༄ Chapitre 6
Mes grognements de colère et de douleur raisonnaient dans le silence des couloirs. Obligée d'avancer après que Dagon ait réussi à m'attraper par les cheveux, cette enflure me forçait à le suivre. Cadence, juste derrière nous, était totalement muette, la tête baissée, elle suivait le prince comme un chien suivait son maître. Pour lui, c'était exactement ce qu'on représentait, des chiennes qu'il pouvait maltraiter quand et comme il le voulait. Et visiblement Cadence en avait trop fait les frais, elle avait beau être belle, j'étais certaine, rien qu'en la regardant, je pouvais deviner qu'elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.
— Lâche-moi, putain ! grondai-je, hors de moi.
J'aurais dû fermer ma grande bouche.
Je n'avais pas prévu ce qui allait arriver, pourtant, ce n'était pas comme si je ne connaissais pas sa manière de réagir face à ce genre d'attitude insoumise. Son poing s'était enfoncé dans mon estomac, provoquant une remontée acide.
Ce que j'avais mangé ne tarda pas à recouvrir le sol.
Toussant douloureusement, mes jambes flageolaient, peinant à me garder debout. Ce corps était particulièrement résistant, parce que j'étais persuadée que dans l'ancien, je me serais cassée en deux. C'était tellement douloureux. Il y avait des douleurs que l'on finissait par connaître et savoir gérer, réussir à les apaiser, mais je n'étais pas sûre qu'on puisse s'habituer à de tel niveau de souffrance. Comment pouvait-on s'accoutumer quelque chose qui raisonnait si fort en vous, que vous aviez l'impression que tout vos os semblaient se fracturer à chaque fois ? Moi, en tout cas, je ne pensais pas pouvoir m'y faire un jour.
— Tu es têtue, commenta Dagon, ça finira par te tuer ici.
— Oh non... et nous le savons aussi bien toi que moi. Ou ce ne sera pas toi qui mettra un therme à mon cauchemar.
Il n'allait pas mettre un terme à ma vie. Pas aussi rapidement tout du moins.
Je pouvais le voir dans ses yeux.
Ma remarque lui fut particulièrement déplaisante. Parce que la seconde suivante, mon dos heurtait le mur le plus proche. Vidant complètement mes poumons de l'air qu'ils contenaient et impossible de retrouver mon souffle. Je suffoquais sans qu'il ait besoin de m'étrangler. Sa main avait pourtant quitté ma tignasse ébène pour se poser sur ma gorge. Il était menaçant, mais je ne cédais toujours pas, je m'y refusais. Je ne pouvais pas gagner physiquement, alors je le faisais autrement. En lui refusant toute forme de faiblesse ou de soumission. Il pouvait me mettre en miette, me blesser autant qu'il le souhaitait, je refusais de lui donner le moindre pouvoir sur mon mental. Sur celle que j'étais. J'avais toujours été une forte tête, je ne ployais jamais quand quelque chose me déplaisait. Inconsciemment un sourire était venu s'étirer sur mes lèvres.
— Qu'est-ce qui t'amuse ?! vagit le tatoué après avoir grogné comme une bête.
Il n'obtint pour réponse qu'un sourire plus large.
Il m'avait lancée sur le sol avant de marcher lourdement sur mon estomac. Provoquant une nouvelle remontée gastrique. Bien que celle-ci ne termina pas sur le sol comme la précédente. Elle s'était arrêtée à mi-chemin. Mais pas la douleur. Mes membres étaient secoués par de légers tremblements. Je cherchais pourtant pas à ramper pour échapper à ce qu'il me faisait. C'était inutile. Il allait cessé à un moment ou à un autre, il me suffisait d'attendre. Mes yeux s'étaient fixés sur le plafond, je ne le regardais pas, je ne voulais pas voir ses expressions, ni lire en elles. Car il était bien trop expressif, j'aurais préféré mille fois que cette ordure soit froid comme la glace. Inexpressif.
J'avais de nouveau régurgité sur le sol après qu'il se soit obstiné à frapper dans mon ventre. Il n'avait pas épargné le reste pour autant, ça aurait été bien trop généreux de sa part.
Comme prévu, il s'était lassé plutôt rapidement.
Me laissant allongée sur le sol, avec un corps qui n'était plus qu'une masse douloureuse. J'allais être couverte de bleus, mais ce n'était pas grave. Ça disparaitrait après quelques temps. Et si j'avais de la chance, ça n'allait pas lui donner l'envie de me toucher. J'étais par contre heureuse que mes maudits tatouages ne se soient pas remis à saigner après la correction que je venais de recevoir. Ils avaient, visiblement, assez cicatrisé pour éviter d'être en sang.
— Cadence ! l'entendis-je aboyer.
— O... oui, mon prince ?!
— Ramasse-la.
Evidemment, il ne prenait pas la peine de ramasser ce qu'il avait saccagé un instant plus tôt. L'artificielle se dépêchait de le satisfaire, souhaitant certainement éviter un sort comparable au mien. Je la comprenais, personne ne voulait subir quelque chose comme ça. Au vu de sa nature docile, elle ne s'était certainement pas souvent fait battre, violer par contre... je préférais ne pas y penser. Cadence me remit debout et me soutint le temps que nous avançâmes. Un de ses bras au tour de ma taille, alors qu'elle avait soigneusement passé le mien par dessus ses frêles épaules. Aucune de nous deux ne prononça un mot pendant le reste du trajet.
Au bout, Cadence m'avait déposée sur un lit bien plus spacieux que celui que j'avais occupé pendant plusieurs jours. La chambre était plus riche aussi, c'était même très beau. L'odeur de Dagon s'était éloignée. Il n'était visiblement pas resté, tant mieux. Je l'avais bien assez vu. Seul la trouillarde était encore là. Mon regard magenta se posa sur elle. Elle m'observait aussi, hésitante.
— Qu'est-ce qu'il y a ? finis-je par lui demander.
— Tu penses réellement pouvoir... t'échapper après ce qu'il t'a fait ? Il peut faire des choses bien pire.
Un gloussement amusé m'échappa.
— Evidemment, répondis-je, ce n'est pas ça qui va m'arrêter.
— Aesma... c'est de la folie, ton obstination finira par avoir raison de toi. Même si tu penses le contraire...
— Je préfère mourir en ayant essayé, plutôt que de rester sans rien faire à attendre qu'il m'engrosse.
Quelque chose me traversait soudainement l'esprit.
— Cadence... a-t-il déjà des enfants ?
— ... Oui, une dizaine, mais ce sont toutes des filles. Il aurait dû avoir un fils mais...
Ses yeux s'étaient soudainement remplis d'eau et sa lèvre inférieure tremblotait. À cette vue, mes sourcils s'étaient froncés si fortement qu'ils manquèrent de se toucher. Qu'est-ce qui lui prenait ? Elle s'était laissée tombée sur mon lit, ses épaules secouées par des sanglots silencieux. Hésitante, une de mes mains vint quand-même se poser sur le bas de son dos, la douleur dans mes muscles ne me permettant pas de me mouvoir plus. Lentement, je frottais la zone que j'étais parvenue à atteindre, essayant de me montrer réconfortante.
— Pourquoi tu es si triste Cadence ? Ce bébé...
Ma phrase resta en suspend.
Je venais de comprendre.
— Il est mort né, m'expliqua-t-elle d'une voix triste. Mon fils n'a même pas eu le temps de vivre quelques minutes...
Je ne pouvais pas réellement comprendre sa douleur. La simple idée de porter l'enfant de Dagon me donnait la nausée, alors je peinais à concevoir la tristesse qu'elle ressentait. Ce n'était certainement pas un enfant désiré au vu de la manière de faire du prince. Mais n'ayant jamais connu de grossesse, c'était, encore une fois, quelque chose que je ne pouvais pas comprendre.
— Je suis désolée, me contentai-je de dire.
— Merci, désolée, c'est toujours dur d'y penser et d'en parler. Même si il n'est pas arrivé dans les meilleures conditions, et que son père n'est pas l'homme que j'ai aimé, c'était quand-même mon bébé. Je l'ai senti grandir, bouger dans mon ventre, pour au final ne jamais pouvoir m'en occuper.
Ça devait effectivement être dur. Je continuai d'appliquer des caresses rassurantes sur le bas de son dos. Le temps qu'elle reprenne ses esprits et essuie ses larmes. Je voulais savoir certaines choses et j'étais convaincue que elle pouvait m'apporter quelques réponses. Mais il était préférable d'y aller en douceur.
— D'où est-ce que tu viens ? l'interrogeai-je, histoire de faire connaissance.
— Je suis originaire de San Francisco, mais j'étais en vacances à San Diego quand c'est arrivé. On avait décidé d'aller se faire un bain de minuit avec mon petit-ami, on a été enlevé tout les deux. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Ça va faire trois ans maintenant.
— Tu supportes ça depuis trois ans ?!
Elle approuva d'un petit signe de la tête. Finalement, elle était peut-être plus forte que ce que j'imaginais en la voyant.
— Et certaines filles sont là depuis bien plus longtemps, m'apprit Cadence, c'est plutôt elles qu'il faudrait féliciter. Et toi ? Tu viens d'où, Aesma ?
— Miami. On était en croisière avec... ma petite-amie, Amber, et des amis à nous. Et des baleines ont fait chavirer notre navire, c'est comme ça que je me suis retrouvée dans cet enfer. J'aimerai tellement savoir ce qui est arrivé à Amber et aux autres...
Une violente tristesse me secoua le coeur à ce moment-là. Ces derniers jours, j'y avais pensée, furtivement, plus concentrée à trouver un moyen de m'enfuir au plus vite. Mais j'avais été stupide, si je laissais mes proches dans cet endroit, je ne vaudrais pas mieux que ces monstres.
— Amber est certainement encore en vie, dit soudainement l'artificielle près de moi. Si je ne sais pas ce qu'ils font des hommes, je peux t'assurer qu'ils ne tuent pas les femmes, ou du moins, pas tout de suite.
— Est-ce que tu sais où elle peut être ?!
— Non, il y a plusieurs salles de... métamorphoses. Ainsi que divers prisons, ça prendrait énormément de temps de toutes les fouiller, si elle est arrivé en même temps que toi...
— Deux de ces salopards ont dit que ma transformation avait été plus rapide que la normale, coupais-je en me redressant difficilement, alors elle est peut-être encore là-bas.
— ... Depuis combien de temps es-tu arrivée ici ?
Je fus incapable de lui répondre.
Je me rendais compte que j'avais complètement perdu la notion du temps depuis mon arrivée.
Une de mes mains se posa sur mon front, alors que je tentais vainement de rassembler mes souvenirs pour réussir à déterminer depuis combien de temps j'étais ici. Un mois ? Plus ? Mon coeur battait trop vite dans ma poitrine, c'était désagréable. Putain... je ne savais plus. J'avais été idiote de ne plus compter les jours depuis mon premier passage entre les mains des sirènes. A cause de ça, j'étais complètement perdue. Certainement consciente de mon trouble, la main frêle de Cadence s'était posée sur une de mes épaules.
— N'essaie pas de te souvenir précisément, me conseilla-t-elle, fais une estimation qui te paraît correcte.
— Un mois... et demi, peut-être.
— Alors elle a déjà terminé sa transformation. En général, cela va de deux à trois semaines pour que le changement s'opère correctement. Mais dans de rares cas, il faut...
— Une semaine, je sais. Un des types qui m'a sortie de mon incubateur l'a dit à son camarade, c'était rapide. Combien... d'autres cas, similaires au mien, y a-t-il eu ?
— ... À ma connaissance, deux jusqu'ici, une fille qui est morte en couche il y a environ un an de cela et...
Elle avait cessé de parler. Perturbée par ce soudain silence, mes yeux s'étaient posés sur elle. Sa main recouvrait sa frange au niveau de la partie de son visage qui était dissimulée. Je ne saisissais pas ce qui se passait. Mais cela avait un lien avec la seconde femme qui avait eu un changement plus rapide.
— Cadence ? appelai-je prudemment.
Ma voix l'avait soudainement arrachée à sa transe. Battant des paupières, elle reprit doucement ses esprits. Une fois de nouveau dans la réalité, elle s'excusa tout bas. Je ne lui en tenais pas rigueur, j'étais même plutôt curieuse de ce qui l'avait poussé à entrer dans cet état d'absence. Un traumatisme ? Ça m'étonnerait à peine.
— Qui est la troisième ? poursuivis-je, calmement.
— Kawena...
J'avais déjà entendu ça, trois ou quatre fois au moins. Ce prénom s'était échappé de la bouche de cette sirène aux cheveux d'argents, de celle du prince et deux fois de celle de Cadence. Elle semblait être quelqu'un d'important dans l'entourage de Dagon.
— J'ai déjà entendu ce prénom plusieurs fois. Qui est cette fille exactement, Cadence ?
— Comme je te l'ai dis, c'est la favorite du prince, m'expliqua-t-elle, tendue, elle fait en sorte de s'attirer toutes ses faveurs. Elle est dingue de lui et le fait qu'il ait un harem ne lui plait pas du tout. Cependant, elle ne peut pas aller contre la volonté de Dagon, même si elle est plutôt influente.
— Au point que tu aies peur d'elle.
À mes mots, l'artificielle blonde avait légèrement baissé la tête et son regard était devenu fuyant. J'avais mis dans le mille, cette femme avait dû lui faire quelque chose pour qu'elle réagisse ainsi.
— Qu'est-ce qu'elle t'a fait ? Ou plutôt, représente-t-elle une menace ?
— Kawena est particulièrement possessive, murmura Cadence, elle souhaite que Dagon ne regarde que elle. Qu'il ne couche qu'avec elle et elle n'hésite pas à user de violence ou de méthodes vicieuse pour nous écarter...
Ça me dressait un léger tableau du personnage. Mais je ne savais pas si cela allait être un avantage ou au contraire une épine dans mon pied. J'avais l'impression que plus j'avançais, plus les obstacles se dressaient sur ma route. M'échapper allait se révéler plus laborieux que ce que j'avais imaginé. Surtout que cet endroit s'avérait être un véritable labyrinthe, tout se ressemblait. Et pour s'en aller, il allait falloir obligatoirement se transformer et nager jusqu'à la côte la plus proche. Et je n'avais aucune idée de où est-ce qu'on se situait. Plus proche de Miami ou d'une autre ville proche de l'océan.
— Est-ce que tu sais où on se trouve dans l'océan ? demandai-je à ma camarade.
— Non, je n'en ai aucune idée. Nous avons rarement le droit d'aller nager, ils craignent que l'on s'échappe. Je trouve ça stupide...
— Comment ça ?
Je ne voyais pas ce qu'il y avait d'idiot là dedans. C'était même parfaitement logique que ces monstres craignent que l'on s'échappe si ils nous donnaient la permission d'aller nager comme bon nous semblait.
— Parce que on est plus des humaines. Où est-ce qu'on irait ? Retourner chez notre famille ? Et qu'est-ce qu'on leur dira au juste ? Qu'on a été kidnappées par des créatures marines et changées en sirènes ? Ils ne nous croiront jamais et même si on leur donne la preuve, qu'est-ce qu'il arrivera selon toi ?
Je restais complètement muette face à sa tirade. Elle avait totalement raison. Nous n'avions nul part où aller. Et révéler ce que nous étions devenues, ce serait provoquer un vent de panique et d'autres évènements regrettables. Même si je ne souhaitais pas protéger ces monstres, je pensais aussi à ce que pareille révélation provoquerait comme réaction parmi la population. Malgré cette prise de conscience, je ne voulais pas pourrir ici. Je me débrouillerais pour m'en sortir par la suite.
— Je comprends ton point de vue, finis-je par dire, il est très réaliste. Mais je refuse de finir ma vie ici malgré tout. Je réussirai à m'en sortir, j'ai été humaine et je pense encore comme une humaine, alors je me débrouillerai.
— ... Sincèrement, j'admire ta volonté Aesma. Ça fait bien longtemps que j'ai abandonné l'idée de quitter cet endroit un jour.
— Je ne sais pas si je suis vraiment quelqu'un d'admirable. Je veux seulement décidé de ma vie. On m'a déjà arraché ma vie et le droit d'être humaine, alors on ne me prendra rien d'autre.
Je parlais peut-être de manière trop optimiste. Mais je voulais y croire, j'avais besoin de quelque chose au quel je pouvais me raccrocher. Et je n'étais pas quelqu'un qui abandonnait facilement, alors même si je devais en mourir, je me battrais jusqu'au bout. Mais pour le moment, il fallait que je reprenne des forces et que mon corps se remette de la correction que j'avais reçue.
— On en reparlera plus tard, dis-je en me rallongeant sur le lit, je suis fatiguée.
— Très bien, bonne nuit.
Elle allait quitter mon lit, mais je la retins. Ce qui l'étonna.
— Reste, s'il te plait.
— Mais...
— Je ne veux pas dormir toute seule, j'en ai assez d'être seule ici.
J'avais beau avoir un esprit particulièrement rebelle, je n'aimais pas rester seule. Surtout ici. Tout était tellement froid que j'avais l'impression d'être constamment dans le néant. Dans les ténèbres de la solitude. Et un monstre pouvait surgir de ces ténèbres à n'importe quel moment. Cadence s'était allongée près de moi et m'observait en silence. Avec le peu de forces dont je disposais encore, je roulai sur le côté pour venir l'enlacer et la serrer faiblement contre moi. La fatigue ne mit pas longtemps à me rattraper et juste avant de sombrer, je pus lui murmurer.
— On va s'en sortir...
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