༄ Chapitre 24

— Et bien, quel temps, râlai-je en entrant dans la maison !

— Salut, Aesma ! m'interpela Azura assise dans le canapé devant la télé. C'est vrai qu'on n'est pas gâtés aujourd'hui.

— Y fait tellement mauvais qu'il n'y avait pas de job.

— Qui a envie de foutre le nez dehors par un temps pareil en même temps ?

— Nous ?

On échangea un sourire complice. Depuis mon passage dans les abysses, il y avait un an de cela, l'eau était une des choses que j'aimais le plus. Peu importe sa forme, que ce soit l'océan, la pluie, les lacs et les rivières, j'appréciais toutes ses déclinaisons. Et autant dire qu'en débarquant à Hawaï, nous étions servies. Ça m'avait paru si étrange de revoir le soleil et des gens normaux les premiers jours. Un retour à la civilisation sans violence, cela m'avait presque apparu surnaturel. Mais nous avions vite retrouvé nos anciens réflexes, Cadence et moi, Azura ne connaissait rien à notre monde alors ça avait été à nous de la guider. Il n'avait pas vraiment été compliqué de dénicher un logement, avec le don d'Azura à manipuler l'esprit, un riche entrepreneur nous avait tout de suite cédé sa maison de vacances. Nous ne comptions pas la lui voler, c'était juste le temps de se refaire pour ensuite retourner aux États-Unis, mais pour ça, nous avions besoin d'argent.

J'avais réussi à trouver un travail dans un bar en bord de mer, aucune qualification requise, une jolie fille, même tatouée, semblait parfaitement convenir au patron. Mais j'avais dû cacher mes yeux derrière des lentilles, des pupilles magenta, ça n'existait pas, pas à la surface en tout cas. Je m'étais aussi teint les cheveux en rouge, j'avais fait ça sur un coup de tête, mais ça ne m'allait pas si mal. En soi, nous arrivions à nous débrouiller pour le moment. Azura et Cadence s'occupaient d'entretenir les lieux et de faire les courses, je gérais le reste. Je délaissai Azura pour me rendre à l'étage et gagner la salle de bain, j'avais besoin d'une douche, quand bien même la pluie s'était déjà chargée de me rincer plus que nécessaire. Je retirai mes lentilles, puis mes vêtements trempés et je m'observai dans le miroir. J'avais conservé les piercings aux seins, même si j'avais troqué mes anneaux pour des barres, cela s'accrochait beaucoup moins. Les tatouages étaient toujours présents, eux aussi, noirs comme au premier jour. Ils semblaient avoir été faits il y avait peur tant la couleur de l'encre était intense sur mon épiderme clair.

Chaque fois que je regardais ces dessins gravés dans ma peau, je repensais à lui. En fait, même sans poser les yeux sur ces marques, il était toujours dans mes pensées. Il m'avait dit que j'avais empoissonné son esprit, visiblement il avait fait de même avec le mien. Je n'avais rien oublié de tout ce qu'il s'était passé ni ce que j'avais vu avant de quitter cet enfer sous-marin pour de bon, et pourtant je ne pouvais nier qu'il me manquait. Je devais avoir perdu la raison pour me languir à ce point de lui. Arriverais-je à me débarrasser de son souvenir un jour ? Je me posai souvent la question. Cependant, le prince n'était pas l'unique chose qui me hantait, mon séjour dans ces eaux sombres m'avait laissé des séquelles que je masquais au mieux. Soupirant en silence, je lâchai mon reflet du regard pour aller me glisser dans la douche italienne qui trônait fièrement dans un coin de la pièce. Je fis couler l'eau sur moi et profitai de la sensation chaleureuse et réconfortante que cela me procurait.

Je m'attardais longuement sous le jet d'eau chaude avant de me savonner et me rincer. M'extirpant de la douche, je m'emparai de deux serviettes, l'une pour m'éponger, la seconde pour mes cheveux. Je quittai la salle de bain pour rejoindre ma chambre, mais je fis un détour par une autre pour m'assurer que tout allait bien. La pièce était calme, seul un bruit de respiration régulière se faisait entendre. J'eus un petit sourire avant de refermer calmement la porte. Une fois dans ma chambre, je passai une culotte, un jogging et un T-shirt blanc basique, ça changeait des tenues très dénudées que nous portions constamment quand je faisais encore partie du harem de Dagon. Redescendant, je pris place dans le canapé aux côtés d'Azura. Mes yeux rivés sur l'écran plat en face de nous, les informations parlaient d'une mer déchaînée et de la possibilité d'une tempête en approche. Génial, ça allait compromettre mes horaires de travail, ça.

— S'il y a vraiment une tempête qui arrive, Cadence va devoir s'abstenir de manger quelques jours, commenta Azura en me glissant un regard.

— Elle devrait tenir le coup, je l'ai bien fait moi et je suis toujours là.

— N'oublie pas que vous n'êtes pas pareilles.

Elle n'avait pas tort. La petite blonde et moi étions de parfaits contraires, aussi bien physiquement, que mentalement. Mais j'étais persuadée qu'elle résisterait quelques jours. Parce que Cadence ne pouvait plus ingurgiter des repas basiques comme Azura et moi. Elle ne pouvait avaler aucun liquide non plus. Nous avions essayé lors de notre retour, mais son corps rejetait tous les aliments, autres que de la chair humaine, qui entraient dans son estomac. Là aussi, nous avions mis au point une stratégie pour qu'elle puisse se nourrir sans risquer d'attirer l'attention. Des touristes ivres, des nageurs imprudents, des pécheurs qui travaillaient tard le soir, tout ce qui était susceptible de passer pour des disparitions en mer à cause de la fatalité. Il y a encore un an de cela, je me serais très certainement sentie coupable d'agir de la sorte. Mais j'avais retenu des leçons de ce que j'avais vécu et j'étais devenue beaucoup plus antipathique vis-à-vis de ce genre de choses. Parfois, il fallait faire des sacrifices et j'estimais en avoir fait assez de mon côté pour que d'autres, même contre leur volonté, en face également.

Prise de fatigue, j'abandonnai Azura dans le salon en lui souhaitant de passer une bonne nuit. Il était à peine vingt et une heures, mais j'étais vraiment lessivée, j'avais besoin de dormir. Je remontai à l'étage et retournai dans ma chambre. Je me laissai alors tomber, les yeux fermés, sur le grand lit qui trônait au milieu de la pièce. La pluie s'abattait violemment sur les vitres, créant une douce mélodie à mes oreilles. Je rouvris les paupières pour scruter l'orage qui se déchaînait à l'extérieur. Je pouvais sans mal imaginer les vagues furieuses qui s'écrasaient sur les rochers en bord de mer.

C'est dans une mer déchaînée que cette folie a commencé.

Même si ce n'était pas en pleine tempête, cette nuit-là aussi, la mer était hors de contrôle. Je roulai sur le dos et me mis à fixer le plafond au-dessus de moi. Je savais que je ne devais pas me poser ce genre de questions, mais... Dagon avait-il un autre harem ? De nouvelles femmes et de nouveaux enfants ? Ou alors peut-être qu'il baisait cette rousse que j'avais vue sur ses genoux. Avait-il... ce garçon dont il avait tant voulu ? Cette idée me compressa l'estomac et je serrai les poings si fort que mes ongles s'enfoncèrent dans ma chair. Je devais vraiment aimer me faire du mal pour ruminer sans cesse ce genre de pensées qui me gangrénaient autant l'esprit que le cœur.

***

Je fus réveillée en sursaut par un vacarme infernal venant du rez-de-chaussée. Mon regard balaya rapidement la chambre avant que je ne bondisse du lit pour rejoindre l'étage inférieur. Une fois en bas de l'escalier, je tombai sur Azura seule dans la cuisine qui avait renversé toutes les casseroles se trouvant dans un des placards, ainsi que quelques saladiers en inox. Je la fixai longuement puis levai la main et fis un large geste, englobant tout ce foutoir, pour lui indiquer de m'expliquer ce qui s'était passé.

— Je voulais me faire des œufs et en essayant d'attraper un de ces... trucs...

— Un saladier, la repris-je.

— Ouais, si tu veux, j'ai tiré trop fort et... la suite, tu la connais.

Un air dépité prit place sur mon visage. Même après un an, elle avait encore du mal à se débrouiller toute seule. Je ne l'en blâmais pas, Azura était une princesse après tout, en dehors des entraînements au combat, elle n'avait jamais dû faire quoi que ce soit. Il y avait toujours quelqu'un pour accomplir les choses à sa place. Alors qu'elle ait deux mains gauches quand il s'agissait de faire les actions les plus simples n'était pas si étonnant. Enfin, j'étais heureuse que ce ne soit que cela. Parce que j'étais devenue un peu paranoïaque, il fallait que je l'admette. Le moindre bruit suspect me faisait paniquer, j'avais sans cesse peur que de vieux cauchemars ne ressortent des abysses pour de nouveau nous engloutir. Mais je me sentais aussi stupide, après un an, s'il avait dû se passer quelque chose se serait déjà fait, pas vrai ? Soupirant, une de mes mains se glissa dans ma tignasse teinte pour la rabattre complètement vers l'arrière de mon crâne.

— Laisse, je vais le faire, lui dis-je en m'approchant pour ramasser ce qu'elle avait fait tomber.

La princesse reposa l'objet qu'elle avait dans les mains et s'écarta un peu pour ne pas me gêner dans mes mouvements. Je rangeai le bordel qu'elle avait mis avant de m'atteler à la tâche. Azura adorait les œufs, ce qui était assez amusant, elle préférait ça à des choses bien plus succulentes, mais les goûts et les couleurs, ça ne se discutait pas. Je sentais sa présence près de moi, elle observait en détail ce que je faisais. Je connaissais le besoin d'indépendance de cette fille, donc elle n'accepterait pas toujours que moi ou alors Cadence la maternions de la sorte. Mais visiblement, ses facultés d'apprentissage prodigieuses avaient plus de mal à se mettre en route quand il s'agissait des tâches de la vie quotidienne. Cette pensée me fit doucement glousser.

— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? me questionna la fille de Dagon.

— Le fait que ta capacité à mémoriser de nouvelles techniques de combat, en un temps record, ne marche pas en ce qui concerne l'apprentissage du quotidien humain, répondis-je en versant les œufs battus dans la poêle.

Je lui jetai un coup d'œil taquin alors que j'aperçus ses joues et le bout de ses oreilles rougir. J'aimais bien l'embêter, parce qu'elle paraissait toujours tellement sérieuse, du haut des quinze ans, que c'était amusant de la voir embarrassée par ce genre de commentaire. Elle me tira la langue de manière puérile et se détourna de ma personne ensuite. Une fois de plus, je ne pus contenir un rire. Mon regard se détacha de l'adolescente pour se poser sur la fenêtre. Le ciel était légèrement gris à l'extérieur, bien que pas de gros orage en vue ou de tempête, j'allais pouvoir aller travailler. Mais j'avais du temps devant moi, je commençais aux alentours de midi et je terminais aux environs de vingt heures. Un horaire qui me convenait très bien.

***

Lorsque midi arriva, je pris la direction de la porte d'entrée.

— Bon, je décolle, annonçai-je en attrapant mon sac et les clés. Ça va aller pour vous ?

— Oui, ne t'en fais pas, me répondit gentiment Cadence.

— On a survécu jusqu'ici, donc il n'y a pas de raisons pour que cela se passe mal, compléta Azura.

— C'est vrai, mais je m'en veux un peu que vous deviez tout gérer.

— Toi, tu travailles, donc tu en fais déjà bien assez. Allez, file et arrête de t'inquiéter pour nous, je veille au grain.

Je fis un sourire aux deux filles et quittai ensuite la maison. Nous formions une petite famille toutes les trois, en même temps, nous n'avions plus que nous. Cadence et moi, nous ne pouvions pas retourner auprès de nôtres, et Azura avait laissé tout son monde derrière elle. Il était normal que nous nous rattachions les unes aux autres. Je déverrouillai la voiture, une 4x4 au ton gris, et me posai derrière le volant avant de la démarrer. Je pris alors le chemin de la ville de Kailua, c'était à un quart d'heure de voiture de là où nous vivions. C'était sympathique et, bien entendu, entouré par une mer aux couleurs merveilleuses. Le bar où je travaillais était tenu par un Américain qui était venu s'installer sur l'île d'Oahu. Ce type n'était pas méchant, mais il raffolait un peu trop des femmes, c'était pour cela que je n'avais eu aucun mal à avoir ce job.

Ready set let's go de Sam Tinnesz raisonnait dans la voiture. J'adorais cet artiste, voilà sans aucun doute une des choses qui m'avait le plus manqué durant mon séjour au fond de l'océan : la musique. Remuant légèrement en rythme, je me mis à sourire spontanément alors que mes mains tapotaient le volant. Le voyage me paraissait toujours trop court quand j'étais dans ce genre d'état d'esprit. Je me garai derrière le bâtiment, sur un espace réservé aux employés. Avant de descendre du véhicule, je contrôlais que mes lentilles étaient bien installées sur mes iris. Je quittai l'automobile et saluai ma collègue qui sortait par la porte arrière. Elle me le rendit tout en regagnant sa voiture. Je pénétrai dans l'établissement par la même porte et déposai mes affaires pour ensuite rejoindre la salle et prendre place derrière le bar.

— Et voilà notre beauté ! s'exclama un type accoudé sur la surface marron.

— Bennett, es-tu réellement obligé de faire cela chaque fois que tu me vois ?

— Quoi ? Ce serait un crime que qui que ce soit manque une fille aussi jolie que toi.

J'étais habituée à ce genre de remarques depuis que je travaillais dans ce bar. Ma transformation m'avait vraiment rendue populaire. Dans le passé, j'attirais aussi les regards, mais moins. J'étais agréable à regarder sans pour autant être d'une beauté incroyable. Et eux, ils m'avaient rendue magnifique, pour le meilleur et surtout pour le pire. J'avais fini par accepter ce nouveau corps et avait même appris à l'aimer alors l'attention des hommes ne me gênait pas. De toute façon aucun d'entre eux ne lui arrivait à la cheville. Et aucun d'eux ne devait baiser comme lui. J'eus un léger coup de chaud en repensant à cela, je me mordis l'intérieur de la joue pour ne pas divaguer. Heureusement, Bennett semblait toujours volontaire pour m'arracher à mes réflexions.

— Tu me redonnerais une bière ? Et si possible ton numéro avec.

— Ça aussi, tu vas essayer à chaque fois ? l'interrogeai-je en gloussant.

— Qui ne tente rien n'a rien et je suis plutôt entêté comme mec.

Ça, je n'allais sans doute pas le contredire, pour être têtu, il l'était. En soi, Bennett n'était pas laid. Un gars qui approchait bientôt la trentaine, des cheveux fauves, des yeux bleus pétillants, un visage masculin couvert de taches de rousseur au niveau des joues et un sourire charmeur. Il était plutôt bien bâti sans que cela ne se voie trop non plus. Vraiment un mec pas mal. Mais il n'avait aucune chance avec moi, je me sentais désolée pour lui. Si j'avais été une humaine ou si mes yeux n'avaient pas eu une couleur aussi contre nature, peut-être que je lui aurais laissé la possibilité de, peut-être, effacer Dagon de mon esprit. Mais là, il perdait son temps. Je déposai une nouvelle mousse devant lui et il eut une moue déçue en voyant uniquement la bière.

— Tu es vraiment cruelle, tu le sais ça ?

— Je ne suis pas cruelle, me défendis-je, je t'ai déjà dit que tu n'avais aucune chance. C'est toi qui te fais du mal tout seul.

— Pourquoi tu ne veux pas me laisser au moins essayer ? Ou alors tu préfères les femmes ?

— Non, enfin je n'ai pas un genre que j'aime plus que l'autre, si tu veux tout savoir. Mais pour te la faire courte, je sors d'une relation... compliquée et qui m'a beaucoup fait souffrir, donc je ne suis pas près de me remettre en couple de sitôt.

Je vis de la compréhension dans son regard, ce qui me fit assez plaisir, je devais le dire. Tous les hommes n'étaient pas des gros relous qui insistaient de manière grasse, Bennett était mignon, c'était agréable. Trop peut-être ? Je commençais véritablement à me dire que j'avais pris un peu trop goût à Dagon et à sa sauvagerie. Ou alors c'était ce que j'avais toujours cherché sans l'admettre ? Je ne voulais pas d'un gars insupportable, mais un mec bestial, ça me faisait bien plus frémir qu'un gentil garçon. Pourtant je savais très bien que ce serait constamment la guerre avec ce genre d'homme. Mon caractère ne marchait pas avec ce type de personnalité trop dominante, mais c'était une attirance incontrôlable.

Ouais, tu pars complètement à la dérive Aesma.

— Je comprends, dit le rouquin, mais quand tu te sentiras mieux, est-ce que je pourrais quand même t'inviter à manger quelque part ?

— Je ne sais pas, on verra.

Sur ces mots, je l'abandonnai pour aller m'occuper d'un autre client qui me faisait signe. Un vieillard qui venait très souvent lui aussi. Un natif de l'île, ses cheveux immaculés et sa barbe, tout aussi blanche, ressortaient sur sa peau mate. Mais ce qui était le plus marquant chez lui, c'était la couleur verte de ses yeux. Elle était si intense que ça en était hypnotisant.

— Salut, lui dis-je, qu'est-ce que ce sera aujourd'hui, Kanoa ?

— Un whisky.

— Tout de suite.

J'allais lui chercher son verre d'alcool et revint le poser devant lui. Il observait l'extérieur, plus précisément en direction de l'océan, avec beaucoup d'intérêt, ce qui piqua ma curiosité. Ce vieil homme avait toujours des histoires à raconter, particulièrement sur les mers, mais aussi sur des créatures qui y vivaient. Je ne disais rien quand il en parlait, je savais que ces histoires avaient une part de vérité, mais pas comme on l'imaginait. Alors le voir ainsi était plutôt intrigant.

— Qu'est-ce qui te préoccupe ?

— ... Quelque chose dans l'océan est en colère, Aesma.

J'eus soudainement des sueurs froides. Je le fixai sans mot dire, alors que mon cœur pompa de manière plus forte dans ma poitrine. Ce n'était, en soi, que les divagations d'un vieillard, pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être inquiète en entendant ces mots. Je tressaillis en le voyant braquer son regard perçant sur moi, j'eus l'impression qu'il cherchait quelque chose en moi. Je fis comme si tout allait bien et lui accordai un sourire avant de m'éloigner avec la boule au ventre. J'avais peur tout à coup, alors qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur, pas vraie ?

***

J'avais eu la tête ailleurs tout le reste de la journée. On avait dû me ramener sur terre plusieurs fois à cause de ça. Les mots de Kanoa tournaient en boucle dans mon esprit, comme un disque rayé. Je fus soulagée en regardant les derniers clients quitter l'établissement, j'allais pouvoir souffler un peu. Il n'y aurait pas d'autre service. Comme la veille, l'averse tombait dru dehors et la mer était déchaînée de ce que je parvenais à en voir à travers le rideau de pluie. Est-ce que cette foutue tempête allait enfin s'abattre ? Je me rendis dans la salle derrière pour récupérer mon smartphone et appeler Cadence ou Azura si besoin était. Je déposai le téléphone sur une des tables et je m'attelai à débarrasser les verres et autres bouteilles vides qui les encombraient. Je plaçai le tout dans la machine à laver quand j'entendis la porte du bar s'ouvrir et se refermer ensuite. L'odeur de peau mouillée vint me chatouiller les narines. Je m'adressai alors au visiteur sans même prendre la peine de me faire volte-face.

— Désolée, mais on est fermé.

Je n'obtins aucune réponse en retour. Trop absorbée par mes pensées, ça ne me parut pas de suite étrange, je poursuivis mes nettoyages sans réellement me soucier de qui pouvait se tenir derrière moi. Pour dire vrai, quand bien même si ça avait été un braqueur ou un agresseur, je n'aurais même pas été inquiète. En dehors des habitants des profondeurs, aucun autre être vivant ne parvenait encore à susciter de la peur chez moi. J'ouïs des pas qui se rapprochèrent de là où je me trouvais. Lasse, je m'essuyai les mains avant de jeter le torchon devant moi pour me retourner et bien faire savoir ce que je pensais à ce gêneur.

— Je vous ai dit qu'on... !

Mes derniers mots moururent au fond de ma gorge. Alors que mon cœur rata un battement. L'impression de suffoquer s'empara de moi et tous mes muscles se contractèrent d'un seul coup. Je secouai la tête de gauche à droite, cherchant à nier ce que je voyais. Je ne voulais pas ce qui était en train d'arriver. IL était là, juste en face de moi. Vêtu d'un débardeur et d'un pantalon noir, trempé de la tête au pied, mais il ne paraissait pas s'en apercevoir. Ses iris étaient braqués sur moi et je ne pouvais y lire que de la fureur. La peur s'insinua dans chaque partie de mon être, me faisant grelotter malgré moi. Le plus terrifiant, c'était qu'il ne disait rien et ne bougeait pas, se tenant simplement droit devant moi de toute sa hauteur. Ses yeux suffisaient à m'assassiner.

J'ouvris la bouche et avant même qu'un mot n'en sorte, sa large main s'écrasa sur mon visage et me fit chuter sur le sol lourdement. Le goût du sang se répandit sur ma langue tandis que les souvenirs de toutes les fois où il m'avait frappée remontèrent d'un seul coup dans mon esprit. Un bruit sourd se fit entendre derrière moi, je compris qu'il avait sauté par-dessus le bar. Une vive brûlure s'empara de mon cuir chevelu alors que je fus remise debout de force.

— J'espère que tu as bien profité de ta liberté, parce que maintenant, c'est terminé, Aesma.

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