29- Sous l'ombre de l'héritage



Je n'avais pas récupéré ma voiture, alors j'appelai un Uber. L'attente me parut interminable, mais lorsque la voiture arriva, je m'installai à l'arrière sans un mot. Les rues défilaient devant moi, mais mon regard, fixé sur les lumières de la ville, ne voyait rien. Mon esprit, lui, était en feu.

David allait sortir de prison. Cela ne faisait plus aucun doute. Si je ne mettais pas un terme à tout ça maintenant, il finirait par m'écraser, comme il avait écrasé tant d'autres. Il fallait que cette histoire prenne fin — à ma manière.

Je glissai la main dans mon sac et en sortis mon téléphone. L'écran s'alluma, éclairant mon visage d'une lueur froide. Mes doigts tapèrent le numéro de Vadim avec une précision mécanique, comme si chaque mouvement avait été répété mille fois dans ma tête.

Il décrocha presque immédiatement.

— Camila, dit-il, sa voix calme mais empreinte d'un sérieux inhabituel.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demandai-je d'un ton tout aussi calme, trop calme.

Un silence, juste assez long pour que l'angoisse s'insinue. Puis il répondit.

— C'est fait. Nico est mort. Tout est en place pour que tu prennes la relève.

Ses mots tombèrent comme un couperet. Je ne cillai pas, mais à l'intérieur, un mélange d'émotions contradictoires éclatait : un soulagement sombre, un frisson d'appréhension, et cette froide certitude que le jeu venait de changer.

Vadim reprit, sa voix plus basse, presque douce :

— Fais attention à toi, moya doch'.

Je raccrochai sans répondre, mon regard se perdant à nouveau dans les lumières de la ville. Les mots de Vadim résonnaient encore dans ma tête. Tout était en place. Mais à quel prix ?

La voiture s'arrêta enfin devant la maison de mes parents. Je descendis, ma silhouette glissant dans l'ombre de la nuit. Les lumières de la maison illuminaient les fenêtres, projetant des éclats chaleureux sur le gravier de l'allée. Mais cette chaleur me semblait lointaine, presque étrangère.

Je franchis la porte d'entrée, mes pas légers résonnant à peine sur le sol de marbre. L'odeur familière de cuisine flottait dans l'air. Ma mère, fidèle à elle-même, était sûrement en train de préparer quelque chose.

— Camila, c'est toi ? cria-t-elle depuis la cuisine.

— Oui, maman. Je vais dans ma chambre récupérer quelques affaires.

Sa voix douce, presque insouciante, contrastait violemment avec l'orage qui grondait en moi. Je pris la direction opposée, mes pas me menant droit vers le bureau de mon père.

Là où tout commençait. Là où tout finissait.

J'ouvris doucement la porte et entrai. Le bureau était plongé dans une pénombre paisible, éclairé seulement par une lampe restée allumée sur le coin du bureau massif en bois sombre. Les papiers épars, les croquis griffonnés sur des calepins, tout respirait le chaos méthodique d'un homme habitué à manipuler les pièces d'un échiquier invisible.

Je posai mes mains sur le bureau, mes doigts effleurant le bois froid et dur. Ici, des décisions avaient été prises, des vies transformées ou détruites d'un simple geste. Je pouvais presque entendre sa voix, calme et implacable, ordonner ce qui devait être fait.

Il m'avait enseigné sans jamais prononcer un mot. Chaque regard, chaque mouvement, chaque décision que je l'avais vu prendre, c'était une leçon. J'avais observé, appris, mémorisé. Et aujourd'hui, tout cela allait enfin servir.

Je laissai mon regard errer sur les papiers devant moi, mais ce n'était pas ce que je cherchais. Ce n'était pas les détails qui comptaient. Ce qui comptait, c'était ce pouvoir. Le pouvoir de façonner le monde à ma guise, de manipuler les événements pour qu'ils servent mes intérêts.

Je me redressai, un calme glacial s'installant en moi. Tout ce que j'avais vécu jusqu'ici m'avait menée à cet instant. Il n'y avait pas de retour en arrière possible.

Je quittai le bureau et montai les escaliers vers ma chambre. Chaque pas semblait résonner dans ma tête, un rappel de l'inévitable. La maison était silencieuse, mais je pouvais sentir le poids de ce qui s'approchait, comme un orage prêt à éclater.

Ce n'était pas un jeu. C'était ma réalité. Et personne, pas même David, ne pourrait m'arrêter.

En franchissant le seuil de ma chambre, je pris une dernière inspiration. Tout ce que mon père m'avait appris, tout ce que j'avais enduré, tout ce que j'avais sacrifié... Cela se résumait à une vérité brutale : dans ce monde, seul le pouvoir compte.

Et moi, j'étais prête à le prendre.

Lorsque j'arrivai devant le vieux bâtiment en béton qui servait de repère aux hommes de main de mon père, l'odeur de fumée et d'huile chaude me frappa immédiatement. Ici, on n'entendait jamais un silence complet. Des éclats de voix, le bruit métallique des armes qu'on chargeait et le claquement des chaussures sur le sol en ciment composaient la symphonie de ce lieu. Mais c'était surtout ici que j'avais rencontré Isaac pour la première fois.

Je poussai la porte massive, mes baskets crissant contre le sol poussiéreux. Quelques visages se tournèrent vers moi, certains avec une curiosité prudente, d'autres avec un respect teinté de crainte. Mais moi, je ne cherchais qu'une seule personne.

Kai.

Elle était là, comme toujours, au fond de la salle. Ses cheveux courts en bataille lui donnaient un air désinvolte, mais ses yeux, sombres et perçants, trahissaient une vigilance constante. Elle portait un débardeur noir, laissant apparaître les muscles fins et dessinés qui témoignaient des années d'entraînement. Elle me vit avant que je n'aie eu le temps de l'appeler, un léger sourire en coin apparaissant sur son visage.

— Camila, dit-elle simplement en s'approchant.

Son ton était neutre, mais il y avait cette chaleur, ce lien indéfectible qui n'avait jamais disparu, malgré les années, malgré les vies différentes que nous menions maintenant.

Et comme toujours, à cet instant précis, un souvenir surgit.

F L A S H B A C K — des années plus tôt

L'internat où nous vivions n'était pas le pire, mais ce n'était pas non plus un palace. C'était dans cet endroit austère que j'avais rencontré Kai.

Ce soir-là, un groupe de filles, dont nous faisions partie, avait décidé de s'échapper. Pas pour quelque chose de noble ou d'héroïque, juste pour goûter à un peu de liberté. On avait marché jusqu'à une petite épicerie de quartier. C'était une échappée nocturne comme les autres, jusqu'à ce que Valeria, l'une des filles les plus turbulentes du groupe, décide de voler une bouteille de vodka.

— Valeria, sérieux ? avais-je murmuré en la voyant glisser la bouteille sous son manteau.

Elle avait levé les yeux au ciel, un sourire narquois sur le visage.

— Personne ne s'en rendra compte.

Mais quelqu'un s'en était rendu compte. Le vigile, un homme massif et visiblement en colère, nous avait arrêtées à la sortie.

— Montrez-moi vos sacs ! avait-il aboyé.

La panique s'était répandue dans notre groupe comme une traînée de poudre. Valeria était sur le point de s'effondrer, mais pas moi. Je n'avais pas grandi dans un cocon. Je savais que dans ce genre de situations, seule la vitesse de réflexion comptait.

— Vous pensez qu'on a volé quoi ? avais-je demandé d'une voix innocente, mes bras croisés sur ma poitrine.

— Ne fais pas l'innocente, avait-il répliqué.

J'avais pris une grande inspiration, mon cerveau travaillant à toute vitesse.

— Très bien, dis-je en haussant les épaules. Fouillez-nous. Mais si vous ne trouvez rien, on ira directement à la police pour vous dénoncer pour harcèlement.

Ses sourcils s'étaient froncés. Le doute. C'était tout ce dont j'avais besoin.

— Les filles, allez-y, sortez vos affaires, continuai-je. Faisons perdre du temps à ce brave monsieur.

Pendant que le garde était distrait, j'avais murmuré un ordre rapide à Kai. Elle avait compris immédiatement. Tandis que je continuais à faire diversion, elle glissa la bouteille dans un rayon voisin, là où personne ne penserait à regarder.

Quand il revint les mains vides, le garde était furieux, mais impuissant.

— Vous avez de la chance, avait-il craché en nous laissant partir.

En sortant, Kai m'avait regardée, un sourire amusé sur les lèvres.

— Camila, tu viens juste de te faire une réputation.

Et elle avait eu raison.

P R É S E N T

— À quoi tu penses ? demanda Kai, me ramenant à la réalité.

Je la regardai un instant, un sourire fugace traversant mon visage.

— À nous. Avant.

Elle haussa un sourcil, mais ne répondit pas. Avec Kai, les mots n'étaient pas toujours nécessaires.

— J'ai besoin de toi, dis-je après une pause.

Elle croisa les bras, son regard se durcissant légèrement.

— Qu'est-ce que tu veux cette fois ?

Je fis un pas vers elle, baissant légèrement la voix pour m'assurer que personne d'autre n'entendait.

— Rassemble les filles. Celles sur qui je peux vraiment compter. C'est pour un dernier coup.

Kai ne répondit pas immédiatement. Elle me fixa, cherchant à lire dans mes yeux si j'étais sérieuse, si ce que je préparais allait nous mener à notre perte ou à notre salut.

— Tu sais que certaines sont sorties du jeu, dit-elle enfin.

— Celles qui veulent rester en dehors peuvent rester en dehors, rétorquai-je. Mais toi, Kai... toi, tu sais que ce n'est pas fini. Pas encore.

Un long silence s'étira entre nous, mais je savais qu'elle finirait par céder. Parce que nous étions liées. Parce que Kai était la seule personne qui me connaissait réellement.

Et parce que, au fond, elle était comme moi : incapable de tourner le dos à un défi.

Alors que Kai et moi étions plongées dans notre échange, un bruit de pas lourd résonna derrière moi. Je n'eus pas besoin de me retourner pour savoir que c'était un des gardes de mon père. Ils avaient cette manière brutale et directe de se déplacer, comme si leur seule présence suffisait à imposer leur autorité.

— Mademoiselle, dit une voix grave et autoritaire derrière moi. Ton père veut te voir.

Je pivotai lentement, fixant l'homme avec une froideur qui aurait fait trembler n'importe qui. C'était Gregor, un colosse avec une mâchoire carrée et un regard perpétuellement menaçant.

— Et depuis quand on m'ordonne quoi que ce soit ? répondis-je d'une voix glaciale, les bras croisés.

Il ne sembla pas impressionné, ce qui ne fit qu'amplifier mon irritation.

— Ce n'est pas une demande, mademoiselle. C'est un ordre.

Kai s'était tendue à côté de moi, prête à intervenir, mais je levai une main pour la calmer. Ce n'était pas la première fois qu'un des sbires de mon père pensait pouvoir me traiter comme une subalterne, et ce ne serait certainement pas la dernière.

— Si tu continues à me faire perdre mon temps, je vais devoir intervenir.

Il avança alors d'un pas, comme pour me saisir par le bras. Mais avant qu'il ne puisse me toucher, je m'écartai rapidement et, dans un mouvement vif, je lui attrapai le poignet, le tordant d'un coup sec. Il grogna, surpris, et tenta de se libérer, mais je ne lui laissai aucune chance. D'un coup de genou, je frappai dans son ventre, le forçant à reculer, son souffle coupé. Il tenta de m'attraper de nouveau, mais cette fois, j'esquivai, le frappant à la tête avec le revers de ma main.

— Sale garce ? souffle t'il, les poings serrés, prête à en découdre si nécessaire.

Il tenta à nouveau de riposter, mais cette fois, il sous-estima ma vitesse. Je bloquai son bras avec une précision glaciale et lui envoyai un coup de coude dans la gorge. Il tituba en arrière, cette fois clairement perturbé.

Je n'avais pas l'intention de me retenir, c'était peut être un moyen de me défouler et alors que je m'apprêtais à frapper à nouveau, une voix familière me fit sursauter, me ramenant brutalement à la réalité.

— Camila, assez !

Je me figeai, mes épaules se raidissant instinctivement. Je savais reconnaître cette voix entre mille, et je savais aussi que la confrontation qui allait suivre serait bien plus difficile que celle avec Gregor.

Je me retournai lentement pour faire face à mon père. Il se tenait là, droit comme un roc, vêtu de son éternel costume noir. Ses yeux sombres me fixaient avec une intensité qui avait toujours eu le don de me rendre nerveuse, même si je ne le montrais jamais.

À ses côtés, il y avait Isaac, dont les yeux étaient fixés sur moi avec une surprise manifeste. Je vis ses sourcils se froncer, visiblement stupéfait par ce qu'il venait de voir. Il n'avait aucune idée de ce dont j'étais capable.

Mon cœur battait un peu plus fort, mais je me ressaisis immédiatement et détendis mes muscles.

Pas devant Isaac.

Pas maintenant. Je n'étais pas prête à ce qu'il découvre ce côté de moi, celui que je cachais sous cette façade froide et calculatrice. Ce côté que personne ne devait connaître.

Je pris une grande inspiration, reculant d'un pas pour me redresser. Mes mains se détendirent lentement, et je fis un dernier coup d'œil à Gregor qui, tout en reprenant son souffle, me lançait un regard noir. Mais il savait qu'il n'avait plus son mot à dire.

— Tu te crois où ? lança-t-il d'une voix calme, mais chargée d'une autorité implacable.

— À ma place, répondis-je en le regardant droit dans les yeux.

Un silence tendu s'installa entre nous, ses hommes se tenant en retrait, visiblement mal à l'aise. Mon père s'approcha, ses pas résonnant lourdement dans la pièce.

— Frapper un de mes hommes, Camila? C'est ainsi que tu comptes montrer ta valeur ?

— Non, répondis-je sèchement. Mais je ne suis pas une de tes subordonnées, et je ne laisserai personne me traiter comme telle.

Je me rapprochai de mon père, essayant de garder un air détaché malgré l'agitation qui bouillonnait en moi. Il m'adressa un regard pesant, un regard qui me disait que, même s'il n'appréciait pas mon comportement, il savait qu'il ne pouvait pas me contrôler de la même manière qu'Isaac ou ses autres hommes.

— Suis moi.

Je baissai les yeux sur Isaac avant de le fixer une dernière fois. Il était clairement déconcerté, mais il ne disait rien, choisissant de rester silencieux, probablement perdu dans ses pensées après l'incident.

Je sentais une lourde tension dans la pièce alors que mon père me fixait, ses yeux acérés comme un couteau, cherchant à pénétrer chaque recoin de mon esprit. Isaac, toujours un peu en retrait, observait la scène, silencieux. L'air était lourd de non-dits, mais mon père décida de briser le silence.

— Je t'ai fait suivre, Camila. Depuis un moment déjà.

Je le regardai, une froideur dans le regard. Je n'avais pas été naïve. Je savais bien qu'il veillait sur moi d'une manière ou d'une autre, mais entendre cela de sa bouche avait quelque chose de profondément déstabilisant.

— On a déjà eu cette conversation, répondis-je d'une voix calme.

Il haussait les sourcils, comme s'il était surpris que je n'exprime aucune colère, aucun reproche. Mais, au fond, je savais qu'il avait agi de la sorte par précaution, comme il l'avait toujours fait. Le contrôle était sa nature. Après tous c'était le rôle d'un père de s'inquiéter pour ses enfants.

— Pas parce que je ne te faisais pas confiance, mais parce que je savais que tout allait déraper à un moment ou à un autre, dit-il en se redressant légèrement.

Sa voix avait pris un ton plus grave, presque désespéré.

Je me renfrognai, ne voulant pas qu'il voie la moindre faiblesse dans ma réponse.

— Je peux me débrouiller seule. Je vais y arriver, répondis-je d'un ton tranchant, la gorge serrée. Je n'ai besoin de personne, pas même de toi.

Il soupira, un geste fatigué qui trahissait l'agacement. Ses yeux se durcirent, mais il n'eut pas le temps de répliquer que Isaac, plus en retrait, se leva, intervenant pour la première fois depuis que nous étions là.

— C'est pour ça que je suis venu te voir, déclara Isaac d'une voix plus calme que la mienne. Camila, il n'est plus question de jouer la solitaire.

Mon père tourna la tête vers Isaac, puis ses yeux se replièrent sur moi, attendant que je réagisse à ces nouvelles paroles. J'étais figée, ne sachant comment répondre à la vérité nue qu'il venait de poser sur la table.

— Je sais bien que tu ne veux pas qu'on s'immisce dans ta vie, Camila, mais je suis d'accord avec lui, finit-il par dire en me fixant droit dans les yeux. Tu peux te débrouiller seule, mais à ce point-là, c'est du suicide.

Je serrai les poings, mais je ne cédais pas.

— Je t'ai dit que je pouvais gérer. Pourquoi vous voulez pas m'écouter ?

Isaac et mon père échangèrent un regard, mais aucun des deux ne semblait prêt à abandonner. Mon père se pinça les lèvres et se tourna vers Isaac.

— Elle est têtue, tu ne trouves pas ? dit-il en soupirant, avant de se tourner à nouveau vers moi.

Je ne répondis rien, mes lèvres se scellèrent sous la colère et la frustration. Je n'avais pas envie de lui accorder cette part de contrôle.

Mon père se tourna alors vers Isaac, qui semblait hésitant. Il n'était plus aussi sûr de lui qu'avant, et il n'avait plus l'air de me voir comme une simple "mission" à protéger.

Isaac s'approcha de mon père, le regard maintenant plus sérieux.

Je n'entendais pas ce qu'il se disait mais son regard étais sur moi tous le long. Je restai figée, le regard rivé sur Isaac, son admission me frappant plus fort que ce que j'aurais cru. Je savais que lui aussi se battait avec ses sentiments, qu'il avait une part de lui qui se déchirait entre sa loyauté envers mon père et les nouvelles émotions qu'il avait développées pour moi.

Mon père, après avoir observé Isaac, s'éclaircit la gorge et tourna son regard vers moi, toujours aussi impénétrable.

— Fais ce que tu veux, Camila, mais sache que tout ce que tu as fait, tout ce que tu penses avoir sous contrôle, a des conséquences. Et je serai là pour te rappeler que la force seule ne suffit pas.

Je ne répondis pas. Je ne pouvais pas. Je savais que je m'étais laissée piéger dans un engrenage que je ne pouvais plus contrôler.

Je me levai, sans un mot, et quittai la pièce, laissant derrière moi deux hommes qui se comprenaient, mais qui ne comprenaient pas encore tout ce que j'étais prête à sacrifier.

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