𝐄𝐑𝐄𝐍 𝐗 𝐅.𝐑𝐄𝐀𝐃𝐄𝐑 - i
— C O E U R A L O U E R —
cw — humiliation
• c o m m a n d e s •
par itisartime
enemies to lovers
monde moderne
LA NUIT S’ETIRE, interminable, tandis que je sens les vapeurs du sommeil enliser chacun de mes membres. Mes doigts ne cessent de défiler les pages et mes rétines, asséchées, se voient parcourues de picotements. Je bats des paupières pour la énième fois. Le temps parait long et court à la fois.
Le jour se lèvera bientôt, accompagné de mes obligations. Celles-là même qui me poussent à ne me consacrer que maintenant au problème me taraudant lors de mes rares soirées, les étendant en insomnies qui, à force de se multiplier, me dévorent.
Des cernes ont creusé ma peau, ma bouche est constamment envahie de bâillements et je ne me souviens pas d’une journée — du moins, au cours du dernier mois — qui ne s’est pas vue assortie d’injures et remontrances.
Qu’il s’agisse des plateaux que je fais tomber, chutant à cause de la fatigue, au travail ou des devoirs en groupe où j’oublie de faire ma partie du travail, me trompant sur les dates et pensant constamment avoir encore du temps pour exécuter mes tâches, je n’ai de cesse de me faire incendier de tous les côtés.
Et le pire dans cela reste encore le fait que je suis la seule à blâmer. Car j’aurais dû m’occuper de cela bien plus tôt.
— Putain, fais chier, je maugréé en voyant l’heure avancée.
Six heures du matin. Mes cours commencent dans deux heures, je vais devoir m’arrêter dans une si je veux avoir le temps de prendre une douche et déjeuner.
Mes yeux se posent sur la boite cylindrique orange posée à côté de mon carnet ouvert et jalonné de phrases surlignées en diverses teintes pastels. Des vitamines. Je ne carbure qu’à cela depuis un petit moment.
Et je le sais, je le sens, ma santé en prend un coup.
Cependant, je ne peux vraiment pas me permettre de laisser cela de côté. Je dois régler ce problème le plus tôt possible. Car dans deux semaines, je serais expulsée de mon appartement et, avec un portefeuille tel que le mien, si je ne trouve pas une colocation rapidement, je n’aurais plus qu’à dénicher un pont pas trop mal famé.
Là est mon erreur. Ce n’est pas comme si aucun préavis n’avait été déposé dans ma boite aux lettres.
Déjà six mois que l’enveloppe se trouve dans mon immeuble. Trois que ma voisine a réalisé que le facteur s’était trompé et la lui avait donnée, à elle. Puis un que j’ai laissé le problème de côté, la période d’examens accaparant tout mon temps avec les révisions et un autre que je m’échine à décortiquer chaque annonce me passant sous la main.
Mais, entre les hommes de cinquante ans recherchant exclusivement une colocataire féminine, les appartements truffés de garçons aux tendances fêtardes ou les offres n’acceptant que des personnes avec des critères bien précis — végétalienne, bouddhiste, femme, moins de trente ans, adepte du yoga, pacifiste, dans la même filière que la personne, avec un emploi du temps lui permettant le ménage — je ne m’en sors plus.
Sans compter les annonces titrées avec culot « un appart génial et accessible » demandant 2 000 € de loyer qui me donnent envie de m’arracher les cheveux.
L’urgence est pressante. A un point tel que je ne compte plus faire la fine bouche. Qu’il s’agisse d’hommes, de fêtards, d’exigeants, je me fixe comme règle de saisir la première annonce qui me parait potable avant sept heures du matin. Et, si un problème se pose, je n’aurais plus qu’à me munir de boules Quies, gazeuse ou même cadenas à accrocher à ma porte.
Soudain, mon regard s’arrête. Mes yeux s’écarquillent. Mon cœur rate un battement et mon souffle se coupe.
Là, comme un signe du destin, juste devant moi, à quelques centimètres de mon nez, ce qui semble être l’annonce parfaite s’étend. A un point tel que je vérifie deux fois le prix du loyer, rafraichissant la page et frottant mes paupières entre temps.
Mais non. Tout est bel et bien vrai.
« Surface : 100 mètres carré.
Pièces : 8, pièces d’eau non comprises.
Loyer : 750 €.
Colocataire : 4 femmes — Sacha, Mikasa, Ymir, Petra.
Critères : être une femme, faire le ménage de sa chambre, aucune fête sauf période de vacances pour toutes les colocataires, une seule douche par jour sous peine de payer intégralement la facture d’eau.
Contact : mail à toute heure, appel à partir de 6h30 en semaine et 8h00 en weekend. »
Mes yeux s’écarquillent avant de fixer l’heure en bas de l’écran. 6h34. Je saisis directement mon téléphone. Une maison à vingt minutes à pied de l’université, aussi vaste et à ce prix-là, c’est le Graal ! Même si je me doute qu’il y a un loup, je ne m’en préoccupe pas vraiment.
Je ne peux pas laisser passer une telle opportunité.
Mes doigts composent le numéro en toute hâte et je porte le téléphone à mon oreille, croisant les phalanges en espérant de toutes mes forces que l’appartement ne soit pas déjà pris.
Cette opportunité est bien trop belle et bien tombée, comme un signe du destin.
Quelques tonalités retentissent, j’attrape ma lèvre entre mes dents, craignant de réveiller mon interlocutrice ou même que celle-ci ne réponde pas. Je veux régler cette affaire de toute urgence et cette annonce est inespérée.
Soudain, le bruit répétitif s’arrête. Un silence de quelques instants prend place, bientôt rompu par une voix grave et calme, féminine :
— Allô ?
— Allô ! je réponds aussitôt. Oui, bonjour, euh… Je vous appelle par rapport à votre annonce. C’est toujours dispo ? Non, parce que je suis intéressée ! ‘Fin… S’il-vous-plaît.
Je panique complètement. Le manque de sommeil, la possibilité de voir la fin, l’espoir, la lumière au bout du tunnel…tout se bouscule présentement dans mon esprit.
Mais la femme ne semble pas s’en formaliser, bien que sa voix demeure assez impassible.
— Oui, bonjour, elle est toujours disponible. Vous voudriez faire une visite, histoire qu’on vérifie si nous sommes toutes sur la même longueur d’onde ?
— Oui, bien sûr ! je réponds aussitôt. Quand ?
— Seriez-vous disponible ce samedi à 14 heures ? demande-t-elle.
— Oui, oui, pas de soucis !
A vrai dire, pas du tout. J’ai un service, cette après-midi-là. Mais je suis tétanisée à l’idée de laisser passer une telle chance.
— Bien alors on se dit samedi à 14 heures à l’appartement et si vous vous convenez et nous convenez, vous pourrez emménager dans le courant de la semaine.
— D’accord, je réponds avec un large sourire, saisissant mon crayon et notant en toute hâte la date, l’heure et l’adresse. Merci beaucoup.
— Tout le plaisir est pour moi, au revoir.
— Au rev…
Mais je n’ai pas le temps de finir, l’appel se coupe. Prise au dépourvu, je regarde mon écran et réalise qu’elle vient réellement de me raccrocher au nez.
Qu’importe, je jette le portable sur mon lit avant de pousser un cri de victoire, serrant le poing et exécutant une danse tout à fait ridicule. Je vois enfin le bout du tunnel. Un immense soulagement s’empare de moi, détendant chacun de mes muscles — jusqu’à certains dont je ne soupçonnais même pas l’existence.
Je souris, déjà sûre et déterminée. Qu’importe la teneur du rendez-vous de samedi, c’est décidé.
J’emménagerai la semaine prochaine.
ꕥ
Mes entrailles se tordent, je suis légèrement nerveuse. Partout autour de moi, divers détails de ce quartier qui m’est inconnu me sautent aux yeux et ceux-là observent avec attention les bâtisses anciennes, hôtels luxueux, devantures de magasins onéreux, arbres et arbustes taillés avec soin.
Aucun doute n’est possible, je suis dans un secteur de fortunés.
Intimidée, je déglutis péniblement. Jusqu’à descendre à cette station et m’arrêter au pied de cet immeuble, j’étais convaincue que je trouverais un habitat similaire au mien, défraichi dans une ruelle puant la pisse et la misère, pile dans mes moyens. Mais, à présent au cœur de ce coin luxueux, l’envie de vérifier l’annonce pour la énième fois me prend.
Un trottoir nettoyé avec soin, des arbres feuillus aux teintes délicatement brunes et vertes, des façades éclatantes aux moulures soigneusement tracées, difficile de croire qu’un huit pièces de cent mètre carré dans un tel lieu, en plus à quelques kilomètres seulement de l’université ne puisse valoir que la modique somme de sept-cent-cinquante euros par mois.
Je déglutis péniblement. Cette annonce cache surement un loup.
Mais, non seulement je ne suis pas en mesure de faire la fine bouche étant donné l’échéance s’approchant, mais je ne veux en plus pas réellement laisser filer cette affaire en or. Peut-être — sans doute même — cette magnifique opportunité comporte-t-elle ses failles. Seulement je préfère me laisser le soin de les découvrir dans cet appartement large et accueillant que de vivre sous un pont à partir de la semaine prochaine.
Mon regard se pose sur l’écran de mon téléphone. L’heure approche. Mikasa Ackerman, la jeune femme que j’ai appelée, m’a fait parvenir les codes et le numéro de l’étage, cinquième.
Peut-être n’y a-t-il pas d’ascenseur ? Non, cela ne suffirait pas à justifier un tel prix.
Dépassant la façade aux moulures simples et élégantes, je gravis les marches de marbres rosées bordées par des buissons finement taillés. Puis, arrivant sur le seuil, devant l’imposante porte de bois, je me tourne vers le digicode et appuie sur les diverses touches. Un tintement sonore et mécanique retentit.
Je pousse la porte et débouche sur un vaste hall au sol en damier fraichement nettoyé. Les murs, blanc nacré, sont séparés par des colonnes brunes aux bases d’or. A divers endroits, des cages d’ascenseur naissent. Au fond, une plaque de marbre gravée doit renseigner l’histoire de ce lieu mais je n’y prête pas attention, admirative.
Cet immeuble est vraiment un nid à riches.
Sans tarder, je m’approche du premier ascenseur. Lorsque ses portes s’ouvrent, dévoilant une cage composée de sols et murs à impressions de marbre vert, le tout m’éblouit. Mais je n’ai le temps de m’arrêter plus longuement.
Appuyant sur le bouton doré du cinquième étage, je me retire dans l’espace confiné et sourit en regardant autour de moi. Tout est si beau, si luxueux. La montée semble légère, comme si j’étais délicatement transportée à mon arrêt.
Non. Tout semble trop éblouissant et parfait pour être vrai.
La cage s’arrête dans un tintement aigue, les portes s’ouvrent sur un long couloir aux tons ocres et tout aussi luxueux. Sans perdre de temps, j’avance sous les lustres de cristal, fixant le tableau réaliste aux tons printaniers disposés en face de moi, au fond du corridor.
Selon le texto de Mikasa, le numéro d’appartement est le quatre. Attentivement, je poursuis ma route et m’arrête devant celui-ci, prenant quelques profondes inspirations et rangeant mon téléphone dans ma poche. Le temps d’un instant, je tends l’oreille, espérant percevoir un bruit, une voix à même de me rassurer.
Mais rien. A l’exception du seul silence.
Ma main est tremblante quand je la hausse en direction de la porte. Déglutissant péniblement, je ferme le poing tandis que mon regard demeure fixé sur le quatre métallique est lustré accroché à la porte.
Cet endroit deviendra-t-il mon chez moi ?
Fermement, je frappe à deux reprises. Aussitôt, des pas se font entendre de l’autre côté, comme si une personne marchait en talon sur le sol. Légèrement surprise, je prends une profonde inspiration tandis que la cadence des battements de mon cœur augmente rapidement. Je n’ai que rarement été aussi anxieuse, pas même pour mes examens.
Un grattement retentit sur la surface de la porte. Le bruit du loquet suit. Elle s’ouvre. J’expire. Mes yeux se posent sur le visage s’étendant à présent devant moi.
Deux yeux fins aux iris marronnées brillent sous des sourcils taillés avec précision, séparés par un long nez affiné. Entourant ces traits dispersés sur une peau opaline, des cheveux noirs et raides accentuent l’éclat de sa peau.
Elle est typée asiatique, peut-être issu d’un métissage. Son visage m’est familier, je l’ai déjà vu à l’université, au détour de quelques couloirs.
— Bonjour, je lance en toute hâte, anxieuse.
— Bonjour, répond-t-elle simplement.
Ouvrant plus largement la porte, elle m’invite à entrer. Derrière elle, je peux d’ores et déjà distinguer un séjour illuminé par la lumière du jour. Mais mes yeux n’ont le temps de s’attarder sur les meubles et décorations, elle se place à côté de moi.
Le bruit sec de la porte se refermant dans mon dos retentit, suivit par celui de sa voix :
— On va commencer par une visite de l’appartement suivie d’un entretien. Tu exposeras tes besoins, on verra si tu corresponds aux nôtres, ça te va ?
— Oui, je réponds d’une voix enrouée.
Je la sens acquiescer à ma droite.
— Nous avons donc huit pièces, salle d’eau non comprises, cinq chambres, un salon, une salle de jeu et une bibliothèque, commence-t-elle.
Exécutant quelques pas sur le parquet, elle franchit une arcade desservant sur une large salle aux murs bleu canard. Au fond, trois fenêtres plantées dans le mur me font face, illuminant un large canapé posé devant une table basse de verre et un écran plat. Derrière celui-ci, une cuisine ouverte s’étend, traversée d’un ilot central. Le mur du fond est constitué d’un vaste aquarium parcouru de ce qui ressemble à des faux poissons mécaniques. Sur le sol, un tapis noir s’étend sur le parquet brun.
Mes sourcils se haussent devant la décoration visiblement pensée au millimètre près. Face à tant d’objets onéreux, meubles soignées et disposition réfléchie, je n’ose même pas prendre la moindre respiration. A mes côtés, la jeune femme prend place.
— Si tu as un animal, il n’aura pas le droit de monter sur le canapé. On a quatre fenêtres et un voisin voyeur donc sauf si t’es comme Sacha et que tu t’en fous, évites de te balader à poils dans l’appartement.
J’écarquille les yeux. Ai-je bien entendu ce que je viens d’entendre ?
— Donc à ce propos, rajoute Mikasa d’une voix froide et dénuée d’émotions, Sacha aime bien marcher nue dans la maison à des heures tardives. Ne sors pas de ta chambre ou assume les conséquences.
— Ah…, je ne laisse que simplement entendre.
— Ymir crie beaucoup quand elle joue aux jeux vidéo ou quand elle passe la nuit accompagnée, investis dans des boules Quies.
J’entrouvre les lèvres, peu sûre de ce que je peux bien rétorquer à une telle déclaration. Mais elle me prend de toute façon de court en poursuivant.
— Petra est cool. Vraiment cool. Mais quand elle invite ses potes, Erd, Gunther, Auruo, ils font du bruit toute la nuit en regardant une série de merde mais sinon elle est vraiment cool.
Un sourire étire mes lèvres malgré moi. La visite n’est pas encore finie mais, si l’appartement est du même style que le salon, que la nature des colocataires est la seule raison pour laquelle le loyer est si bas, alors je flaire l’excellente affaire.
Je m’accommoderai volontiers de ces caractères.
Me tournant vers la femme, je me prépare à accepter d’emblée, sans même avoir eu la moindre discussion ni finit la visite. Il est hors de question qu’une telle opportunité me passe sous le nez.
— Ah oui et mon frère nous rend souvent visite, il a fait fuir les filles avant toi.
— Quoi ? je demande aussitôt en fronçant les sourcils.
Si ma place est vacante, cela est dû au départ des personnes m’ayant précédée. Alors, si ce garçon en est responsable, mes oreilles se dressent aussitôt et mon attention s’aiguise. Je veux savoir dans quoi je m’embarque.
Ce que je dois prévoir pour endiguer le problème, le couper à sa racine.
— Quand mon frère adoptif s’engueule avec son père, il vient ici. Il a l’habitude de faire comme chez lui et ça incommode certaines filles.
— Comment ça ? je demande en fronçant les sourcils. Tu veux dire qu’il se sert dans le frigo, vole la télécommande et se douche ici ?
— En somme, oui.
Je hausse les épaules. Un tel prix pour un bijoux pareil, cela vaut ses petits inconvénients. Et si ceux-là se résument à un abruti se baladant en serviette à huit heures du matin, je n’aurais qu’à m’enfermer dans ma chambre.
Fière de ma trouvaille et soulagée de voir enfin le bout de ce tunnel d’angoisse, j’esquisse un sourire radieux avant de me tourner vers la jeune femme.
— J’ai un garant, ai toujours payé mes loyers en heure et suis dans l’urgence. Je n’ai pas besoin de visiter le restant de l’appartement tout de suite, je suis prête à emménager la semaine prochaine, je peux signer ?
Elle n’affiche aucune expression, visiblement pas profondément surprise par mes propos. Je n’ai pas encore visité l’appartement, je ne les ai pas toute rencontrées mais je suis fin prête à poser mes bagages.
Elle acquiesce simplement avant de se tourner vers la table basse ou diverses feuilles identiques — que je devine être des photocopies du contrat — sont disposées à côté de deux stylos noirs.
— Bien, allons-y.
ꕥ
Avec un soupir exténué, je pose le dernier carton sur le sol de ma nouvelle chambre et me redresse, ébahie par la place que j’ai gagnée. Cette pièce diffère radicalement de celle que j’occupais auparavant — déjà parce que la superficie de cette seule salle représente à peu près l’intégralité de mon ancien appartement. De plus, j’ai même une salle de bain personnalisée.
Un faible rire me prend tandis que, les mains sur les hanches, je balaye l’espace du regard. Trois murs blancs et un fait de briques de la même couleur illuminent les lieux. Au fond, une fenêtre laisse filtrer la lumière du puissant soleil légèrement colorée par le rideau brun tombant de part et d’autre de la vitre. Au pied de celle-ci, sur les commodes visiblement onéreuses et finement travaillées et armoires parisiennes du même genre, quelques plantes sont visibles.
Sur le mur de briques, un lierre d’intérieur commence même à grimper, agrémenter d’une fine liane parsemée de lampes LED laissant croire que des lucioles se baladent le long de la plante.
L’atmosphère est ici absolument charmante quoi que dépaysante, avec son lit à baldaquin spacieux, sa verdure, ses bougies et ses lampes. Peut-être ma salle de bain privée adjacente est-elle similaire à cet endroit ?
D’après Mikasa, la petite-amie d’Ymir est celle qui s’est occupée de la décoration du lieu. Et, même si cette dénommée Historia m’a envoyé un mail charmant où elle m’a assurée que je pouvais modifier autant que je le voulais les lieux, que je n’étais pas obligée de garder ses touches personnelles, j’admets qu’elle y a visiblement mis tant de cœur que je ne souhaite pas modifier l’endroit.
Quand bien même il s’agit d’un style particulier et très axé visiblement sur la douceur et le bien-être, le cadre est reposant donc rien ne sert de gâcher ses travaux.
Seulement, avec mes cartons recouvrant le tapis de poils blancs et même le lit à baldaquin soigneusement épousseté et décoré de pétales rose clair, je réalise bien vite que, si je souhaite ne pas détruire le dur labeur d’Historia, il va me falloir me dépêcher de ranger mes affaires.
Quoi qu’elles ne sont pas bien nombreuses — j’ai pu déplacer les dix cartons seule. Après avoir placé mes vêtements dans l’armoire, affaires de toilettes dans la pièce d’à côté et matériel scolaire dans le bureau — une table de marbre blanc aux touches dorées qui a l’air si onéreuse que je crains de m’en approcher — tout sera sûrement redevenu aussi propre qu’avant.
Je me mets donc aussitôt au travail, ne laissant pas l’opportunité à la fatigue de me prendre de court. L’organisation de cette maison a donné un coup de fouet à ma motivation et, après avoir rejoint directement ma chambre sans prendre la peine de rencontrer les filles qui, selon Mikasa, me rejoindront au diner, j’ai immédiatement ressenti le besoin de m’intégrer à ces lieux.
Ouvrant le premier carton, j’y découvre mes chaussures. Les trois autres à côtés contiennent aussi des vêtements alors, à l’aide de mon pied, je les pousse jusqu’à l’armoire parisienne blanche au fond de la salle, à côté de la fenêtre. Puis, je fais de même avec les deux boites contenant mon matériel de cours ou ma paperasse que j’amène près de mon bureau et termine finalement avec les affaires de toilettes que je pousse devant la porte de ma salle de bain privée, me promettant de les mettre en ordre quand je prendrais ma douche, tout à l’heure.
Retournant à mes habits, j’entreprends de les sortir en prenant soin de ne pas les déplier pour les ranger plus facilement dans les étagères. Puis, se faisant, je réfléchis mûrement aux paroles de Mikasa à propos de son frère.
Etant donné la description qu’elle en a dressé, je dois m’avouer peu impressionnée par cet être. Soit, il s’agit de toute évidence d’un fils à papa pourri gâté ne supportant pas qu’on lui dise non et qui trouve donc refuge en ces lieux où il agit en maître, rien qui ne soit pas insurmontable ou immaitrisable. Je suis même surprise d’entendre dire que tant de jeunes filles ont fui devant lui.
Mon sang se fige soudain dans mes veines quand l’idée qu’il pourrait être particulièrement insistant et effrayant d’un point de vue sexuel me prend. Cela pourrait justifier que tant de personnes ait préféré plier bagages. Autant beaucoup seraient prêtes à affronter un connard qui se sert dans le réfrigérateur et ordonne de faire le ménage tant l’appartement est spacieux et le loyer, peu cher — car, à ce stade, le prix relève de l’utopie — mais moins pourrait rester aux côtés d’un prédateur si elles se savent en danger.
Je secoue la tête aussitôt que cette idée me traverse. Ymir est une combattante et boxeuse particulièrement douée qui a mis plus d’un adversaire au tapis et, après avoir écumé ses réseaux sociaux hier pour savoir à qui j’aurais à faire, j’ai appris que la seule personne qui était parvenue à la battre était nul autre que Mikasa. Et, l’engagement féministe de ces deux-là transparaissant sur internet, je serais étonnée d’apprendre qu’elles laissent un abruti se comporter de la sorte.
Sacha et Petra, quant à elles, sont de nature plus réservée. Mais la première s’est démarquée en qualité de tireuse à l’arc au lycée et la deuxième a connu une courte période dans l’armée sous les ordres du cousin de Mikasa, un dénommé Livai Ackerman, dont les rares vidéos visibles sur la toile m’ont convaincue de ne jamais croiser sa route.
Ce mec est haut comme trois pommes mais peut maitriser n’importe quel titan en une poignée de secondes.
Quoi qu’il en soit, mes recherches m’ont permis d’arriver à une conclusion : je viens de débarquer dans un appartement remplie de combattante et guerrière qui pourraient faire pâlir d’envie Lara Croft et Black Widow tandis que mon seul combat réussi à ce jour fut celui contre l’ordinateur du lycée que j’ai ravivé à coups de poing.
Autant dire que nous n’évoluons pas dans la même cour.
— Ça, c’est fini, je soupire avant de rejoindre le deuxième point où j’ai amassé mes affaires.
Mon regard se pose quelques instants sur le meuble onéreux. Puis je songe aux câbles, chargeur et biens électroniques du premier carton et la papeterie du deuxième. Je n’en ai réellement pas besoin tout de suite.
Et étant donné le prix que doit coûter ce bureau, je préfère encore repousser un maximum le moment où je l’utiliserai ou même, tout simplement, le toucherai.
— Voyons voir, je soupire en rejoignant cette fois-ci la salle de bain, ouvrant la porte et poussant les cartons du pied jusqu’en son intérieur.
Un marbre rose constitue les murs, ressortant face aux meubles de bois où quelques plantes sont suspendues çà et là depuis le plafond. Au fond, une cabine de douche aux reliures d’or se dresse à côté de latrines de porcelaine.
J’analyse le parquet quelques instants et les bougies senteur vanille dispersées sur chaque meuble. Historia a vraiment fait un travail incroyable.
Je n’ai plus qu’à ranger et me doucher.
ꕥ
Une heure plus tard, emmitouflée dans une serviette et ma peau encore fumante après m’être abandonnée sous l’eau brûlante durant une bonne trentaine de minutes pour mieux me détendre, je pousse la porte de ma chambre, ravie de découvrir les lieux aussi frais et délicats que lorsque j’ai posé mon premier pied dedans.
Mais, au moment où je pose un pied sur le parquet de bois clair, mes muscles se figent et j’écarquille les yeux, prise de court par la vision qui s’offre présentement à moi.
— Bordel de merde mais t’es qui ! je lâche, horrifiée.
Allongé sur le lit à baldaquin, un bras derrière la tête tandis qu’un autre tient un livre, un homme git. Ses longs cheveux bruns s’étendent sur les draps de soie et ses iris semblables à deux émeraudes s’animent entre leurs longs cils.
Quittant les lignes qu’ils parcouraient, ils se posent soudain sur moi avant de me détailler, scannant mon visage puis ma silhouette dans la serviette et mes jambes en jaillissant. Un rictus étire le coin des lèvres de l’inconnu et il se concentre à nouveau sur le livre qu’il tient.
A ce spectacle, je vois rouge. Que fais cet idiot dans ma chambre et pour qui se prend-t-il ?
— Tu t’es cru dans After, connard ? je lâche. Et arrêtes de faire semblant de lire, tu parles pas un mot de coréen, j’en suis sûre !
Car la couverture qu’il tient entre les mains, je la reconnaitrais entre mille. Il s’agit de la version originale du livre Ma Mémoire Assassine — ou 살인자의 기억법 — écris par Kim Young Ha.
Afin de parfaire mon apprentissage de la langue, je l’ai acheté il y a deux semaines. Et cette enflure vient juste de le piquer dans l’un des deux cartons que je n’ai pas déballés.
Pour toute réponse, l’inconnu déclare soudain, haussant légèrement la tête sans me regarder et faisant ainsi briller les piercings accrochés à son oreille :
— 제가 꿀을 처럼이에요.
Non mais dites-moi que je rêve.
— Tu es comme du miel ? Sérieusement ? je répète. T’as rien trouvé de mieux pour me faire croire que tu parlais coréen ?
Il ne rétorque pas tout de suite. Sans doute cherche-t-il un moyen de corriger le tir après s’être fait prendre aussi lamentablement à son propre jeu. En parcourant les lignes traversées de coups de crayon du livre, il a sans nul doute cru que je ne parlais pas un mot de la langue et commençais tout juste l’apprentissage.
Donc il a tenté de m’impressionner avec une phrase répétée approximativement d’un drama coréen. Et, s’il avait changé une seule sonorité de ses paroles, j’y aurais même peut-être cru.
Les mots d’origine devaient être « 제가 꿈을 처럼이에요 » qui signifient « Je suis comme un rêve » et auraient sans doute bien plus de sens.
Ouvrant enfin la bouche, il semble prêt à répliquer, ses yeux toujours rivés sur les lignes alors que nous deux savons pertinemment qu’il ne les comprend pas. Peut-être va-t-il corriger son erreur ? Sortir une autre phrase en espérant qu’elle soit correcte ? Ou même parler une tout autre langue ?
Je l’observe, prête à entendre sa réponse.
— Dégage.
Abasourdie, j’écarquille les yeux, sous le choc de ces paroles.
Je m’attendais à bien des choses mais pas à un ordre aussi froid, irrespectueux et méchant.
— Pardon ? je répète, abasourdie.
— Dégage, lâche-t-il. J’ai envie de dormir et t’as déjà de la chance que j’ai pas foutu le feu à tes cartons de merde.
Se détachant de la contemplation du livre, il me gratifie enfin d’un regard qu’il promène sur mon corps toujours enroulé d’une simple serviette — me faisant pleinement prendre conscience de ma vulnérabilité face à lui.
— Et t’es sûrement pas assez bonne pour que je te demande de rester.
Je me fige. Ai-je bien entendu ?
— De quel droit tu…
— Justement, c’est bien que tu parles de droit parce que légalement, cette maison est à moi. Je l’ai prêtée à ma sœur pour qu’elle loue les chambres comme ça lui chante à ses amies mais celle-là est censée être vide pour que je puisse aller et venir comme bon me semble, me coupe-t-il.
Et, sans plus de cérémonie, il jette le livre à l’autre bout de la pièce, visiblement ennuyé par celui-ci avant de tourner la tête en ma direction, un bras déjà rangé sous sa tête.
— Il y a un contrat écrit qui stipule qu’elle ne doit pas louer cette chambre et je ne sais pas pourquoi elle persiste à le faire mais tu vas vite dégager si tu veux pas que je te colle un procès et mon pied au cul, lâche-t-il.
Je me fige. La voilà, la raison pour laquelle les filles vont et viennent dans cette maison. Si ce connard dit vrai, alors légalement elles n’ont pas le droit de rester ici.
Et, malgré l’affaire en or que cet appartement représente, risquer un procès contre une personne assez fortunée pour avoir acheter et sous-louer une telle demeure — et donc aussi assez fortunée pour se procurer une armada d’avocats — est simplement stupide.
Mais je me sens l’âme idiote, aujourd’hui.
Surtout depuis que, ayant rendu les clés de mon ancien appartement à mon propriétaire, je n’ai littéralement plus nulle part où aller excepté cet endroit. Niveau expulsion, je commence à bien m’y connaitre, maintenant.
Alors je sais que, légalement, après m’avoir fait signer un contrat d’emménagement, il ne peut se rétracter tout de suite et doit me laisser un délai avant de me mettre à la porte.
Après tout, j’ai soigneusement lu ce même contrat et il disposait de la signature du propriétaire des lieux, ce qui signifie que l’abruti sous mes yeux a pris parfaitement connaissance de ma présence à venir dans ces lieux. D’autant plus que, s’il est là le soir-même où j’emménage, il sait donc depuis un moment que j’allais venir aujourd’hui poser bagages.
Je ne vois donc pas pourquoi il tient à m’expulser aujourd’hui mais il va devoir attendre.
— Non, je réponds simplement.
Ses sourcils se haussent distinctement.
— Comment ça, « non » ? répète-t-il en se redressant sur le lit.
Malgré ma tenue particulièrement légère, je sens un regain de confiance me prendre soudainement.
— J’ai dit non. Vous — toi et ta sœur — avez signé un contrat m’autorisant à poser bagages ici. Si vous voulez m’expulser vous allez devoir m’accorder un délai. Et faire tout dans les formes sinon, effectivement, je vous collerai un procès et mon pied au cul, je déclare, reprenant ses paroles.
Ses sourcils se froncent. J’ignore sa surprise et me contente de contourner le lit pour rejoindre mon armoire. Ce gamin est marrant cinq minutes mais j’ai résolument mieux à faire que de m’occuper de ses conneries.
Toujours en serviette et commençant à ressentir la morsure du froid, je saisis quelques vêtements de pyjamas sur l’étagère ainsi que des dessous avant de faire demi-tour, me résignant à me changer dans la salle de bain. Je sens le regard d’Eren sur mes omoplates pendant mes gestes et j’avoue en être assez mal à l’aise.
Je ne suis pas épilée, loin d’être sous mon meilleur jour et présente certains signes de fatigue. Je me doute qu’étant donné la remarque sur mon corps et la nuit qu’il ne comptait pas passer avec moi, il l’a déjà remarqué.
Mais je me sens tout de même embarrassée.
— Je n’ai rien signé du tout, résonne soudain sa voix dans l’espace clos.
— Ecoute, je rétorque d’un ton las, parles-en avec ta sœur, vous avez décidemment plus de choses à vous dire que nous deux.
Arrivant à la salle de bain, je pousse la porte avant de m’y réfugier. Une fois celle-ci close derrière moi, je laisse filer un soupir de soulagement entre mes lèvres et ma tête bascule en arrière.
Et bien, tout cela fut pour le moins intense.
Mais le bon côté de cette rencontre est que je n’ai plus à me tordre les doigts à l’idée de découvrir tôt ou tard le loup caché dans cette annonce. Je le connais déjà. Etant donné que le premier mois de loyer ici est payé d’avance, lorsque la nouvelle locataire se pointe, elle donne l’argent à Mikasa et Eren la chasse ensuite à coup de menaces de poursuite judiciaire.
Quelle belle arnaque.
Enfilant mon haut, je peste dans ma barbe. Jamais je n’aurais cru une personne comme la jeune femme prête à s’adonner à ce genre de choses immorales et illicites. Après tout, elle est déjà fortunée — comme le montre cet appartement si avantageux.
Mais, qu’importe l’identité du menteur, si Eren n’a vraiment pas signé ce contrat ou si Mikasa m’en a tendu un authentique, le fait est que s’il déclare ne pas être l’auteur de la signature, sa sœur a commis une fraude en se faisant passé pour lui et signant à sa place. En revanche, s’il en est l’auteur, il a accepté que je loge ici et dois donc me virer en bonne et due forme, c’est-à-dire en me laissant un délai pour retrouver un appartement.
Surtout en période hivernale.
Il veut jouer au bon connard qui attaque des gens dépouillés à coup de procès ? Nous serons deux. Il est hors de question que je me laisse berner, dépouiller et malmener par une famille de bandits des bacs à sable.
Une fois vêtue, je sors à nouveau, prête à affronter un Eren encore plus agaçant et agressif que lorsque je suis retournée dans la salle de bain. Mais, au lieu de cela, lorsque je pousse la porte, une chambre vide s’étend devant moi, le livre de tantôt remis à sa place sur la table de chevet.
Un sourire satisfait aux lèvres, je marche en sa direction, prête à le saisir et le feuilleter. Mais des éclats de voix se font entendre depuis la pièce d’à côté.
— TU TE FOUS DE MOI !?
Un rire file entre mes lèvres lorsque je reconnais la voix d’Eren. Le fils à papa doit visiblement être furieux de s’être fait prendre à son propre jeu.
— Arrêtes de crier, Eren, s’il-te-plaît.
Le ton de Mikasa est ferme, non haussé. Elle semble calme, détendu, quoi qu’assez sérieuse.
Cependant, face à l’ampleur de l’arnaque, mieux vaut pour moi que je sache à quoi m’en tenir. S’ils ont été capable de fomenter une telle combine, nul ne sait ce qu’ils pourraient faire afin de se débarrasser du problème que je viens de devenir.
Alors, si je souhaite échapper à une triste surprise, il me faut écouter leurs propos.
M’approchant de la porte de la chambre, je colle mon oreille à la surface plane, tentant de me concentrer sur les sons résonnant alentours, les voix du frère et de la sœur.
— Mikasa, tu te rends compte que tu as arnaqué ces filles ? retentit la voix du brun.
Je fronce les sourcils. Ai-je bien entendu ? De mon point de vue, cette simple phrase laisse deviner qu’il ne s’agit pas d’une combine montée avec soin par les deux.
— Arnaquer de quoi ? répond la noiraude. J’ai toujours rendu l’argent à ces filles après que tu les as virées.
— Pourquoi tu veux les faire venir si c’est pour les virer après !? s’époumonne Eren en retour.
— Mais moi, je veux pas les virer ! Toi et ton père êtes les seuls à percevoir les loyers des chambres dont vous savez qu’elles sont louées. Celle-ci, comme vous ignorez que je la loue, je peux garder cet argent dont j’ai besoin pour payer mon école.
— Mais pourquoi tu me l’as pas dit plus tôt ? Je t’aurais filé du fric !
— Je veux gagner mon propre argent.
— Alors pourquoi tu voles le mien ?
— Ton argent ? Carla a acheté cet appartement et l’a offert à ton père qui nous l’a donné à tous les deux. C’est autant mon argent que le tien. Je t’ai trop longtemps laissé percevoir les loyers parce que j’ai l’habitude de tout te céder mais là, j’en ai besoin alors soit tu me laisses louer cette chambre, soit tu ne perçois plus les loyers.
— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Cette maison est à moi ! rétorque le garçon.
— Ah ouais, et si t’étais le seul propriétaire, comment (T/P) aurait pu signer avec le propriétaire un contrat de colocation ? J’aurais imité ta signature, peut-être ? Arrête, c’est pas mon genre et tu le sais. Le contrat qu’on avait passé pour te laisser une chambre de libre n’est plus de rigueur puisque tu n’as pas respecté ta part du contrat en me laissant moins de 50% du loyer.
Les arguments de Mikasa sont clairs, distincts. Et j’avoue être rassurée parce que j’entends. La jeune femme n’est pas une âme malhonnête qui souhaitai purger une étudiante de ses derniers sous.
Juste la sœur d’un connard égocentré.
Connard égocentré qui, d’ailleurs, face à la logorrhée de la noiraude, tandis qu’elle vient de l’envahir de faits et constats étayant son propos, ne se concentre que sur le plus infime détail. Et insignifiant dans la situation, qui plus est.
— « (T/P) » ? C’est quoi, ça ? retentit la voix d’Eren.
Connard de merde. Le « ça » t’emmerde.
— La nouvelle colocataire.
— Quoi ? La pétasse de la chambre rose ? s’exclame-t-il en retour. La folle qui a déjà déballé ses cartons comme si elle était chez elle !?
— Elle est chez elle.
Malgré moi, un sourire me prend lorsque la réponse me parvient. Mais je le perds bien vite quand Eren lui rétorque :
— Plus pour longtemps, cette pétasse m’a traité de connard.
— En même temps tu l’es, siffle soudain une voix inconnue et lointaine, laissant entendre qu’une autre colocataire écoute la conversation comme moi depuis une pièce voisine.
Soudain, une idée me traverse. Quelles sont les chances pour que, à l’instant même, absolument toutes les personnes dans cet appartement assistent éhontément à une dispute d’ordre privée entre les deux propriétaires ?
La suite de la conversation apporte une ferme réponse à mes interrogations.
— Vas te faire mettre, Ymir.
— Je t’emmerde, petite bite, répond l’intéressée.
— Je te conseille de la fermer si tu veux pas que je vienne t’en coller une.
— En allant dans sa chambre tu pourras t’arrêter à la mienne et me filer du jambon ? retentit une nouvelle voix que je n’avais pas entendue jusque-là.
— Pour la énième fois, si tu veux de la bouffe, tu bouges ton cul, Sacha, répond la voix de Mikasa.
— Mais c’est loin ?
— Tu sais ce qui est pas loin ? reprend Jäger. La porte et tu vas la prendre si tu continues à m’interrompre dans mes disputes. Pareil pour Ymir.
— Ta gueule, répond l’intéressée.
— Putain heureusement que Petra est là pour relever le niveau de la baraque, commente l’homme.
— Laisse-moi en dehors de ça ! rétorque une autre voix que je devine donc être celle de la dénommée Petra.
Et bien on peut dire qu’il y a une certaine ambiance, ici. Si Eren cesse de me menacer bêtement d’expulsion — ce qu’il n’a, a priori, pas le droit de faire — peut-être même vais-je parvenir à me sentir bien dans ces lieux.
— Et la dernière arrivée va aussi se mêler à la conversation, je suppose ! lance le brun d’un ton sarcastique, visiblement épuisé par le court des choses.
— Ta gueule ! je lui offre pour toutes réponses.
— Est-ce que pour une fois dans l’histoire de cette baraque on peut se réunir dans la même pièce pour s’engueuler ou diner ou les deux ? retentit la voix de Mikasa. Je vous rappelle qu’on a des présentations à faire.
Pour toutes réponses diverses bruits se font entendre, des grincements laissant supposer que toutes les portes se sont ouvertes. Alors, naturellement, j’ouvre la mienne aussi, découvrant aussitôt le couloir au parquet lustrés traversés d’un long tapis bohème et murs bleu canard. En face de moi, une femme que je devine être ma colocataire fait de même.
Plutôt petite, elle s’est enveloppée d’une robe de chambre en satin noir réhaussant l’intensité de ses longs cheveux roux. Et, en-dessous de ses yeux marrons, un élégant maquillages représentant des nuages sur un ciel rouge lui sert de blush.
— J’arrive pas à croire que m’ayez interrompu pendant que je me maquillais, commente la voix que j’ai identifié comme étant celle de Petra, plus tôt.
Celle-ci se tourne et, constatant ma présence, m’offre un large sourire.
— Salut, moi c’est Petra. Tu dois être (T/P) !
— C’est exact, je réponds en lui adressant aussi un sourire.
Puis, elle m’indique le bout du couloir tapissé de photographies en tout genre avant de me murmurer de la suivre jusqu’au salon. Je m’exécute et atteint très vite le lieu de tantôt, où quelques canapés blancs font face à un écran plat derrière lequel s’étend un ilot central et donc, une cuisine ouverte.
L’homme que j’ai croisé tout à l’heure, Eren, est d’ailleurs assis sur l’un des hauts tabourets de bar tandis que Mikasa, reconnaissable par ses cours cheveux noirs de jais, semble composer un numéro sur le téléphone fixe posé sur le plan de travail taupe.
Le brun, lorsqu’il me voit arriver, promène son regard de ma tête jusqu’à mes pieds avant de soupirer, levant les yeux au ciel.
Je n’ai le temps de me vexer.
— Refais ça encore une fois ça et je donne ta bite à bouffer aux poissons, Jäger, retentit une voix dans mon dos.
Légèrement surprise, mon regard glisse en direction du mur constitué d’un large bocal rempli au fond de la pièce avant de me tourner vers la femme dans mon dos, esquissant un sourire pour la saluer.
Seulement, au moment où mes yeux tombent sur elle, ceux-là s’écarquillent.
— Bordel pour la énième fois, Sacha, mets des fringues ! s’écrit Eren dans mon dos.
Ce doit être la première fois que je suis d’accord avec lui.
Sous mes yeux, deux seins ronds sous-plombent un visage rieur au nez retroussé et paré de longs cheveux auburn raides. Sacha, je suppose.
— Je l’ai fait, j’ai une culotte ! s’exclame-t-elle.
Avant que qui que ce soit ne réplique que c’est loin d’être suffisant, un sweat noir est balancé sur le crâne de la nudiste. Le bras auteur du geste est couvert de tatouage et, quand je le remonte, un visage parsemé de tâches de rousseurs et de cheveux noirs se fait voir.
Si je procède par élimination, il s’agit d’Ymir.
— Ce mec est con mais il a raison, mets dans fringues, lance la jeune femme avant de se tourner vers moi. Salut, je suis Ymir.
— Je m’en étais doutée. (T/P), je me présente.
— Dis-moi, (T/P), répond-t-elle en contournant le comptoir pour atteindre le réfrigérateur qu’elle ouvre, tu restes combien de temps ? Le record de la colocation la plus courte c’est dix minutes, t’es déjà hors-course pour celui-ci mais tu peux toujours viser celui du plus long.
Dans mon dos, Sacha finit de s’habiller tandis que, du coin de l’œil, je vois Petra ouvrir une armoire pendant que la brune boit directement au goulot la bouteille de lait quelle vient de tirer.
— J’avais prévu d’emménager définitivement.
— Et après ta discussion avec Eren, t’as pas envie de partir ? rit-t-elle d’un air narquois mais pas méchant. Je sais pas ce qu’il leur dit à toutes mais elles se cassent si vite que j’ai pas le temps de retenir leur nom.
— Oh, non, t’inquiètes pas pour ça, je souris mesquinement avant de me tourner vers l’intéressé qui me foudroie du regard. S’il veut pas un procès au cul, il arrête ses conneries.
— Wow wow wow !
Des exclamations retentissent dans la cuisine tandis que Mikasa s’en extirpe, commandant visiblement à manger à l’aide du téléphone fixe. Mais Petra, Ymir et Sacha semblent tout à fait excitées par ce qu’elles viennent d’entendre.
La rousse, faisant glisser un saladier rempli de chips jusqu’au centre du comptoir où elle s’assied et m’invite à faire de même d’un geste de la main, lance dans un rire :
— A-t-on enfin trouver une cinquième colocataire capable de se mesurer au tyrannique Eren Jäger ?
Sacha s’assoit en même temps que moi de l’autre côté de Petra tandis que l’homme, face à elle, me jette un regard de biais qui en dit long sur la façon dont il souhaite m’étriper, maintenant.
— Elle s’oppose de rien du tout, rétorque le brun. Mikasa m’a pris en traitre et légalement je suis coincé pour six mois mais elle va vite bouger son cul d’ici.
— Hors de question, retentit l’intéressée dans mon dos.
La noiraude entre à son tour dans la cuisine et, piochant dans le bol de chips, prend place face à moi en abandonnant le téléphone fixe sur la table.
— Je te l’ai dit, Grisha me paiera jamais cette école et les loyers c’est mon seul moyen d’économiser donc (T/P) reste avec nous. Je t’ai laissé faire trop longtemps parce que les nanas qui venaient avaient toutes un grain mais, après enquête sur elle, je la garde.
Malgré la partie plus que saisissante sur l’enquête qu’elle aurait menée sur moi, j’avoue être si touchée par les brèves paroles de Mikasa que je ne songe à rétorquer et hausse un sourcil victorieux en direction d’Eren qui semble à deux doigts de m’égorger. Ses iris émeraudes pourraient me brûler tant elles suintent la rage.
— Toutes barges ? répète-il. Au moins elles étaient canons. T’a vu le laideron ?
— Va te faire foutre, Jäger, je lance.
— Et puis t’es culotté de dire que tu la trouves laide, t’as vu comment tu la reluquais, tout à l’heure ? commente Sacha.
— Attends c’est pour ça que tu l’as menacé de lui couper la bite ? s’exclame Petra.
— N’importe quoi ! se défend aussitôt Eren en fronçant les sourcils.
Ymir, s’installant de l’autre côté du garçon, en face de Sacha, profite qu’il ne puisse pas la voir pour lever les yeux au ciel, mimant qu’il n’est qu’un Pinocchio en allongeant son nez.
Mais il la voit faire et réagit aussitôt, visiblement outré.
— Cette meuf est passable habillée mais en serviette, c’est l’horreur, elle est même pas épilée ! cingle-t-il.
— Moi non plus, je suis pas épilée, lance Sacha.
— Ouais, on avait remarqué, Big Foot, lâche-t-il pour réponse.
— En même temps venant d’un puceau qui ne connait du sexe que ce qu’il a vu en se touchant la nouille sur ses pornos favoris pendant que sa mère se faisait sauter en bonne et due forme par le facteur, on peut pas s’attendre à ce qu’il sache où se trouve le vagin d’une femme ni même que celui-ci est poilu. A l’avenir au lieu d’attendre une meuf au sortir de sa douche pour commenter sur son corps, profites en peut-être pour en prendre une aussi, de douche. Parce que tu pues le mec rendu misogyne par sa virginité à des kilomètres.
Les têtes se tournent vers moi, interloquées. Je vois sur les divers visages orientés en ma direction que j’ai frappé fort mais mes yeux demeurent rivés sur Eren qui, visiblement, est autant stupéfait que furieux de mon petit discours.
Le silence est de plomb, assourdissant. Je suppose qu’étant donné la légèreté des tons lorsqu’ils s’échangeaient des vannes, aucun ne s’attendait à ce que je me montre si sérieuse. Mais si ce salopard s’attendait à ce que je demeure de marbre alors qu’il critiquait un corps que j’ai mis des années à accepter, il se fourre le doigt dans l’œil.
La sonnette retentit. Le livreur est arrivé.
— Mangez sans moi, je lâche simplement. Et merci pour l’accueil.
Là-dessus, je me lève, embarquant le saladier rempli de chips avec moi. Puis, sans plus de cérémonie, je quitte la pièce, enfournant l’aliment dans ma bouche avec un sourire satisfait. Et, à l’instant où je disparais dans le couloir, j’entends nettement la voix d’Ymir :
— Putain je m’en tape que tu l’apprécies pas, Jäger. On la garde, cette nana.
ꕥ
Quelques sons distincts me tirent d’une profonde torpeur. La lumière de mon rêve s’éclipse, laissant place à l’obscurité de ma chambre plongée dans la nuit noire. Mes paupières et mon corps sont engourdis, je n’ose bouger davantage, craignant de ne pas retrouver le sommeil après.
Mais ma position est trop inconfortable. Mon dos, plaqué contre ce qui ne ressemble pas à un matelas mais plutôt à un mur, me tiraille. Ma nuque se fait raide tandis que mes cuisses sont endolories.
Papillonnant les paupières, mes iris s’habituent peu à peu à la luminosité. Et, toussotant légèrement, j’entends ma voix se répercuter anormalement sur les murs. Un écho répond à ma voix, ce qui ne devrait pas arriver dans la chambre.
Je remarque tout juste un parfum de gel douche à la framboise embaumant la pièce ainsi qu’une humidité saturante.
— Qu’est-ce que…, je maugrée, engourdie par le sommeil.
Mais, en un battement de paupières, celui-ci déserte mon corps.
Brutalement, je me redresse tandis que mes yeux s’écarquillent. Les battements de mon cœur s’accélèrent brutalement dans ma poitrine, enflammés par la rage, et réveillent les moindre de mes nerfs.
Je me trouve dans la salle de bain. Au fond de la douche. Abandonnée telle une vieille poupée chiffon dans la cabine. Alors que je me suis endormie dans mon lit.
— J’y crois pas, espèce d’enflure ! je fulmine.
Me redressant rapidement, je me rue hors de l’endroit, marchant en toute hâte en ignorant mes cuisses mouillées particulièrement inconfortables. Ici se trouvent pas moins de trois canapés, il a un appartement différent de celui-ci alors pourquoi diable m’a-t-il déplacée jusqu’à la douce pour prendre ma place ?
Sans me soucier du bruit que je créé, j’ouvre la porte violemment. Sans surprise, je distingue une silhouette large sur le lit à baldaquin ainsi qu’une trainée de cheveux bruns sur les oreillers blancs.
Quel sale petit con.
A vive allure, je m’élance en direction du matelas sur lequel je grimpe. La couverture de satin est savamment déchue à hauteur de sa taille, laissant voir un torse hâlé dont la musculature travaillée ressort sous la lueur de la lune. Le tissu rose fait légèrement ressortir la noirceur de la fine rangée de poils remontant de son bassin jusqu’à son nombril.
Mes genoux viennent se planter de part et d’autre de sa taille sans la moindre douceur. Ma colère est trop grande pour que je contienne le moindre de mes mouvements.
— CONNARD DE MERDE ! je rugis, empoignant brutalement ses épaules et y affaissant tout mon poids.
Avec énergie, je le secoue, espérant qu’il ait bu hier que la sensation lui soit donc insupportable.
— RÉVEILLE TON SALE CUL DE BRANLEUR INVÉTÉRÉ !
Je n’arrive pas à me canaliser. Entre mes bourdes en classes, au travail, les camarades geignards, les professeurs trop exigeants, les clients insupportables, mes trop nombreuses nuits manquées et maintenant cet enfoiré qui se comporte comme s’il possédait les lieux — ce qui est le cas mais il pourrait tout de même se montrer poli — je craque.
Il aurait mieux fait de me laisser cette nuit de sommeil que j’ai tant désespérée d’obtenir, au cours des derniers jours.
Alors, sans cesser de le secouer, m’asseyant de toutes mes forces sur son torse pour lui couper la respiration, je me défoule. Car, lui autant que moi avons mérité cet instant. Ce connard va apprendre le respect.
— ALLEZ BOUGE TES FESSES, COUILLES-MOLLES !
Soudain, je les vois. Ses deux iris semblables à des émeraudes, brillant dans la pénombre. Il vient d’ouvrir les yeux.
N’en démordant pas, je continue à le soulever et le secouer avec autant de force que me le permet mon corps engourdi par le sommeil. Mais, du haut de sa haute taille et ses muscles développés, je ne parviens qu’à légèrement le mouvoir.
Alors que j’insiste sur ses épaules, ses sourcils se froncent. Il semble réaliser ce qu’il se passe.
— T’ES ENFIN RÉVEILLÉ, PETITE BIT…
Mais ma phrase meurt dans ma gorge au moment où deux larges mains s’enferment brutalement sur mes bras et font basculer mon corps sur le côté. Un léger cri jaillit de ma gorge, lui aussi étouffée par le mouvement.
Mes paupières ont tout juste le temps de cligner. Je me retrouve plaquée contre le confortable matelas, le corps massif et brûlant d’Eren juste au-dessus de moi tandis que sa paume couvre ma bouche, m’empêchant de parler ou hurler plus longtemps.
Mes yeux s’écarquillent quand je remarque la flamme de fureur dansant dans les siens. Là, son torse dénudé plaqué au mien, sa respiration se faisant sifflante et peinée, il me fusille du regard. La brûlure de son être contre le mien m’étouffe presque.
Il semble prêt à m’égorger.
— Ecoute-moi bien, le laideron. Ouvre encore une fois ta grande gueule pour me faire un coup pareil et je t’en colle une tellement forte qu’elle te remettra tes sales traits en place, crache-t-il à quelques centimètres de mon visage.
Sa large main, plaquée sur ma bouche, m’empêche de rétorquer quoi que ce soit. Furieuse, je secoue la tête, sans succès. Malgré ma véhémence, son coude maintient l’un de mes bras en place tandis que sa main libre se charge de l’autre. Je suis rendue immobile, muette.
Son visage n’est qu’à quelques centimètres du mien et la chaleur de son corps embrase le mien. Son torse est entièrement dénudé contre mon buste tandis que, de ma position, je vois bien qu’il ne porte pas non plus de bas, l’une de ses jambes étant visible.
Il faut que je sorte d’ici. Ou plutôt, que je le fasse sortir.
Ecartant mes lèvres, je tente de lécher sa peau afin de le dégoûter et le forcer à me lâcher. Sans succès.
Même pire, les traits de sa moue colérique retombent aussitôt et il hausse un sourcil, visiblement dépité.
— Bordel mais t’as quel âge pour faire un truc pareil ?
— ‘a’ ‘e’’a’ ‘e’’i’ ‘ou’ ‘o’’e’ ‘a’ ‘è’ ! je crache contre sa paume.
Ses sourcils se froncent. Il ôte brièvement sa main.
— T’as dit quoi ?
— Que j’ai l’âge légal pour sauter ta mère, je crache, furieuse.
Aussitôt, ses traits auparavant redevenus statiques se froncent à nouveau et sa main vient trouver ma gorge. De chaque côté de celle-ci, il exerce une pression tandis que, se redressant, il me domine de toute sa hauteur.
Mes yeux s’écarquillent quand, constatant les formes travaillées de son torse, je déglutis péniblement et mes entrailles se tordent.
Pourquoi les cons sont-ils toujours les mieux gaulés ?
Là, dressé devant moi, sa peau mate et ses iris émeraudes brillant dans l’obscurité, il semble impérial. La façon qu’ont ses pupilles de tomber sur moi, m’observer comme une proie entre ses pattes possède quelque chose d’effrayant qui me grise.
— Parle encore une fois de…, commence-t-il d’un ton menaçant.
— Tout va bien ? J’ai entendu des cris et…
La voix d’Ymir meurt dans sa gorge quand ses iris chocolatées tombent sur Eren, nu comme un ver, à genoux au-dessus de moi, le souffle court, les lèvres gonflées et sa main serrant ma gorge. Nous trois ici savons de quoi cela à l’air.
Mais seuls deux d’entre nous sommes conscients que cette scène est tout, sauf ce que la nouvelle venue croit.
Seulement celle-ci ne nous laisse pas le bénéfice du doute et, toujours debout dans l’encadrement de la porte, se contente simplement de lâcher, visiblement dépiter :
— Je suis trop sobre pour regarder deux hétéros baiser.
Là-dessus, elle tourne les talons, refermant derrière elle. Aussitôt, la lumière provenant du couloir disparait et l’obscurité reprend le dessus. Grâce à la faible lueur de la lune, je parviens à distinguer quelques détails de la chambre et, notamment, le visage décomposé d’Eren quand je me tourne vers lui.
Le silence est terriblement embarrassant. Autant que notre contact visuel.
Brutalement, il s’écarte de moi. Je fais de même, remontant le plus possible vers la tête de lit tandis que, debout au pied de celui-ci, il le contourne. Et, malgré moi, mes yeux tombent brièvement sur son entrejambe avant de changer brutalement de direction.
— Bordel, mais mets quelque chose autour de tes couilles ! je fulmine, soulevant la couverture pour mieux m’y glisser.
— Qu’est-ce que tu fous ? retentit aussitôt la voix d’Eren en me voyant faire.
— Je me couche, je lâche seulement, m’enterrant plus profondément dans les draps.
Lui tournant le dos, je ne peux voir sa réaction. Mais je devine qu’il fulmine.
— Il est hors de question que je dorme dans le canapé sous mon propre toit, crache-t-il.
Assez.
J’en ai plus qu’assez.
Me redressant brutalement, je me tourne vers lui. Mes yeux viennent se planter sur cette silhouette se décomposant contre la lumière de la lune et dont je ne parviens à discerner les détails mais que je devine aisément être Eren.
— Demain je vais devoir passer quatre heures en rayon à ramasser des putains de vêtements que des grognasses vont jeter sur le sol sous prétexte qu’elles me considèrent comme leur bonniche puis je vais devoir allez passer d’autres heures en compagnie d’étudiants cons comme toi qui vont me faire la morale parce que je suis trop fatiguée avant de terminer en servant des connards dans ton genre qui vont tenter par tous les moyens de me mettre une main au cul alors ces putains d’heures de sommeil, j’en ai besoin, Jäger et je m’en tamponne d’où tu dors mais moi, c’est ici.
Ma tirade finie, je ne lui laisse le temps de réagir et, brutalement, me retourne dans le lit avant de remettre la couverture sur moi. Ce petit con né avec une cuillère en argent dans la bouche n’a aucune idée de ce qu’est réellement une charge émotionnelle, une vie à se lever tôt et se coucher tard où la moindre minute de sommeil est cruciale.
Moi, je le sais. Et si je veux garder mon emploi, mieux vaut que je remédie aux bourdes que j’ai commise à cause de l’épuisement.
Un silence s’éternise durant quelques minutes, jusqu’à ce que le matelas s’affaisse à côté de moi. Je ne dis rien sur le fait qu’il est peut-être toujours nu, trop épuisée pour faire le moindre commentaire. Mes paupières se font lourdes et le sommeil commence à m’emporter.
Je m’endors doucement mais, dans mes derniers instants d’éveil, j’entends tout de même Eren murmurer :
— T’es vraiment qu’une sale morue.
ꕥ
Mes jambes sont lourdes et mon esprit, embrumé. Malgré la fatigue, je poursuis mes déplacements à un rythme soutenu, déposant des commandes à une table et récupérant les verres vides à une autre. Avec un sourire, je remarque les deux pièces de deux euros abandonnés sur la surface.
Les glissant dans mon tablier, je prends ensuite les quelques verres vides ainsi que le panier à pain. Le bar est assez plein, ce soir. Il s’agit de la fin de semaine. Cet endroit aux murs de pierres apparentes grimpés de lierres et ampoules suspendues depuis le plafond est traversé de rires et éclats de voix.
Rapidement, je rejoins le bar posé à gauche de l’entrée que je contourne avant de parvenir à la cuisine au fond.
Déposant la vaisselle vide sur le trou pratiqué dans le mur, je remarque les deux plats posés à côté du carton « six » et, abandonnant ma précédente charge, y dépose les deux nouvelles.
Me retournant, je fends les quelques tables me séparant du mur fait de verre et donnant sur la terrasse en extérieur. Puis, arrivant jusqu’à une brune et une rousse conversant face à face, je lance avec un sourire :
— Alors…Le cabillaud c’est pour…, je dépose l’assiette devant la première qui agite la main. Et donc le steak c’est logiquement pour vous.
Je m’efforce de conserver mon sourire lorsqu’aucune des deux ne me sourit en retour ni même ne me remercie. Je décide de ne pas trop y prêter attention. Tous les soirs, la même rengaine. Des clients insupportables côtoient d’autres, plus agréables.
Mais, si j’espère un pourboire, mieux vaut que je me taise.
Alors que je marche en direction de la tablée adjacente pour récupérer la vaisselle vide et mieux constater l’absence de pourboire, la voix grave et bourrue du gérant m’interpelle au loin :
— (T/P) ! Va au bar !
J’acquiesce avant de m’exécuter. Après mes nombreuses nuits blanches, la fatigue m’a poussée à laisser tomber quelques assiettes au cours des dernières semaines et Kevin, le patron, m’a clairement signifiée qu’à la prochaine bourde, je n’aurais qu’à rendre mon tablier.
Or j’ai besoin de ce salaire. Vraiment. Et ce, quand bien même Kevin profite du fait que je sois sur la sellette pour oublier les bases de la politesse lorsqu’il s’agit de moi.
— Et tu me réponds quand je te parle ! ajoute-t-il tandis que j’atteins le bar.
— Oui, boss, je réponds en grognant ce nom que je suis obligée d’utiliser.
Me plaçant derrière le comptoir, mon regard est attiré par la seule silhouette y étant assise sans qu’une boisson ne soit posée devant elle. Et, avançant en sa direction, j’ignore sciemment le grognement du patron dans mon dos.
— Je te jure, cette grognasse, vivement qu’elle se casse…
— Qu’est-ce que je vous sers ? je lance avec un sourire qui se fane aussitôt quand mes yeux tombent sur le visage de l’homme.
Car, même si ses cheveux bruns sont aujourd’hui amassés en un chignon lâche, que son torse dénudé est maintenant habillé d’un sweatshirt large et noir et que quelques piercings se font voir à son oreille, je reconnais ces traits anormalement doux masquant une personnalité pitoyable. Un soupir franchit mes lèvres.
Ce matin, lorsque je me suis levée, il était encore allongé dans le lit. Fronçant d’abord les sourcils, surprise de l’y voir, je me suis souvenue de notre dispute d’hier. Et, trop fatiguée pour le réveiller, me suis contentée d’aller me doucher et oublier sa présence, décidant de remettre ce problème à plus tard.
Sauf que par plus tard, j’entendais cette nuit. Et non maintenant.
— Dégages, je grogne simplement, furieuse.
— Bah alors quoi ? rétorque-t-il avec un faible sourire en coin, détaillant mon visage. On refuse de servir un client ? C’est pas très professionnel, tout ça ! C’est même une honte, si tu veux mon avis !
J’ouvre la bouche, prête à lui rétorquer d’aller se faire voir. Mais une voix sonore nous coupe brutalement.
— Pardon ?
Mes muscles se figent puis je me tourne, découvrant le ventre bedonnant et le crâne dégarni de Kevin, le gérant. Celui-ci vient de jaillir depuis les cuisines, ayant entendu la remarque d’Eren.
— J’ai bien entendu ? Tu refuse de servir un client ?
— Non, ce n’est pas…, je commence à me défendre.
Mais je sais qu’il est trop tard. Depuis le temps qu’il cherche un prétexte pour me renvoyer, qu’importe ce que je pourrais dire à partir de maintenant, je sais que c’est terminé.
— Je pouvais accepter quelques assiettes brisées à cause des nuits blanches que tu passais à chercher un appart et Monica m’a demandé d’être gentil avec toi parce que t’allais être expulsée et que c’était la période des exams mais tu te permets un peu trop de liberté, en ce moment. Tu refuses de servir un client ? Rends-moi ton tablier, tout de suite !
— Attends, mais…
— Pas de mais ! rugit-il. Si ma femme avait pas plaidé ta cause, tu serais déjà partie depuis longtemps ! A toujours faire ta belle, là, ici c’est un bar, pas un putain de salon de beauté ! putain, fais-moi des vacances et casse-toi !
Debout face à lui, saisie par son hurlement, je n’ose faire le moindre mouvement. Un silence s’est abattu dans les lieux, nul n’ose dire quoi que ce soit. Les clients nous regardent tandis que, abasourdie, je sens mes entrailles se tordre.
J’aimerai disparaitre six pieds sous terre. Tout le monde me fixe. Et je ne peux rien répondre. Car, si je veux garder l’espoir de toucher mon salaire de ce mois, je dois encore continuer de me faire toute petite jusque dans les derniers instants.
Ouvrant la bouche, je tente de me défendre. Mais il me coupe avant même que je ne prononce le moindre mot :
— Dégage. Maintenant.
Ses pupilles sont dilatées au-dessus de son nez empâté. Son marcel blanc me laisse voir deux bras se terminant en des mains larges comme des couvercles de poubelle. Cet homme est énorme, hirsute et honnêtement effrayant.
Il semble sur le point de me frapper. Et sans doute est-ce l’idée que personne ne l’arrêtera s’il lève la main sur moi qui me pousse, les mains tremblantes et l’égo brisé, et défaire le nœud de mon tablier tandis que tous les regards sont rivés sur moi.
Le défaisant, je le pose sur le bar, les yeux humides. Ma gorge est serrée quand, contournant le comptoir, je marche entre les tables où les clients assis me dévisagent. La tentation de me laisser aller et exploser est presque palpable.
J’aimerai me retourner, lui hurler dessus qu’il n’est qu’un être abominable, cracher aux clients que ce n’est pas parce que je suis serveuse qu’ils peuvent me traiter aussi mal qu’ils l’ont fait, au cours des derniers mois. Mais, en plus du besoin de recevoir ce dernier chèque et de la peur que Kevin ne me roue de coups, il demeure le fait que je sais pertinemment que si j’ouvre la bouche, j’éclaterai en sanglots.
Alors, ignorant le poids dans mon cœur, je pousse la porte du café, affrontant la morsure du froid de l’hiver.
Derrière moi, des bruits de pas résonnent. Je poursuis ma route, franchissant la terrasse afin de mettre un maximum de distance entre ce restaurant de malheur et moi. Ici aussi, des gens me dévisagent. Le patron a crié tellement fort qu’ils l’ont aussi entendu là.
Marchant en tremblotant légèrement, un intense sentiment de libération me prend lorsque, prenant un virage, j’atterris dans une rue adjacente me cachant aux clients du lieu. Là et seulement là, m’arrêtant dans ma marche, je me recroqueville sur mes pieds, accroupie.
Ma poitrine se secoue quand la première larme coule. Jamais je ne me suis sentie aussi humiliée, seule et désarmée face à l’avenir.
Car, si j’ai deux emplois, c’est bien parce que je n’ai pas de quoi substituer à mes besoins avec un seul.
— (T/P) ! résonne une voix dans mon dos, m’interpellant.
Aussitôt, je me redresse, essuyant mes larmes en toute hâte. Il est hors de question que qui que ce soit me voit dans cet état.
Me retournant, je distingue malgré l’obscurité de la nuite naissant et ma vue brouillée, le chignon d’Eren. Il est à une dizaine de mètres de moi. Je fais un pas de recul.
Il est bien la dernière personne que je veux voir.
— (T/P) ! il insiste en marchant en ma direction. Attends, mais c’est pas de ma faute !
Lui tournant le dos, j’accélère.
— T’as eu ce que tu voulais, non ? Avec un seul salaire, les prix de l’école, du matériel, le fait de manger et les charges, je ne pourrais jamais me payer cet appartement. Je vais devoir réenvisager un dix mètres carrés en colocation et t’entendras plus parler de moi, merci !
Je n’aurais jamais cru qu’il irait aussi loin.
— Comment je pourrais savoir que ton patron prendrait ça sérieusement ? insiste-t-il derrière moi.
Furieuse, je m’arrête brutalement dans ma course. Evidemment qu’il ne pouvait pas le savoir. Mais après la scène qu’il m’a faite hier, les remarques sur mon physique, le fait de m’avoir déplacée en pleine nuit, pourquoi avait-il besoin de pousser le bouchon jusqu’à venir dans mon bar ?
Me retournant violemment, je n’y tiens plus.
— VAS TE FAIRE FOUTRE, JÄGER !
Mais, devant moi, il se contente d’hausser un sourcil condescendant avant d’esquisser un sourire en coin. Non mais je rêve ? Cet abruti, même si ce n’était intentionnel, vient de me faire perdre mon travail et il se permet de rire ? De continuer à se la jouer petit prince ?
Mon cœur menace de rompre dans ma poitrine tant la colère le faire battre fort.
— Au lieu de m’insulter, tu ferais mieux de me remercier, lance-t-il. Ce mec te parlait mal. Je veux dire, je suis arrivé dans le bar il y a une heure et ta collègue m’a pas servie pourtant il l’insultait pas alors qu’il se permettait de le faire avec toi.
Je me fige, mes yeux s’écarquillant. Il me fait perdre mon emploi, ne s’excuse pas et a le culot de me demander de le remercier.
Mais est-ce que cette soirée est une vaste blague ?
— Le mec te traitait comme une soumise et une faible et ne pas partir ça a été, même si je le pense pas, lui prouver en quelque sorte qu’il avait raison.
Les mains tremblantes, je m’approche de lui lentement, enragée. Soumise et faible ? En plus de toutes les bourdes qu’il a commis, il se permet de m’insulter et retourner la situation contre moi.
C’est bien une réflexion de petit riche fils à papa, cela. Il n’y a guère que ce genre d’abrutis pour croire que nous sommes tous en capacité de quitter n’importe quel emploi quand quelque chose ne nous convient pas.
Mais la réalité est différente. Nous devons subvenir à nos besoins et les personnes comme Kevin le savent, en abusent.
— T’es mal parce que t’as perdu un boulot ? Je suis sûr qu’il existe au moins un autre café qui acceptera de t’employer et…
Sa phrase meurt dans sa gorge quand ma main atterrit dans un claquement sur sa joue. Brutalement, sa tête bascule sur la droite et mon regard, furieux, observe ses yeux s’écarquiller lorsqu’il réalise ce que j’ai fait.
Et le terme est simple. J’ai craqué.
Sans lui laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit, je tourne les talons, le cœur en miette dans ma poitrine.
Comment vais-je faire, à présent ?
ꕥ
Assise à l’ilot central de la cuisine, un ordinateur posé devant moi ainsi qu’une boîte de mouchoir, je reprends une vieille habitude que j’étais pourtant sûre de pouvoir laisser de côté : la recherche de maison mais aussi d’emploi. Il faut que je me hâte de trouver soit l’un, soit l’autre avant le prochain mois.
— Tout va bien ? retentit la voix d’Ymir.
Je distingue sa silhouette seulement vêtue d’une culotte et un tee-shirt blanc marcher jusqu’au réfrigérateur. Hâtivement, je ferme les onglets, craignant qu’elle ne remarque ce que je faisais. Mais, prenant à nouveau une bouteille de lait, son air détendu me laisse deviner qu’elle n’en sait rien.
Alors, voulant éviter de parler avec une voix rendue aigue par l’étau de la tristesse enserré autour de ma gorge, je me contente d’acquiescer dans un sourire doux.
— Tu es sûre, parce que tu m’as l’a…
Sa voix meurt dans le bruit éclatant que fait la porte d’entrée ou plutôt, une clé semblant se battre furieusement à l’intérieur de sa serrure. Je devine sans grand mal que le nouveau venu doit être Eren. Je suis rentrée il y a moins d’une heure et tout le monde sauf lui était à la maison.
Je pousse un soupir tandis qu’Ymir, se penchant, regarde en direction de l’entrée pour observer son arrivée.
Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre sur le brun qui manque de tomber sur le sol. De toute évidence, il est ivre. Et, se rattrapant de justesse, il chancèle jusqu’à nous sans refermer la porte derrière lui. Dans un soupir, la brune se lève pour le faire tandis qu’il atteint l’ilot central depuis lequel je l’observe, un sourcil haussé.
Là, il balance une enveloppe blanche, sa main tenant avec vigueur la table pour lui empêcher de tomber. Ses joues et son nez ont rougi, ses cheveux sont détachés et emmêlés sur son sweat-shirt noir.
Et, lorsqu’il me donne cette enveloppe, je remarque ses phalanges baignées de sang.
— Bon sang, qu’est-ce que t’as foutu ? je soupire en saisissant l’objet que j’ouvre.
Y sortant un chèque, je fronce les sourcils avant de les hausser brutalement, écarquillant les yeux face au montant inscrit. Il doit y avoir une erreur. L’ordre est au nom de Kevin Gresner, l’homme qui m’a licenciée tout à l’heure.
Les chances qu’il me cède un dernier salaire étant donné que le mois vient à peine de débuter étaient minces mais, le prix que je regarde présentement est bien au-dessus de celui-ci.
— Six mois de salaire en avance et les indemnités de licenciement, balbutie Eren en prenant place sur l’un des tabourets.
— Quoi ? je m’exclame, abasourdie.
— Mon père est patron d’une chaîne télévisée, t’as pas idée du prix des pubs sur les chaines télévisées, le soir. Après une…, dit-il en regardant sa main pleine de sang, …discussion, on a convenu d’une plage horaire gratuite pour son café pendant un mois en échange de ça. Il va gagner nettement plus gros par la suite. Ça me fait chier de me dire que cette ordure va en tirer quelque chose mais au moins mon erreur est effacée…
Posant la tête dans sa main, il tend l’autre en direction de ma tasse de café. Sans réellement réfléchir, encore sous le choc de la nouvelle, je la lui tends.
Une torpeur euphorique grandit en moi. Je vais pouvoir rester dans un appartement et, surtout, ne pas me hâter dans ma recherche d’emploi, en trouver un où les gens sont correctement traités.
— Je te vois venir, grommelle-t-il en se penchant vers la tasse, incapable de la lever dans son état. « Eren, je ne veux pas de ta charité, t’es trop gentil, trop sexy, tout ce que je veux c’est ton corps d’Apollon », mais non ! Prends mon argent !
Il est complètement pété.
— C’est pas ton argent et après tes conneries d’hier et aujourd’hui, tu me dois bien ça, trou de balle, je lâche.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demande Ymir en revenant à nous.
Avec un sourire, je remets le chèque dans son enveloppe.
— Eren m’a fait virer de mon emploi à dix-neuf heures puis m’a fait toucher le pactole à vingt-deux, je lâche. Jolie rendement.
— Ouais donc il était à six verres à dix-neuf heures et douze à vingt-deux, reprend-t-elle.
Mes sourcils se froncent tandis qu’elle sort un paquet de gâteau d’un placard.
— Comment ça ?
— A six verres c’est le roi des cons, à douze il cherche par tous les moyens à se repentir. Il a toujours été comme ça, explique-t-elle.
— Sérieux ? Je vais le faire boire plus souvent.
La brune rit doucement tandis qu’Eren, penché sur le café, aspire le breuvage sans se soucier de ses mèches tombant dedans.
Je grimace à cette vision.
— Dégueulasse, je lâche.
— Méchante, commente Ymir dans un autre rire.
— Il s’est pas gêné pour me traiter de laideron.
— Ouais sauf que quand Eren voit une jolie fille, il lui dit qu’elle est jolie. Quand elle est sexy et jolie au point de l’intimider, il la traites de laideron.
Je hausse les sourcils, peu convaincue, tandis que le concerné ne semble même pas remarquer que nous discutons de lui, les yeux rivés sur le café.
— J’en doute.
— Je te jure ! insiste Ymir. Le pire c’est quand il la traite de morue. Ça, ça signifie qu’elle est jolie, sexy et qu’il a sérieusement la gaule.
Je me fige, les dernières paroles prononcées par Eren, hier, me revenant brutalement à l’esprit.
« T’es vraiment qu’une sale morue. »
Embarrassée, j’ignore la façon soudaine qu’ont mes entrailles de se tordre et me lève avec précipitation.
— Bon, trêve de plaisanterie, on va te coucher, toi, je lâche en empoignant l’épaule du brun.
Celui-ci se redresse avant de me jeter un regard par-dessus son épaule. Ses iris vert émeraude fixées sur moi n’arrangent rien à la chaleur soulevée dans mes entrailles. Si Ymir dit vraie, il me trouve vraiment attrayante.
Mais ce ne sont que des foutaises d’entremetteuse ennuyée par une quotidien morose et souhaitant un peu de distraction.
Eren n’est pas du tout comme cela.
— Je peux te mettre une main au cul ? lâche-t-il simplement.
Pardon ?
Le rire d’Ymir seconde mon effarement.
— Ah oui, et son filtre il l’abandonne systématiquement quand il boit.
Soupirant, je tire sur son bras. Etonnamment, il se lève sans aucune résistance, ses iris plongées dans les miennes. Ce contact visuel me désarçonne assez mais je prends grand soin de l’ignorer, embarrassée mais ses récentes paroles.
De lui se dégage une puissante odeur d’alcool qui me fait froncer le nez. Sans plus de cérémonie, je le traine à ma suite, fendant le couloir bleu canard jusqu’à la porte de ma — ou notre, je ne saisis pas vraiment — chambre.
La poussant, je le traine dans mon dos. Il n’oppose aucune résistance et me suit jusqu’au lit. Mais, arrivé à celui-ci, il n’y prend pas place.
— Couches-toi, s’il-te-plaît, je lâche en rejoignant le bureau où je glisse l’enveloppe garnie d’un chèque dans l’un des tiroirs pourvue d’une clé que je ferme.
Je me retourne, prête à poser une couverture sur le lit où je m’attends à le voir, étendu. Mais, au lieu de cela, je le vois juste devant moi. A quelques centimètres à peine de mon corps, la chaleur du sien irradiant le mien et rendant ma gorge sèche.
Déglutissant péniblement, je m’appuie contre le meuble dans mon dos. Mes yeux rivés dans ceux, brillant par leur intensité et couleur profonde d’Eren, je ne parviens que difficilement à respirer. Dans l’intense silence des lieux, l’atmosphère est si tendue qu’elle en devient presque palpable.
Car il est là, debout, tout près de moi, son torse manquant de se presser à ma poitrine à la moindre respiration.
— Eren… Tu devrais vraiment aller…
Mais je ne parviens à terminer ma phrase, surprise par la main qu’il pose soudain sur ma joue. Son pouce se déplace lentement sur le coin de ma lèvre tandis que la chaleur de sa paume, irradie dans tout mon corps.
Je ne parviens à murmurer le moindre mot, mes cuisses se serrant inhabituellement face à son aura brûlante et ce toucher désarçonnant.
— Elle a raison, tu sais…, murmure-t-il.
Mes sourcils se froncent.
— Qui ?
— T’es vraiment une sale morue, murmure-t-il en caressant ma lèvre inférieure. Et je sais pas si j’ai envie que tu te casses parce que t’as été impolie ou que tu restes parce que je me demande vraiment ce que je gagnerai à te connaitre.
Je soupire d’aise, même pas gênée par l’odeur d’éthanol, simplement grisée par de telles paroles.
— J’étais venu au bar pour te dire de virer ton gros cul de ma baraque. Mais je suis resté une heure à te regarder marcher de droite à gauche et lever les yeux au ciel quand un client avait le dos tourné parce que c’était super drôle.
— Mon malheur est hilarant ? je soupire, feignant l’agacement.
Mais il ne semble pas s’en préoccuper.
— T’as pas idée, murmure-t-il.
Malgré moi, j’éclate d’un faible rire. Son pouce tressaute sur ma lèvre à ce mouvement.
— Ecoute, Eren. T’es complètement bourré, tu seras sûrement furieux quand tu te souviendras de ce que tu viens de dire.
— Ouais, c’est sûr, lâche-t-il en retour. Mais t’es vraiment belle, là.
Mon estomac se retourne mais je n’ai le temps de répondre. Brusquement, le corps du brun bascule en arrière et ses paupières se ferment. Ses jambes viennent de céder sous son poids. Il a sombré dans l’inconscience.
Prise de court par les derniers évènements, je mets quelques instants avant de me tourner vers son corps étendu aux pieds du lit.
Et, réalisant l’impact de sa déclaration sur mon entrejambe mais aussi le fait que je vais devoir le hisser seule sur le lit, je lâche d’un ton agacé :
— Tu fais chier, Eren.
ꕥ
Affalée sur le canapé, je pioche dans le bol de chips posé entre mes genoux pour la énième fois, mes yeux fixés sur l’écran. A vrai dire, je ne sais trop réellement ce qu’il se passe dans la série que je regarde, mon esprit encore embrumé par la sensation du corps chaud d’Eren contre le mien.
Il est attirant. Je m’en suis aperçue dès lors que mes yeux se sont posés sur lui. Mais sa personnalité a chassé ses charmes.
Soit, la courte période que j’ai passé, ce soir, en sa compagnie a été plaisante. Mais il était complètement ivre et qui sait comment il va se comporter demain matin, quand la sobriété aura repris le dessus ?
— Tu regardes quoi ? retentit une voix à quelques mètres.
Tournant la tête et l’arrachant à mon ordinateur portable posé sur la table basse, je tombe sur la silhouette haute du garçon qui hantait mes pensées. Son tee-shirt n’est plus le même que tout à l’heure et, à en juger par ses racines mouillées et ses cheveux noués en un chignon humide, il sort de la douche.
Glissant le regard sur ses jambes habillée d’un jogging, j’avale la chips que j’avais dans la bouche :
— Shameless.
— Cool. Quel épisode ? dit-il en avançant vers le canapé.
— Celui où Frank vole du fric à ses gosses.
— Ouais, toute la série, en gros, lâche-t-il en prenant place à côté de moi.
Je ris légèrement, grisée par la sensation de son corps juste à côté du mien. Et, lorsque sa cuisse frôle la mienne, je n’en dis rien.
Son coude se pose derrière moi, sur le dossier du canapé et il pose son crâne dans sa main, le soutenant tandis qu’une énième dispute entre Frank et Fiona se déroule à l’écran. Quelques instants s’écoulent sans qu’on ne dise rien, absorbés par la série.
Peu à peu, mes muscles se détendent à son contact. Un souffle nouveau s’infiltre dans mes poumons, une douce torpeur se répand dans mon bassin. Tant et si bien que, lorsque ma tête se fait lourde, je la pose sans trop y songer sur l’épaule d’Eren.
Celui-ci ne me repousse pas, se contentant d’ôter la main sur laquelle il posait son crâne pour la refermer sur mon épaule. Sa paume est chaude, réconfortante. Le sommeil se fait proche.
Mais sa voix me pousse à m’en éloigner :
— Je me suis comporté comme un con, hier soir, murmure-t-il. J’étais dégoûté que mon père m’ait encore viré donc j’ai craché sur la première fille venue. J’aurais pas dû, désolé.
— T’inquiètes, je réponds avec un faible sourire. Même si j’avoue que j’aurais jamais cru finir cette journée dans cette position avec toi.
— Ah ouais ? Tu croyais que t’allais être seule et pénarde dans ton lit ?
— Non, j’ai plutôt passé la journée à me demander comment j’allais te virer de là, je lâche.
Un faible rire secoue sa poitrine, faisant tressauter ma tête. Mais sa voix se fait étonnement sérieuse quand il reprend la parole.
— Je vais prendre le canapé. T’as payé cette piaule, c’est dommage qui tu pionces ailleurs. Même si le prix est dérisoire, il ajoute cette dernière phrase d’un ton taquin.
— Non, ne t’inquiètes pas… En fait…
Je marque une légère pause, abasourdie parce que je m’apprête à dire mais ne pouvant nier que, depuis qu’il s’est laissé tomber au pied de mon lit et que je l’y ai trainé, évitant ses bras qui voulaient m’enfermer dans une étreinte, je n’ai cessé d’y penser activement.
— …Je me demandais si on pouvait continuer à faire comme hier.
Légèrement surpris, il tourne la tête vers moi. Je fais de même, affrontant ses iris émeraudes posées sur mon visage. Celles-là tendent à disparaitre sous la dilatation de ses pupilles. La brûlure de son corps sous le mien m’enlise.
Je me sens fiévreuse tant les vapeurs de mon désir son ardentes.
Dire qu’il y a encore quelques heures, je songeais aux meilleurs moyens de se débarrasser d’un corps à cause de lui.
Soudain, sa paume trouve ma joue, comme tantôt. La chaleur qu’elle irradie sur mon visage me grise. Je ne dis rien. Il est brûlant contre moi. Son pouce vient trouver mes lèvres et, lorsqu’il caresse leur coin, je frissonne, mes yeux toujours plongés dans les siens.
— Ça te dérangerait pas ?
— A condition que coucher avec le proprio m’apporte une ristourne sur le loyer, je pouffe en jouant sur les mots sans pudeur.
Il rit à son tour. Rapidement, visiblement amusé mais davantage préoccupé par autre chose, il reprend son sérieux.
Mon cœur bat avec entrain dans ma poitrine. Ses iris quittent les miennes pour se poser sur ma bouche. Je sais que celles-ci ont gonflé. Mon corps blotti contre le sien brûle à mesure que mes cuisses se serrent.
Et sa main sur mon visage est d’une telle douceur qu’elle répare à elle seule les emmerdes d’aujourd’hui.
Enfin, ses lèvres se plaquent sur les miennes.
D’abord aussi doux qu’un contact momentané et éphémère, notre baiser prend vite de l’ampleur. Sa bouche s’ouvre, laissant filer sa langue qui glisse contre la mienne tandis que ses mains viennent caresser mon dos, empoigner mes hanches et me plaquer contre lui.
Les yeux clos je ne sens que ses lèvres sur les miennes, son torse presser au mien. Une bulle d’euphorie éclate dans ma poitrine.
Nous nous écartons doucement, notre front collé à celui de l’autre, la respiration désordonnée.
Un sourire me prend. Il l’affiche aussi, ses mains toujours égarées dans mon dos pour mieux me maintenir contre lui.
— C’était pas prévu, ça, je me trompe ? je demande.
— Absolument pas mais je suis loin de regretter.
J’acquiesce frénétiquement contre son front.
— Et t’as pas l’impression qu’on brûle les étapes ? On se rencontre hier après-midi j’essaye de te buter hier soir, tu te venges ce soir et on s’embrasse maintenant ?
Un rire le prend.
— Si tu promets de rester dans les parages, on aura tout le temps qu’il nous faut, non ?
Encore grisée par la sensation de ses lèvres contre les miennes, je ne dis rien dans un premier temps, fermant les yeux et me blottissant contre son torse. Il embrasse mon front avant de poser son menton sur mon crâne, enserrant mon corps.
Ce n’est que momentané. Demain, nous serons sans nul doute affreusement gênés par ce bref moment.
Mais j’ose imaginer que celui-là nous laissera le temps d’apprendre à mieux nous connaitre.
Alors je réponds :
— Je promets.
14 271 mots
c'était LONG
navrée de ne pas avoir posté
plus tôt, j'ai mis du temps
à boucler cette commande avec
les examens et aussi le fait qu'elle
était très longue
la fin fait un peu bâclée, je
ferais peut-être une partie deux
si j'en ai le temps
j'espère que ça vous a plu
:)
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