༄ Chapitre 43

Je suivais Dagon et les hommes qui l'emmenaient jusqu'à ses quartiers privés. Je pus entrer de justesse avant que la porte ne me soit claquée au nez. Ils abandonnèrent le prince au milieu de la grande pièce après lui avoir ôté ses liens pour lui permettre de placer ses mains devant lui. Ils l'entravèrent à nouveau et sortirent ensuite, nous laissant seuls, bien que j'eus droit à un regard assassin au passage. Je faillis tressaillir tant les portes claquèrent fort quand ils les refermèrent. Puis un silence de mort s'installa alors que mon regard se posa sur Dagon. Il fixait l'immense paroi transparente qui donnait vu sur une partie de la cité qui se trouvait devant lui, il ne jurait pas, ne grognait pas, en fait, il ne faisait absolument rien. Comme s'il n'était pas vraiment là. Je m'avançai jusqu'à sa personne pour prendre place devant lui et faire en sorte qu'il me regarde. Il fallut plusieurs longues secondes avant qu'il ne daigne enfin baisser les yeux vers moi. J'ouvris la bouche pour parler, mais il ne me laissa pas le temps de le faire.

— Rentre chez toi, m'ordonna-t-il.

Abasourdie par ce qu'il venait de me dire, je restai bêtement la bouche entre-ouverte à le dévisager. Je repris mes esprits quand il amorça le mouvement pour se détourner de moi et s'éloigner. Je le retins et le forçai à me refaire face.

— Je te demande pardon ?! aboyai-je. Pourquoi est-ce que je devrais partir ?! Je ne suis pas venue jusqu'ici pour... !

— Arrête un peu de jouer à la forte tête ! Tu n'as rien à faire ici, peu importe ce que Kori t'a dit, tu n'es pas à ta place ici ! Tu n'as pas compris avec ce qui s'est passé avant ?! D'ailleurs qu'est-ce qu'il s'est passé hein ?! Je peux savoir pourquoi on te traite de traitresse ?! Et qui est Kaataï ?!

Alors il ne savait vraiment pas. Remarque, Kaataï devait avoir disparu depuis bien longtemps et je doutais que Dagon ait passé autant de temps à la bibliothèque que son frère cadet. Cependant, je ne pouvais pas lui expliquer sans avoir toutes les informations, ce n'était pas le moment de créer un quiproquo, il avait certainement autre chose à gérer.

— Je n'en suis pas vraiment sûre moi-même, mais apparemment je leur rappelle fortement cette femme...

— J'avais pas remarqué, râla-t-il avec une ironie non dissimulée.

— C'est aussi pour ça qu'il faut que je reste, j'ai besoin de réponses ! Et je ne peux pas t'abandonner ainsi !

— Et qu'est-ce que tu comptes faire au juste ?! Tu n'es rien ni personne même si tu sembles familière à certains d'entre eux !

Il s'était approché de moi et me surplombait de toute sa taille. Il avait raison, mais il avait aussi raison sur le fait que je sois quelqu'un de têtu qui n'en faisait qu'à sa tête, ma plus grande qualité, mais aussi mon plus grand défaut.

— Si je fais ça aussi, c'est pour nos fils, lui dis-je. Ils ne peuvent pas vivre avec une mère incapable de gérer ses pouvoirs et qui ne sait pas réellement qui elle est. Pour définitivement accepter ce que je suis, j'ai besoin de réponses. Sinon, il y aura encore des erreurs qui seront commises.

Je reconnaissais avoir déconné avec l'histoire du bateau, heureusement l'histoire s'était tassée, mais peut-être que les fois prochaines je n'aurais pas autant de chance. Et il fallait que je fasse définitivement le deuil de ma nature humaine, je n'en étais plus une et je n'en serais plus jamais une.

— Et je t'ai dit, mais je vais me répéter : je ne t'abandonnerai plus, je tiendrai parole.

J'avais porté une de mes mains à son visage pour caresser doucement sa joue. Il ne chercha pas à fuir mon contact, tout ce que j'obtins, ce fut un mouvement de tête résigné. Cela me tira un sourire en coin satisfait. Satisfaction que je ne pus m'empêcher d'exprimer vis-à-vis de cela.

— Et bien, visiblement tu ne comptes pas insister, c'est bien. Monsieur le prince devient enfin quelqu'un de raisonnable.

Ma remarque le piqua, car je vis ses sourcils se froncer et il grogna de manière gutturale avant de me tirer brusquement contre lui et poser son front contre le mien, sans le cogner heureusement.

— Ne joue pas à ça avec moi, Aesma.

— Sinon quoi ? soufflai-je avec insolence. Au fait, tu aurais pu me dire que tu avais un petit frère.

Un nouveau grognement me répondit, malgré la situation nous arrivions encore à avoir ce comportement entre nous. Un sourire confiant étirait mes lèvres, j'avançai mon visage pour l'embrasser malgré son air quelque peu mécontent après la mention de son demi-frère, mais il se retira avant que je n'y parvienne, me relâchant pour s'éloigner. Même si j'avais vu son regard s'assombrir à cause de l'envie.

— Ne reste pas là, me dit-il, tu vas avoir des ennuis, retourne avec Kori.

— Dagon...

— S'il te plait, pour une fois, tu veux bien m'obéir, il ne me semble pas te demander quelque chose de particulièrement compliqué.

Il me jeta un regard par-dessus son épaule et cette fois-ci, ce fut moi qui cédai. Je levai les mains en signe de capitulation et me dirigeai vers la porte pour quitter la pièce. Les deux gardes qui avaient emmené le tatoué se tenaient toujours là, droit comme des « i », ils me jetèrent un regard en coin presque mauvais. Oeillade que j'ignorai royalement. Mais alors que je refermai la porte, il me sembla entre Dagon dire quelque chose. Trois mots qui me figèrent alors que la porte se refermait définitivement derrière moi.

Je suis désolé...

***

J'avais fait le chemin inverse en me demandant si j'avais rêvé ou s'il avait réellement prononcé ces mots. Jamais je ne l'avais entendu s'excuser, alors oui, j'étais profondément troublée. Enfin... s'il l'avait réellement fait. Je secouai la tête, faisant s'agiter mes longues mèches à la couleur de l'encre, il fallait que je reste concentrée. Je ne devais pas laisser paraître mon trouble, sinon cela risquait vraiment de me coûter très cher ici. Je ne fus pas vraiment surprise de voir Kori m'attendre en compagnie d'Aurios. Le frère et la sœur posèrent les yeux sur moi dans un même mouvement de tête, mais moi, c'était elle que je fixai. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais je ne lui en laissai pas l'occasion.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi il est enfermé ?

— C'est ce que mère a décrété le temps de trouver une solution à cette histoire, elle pense qu'il est préférable qu'il soit tenu à l'écart de toutes les décisions prises pour le moment.

— Et pourquoi ça ?!

— Puisqu'il est considéré comme le problème, il est tout naturel qu'il soit écarté, même si la majorité n'est évidemment pas d'accord avec cela.

J'échappai un petit rire, même si ce n'était pas d'amusement. Évidemment qu'ils étaient contre cette idée. Entre leur prince bien aimé et la traitresse légitime au trône, ce n'était pas compliqué de savoir du côté de qui ils allaient se ranger. Mais il n'était visiblement pas en danger – pour le moment – et c'était le plus important. Cependant, il y avait autre chose que je voulais demandé à Kori.

— Tu savais ? la questionnai-je.

— Je savais quoi ?

— Pour moi ! Que j'étais une traitresse ! Et ne te fous pas de moi, tu m'as dit que ça faisait longtemps que tu n'avais pas vu quelqu'un avec des pouvoirs comme les miens, je m'en rappelle !

— Non, je ne savais pas. Oui, j'ai déjà vu quelqu'un avec des pouvoirs comme les tiens, mais je ne savais pas pourquoi on t'appelait Kaataï, ni même qui elle était. Ce n'est pas vraiment une partie de l'histoire de notre peuple qu'on nous enseigne et la bibliothèque n'était pas ce que je préférais plus jeune.

— Parce que tu sais maintenant ?

Les yeux bleus de Kori dévièrent en direction d'Aurios et je compris qu'il lui avait expliqué. Enfin ça me faisait une belle jambe qu'elle sache ou non. Je me mis à tourner en rond dans le couloir pendant de longues secondes jusqu'à me figer complètement. Mon regard se reporta sur Kori.

— Où est ta mère ?

— Partie à la bibliothèque, me répondit-elle.

À peine eut-elle terminé de me répondre que je tournai les talons pour aller rejoindre ladite bibliothèque. Heureusement cet endroit était moins labyrinthique que le fond des abysses, donc je n'eus pas vraiment de mal à retrouver ladite bibliothèque. Je poussai brusquement les deux portes et pénétrai dans la pièce, cherchant du regard la reine. Ne la voyant pas, je me frayai rapidement un chemin entre les différentes étagères jusqu'à la voir devant la même étagère que celle que m'avait montrée son fils cadet. Elle tenait un livre à la main et scrutait attentivement une certaine page en particulier. Je m'avançai lentement jusqu'à elle. Elle savait très bien que j'étais là, avec le vacarme que j'avais fait un peu plus tôt, impossible d'ignorer ma présence. Elle referma calmement le livre, le garda en main et se retourna pour pouvoir me regarder droit dans les yeux.

— Tu as toujours su, n'est-ce pas ? Depuis le moment où tu m'as vue, tu savais qui j'étais, ou plutôt ce que j'étais, pas vrai ?

— Oui, je savais, m'avoua-t-elle. Je n'étais pas sûre de la suite, mais j'étais quasiment certaine de ce qui allait se produire. Tu ne pouvais pas rester une simple artificielle, tu allais forcément devenir une Atlante.

Évidemment qu'elle le savait, comment n'aurait-elle pas pu le savoir.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

— Que voulais-tu que je te dise ? Que tu descendais d'une des plus puissantes Atlantes que cette cité ait vu naître ? Que tu lui ressembles trait pour trait ? Y aurais-tu cru à ce moment-là ?

Je restai silencieuse.

Non, je ne l'aurais jamais crue, parce que cela me paraissait totalement invraisemblable et c'était pourtant ma réalité. Est-ce que les membres de ma famille en avaient seulement conscience ? Probablement pas, cette histoire remontait à si loin qu'elle avait certainement dû se perdre avec les âges. Kaataï était-elle encore en vie, quelque part sur terre ? Où était-elle morte depuis le temps ? Une petite voix me disait qu'elle avait survécu, qu'une femme comme elle ne pouvait pas qu'être encore en vie.

— Tu la connaissais ? questionnai-je la souveraine en posant mes yeux sur le livre qu'elle tenait encore.

— ... Oui, je la connaissais. Je la connaissais même très bien...

Je sentis une profonde tristesse dans sa voix et son regard trahissait de profonds regrets. J'ouvris la bouche pour lui dire quelque chose, mais elle ne m'en laissa pas le temps.

— Je crois qu'il y a quelqu'un que tu devrais rencontrer, me dit-elle en reposant l'ouvrage.

— ... Aurios m'a dit qu'il en restait.

— Une, il en reste seulement une, elle est emprisonnée dans les abysses aussi.

— Là, où je me trouvais ?!

— Non, ailleurs, loin d'ici pour que personne ne la retrouve jamais.

Évidemment, même eux cachaient leurs sales petits secrets après tout. Faire disparaître ce qui faisait tache c'était quelque chose de commun, même chez les humains, visiblement sur ça, les Atlantes et les habitants de la surface n'étaient pas si différents. Un profond soupir passa la barrière de mes lèvres, j'étais déjà terriblement lasse de toute cette histoire alors que ça ne faisait que quelques heures que nous étions revenus en Atlantide.

— Et comment je vais y aller ?

— Il va t'y emmener, me dit-elle en désignant quelqu'un d'un mouvement de tête.

Je me retournai de trois quarts pour voir le prince à la chevelure blonde qui se tenait à quelques mètres de nous. Je ne l'avais même pas entendu entrer, il était d'une discrétion presque inquiétante, il me fallait l'admettre. Je me contentai alors de hocher la tête et d'aller le rejoindre. Il m'avait de toute façon promis de m'y emmener à condition que je l'aide dans un mini coup d'État, sa mère n'avait fait qu'accélérer les choses. Je lui emboîtai le pas et nous passâmes devant Kori qui nous observa quelques secondes avant d'aller rejoindre sa mère dans la pièce que nous venions de quitter. Nous traversâmes les luxueux couloirs pour ensuite pénétrer dans une chambre décorée sobrement, un grand lit à baldaquin, un large bureau, un canapé et une petite bibliothèque, même si les dorures étaient toujours bien présentes.

— C'est la chambre de qui ? demandai-je d'un ton amusé. Un domestique ?

— C'est la mienne.

Je faillis m'étouffer en entendant cela, me sentant soudainement idiote. Ma gêne lui provoqua un rictus d'amusement qui me fit discrètement grogner. Il s'approcha de la grande paroi transparente donnant sur l'océan et créa un trou parfaitement rond dans celle-ci, empêchant l'eau de s'infiltrer dans la pièce. Il m'invita à le traverser d'un mouvement élégant de la tête. J'eus une petite hésitation, mais obtempérai finalement. Je me retrouvai donc à nouveau dans l'eau, rapidement suivi par le jeune prince qui referma le trou qu'il avait précédemment ouvert.

— Tu nages bien ? m'interrogea-t-il.

— Je me débrouille, on dira.

— Parfait, alors ne te laisse pas distancer.

Là-dessus, il se propulsa tel un missile à travers les eaux, il me fallut vite réagir pour pouvoir le suivre. Comme avec Dagon et Kori, je fus quelque peu à la traîne, décidément ils m'impressionneraient toujours. Je le vis m'attendre par moment, ce qui piqua un peu ma fierté tout de même, je détestai me sentir aussi complexée par eux et leur supériorité physique alors que j'étais sensée être comme eux. Nous nous éloignâmes grandement de la cité, tant et si bien qu'à un moment ce ne fut plus que des lumières dans l'immensité de l'océan. Je m'étais arrêtée pour contempler cela alors que l'obscurité était maîtresse toute au tour de moi, c'était silencieux aussi, incroyablement silencieux. Retourner dans les abysses me provoquait toujours une sensation désagréable dans les entrailles.

— Aesma ? m'appela Aurios.

— Hum ? Oh pardon, on peut continuer.

Nous nous remîmes à nager à travers les eaux sombres, toujours plus profond et toujours plus loin, même si comme Emäris me l'avait dit, ce n'était pas le même endroit que celui que j'avais connu. Nous continuâmes à nous enfoncer dans ces eaux sombres pendant ce qui me parut durer une éternité, dans l'obscurité où le temps sembla s'être complètement figé. Puis une question me vint à l'esprit et je profitai du fais qu'il ait ralenti pour la lui poser.

— Comme tu connais cet endroit ?

— Ma mère m'y a emmené parce que je lui ai demandé, je voulais satisfaire ma curiosité.

Curieux, ça, je l'avais bien remarqué. Il semblait aimer tout savoir. La suite se fit à nouveau en silence et je vis petit à petit des lumières, à la teinte bleutée, apparaître à nouveau dans l'obscurité, jusqu'à ce que cela devienne totalement clair. Elles éclairaient un passage ou plutôt une entrée, je vins rejoindre Aurios qui avait déjà posé pied sur les quelques escaliers qui se trouvaient devant. J'observai les lieux, c'était lugubre, vraiment. Je suivis de près le prince qui passa l'entrée et je fus surprise que ce soit comme les bulles qui servaient de fenêtre dans les bâtiments de la cité. Nous nous retrouvâmes donc à l'air libre, trempés, les murs ne tardèrent pas à s'illuminer de symboles bleutés, qui m'étaient inconnus, pour éclairer la voie. Il s'agissait d'un long couloir qui semblait interminable, Aurios me poussa doucement dans le bas du dos pour m'inciter à avancer.

— Toi d'abord, râlai-je alors que l'inquiétude me tenait à la gorge.

— Tu ne risques rien, nous ne sommes que trois dans cet endroit.

Je grognai et lui donnai une claque à l'arrière du crâne pour qu'il avance. Mon geste lui fit faire les gros yeux et il me dévisagea comme si j'étais folle. Instinctivement, je m'étais apprêtée à devoir éviter un coup, mais rien ne vint, sauf un petit rire amusé, ce qui me laissa sceptique. Sans rien dire, il se mit donc à avancer et je lui emboîtai le pas. Je ne m'étais pas changée et portai toujours la robe qu'il m'avait donnée, ce n'était pas la tenue la plus adaptée pour un lieu comme celui-ci. Ce couloir, comme le trajet, me parut interminable, ils avaient réellement voulu la cacher le plus loin possible pour que personne ne la trouve. Mais après encore quelques mètres, je vis se dessiner des barreaux et je sus que nous étions arrivés.

Je ne pus m'empêcher de tressaillir en voyant soudainement deux points rouges luire dans l'obscurité avant que deux mains blanches ne soient visibles et que les doigts les composant ne s'enroulent au tour de deux des barreaux. La propriétaire se dévoila à notre vue ensuite, un sourire aussi charmant qu'inquiétant étirant ses lèvres.

— De la visite, cela fait bien longtemps que personne n'est venu me voir, articula-t-elle d'une voix sensuelle. Soyez la bienvenue dans mon humble et éternelle demeure.

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