43 - Le Pouvoir des Mots
— Stupide. Stupide. Stupide, marmonnai-je, en me laissant tomber sur le canapé moelleux du salon de Lara.
Mon amie, assise en tailleur sur le fauteuil face à moi, leva un sourcil sceptique tout en sirotant sa boisson. À côté d'elle, Elena, son autre amie, me regardait avec une expression mi-intriguée, mi-amusée.
— C'est bon, Camila, souffle, dit Lara en posant son verre. On dirait que tu viens de commettre un meurtre.
— Crois-moi, ce serait plus simple, répondis-je, croisant les bras.
— Tu vas cracher le morceau, oui ? lança Elena, visiblement impatiente. C'est quoi cette histoire de "stupide, stupide" ? T'as fait quoi ?
Je leur lançai un regard désespéré avant de me laisser tomber en arrière, fixant le plafond.
— Isaac est revenu, lâchai-je finalement.
Un silence pesant s'abattit dans la pièce.
— Attends... Isaac ? Ton Isaac ? Celui qui a disparu il y a un an sans prévenir ? demanda Lara, les yeux ronds.
— Oui, confirmai-je en serrant les dents.
— Quoi ? Mais comment ? Qu'est-ce qu'il voulait ? ajouta Elena, se penchant en avant.
Je me redressai, serrant un coussin contre moi, essayant de mettre de l'ordre dans mes pensées.
— Il s'est pointé chez moi, comme ça, sans prévenir. Il voulait... il voulait que je l'aide.
— L'aider ? répéta Lara, sceptique. Il s'est barré, et maintenant, il revient comme une fleur pour te demander de l'aider ?
— Exactement, répondis-je, ma voix pleine de sarcasme.
Elena fronça les sourcils.
— Attends, il ne s'est pas juste pointé chez toi, pas vrai ? Tu ne serais pas dans cet état juste pour ça.
Je lâchai un soupir, enfouissant mon visage dans mes mains.
— Il... il m'a embrassée, murmurai-je finalement.
Un silence choqué suivit ma confession.
— Quoi ? firent-elles en chœur.
— Oui ! Il m'a embrassée ! Et je l'ai laissé faire, au début. Puis... puis j'ai pensé à Jake, et je l'ai repoussé.
— Camila, c'est quoi ce bordel ?
— Je ne sais pas ! m'exclamai-je, me levant brusquement pour faire les cent pas. Il m'a complètement prise au dépourvu ! Il m'a dit des trucs, des trucs que je ne voulais pas entendre.
— Comme quoi ? demanda Elena.
Je m'arrêtai, le cœur battant à l'idée de répéter ses mots.
— Il m'a dit que Jake ne me connaissait pas comme lui. Que j'étais en train de me cacher derrière lui...
Lara soupira, croisant les bras.
— Et qu'est-ce que tu ressens pour Jake, dans tout ça ?
Je n'avais pas de réponse. C'était ça, le pire. Je fréquentais Jake que depuis deux trois mois.
Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi Isaac avait encore cette emprise sur moi, pourquoi il parvenait à me mettre dans un tel état.
Lara se leva et posa une main sur mon épaule.
— Écoute, Camila. Ce type a foutu le bordel dans ta vie. Il n'a pas le droit de revenir et de faire comme si rien ne s'était passé. Mais toi, tu as le droit de ne pas lui donner ce pouvoir.
Peut-être que c'était moi qui avais foutu le bordel dans sa vie.
Cette pensée s'insinua dans mon esprit comme un poison. Je secouai la tête, refusant de l'accepter, mais elle s'accrochait, tenace. Isaac avait disparu, oui, mais pourquoi ? Pour fuir ? Ou pour réparer quelque chose que j'avais brisé sans m'en rendre compte ?
— Camila ? murmura Lara, son ton inquiet.
Je relevai les yeux vers elle, mais ma vision était floue, comme si mes pensées s'étaient éloignées.
— Et si c'était ma faute ? soufflai-je, presque inaudiblement.
Lara fronça les sourcils, croisant les bras comme pour me rappeler qu'elle n'était pas du genre à accepter ce genre de discours.
— Non, stop, me coupa-t-elle. Tu n'as rien à te reprocher. Il a pris ses décisions, il a fait ses choix.
— Mais j'étais là, rétorquai-je, ma voix plus forte cette fois. C'est moi qui l'ai entraîné dans cette spirale. Et il a tué pour moi, Lara. Tué.
Le silence qui suivit était lourd, et je sentais Elena et Lara me scruter, chacune avec une expression différente. Lara semblait furieuse, prête à me secouer pour me faire entendre raison, tandis qu'Elena paraissait troublée, hésitante. Peut-être que c'était ma dernière phrase.
— Camila, dit enfin Elena, sa voix douce mais ferme. Ce qu'il a fait, il l'a fait parce qu'il l'a choisi. Pas parce que tu l'as forcé.
Je secouai la tête, le poids de la culpabilité toujours aussi lourd sur ma poitrine.
— Vous ne comprenez pas. Vous n'étiez pas là. Ce regard qu'il avait après... Il ne m'en a jamais parlé, et moi, qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai continué ma vie comme si de rien n'était.
Lara poussa un soupir exaspéré, s'asseyant sur l'accoudoir du canapé.
— Tu sais quoi, Camila ? Si Isaac avait un problème avec ça, il aurait dû te le dire. Mais il a choisi de disparaître. Il t'a laissée seule avec tes propres démons, alors ne te sens pas coupable pour les siens.
Je voulais croire ses mots. Je voulais croire qu'elle avait raison. Mais quelque chose en moi refusait de lâcher prise.
— Peut-être qu'il n'a pas disparu pour fuir, murmurai-je. Peut-être qu'il a disparu pour me protéger, pour réparer ce qu'il pensait être sa faute.
— Ou peut-être qu'il est juste un idiot, répliqua Lara avec un sarcasme mordant.
Je ne pus m'empêcher de sourire malgré moi, secouant légèrement la tête.
— Peut-être.
Mais au fond, je savais que c'était plus compliqué que ça.
Quand je quitte l'appartement de Lara, je sens une boule dans ma gorge. Mon souffle est court, et mes pensées tournent en boucle.
Une fois chez moi, je referme la porte derrière moi et m'appuie contre le battant. Je prends une grande inspiration et attrape mon téléphone. Le numéro de Meva est là, enregistré sous un nom que je n'ai pas eu le courage d'effacer.
J'hésite. Mes doigts tremblent légèrement au-dessus de l'écran. Si je fais ça, je m'embarque dans quelque chose de dangereux. Je le sais. Mais la curiosité me dévore, et une petite voix en moi murmure qu'il faut que je sache. Pour lui. Pour moi.
Je finis par taper un message. Simple, direct.
Moi : Je veux savoir ce que tu sais sur Isaac. Où peut-on se voir ?
Le temps que le message soit lu me semble une éternité. Je fais les cent pas dans mon salon, jetant un coup d'œil à l'écran toutes les dix secondes. Et enfin, la réponse arrive.
Meva : Port du Sud, entrepôt 7. Ce soir, 22h.
Voilà un rendez-vous que je comptais honorer.
Mon estomac se noue. J'ai l'impression d'être entraînée dans un piège, mais je ne peux pas reculer. Je ne veux pas reculer. Je décide de ne pas répondre. Ce serait inutile, elle sait que je viendrai.
À 21h45, je gare ma voiture à quelques rues du port. La brume s'élève lentement de l'eau, enveloppant les quais dans une ambiance glaciale et oppressante. Chaque pas que je fais vers l'entrepôt résonne sur le béton, amplifiant ma nervosité.
Quand je me retrouve devant la porte massive, mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va exploser. J'hésite une seconde avant de lever la main pour frapper, mais la porte s'ouvre avant que j'en aie le temps. Meva se tient là, son regard froid et perçant braqué sur moi.
— Tu es ponctuelle. Bien, dit-elle simplement avant de se décaler pour me laisser entrer.
L'intérieur de l'entrepôt est sombre et glacial. Une table en métal trône au centre, entourée de deux chaises. Je remarque les ombres mouvantes dans les coins, mais je fais semblant de ne pas les voir. Je sais qu'on nous surveille.
— Assieds-toi, ordonne Meva en prenant place de l'autre côté de la table.
Je m'exécute, même si tout en moi hurle de fuir.
— Alors, dis-je en essayant de maîtriser ma voix. Parle-moi d'Isaac.
Meva croise les bras, me détaillant comme si elle évaluait mes forces et mes faiblesses.
— Isaac et moi avons grandi ensemble, commence-t-elle, sa voix glaciale. Dans un endroit que je doute qu'il t'ait jamais mentionné. Une maison où on nous a appris à survivre à tout prix.
Je fronce les sourcils, troublée.
— Et votre famille ?
Elle ricane, un son amer et tranchant.
— Nos parents n'étaient pas des parents. Ils étaient des... formateurs. Ils nous ont transformés en outils, en armes. Isaac a fui dès qu'il a pu, mais moi, je suis restée.
— Pourquoi ? demandais-je, incapable de retenir ma curiosité.
Elle se penche en avant, son regard s'intensifiant.
— Parce que je voulais comprendre. Comprendre pourquoi ils avaient fait de nous ce que nous sommes. Et parce qu'Isaac a laissé quelque chose derrière lui. Une dette qu'il n'a jamais payée.
Un frisson glacé me parcourt.
— Une dette ? répété-je, ma voix presque tremblante.
— Il n'a pas seulement fui, il a trahi, dit-elle d'un ton sec. Ceux qui nous ont élevés, qui nous ont faits, veulent sa tête. Et il le sait. Il est caché, quelque part, pensant qu'il peut échapper à son passé. Mais il ne peut pas. Pas plus que toi, d'ailleurs.
Je me redresse, choquée.
— Moi ? Je n'ai rien à voir avec tout ça !
Elle sourit, un sourire froid et cruel.
— Oh, mais si. Tu es sa faiblesse, Camila. Et crois-moi, tout le monde le sait. Les rumeurs, les photos dans le Bailey News... ça n'a échappé à personne. Et tu sais quoi ? La faiblesse d'un homme, c'est toujours le meilleur moyen de le faire sortir de l'ombre.
Je me souvins des photos, celles qui avaient circulé il y a un an. Des clichés flous de nous deux, pris de loin, des rumeurs qui avaient tourné. Je n'y avais jamais prêté attention, pensant que personne ne les prendrait au sérieux. Mais maintenant, tout prenait sens. Isaac et moi, nous n'avions jamais vraiment été invisibles.
Je serrai les poings, énervée contre moi-même. Pourquoi n'avais-je pas vu ça venir ?
— Je ne sais même pas où il est, dis-je en essayant de garder mon calme.
Meva se lève, contourne lentement la table et se place derrière moi.
— Peut-être que toi, tu ne sais pas, murmure-t-elle à mon oreille. Mais crois-moi, lui sait où toi tu es.
La tension dans la pièce devient presque palpable. Je serre les poings pour garder mon sang-froid, mais la panique monte en moi. Elle joue à un jeu que je ne comprends pas encore, et ça m'exaspère.
Je me retourne brusquement, défiant son regard.
— C'est toi qui as envoyé quelqu'un chez moi ?
Elle me fixe avec ce sourire énigmatique qui me donne envie de hurler. Elle ne répond pas tout de suite, comme si elle savourait le moment. Je perds patience.
— Pourquoi est-ce que tu penses que c'était moi, Camila ? Peut-être que tu t'es fait d'autres ennemis sans t'en rendre compte. Peut-être que... tu n'es pas aussi intouchable que tu crois.
Son ton est presque désinvolte, mais ses yeux me transpercent. Elle sait quelque chose, j'en suis sûre.
— Tu n'as pas répondu à ma question. Est-ce que c'était toi ?
Elle esquisse un sourire, presque imperceptible.
— Et si c'était le cas, qu'est-ce que tu ferais ?
Cette fois, c'en est trop. Je me redresse, plantant mes yeux dans les siens.
— Si c'était toi, alors tu as fait une grosse erreur. Parce que si tu crois que tu peux m'intimider, tu te trompes lourdement. Et si tu t'avises de recommencer, je te promets que tu découvriras à quel point je peux être dangereuse.
Meva éclate de rire, un rire court et froid qui me donne envie de la gifler.
— Toi, dangereuse ? Camila, tu es encore une petite fille qui joue à un jeu bien trop grand pour elle. Tu ne sais rien de ce monde. Tu ne sais rien de ce que ton père, Isaac, ou même moi sommes capables de faire.
— Les petites filles comme moi, on apprend vite. Et je te jure que si tu te mets encore une fois en travers de mon chemin, tu regretteras de m'avoir sous-estimée.
Elle reste silencieuse un instant, comme si elle évaluait mes paroles. Puis, elle incline légèrement la tête, un sourire narquois aux lèvres.
Je ne lui laisse pas le temps d'ajouter quoi que ce soit. Je me détourne et quitte la pièce d'un pas ferme, la tête haute, même si mon cœur bat à tout rompre.
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