40 - Réveil en eaux troubles



Mes paupières étaient lourdes, ma tête battait comme un tambour, et chaque muscle de mon corps hurlait de douleur. J'ouvris lentement les yeux, m'attendant à voir un endroit sombre et lugubre. Pourtant, la lumière tamisée d'une lampe de chevet éclairait une pièce qui, à première vue, semblait étonnamment normale.

Je me redressai doucement, ma main glissant sur le drap qui recouvrait le lit où j'étais allongée. Mon souffle s'accéléra en remarquant mes affaires posées soigneusement sur une chaise près de moi : ma veste, mon couteau pliant, et même mon téléphone. Tout était là, comme si je n'avais jamais été attaquée.

La pièce était spartiate mais propre. Les murs étaient d'un blanc cassé, décorés de cadres simples représentant des paysages marins. L'air était frais, chargé d'un parfum salé qui me rappela immédiatement la mer. Le bruit régulier des vagues confirma mon intuition.

Où étais-je ?

Je me levai doucement, mes jambes encore tremblantes, et m'approchai de la fenêtre. Le rideau léger qui la couvrait flottait légèrement sous la brise. Je l'écartai prudemment et retins un souffle de surprise.

Un vaste domaine s'étendait devant moi. Des hommes en uniforme sombre allaient et venaient, certains transportant des caisses, d'autres échangeant des mots que je ne pouvais entendre. Une jetée s'étendait jusqu'à l'eau, où un yacht imposant était amarré. C'était une véritable forteresse au bord de la mer.

Puis je la vis.

La femme de la clairière.

Elle se tenait non loin de la jetée, entourée de deux hommes qui semblaient attendre ses ordres. Elle portait le même manteau noir que la veille, et même à cette distance, je pouvais sentir son aura froide.

Un frisson me parcourut. Comment avais-je atterri ici ? Pourquoi étais-je encore en vie, et surtout, pourquoi m'avoir laissé mes affaires ? Tout cela n'avait aucun sens.

Je m'éloignai rapidement de la fenêtre, mon cœur battant à tout rompre. Attrapant mon téléphone, je composai nerveusement le numéro de Kai. Les secondes s'étirèrent, chaque tonalité me semblant durer une éternité.

— Allez, décroche, murmurai-je, mes mains tremblantes.

La ligne sonna encore et encore, mais aucune réponse. Je raccrochai et réessayai, cette fois en mordant ma lèvre pour empêcher la panique de prendre le dessus.

— Kai, où es-tu ? chuchotai-je pour moi-même, en serrant le téléphone contre ma poitrine.

Je jetai un coup d'œil vers la porte de la chambre. Elle était fermée, mais pas verrouillée. L'idée de m'enfuir me traversa l'esprit, mais je savais que sortir de cet endroit ne serait pas une mince affaire, surtout avec tous ces hommes armés à l'extérieur.

Je pris une grande inspiration, essayant de calmer le chaos dans ma tête. Il fallait que je sache ce qu'il se passait, pourquoi j'étais ici, et surtout, qui était cette femme.

La porte s'ouvrit brusquement, me tirant de ma réflexion. Je me redressai instinctivement, le couteau toujours en main, prête à me défendre.

— Alors, c'est toi Camila Harley.

Mon cœur manqua un battement. Comment connaissait-elle mon nom ? Et surtout, pourquoi ce ton presque familier ?

— Qui êtes-vous ? lâchai-je, serrant plus fort mon couteau.

Elle haussa un sourcil, un sourire glacial se dessinant sur ses lèvres.

— Pas besoin de ça, dit-elle en désignant mon arme d'un mouvement de tête. Si je voulais te tuer, crois-moi, tu ne serais pas en train de me poser la question.

Je ne répondis pas, mes doigts toujours crispés sur le manche.

— Je m'appelle Meva, dit-elle en avançant d'un pas. La sœur d'Isaac.

Je clignai des yeux, incrédule.

— Quoi ? Non, c'est impossible. Isaac est fils unique.

Elle rit doucement, mais il n'y avait aucune chaleur dans ce rire.

— Ah, ça, c'est bien lui. Toujours à cacher la vérité, même à ses proches.

Je secouai la tête, essayant de comprendre. Isaac m'avait toujours semblé... secret, mais une sœur ? Une famille ? Il n'avait jamais rien laissé entendre de tel.

— Pourquoi devrais-je vous croire ? demandai-je, ma voix tremblante.

— Parce que, répondit-elle en s'approchant davantage, Isaac n'a jamais été celui que tu croyais.

Je restai silencieuse, mon esprit s'emballant.

— Isaac qui travaille pour la DEA, continua-t-elle, un éclat moqueur dans les yeux. Un agent infiltré. Ce n'est même pas son univers. Il joue un rôle. Mais moi... moi, je sais d'où il vient. Et toi aussi, non ?

Elle planta son regard dans le mien, et je compris ce qu'elle insinuait. Je me sentis exposée, vulnérable. Elle connaissait tout de moi, alors que je ne savais presque rien d'elle.

— Où est Kai ? demandai-je brusquement, changeant de sujet.

— Ton amie va bien, répondit-elle calmement. Elle est toujours sur place, mais en sécurité. Je ne vais pas lui faire de mal.

— Pourquoi ?

Elle s'arrêta à quelques pas de moi, croisant les bras.

— Parce que je n'ai rien contre toi, Camila. Pas encore, du moins. Et je n'ai pas besoin de t'expliquer que ça pourrait changer.

Je déglutis, mon regard cherchant un échappatoire.

— Alors, pourquoi m'avoir amenée ici ?

Elle esquissa un sourire énigmatique.

— Parce que je voulais te parler. Je voulais savoir si tu avais vu Isaac.

Je clignai des yeux, surprise par la question.

— Non, répondis-je honnêtement. Je le cherche justement.

Elle m'étudia un instant, comme pour vérifier si je mentais. Puis elle hocha la tête.

— Bon, d'accord.

Avant que je ne puisse réagir, elle tendit la main et attrapa mon téléphone posé sur la table.

— Hé ! protestai-je, mais elle leva un doigt pour me faire taire.

Elle composa quelque chose rapidement, puis me rendit l'appareil.

— Si jamais tu as des nouvelles de mon frère, tu sais comment me contacter, dit-elle avec un sourire.

— Et si je refuse ?

Son regard devint plus sombre, plus menaçant.

— Crois-moi, Camila, tu ne veux pas me défier. Isaac et moi avons... un différend à régler.

Un frisson parcourut mon dos. Elle parlait d'Isaac avec une froideur qui me glaçait le sang.

— Ton amie t'attend sur le bateau, dit-elle calmement. Tu peux partir.

Je restai figée, incrédule.

— Quoi ?

— Tu m'as entendue, répondit-elle en croisant les bras. Je ne te retiens pas. Pas aujourd'hui, en tout cas.

Mon esprit tournait à toute vitesse. Après tout ce qu'elle avait dit, après tout ce qu'elle savait sur moi, elle me laissait simplement partir ?

— Pourquoi ? demandai-je, méfiante.

Elle haussa les épaules, l'air presque amusé.

— Disons que je n'ai pas de raison de te garder. Et je t'ai déjà dit : je n'ai rien contre toi. Si tu revois Isaac, dis-lui qu'on doit parler.

Son ton était calme, mais chaque mot était chargé d'une menace implicite.

— Tu es libre, conclut-elle en désignant la porte. Mais sache que je garde un œil sur toi.

Je ne bougeai pas tout de suite, méfiante, mais elle me fit un geste impatient.

— Allez, file.

Prenant une profonde inspiration, je récupérai mes affaires, vérifiant que mon couteau et mon téléphone étaient bien là, puis je franchis la porte sans un mot.

En sortant, l'air frais me saisit, et le bruit des vagues devint plus distinct. Un homme, sans doute l'un des hommes de Meva, me fit signe en direction d'un ponton où un bateau m'attendait.

Kai était là, assise sur le bord, l'air fatiguée mais visiblement indemne. En me voyant approcher, elle se redressa, ses yeux se remplissant de soulagement.

— Camila ! cria-t-elle en courant vers moi.

Je la pris dans mes bras, incapable de contenir le tremblement dans mes mains.

— Tu vas bien ? lui demandai-je en reculant pour la regarder.

— Oui, répondit-elle en hochant la tête. Et toi ?

Je jetai un dernier coup d'œil vers la maison, où Meva se tenait sur le pas de la porte, les bras croisés, me fixant comme pour me rappeler que cette histoire était loin d'être terminée.

— On part, murmurai-je à Kai.

Je me laissai tomber sur le lit, fixant le plafond avec un mélange d'épuisement et de confusion. Le bruit des vagues au loin résonnait comme un écho de mes pensées. Qui est vraiment Isaac D'Amico ? Est ce que Isaac était son vrai prénom ?

Isaac m'avait affirmé qu'il était fils unique. J'y avais cru sans chercher plus loin. Il parlait peu de lui, évitait soigneusement les sujets personnels. À chaque fois que j'avais essayé de creuser, il éludait avec une habileté déconcertante. Je m'étais persuadée que c'était de la pudeur, une part de mystère. Mais maintenant, je réalisais que tout cela n'était peut-être qu'un écran de fumée.

La première fois que je l'avais rencontré, c'était dans un entrepôt appartenant à mon père. Il avait une assurance presque troublante, une manière de se fondre dans l'environnement tout en captant l'attention. À cet instant, il m'avait fascinée.

Ce soir-là, tout s'était effondré dans ma tête. J'avais cru qu'il était un agent infiltré, qu'il s'approchait de mon père pour faire tomber son empire. Mais non. Rien n'était aussi simple. Il n'essayait pas de l'arrêter, il travaillait avec lui. Ils avaient des conversations discrètes, des échanges où la méfiance semblait absente.

Comment était-ce possible ?

Isaac portait un badge de la DEA tout en collaborant avec l'un des hommes les plus dangereux du pays. Il jouait sur les deux tableaux, sans jamais trahir la moindre émotion, la moindre faiblesse.

Et moi, où me situais-je dans tout ça ?

Pendant deux ans, je m'étais laissée emporter par ce que je ressentais pour lui. Je l'avais idéalisé, convaincue qu'il était différent, qu'il portait en lui une dualité tragique. Mais en réalité, je n'avais jamais vu qu'une partie de lui, celle qu'il voulait bien me montrer.

Je réalisais maintenant à quel point j'avais été aveugle. Isaac était un mystère, un puzzle dont je n'avais jamais cherché à assembler les pièces. À force de me concentrer sur mes propres sentiments, j'avais ignoré les signes, les incohérences, les silences.

Je rentrai chez moi, les pensées embrouillées après tout ce qui s'était passé. Mais, à peine la porte ouverte, je fus accueillie par Jake. Il était là, assis dans mon salon, son regard se levant vers moi comme s'il m'attendait depuis une éternité.

Je ne lui posai pas la question sur la manière dont il était entré. À quoi bon ? Ce n'était pas important. Il était là, c'était tout ce qui comptait. Le reste de la journée passa dans un silence lourd, avec une sorte de tension palpable entre nous. Aucun de nous ne parlait vraiment, mais nous étions là, dans la même pièce, partageant l'espace sans échanger plus de mots que nécessaires.

Quand la soirée arriva, je décidai de me préparer à dormir. Je m'étais mise dans ma routine habituelle, mais l'atmosphère de la journée m'empêchait de trouver le calme. Jake m'avait dit qu'il allait rester avec moi ce soir.

Je me dirigeai vers le salon pour éteindre les lumières avant de rejoindre ma chambre. Le bruit de mes pas résonnait dans l'appartement silencieux. Une fois arrivée près du commutateur, je tendis la main pour éteindre la lumière. C'est alors que je vis une silhouette, une ombre figée dans l'obscurité, juste devant moi.

Un frisson glacé me traversa, et en un instant, l'adrénaline monta en moi. Encore ? Je n'allais jamais donc être tranquille ? L'ombre semblait se mouvoir légèrement, mais il ne bougeait pas. Je serrais mes poings prêt à lancer le premier coup si jamais.

Puis, dans l'obscurité, je distinguai une silhouette familière. Mon souffle se coucha dans ma gorge, mes yeux s'écarquillèrent alors que je comprenais. La silhouette, d'abord menaçante, était celle d'Isaac.

Je n'eus pas le temps de réagir, ma main se desserrant, mes doigts encore tremblants. Je le fixai, le cœur battant la chamade. Il se tenait là, droit devant moi, dans l'obscurité de la pièce, ses yeux fixant les miens avec cette intensité que je connaissais bien. Ce n'était pas un homme qui se cachait. Mais pourquoi était-il là ? Pourquoi maintenant ?

— Isaac ? Ma voix, brisée par la surprise, n'était qu'un murmure.

Il ne répondit pas tout de suite, comme s'il mesurait chaque mot avant de le prononcer. Il s'avança légèrement, brisant l'espace qui nous séparait. Son regard se fit plus sérieux, plus grave, et je vis cette lueur dans ses yeux, celle qui m'avait toujours dérangée.

— Je disparais pendant un an... et toi, tu me remplaces déjà.

Ses mots frappèrent comme un coup de tonnerre, brisant tout ce que j'avais cru savoir.

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