris devant cette délicieuse odeur.
Il ne me semble pas hostile… Cela est un bon signe. J’aurais détesté qu’il se referme après notre baiser.
— Je… Oui, et toi ?
— Je ne dors jamais, je n’en ai pas besoin.
— Alors, tu as passé une bonne nuit ?
Il s’assoit sur le fauteuil et me sourit tendrement.
— Oui, la nuit a été bonne.
Frissonnant face à son regard doux, je dissimule la chaleur qui m’assaille en saisissant une viennoiserie et mordant dedans. Aussitôt, mes yeux s’écarquillent.
— Je ne te le dirais jamais assez, mais tu es un sacré cordon bleu.
— Je sais mettre l’effort lorsque l’invité le vaut.
— Invitée ? je m’exclame, outrée. Il me semble que j’ai gagné le droit d’affirmer que je suis chez moi.
Il rit doucement.
— Tu as raison, tu es chez toi.
Il se tait brièvement.
— Tu es chez nous…
Nerveuse, je me dandine d’un pied sur l’autre en regardant la porte d’entrée. Il y a une dizaine de minutes, Gabriel m’a appelée pour me dire qu’il comptait venir chercher quelques affaires qu’il avait oubliées. Mary sera avec lui pour le soutenir émotionnellement.
— Tu es si nerveuse ? retentit la voix de Sukuna dans mon dos.
Les mains dans les poches d’un sweatshirt, il descend les escaliers d’un air nonchalant. Ses yeux glissent sur ma tenue dépourvue de la moindre tache de plâtre ou de sauce.
Si nous nous parlons chaleureusement, Sukuna et moi n’avons pas évoqué le baiser que nous avons échangé. Il agit comme si cela ne s’était pas produit et je l’imite, rongeant mon frein. Mais, cela me ronge.
Je me sens bien ici, avec lui. Je crains de fragiliser cet équilibre et une partie de moi ne cesse de répéter que s’il n’a pas parlé de ce moment, c’est qu’il ne veut sans doute pas s’en préoccuper.
Pourtant, le soir, lorsqu’il s’assoit sur son fauteuil, je serre les dents en réalisant que nous serions mieux, blottis l’un contre l’autre sur le canapé.
— Tu es… vraiment belle. Tu as fait ça pour lui ?
Je mords ma lèvre. Ses yeux fixent ce geste avant de se concentrer sur mon regard tandis que je tourne la tête.
— Je… Je sais, c’est débile. Ça fait longtemps qu’il ne m’attire plus, de toute façon. Je devrais m’en fiche, mais… Il m’a manqué de respect, m’a humilié et va venir chez moi… Je ne veux pas lui donner l’impression qu’il m’a détruite…
Je me rends soudain compte que Sukuna doit me trouver parfaitement immature.
— Il va venir ici avec la fille avec laquelle il m’a trompée, va voir que je suis seule avec mon chat… Je ne veux pas en plus être dans des vêtements tachés de gras qui donnent l’impression que je m’apitoie sur mon sort et que son départ m’a brisée…
Il ne répond pas et je dois avouer que je n’arrive pas à deviner quoi que ce soit de son expression faciale. Ses traits sont tirés, quasiment immobiles. Il ne laisse rien deviner de ce qu’il pense.
Soudain, la sonnerie retentit. Tournant la tête, j’aperçois deux silhouettes derrière la porte. Mon estomac se soulève et je me tourne vers Sukuna pour chercher du réconfort.
Il a disparu.
— Bon…
Soupirant, je m’efforce de lever le menton avant d’ouvrir la porte. Gabriel se tient sur son seuil au bras de Mary qui pose un baiser sur sa joue puis dérive sur ses lèvres, glissant sa langue dessus. Je manque de pouffer face à cette démonstration d’affection.
Je vois que je ne suis pas la seule qui ait décidé d’en faire des caisses…
— Salut…, lance Gabriel d’un ton penaud, visiblement embarrassé d’être là.
— Hello ! sourit à pleines dents Mary, se pressant à mon copain.
Elle me pique mon copain et se pointe tout sourire devant ma porte ? Elle pourrait au moins faire semblant d’être embarrassée. Celle-là ne manque ni de toupet, ni d’hypocrisie.
— Tu as mes affaires ?
— J’étais occupée ces derniers temps, tu peux les chercher toi-même, je lance en me décalant, les invitant à entrer.
Ils échangent un regard avant d’entrer dans le couloir. Un sourire espiègle étire les lèvres de Mary et Gabriel, croyant que je ne le vois pas faire, fait une grimace pour se moquer de moi.
Mon cœur se serre. Oui… Aucun respect…
— Alors, j’avais dû oublier quelques vêtements dans ta chambre, commence Gabriel en se dirigeant pourtant vers le salon. Mais je crois que j’ai laissé aussi une gourmette dans la cuis…
Sa voix meurt brutalement dans sa gorge et il s’arrête de marcher. Mary l’imite aussitôt et je fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qu’ils regardent de cet air chamboulé. Cependant, lorsque je tourne la tête, je manque de hoqueter face à la vision qui nous accueille.
De la serviette enroulée autour de la taille de Sukuna jaillit un “V” menant à des abdominaux semblant avoir été taillés dans un marbre chaud. Ces derniers donnent sur des larges pectoraux rassurants qui se muent en des biceps puissants et presque intimidants. Quelques gouttes d’eau coulent le long de ses tatouages, chutant sur ses hanches. Posant une bouteille sur ses lèvres, il la lève et contracte son bras dont les veines jaillissent, dessinant des lignes sous sa peau maculée de gravures noires.
Ma gorge est sèche. L’atmosphère est devenue brûlante.
— Oh, chérie… Je n’avais pas compris que tes amis venaient maintenant. J’aurais terminé ma douche plus tôt, me dit Sukuna en s’approchant de moi.
Sa main attrape ma hanche et il m’attire jusqu’à lui d’un geste sec. Nos ventres se touchent.
— Ou je l’aurais prise il y a deux heures, avec toi, sourit-il doucement en louchant sur mes lèvres.
Tendrement, il m’embrasse. Sa bouche est douce, contre la mienne et je ne peux que fermer les yeux, fondant dans ce moment. Nos lèvres remuent plusieurs fois l’une contre l’autre. Jusqu’à ce que j’y mette un terme.
Reculant, il fait mine d’être surpris de voir Mary et Gabriel qui, de leurs côtés, nous dévisagent avec effarement.
— Oh, navré. J’ai tendance à oublier où je suis quand je l’embrasse. Vous savez ce que c’est, je suppose ?
Mais ils ne répondent ni à sa question, ni à son sourire. Au lieu de cela, Mary m’observe avec frustration et je sens la confiance de Gabriel fondre en lui tandis qu’il regarde Sukuna.
Je dois avouer que cette vision a quelque chose de jouissif.
— Je… Je vais aller m’occuper de mes affaires, grommelle Gabriel en baissant la tête. Viens Mary. Mary ?
Il claque des doigts devant sa copine, l’arrachant à la contemplation du torse de Sukuna. Cette dernière sursaute, embarrassée d’être prise sur le fait. Rentrant la tête dans les épaules, elle suit son copain et ils disparaissent tous les deux à l’étage.
Je ne peux empêcher un sourire satisfait en les regardant partir.
— Merci, je chuchote en me tournant vers Sukuna qui me regardait déjà. J’avais besoin de cette victoire.
Il me sourit doucement.
— Tu l’as vraiment fait pour me remonter le moral ? C’est tellement gentil.
— Non, il y avait une autre raison… Plus égoïste.
Me tournant vers lui, je hausse les sourcils. Ses yeux glissent sur mes lèvres et l’air se fait soudain plus chaud et épais. Ma gorge s’assèche tandis que je m’efforce de regarder son visage et ignorer son torse dénudé, juste en dessous.
— J’étais jaloux.
Ses mains saisissent mon visage, m’attirant jusqu’à lui et il m’embrasse. Mes yeux se ferment quand nos bouches se touchent. Aussitôt, mes doigts se perdent dans ses cheveux et je gémis contre lui.
Mon dos touche le mur. Ses deux autres bras apparaissent et se glissent sous mes cuisses, les saisissants. J’enroule mes jambes autour de sa taille, continuant de l’embrasser avec passion.
Nos langues se touchent, s’emmêlent et dansent dans un rythme presque violent. Il gémit contre moi et je frissonne à ce son.
Bientôt, nos fronts se posent l’un contre l’autre. Il me tient toujours autour de sa taille, mais deux de ses quatre bras ont disparu.
— Tu mérites tellement mieux, chuchote-t-il d’une voix à peine audible. Laisse-moi te donner mieux.
— Fais-le, Sukuna. Donne-moi plus, je murmure, ma bouche frôlant la sienne. Embrasse-moi.
— Tout pour toi.
Me gardant dans ses bras, il glisse son visage dans le creux de mon épaule et y dépose de délicats baisers. Les yeux clos, je savoure cette sensation et m’apprête à l’embrasser passionnément quand, soudain, j’ouvre les yeux.
Mon regard croise ceux, médusés, de Gabriel et Mary, plantés en bas des escaliers.
— Sukuna ! je m’exclame dans un cri, les montrant du doigt sans aucune politesse.
— Quoi ?
Mon amant se retourne au moment où Gabriel brandit le sac qu’il tenait dans la main.
— On a… trouvé ce qu’il faut. Merci.
— Bah, de rien, rétorque Sukuna avant que je dise quoi que ce soit. Vous savez où est la porte. Fermez en partant.
Aussitôt, ses lèvres s’écrasent contre les miennes. Un instant, ma pudeur me pousse à vouloir le repousser pour les raccompagner. Après tout, s’embrasser devant eux serait irrespectueux…
…Presque aussi irrespectueux que de me tromper et se pointer en compagnie de sa maîtresse dans ma maison.
A cette idée, mes doigts glissent dans les cheveux de Sukuna et je l’embrasse passionnément. Sa langue s’enroule autour de la mienne tandis que ses bras me tiennent avec force contre lui.
Au loin, j’entends le bruit de la porte se fermant. Mais, je m’en fiche. Je ne me concentre plus que sur Sukuna, les mouvements de ses lèvres et la douceur de son toucher.
Nous basculons sur le canapé, tombant l’un contre l’autre. Je pousse un cri et il rit.
Me lovant contre sa poitrine, je reprends difficilement mon souffle après ce baiser endiablé. Contre ma joue, son torse se soulève difficilement tandis qu’il caresse ma tête d’une main lascive.
Au bout de quelques secondes, je ferme les yeux.
— Je… Je croyais que tu avais honte de notre baiser et que c’était pour ça que tu n’en parlais pas, je soupire au bout d’un moment.
— Et moi, je pensais que tu avais juste eu besoin de te changer les idées après ta rupture.
— Quoi ? je m’exclame en me redressant, le regardant.
Il est extrêmement séduisant, le bras glissé sous la tête et ses yeux s’abaissant pour m’observer. Je maintiens le contact visuel avec lui tout en posant mon oreille sur sa poitrine chaude.
— Je m’attendais à rompre avec Gabriel depuis longtemps, il ne m’intéressait plus. Ce soir-là, ce n’était pas une vengeance. C’était…
Mes doigts caressent son pectoral.
— C’était nous, c’est tout…
Il rit doucement.
— Quoi ? je m’étonne de sa réaction.
— Rien, tu es simplement adorable… Et j’ai hâte de te traiter comme tu le mérites.
Un frisson parcourt mon échine.
— Tu me traites déjà comme une princesse.
— Sauf que maintenant, je peux aussi faire ça, chuchote-t-il en attrapant mon menton entre ses doigts, me tirant jusqu’à lui.
Puis, dans un mouvement infiniment doux, il pose ses lèvres sur les miennes.
• N D A •
hello ! navrée de ne pas
avoir publié hier, comme
je m'étais engagée à le faire
(j'ai sous-estimé le temps
de la correction qui m'a pris
4 heures mdrr)
n'ayant pas beaucoup
d'informations
dans la commande,
je me suis permise
d'improviser
je sais que ce sukuna
n'est pas fidèle à celui de
l'univers d'origine mais
je pense qu'un os est
bien trop court pour
exploiter sa personnalité
et le faire tomber amoureux
(et cet os fait 15 000 mots
haha)
j'espère que ça vous aura
quand même plu !
rdv sur instagram pour
choisir le prochain os !
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