༄ Chapitre 22
— Je ne pensais pas te revoir si vite, j'ai ouï dire que tu avais été enfermée à la suite d'un massacre.
Emäris se tenait en face de moi, assise, bras et jambes croisés. Un petit sourire étirait ses lèvres. Elle ne se moquait pas de moi, elle était seulement curieuse.
— C'est vrai, mais ce n'était qu'un malentendu, me contentai-je de lui répondre, en plus, c'est Dagon qui est lui-même venu me sortir de ma cellule.
— Vraiment? Surprenant, je savais que tu étais spéciale pour lui, mais je n'imaginais pas au point qu'il vienne lui-même te tirer de là.
Je ne fis pas de commentaire, mon cœur était douloureusement serré dans ma poitrine après ces mots. J'en avais aussi mal aux tripes, la culpabilité était un sentiment terrible. Pourtant, avec tout ce qu'il avait fait, je ne devais pas me sentir désolée pour lui, mais c'était plus fort que moi. Mon visage resta pourtant neutre, il ne fallait pas que je me trahisse, même devant Emäris, elle était de mon côté, elle me l'avait prouvé, mais je préférais rester prudente. Je la vis obliquer la tête sur le côté, son regard vert me fixait intensément, ce qui provoqua un léger malaise chez moi.
— Oui ? dis-je, en gardant une voix calme.
— Tu m'as l'air différente de la dernière fois, il s'est passé quelque chose ?
— Disons que ce qu'il s'est passé m'a pas mal retournée.
Je ne voulais pas entrer dans les détails ni parler de ma transformation. Je devais me détacher un maximum de tous ceux qui étaient là, surtout de la famille royale. J'aimais beaucoup Emäris et son esprit, mais, elle non plus, je ne la reverrais certainement jamais. Alors il était préférable que je ne m'y attache pas plus que de raison. J'étais seulement là pour lui dire au revoir, je n'allais pas m'éterniser comme la dernière fois.
— En fait, si je suis venue aujourd'hui, c'est pour vous dire au revoir.
J'avais très clairement pu voir de la surprise sur son beau visage, bien qu'elle se soit rapidement reprise pour retrouver son visage royal.
— Tu as donc prévu de t'enfuir prochainement ? m'interrogea la souveraine.
— Oui, je pense qu'il est temps, le dernier incident m'a convaincue. Il ne faut pas plus que je m'attarde ici.
— Je comprends, dans ce cas, laisse-moi t'aider une dernière fois.
— Je ne saisis pas vraiment pourquoi vous n'essayez pas de m'empêcher de m'enfuir. Au contraire, vous m'aidez sans cesse.
— Parce que sous certains aspects tu me rappelles un peu ma fille et puis, comme je te l'ai dit, je n'approuve pas les méthodes de mon fils. Vous n'êtes pas des animaux de compagnie, alors si tu veux partir, vas-y. C'est ta vie.
Elle passa une main dans sa tignasse blonde tout en jetant un coup d'œil en direction du bassin un peu plus loin.
— Plus tard dans la journée, continua Emäris, il y a une réunion de la noblesse. Évidemment, mon fils et moi-même sommes conviés, profites-en pour t'enfuir. Ça ne durera que quelques heures, ne les gâche pas surtout.
— Je vous remercie.
Je me remis sur mes jambes avant de m'incliner légèrement. Je ferais bon usage de ce qu'elle m'avait dit, je ne gâcherais pas cette chance. Et j'avais aussi ma petite idée de par où nous allions pouvoir nous échapper.
Après avoir quitté la mère de Dagon, je m'étais mise à la recherche de sa fille. J'avais commencé par les endroits où nous avions l'habitude de nous retrouver, mais rien. J'avais donc essayé dans des lieux moins communs et toujours rien. Ce qui m'inquiéta, j'espérais qu'elle n'avait pas fait quelque chose d'idiot. Je pris la décision de suspendre temporairement mes recherches. Il fallait que j'avertisse Cadence et je pourrais également lui demander de m'aider à chercher la jeune princesse ensuite. Piétinant jusqu'à la chambre de ma blonde, je restai bouche bée après avoir passé le tissu qui constituait l'entrée.
Azura se tenait là, un reste de vase brisé dans la main. Cadence était prostrée sur son lit, les yeux écarquillés par la terreur et sur le sol reposait Leïn qui avait, visiblement, été la victime de la fille de Dagon. La scène était surréaliste et je n'arrivais pas à analyser la situation correctement. Aucun des scénarios que j'imaginais vis-à-vis de ce qui avait pu mener à pareille scène ne parvenait à me convaincre.
— Mais putain, qu'est-ce qu'il s'est passé ?!
— Je... je l'ai vu en train de s'en prendre à Cadence, bafouilla Azura avant de relâcher ce qu'il restait du vase. Alors je suis intervenue, mais ça a dégénéré quand il a essayé de s'en prendre à moi, donc j'ai attrapé le premier objet qui passait et je l'ai frappé avec.
En soi, j'aurais fait la même chose et ce connard méritait ce qui lui arrivait. Pourtant, ça ne faisait pas nos affaires, au contraire, ce crétin nous mettait une fois de plus dans une situation particulièrement inconfortable. Je m'approchai rapidement du corps étendu sur le sol et je pris son pouls. Heureusement, il était encore vivant. Elle lui avait ouvert le front, et il saignait abondement, mais aucune chance pour que cela lui soit fatal. Il fallait pourtant qu'on le fasse taire même quand il serait réveillé, sinon nous allions avoir de gros ennuis. Mes yeux scrutèrent la pièce à la recherche de quoi le tenir tranquille et silencieux. Il n'y avait rien de très utile, en dehors des draps qui composaient le lit de Cadence. Soit, nous allions devoir faire avec ça. Je vins donc m'emparer des morceaux de tissu, obligeant Cadence à se lever, puis je les déchirai pour en faire plusieurs morceaux.
— Aidez-moi à le ligoter, pour qu'il n'aille pas tout répéter à son réveil.
— Mais on va pas pouvoir le garder captif pendant des jours, me fit remarquer Cadence.
— C'est pas une question de jours, seulement d'heures.
— Pardon ?! s'exclama Azura.
Je tournai la tête en direction de l'aînée des filles du prince.
— On s'en va aujourd'hui. On a une ouverture de plusieurs heures qui va se présenter à nous, donc Dagon ne sera pas dans les parages et j'ai trouvé un endroit parfait pour que l'on puisse s'échapper sans trop de risques.
Les deux autres ne savaient visiblement pas quoi dire. Je les laissai donc digérer la nouvelle pendant que je ligotais les mains de Leïn. Je le bâillonnai pour qu'il ne crie pas à son réveil, ou du moins, qu'on ne l'entende pas hurler à pleins poumons. Je m'occupai ensuite de ses chevilles. Azura et Cadence n'avaient toujours pas bougé et me regardaient sceptiques. Je soupirai en me redressant pour leur faire face.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Tu voudrais pas nous donner plus de détails ? insista Azura.
— Je vous en donnerai, mais, pour le moment, il faut qu'on s'occupe de lui. Donc, aidez-moi, plus vite ce sera fait, plus vite vous aurez vos explications. Il faut le mettre dans un coin où on ne l'apercevra pas tout de suite quand on rentre.
Il n'en fallut pas plus pour les convaincre. Il n'y avait pas de mobilier comme dans une chambre à la surface, en dehors du lit. Enfin la solution la plus simple était de le mettre de l'autre côté du couchage, et empêcher que ses pieds ne dépassent. La seule chose qui trahirait sa présence, ce serait son odeur. Je fis signe à Cadence de m'aider à le soulever, elle avait beau être frêle, elle avait de la force comme n'importe quelle sirène. Nous déplaçâmes donc Leïn de l'autre côté avant de le coucher sur le côté en position latérale. Il ne restait plus qu'à espérer qu'il dorme assez longtemps maintenant.
— Bien, maintenant tu nous expliques?! réclama Azura, impatiente. Déjà, t'es sortie depuis quand? Je me suis cassé la tête pour trouver un moyen de te faire évader et toi, tu réapparais comme une fleur !
— Du calme, Azura, c'est ton père qui m'a fait sortir, il voulait... qu'on s'explique.
Je me fis violence pour ne pas frémir, on s'était effectivement expliqués. Même si la suite s'était faite en profondeur.
— Et il t'a écouté ?! s'étonna la jeune princesse.
— Oui, donc je suis libre, mais vu que tu n'étais pas au courant ni même ta grand-mère, j'imagine que personne ne sait que j'ai été libérée. Mais bref, j'ai appris quelque chose d'intéressant, il va se tenir une réunion aujourd'hui, donc Dagon sera absent, on peut saisir notre chance de nous enfuir, comme j'ai dit, on a quelques heures de tranquillité devant nous.
— Certes, mais tu as un endroit sûr que l'on peut utiliser sans risquer de se faire repérer ?
— Plus ou moins, lui dis-je, dans le pire des cas, on tombera sur un ou deux gardes, il nous suffira de nous en débarrasser, mais sinon la voie sera également totalement libre.
L'expression d'Azura transpirait le scepticisme, ce qui me tira un soupir las.
— Emäris a un bassin dans ses appartements, il donne sur une zone plutôt isolée et quand on remonte, on arrive dans la cité d'Atlantide directement.
— A... Atlantide ? bégaya Cadence qui se manifesta enfin.
— Oui, j'ai découvert ça lors de ma première rencontre avec la reine. On vit cachées juste en dessous. Cette cité légendaire existe réellement et les sirènes et les tritons que tu vois aujourd'hui sont les descendants des Atlantes qui ont évolué, bien qu'il en reste quelques-uns qui n'aient pas muté.
Je glissai une œillade à Azura pour savoir si je pouvais continuer ou s'il ne fallait pas que j'en dise plus. Elle haussa les épaules pour me faire signe qu'elle s'en fichait que j'en parle ou non à Cadence. De toute façon, on ne pourrait plus lui cacher la vérité très longtemps, elle verrait parfaitement que, l'adolescente et moi, nous ne transformions pas au contact de l'eau.
— Dagon, Emäris, Azura et moi, nous sommes des Atlantes.
— Toi ?! Mais comment c'est possible ?! Tu as été transformée, tu me l'as dit !
— Oui, c'est vrai, mais tu dois savoir que certains Atlantes ont rejoint la surface il a bien longtemps et ils se sont visiblement mélangés avec des humains. Ce qui a donné des lignées porteuses d'un gène qui s'est mis en hibernation à la suite d'une multitude de croisements. Et il faut croire que c'est le cas de ma famille. Ne me demande pas comment ce gène s'est réveillé, je n'en ai absolument aucune idée.
— J'ai fait pendant quelques années des études de génétique avant de laisser tomber, annonça la blonde, je ne suis pas certaine de ce que je vais dire, mais je pense que la transformation a stimulé le gène jusqu'à le faire sortir de son hibernation. C'est quand même bizarre... je ne m'attendais pas à quelque chose comme ça...
Oh oui, toute cette histoire était farfelue, mais pourtant bien réelle. Mais pour le moment, il fallait surtout nous concentrer sur notre plan d'évasion.
— On discutera de ça quand on aura regagné la surface, dis-je. Mais pour le moment, il ne faut pas qu'on se sépare, on perdrait trop de temps à se retrouver ensuite. Je ne sais pas quand, exactement, a lieu cette réunion, alors...
— Aesma ! appela une voix dans le couloir.
Merde, Dagon !
Je fis signe aux deux autres de rester là sans bouger avant de quitter la chambre pour aller à la rencontre du prince. Je priai pour qu'il ne sente pas l'odeur d'Azura. Je me présentai à lui calmement, il paraissait quelque peu contrarié.
— Bonjour, fis-je calmement. Tu as bien dormi ?
— J'aurais préféré te retrouver dans mon lit à mon réveil. Pourquoi tu n'es pas restée ?
— Je suis désolée, je voulais marcher un peu et puis, tu as déchiré mes vêtements, donc il fallait bien que je me change.
Le prince laissa son regard glisser le long de mon corps, détaillant la tenue écarlate que je portais. Malgré moi, je ne pus m'empêcher de frissonner face à ce regard et il ne le rata pas, car, deux secondes plus tard, je me retrouvai coincée entre lui et le mur alors que sa bouche affamée dévorait la mienne. Sa langue fouillait l'intérieur de ma bouche, mêlant nos langues pour un ballet passionné. Ce simple baiser fut suffisant à me réchauffer de l'intérieur, mais je me raisonnai rapidement, coupant court à notre échange. Le souffle court, je posai mes mains sur son torse pour le caresser légèrement. Il fallait que je garde l'esprit clair et me trouver dans ce genre de situation avec mon plus grand dilemme n'était pas pour m'aider.
— Si j'avais plus de temps, je te prendrais dans le couloir, grogna le prince.
Mon cœur se comprima si fort que je crus qu'il allait s'arrêter. Je me sentais tellement mal, toute forme de bien-être ou d'excitation s'était envolée. Je fis pourtant mine de rien, souriant en coin de manière moqueuse, couvrant ma tristesse d'un masque de malice.
— On ne fait pas toujours ce qu'on veut, je pensais que tu avais retenu cela depuis le temps que je te le répète.
— Ne te moque pas de moi, tu pourrais le regretter.
— Ouh, j'ai peur.
— Je te veux dans ma chambre ce soir et c'est indiscutable, m'enjoignit le prince en se saisissant de ma mâchoire, si tu n'es pas là, crois-moi, tu t'en souviendras.
Je lui offris aucune réponse, mais il sembla prendre mon silence pour un oui. Il me relâcha et s'éloigna de moi avant de tourner les talons. Je l'observais s'éloigner jusqu'à ce que je ne puisse plus le voir. Je ne serais plus là quand il reviendrait. Ma culpabilité fut décuplée, même si je savais que je n'étais pas totalement en tort, j'avais de bonnes raisons de faire ce que j'allais faire. Il m'avait fait bien plus de mal que de bien, et, malgré cet attachement insensé que je développais pour lui, je ne l'avais pas oublié. Je basculai la tête vers l'arrière pour garder mes larmes dans mes yeux, il ne fallait pas que je pleure. Je referais ma vie et la culpabilité finirait bien par s'atténuer et les sentiments confus que je ressentais avec. Je fis demi-tour et regagnai la chambre de Cadence. Azura me dévisagea de manière appuyée alors que la blonde semblait perdue dans ses pensées, même si un faible sourire se dessinait sur ses lèvres.
— Ne prenez rien avec vous, ordonnai-je, sauf si c'est minuscule et que ça a une réelle valeur sentimentale.
— J'ai tout ce qu'il me faut, m'assura la fille du prince.
— Je n'ai rien à emporter, compléta Cadence. Je veux seulement qu'on s'en aille et vite.
C'était bien la première fois que je voyais Cadence aussi déterminée à faire quelque chose. En même temps, je pouvais la comprendre, elle n'avait vécu que des souffrances, alors pouvoir enfin sortir de cet enfer, ça devait être un véritable soulagement pour elle. Voir ça me consolait un peu et faisait diminuer le poids de la culpabilité qui pesait sur moi. Je ne pouvais plus faire machine arrière de toute façon.
Nous avions guetté durant des heures le départ de Emäris. J'étais certaine qu'elle avait remarqué notre présence, parce qu'elle avait lorgné dans notre direction du coin de l'œil, puis elle était partie. On attendit encore un moment avant de s'avancer à pas de loup jusqu'aux quartiers de la souveraine. Nous guettions constamment que personne n'arrive, si un affrontement était évitable, alors je préférais l'éviter. On ne tarda pas à arriver devant le bassin qui trônait au milieu de l'immense pièce.
— Bon, Cadence, plonge en premier, comme ça, tu pourras te transformer. Nous, on va guetter que personne n'arrive pendant ce temps.
La blondinette approuva d'un signe de la tête et sauta à l'eau. L'eau s'agita violemment à cause de la transformation de Cadence. Ça me parut durer des heures et être extrêmement bruyant. Heureusement, ça cessa et le buste de la jeune femme ne tarda pas à émerger hors de l'eau.
— C'est bon, nous fit-elle savoir.
— Bon, allons-y.
Azura sauta à l'eau sans hésitation et je la suivis de très près. Une fois dans l'eau, nous nageâmes jusqu'au fond du bassin, là où se trouvait la sortie. Une fois réellement hors du bassin, je levai les yeux vers le haut, si je me souvenais correctement, il avait fallu environ un quart d'heure pour atteindre la cité, donc en nageant à grande vitesse, ça devrait prendre un peu moins de dix minutes.
— Nagez droit devant vous et le plus vite possible.
Sur ces mots, je m'élançai comme une torpille vers le haut. Je me rappelais avoir nagé comme ça quand j'avais encore une queue de poisson, mais la sensation était différente. Je me sentais encore plus libre qu'avant. Je stoppai à environ cinq mètres de la cité, afin de voir si Azura et Cadence suivaient toujours. La jeune princesse était juste derrière moi alors que Cadence arriva quelques secondes après. C'est vrai qu'elle ne pouvait pas nager aussi rapidement que nous, mais si elle ne parvenait pas à tenir la distance, ça pouvait être dangereux dans notre situation. Il fallait penser absolument à tout. Mon regard magenta se détourna de la sirène blonde pour se poser sur Azura.
— Tu es déjà montée ici ? l'interrogeai-je.
— Quelques fois seulement, pourquoi ?
— J'espérais que tu puisses nous guider de manière à éviter de croiser trop de monde. Mais bon, on va se débrouiller. On est déjà parvenues jusqu'ici, même si on a fait seulement la partie la plus facile.
Le plus compliqué se dressait encore devant nous. Il fallait que l'on soit assez discrètes pour ne pas se faire repérer et que personne ne nous dénonce. Je pris une fois de plus la tête et parcourus la courte distance qui nous séparait encore d'Atlantide. C'était tout aussi somptueux que la dernière fois que j'étais venue, tout était tellement plus vivant que ces foutus abysses. J'examinais tout ce qui se passait, les habitants nageaient plutôt en hauteur, donc si nous rasions le sol de la cité, ce serait beaucoup moins remarquable. Je fis signe à mes camarades de me suivre alors que je nageais de manière modérée pour que notre avancée ne soit pas remarquée. Je n'avais aucune idée de la direction qu'il fallait prendre pour s'éloigner de la ville, je me contentais de faire confiance à mon instinct. Je virai sur la droite pour m'engouffrer dans ce qui s'apparentait à une petite rue.
Je sursautai violemment quand on tomba nez à nez avec une jeune sirène qui nous dévisagea chacune notre tour. Je ne m'attendais pas à tomber sur une enfant, on ne pouvait quand même pas faire du mal à une enfant! La petite créature nous détailla encore un moment avant de continuer sa route sans rien dire. J'avais le cœur qui battait à cent à l'heure, je craignais qu'elle n'aille en parler à quelqu'un. La panique était si grande que j'hésitais à laisser tomber la discrétion pour simplement nager le plus vite et le plus loin possible. Ce fut la poigne ferme d'Azura sur mon bras qui me fit sortir de ma bulle, elle me tira derrière elle. Elle devait penser à la même chose que moi, parce qu'elle nageait aussi plus vite. Nous traversâmes de nombreuses rues et ruelles, nous cachant quand il le fallait, il n'y avait pas énormément de passage, mais j'avais appris que les gens étaient bavards dans le coin. Nous arrivâmes finalement près d'un immense édifice, il avait une belle couleur blanche et était décoré d'or, d'argent et de pierres précieuses, des moulures travaillées ornaient les murs et des coraux achevaient d'embellir le tout.
— C'est quoi, ça ? demandai-je sans m'en rendre compte.
— Le conseil, c'est là que la noblesse se réunit, m'expliqua Azura.
Ça voulait donc dire que Dagon était là-dedans à ce moment-là.
Mon cœur pompait très rapidement et la culpabilité revint me frapper. Je n'allais jamais le revoir, le dernier baiser que nous avions échangé était réellement le dernier. Il n'y aurait plus de disputes, plus de coups, plus de tension – qu'elle soit sexuelle ou autre –, plus rien de tout ça. Ce fut le cœur lourd que je me remis à avancer, prenant soin d'éviter les tritons qui traînaient dans la zone, certainement pour surveiller que personne n'interfère avec le bon déroulement de l'événement. Longeant un des murs, je passai devant ce qui ressemblait à une fenêtre, c'était probablement une bulle d'eau comme celles qui composaient les parois en pierre de l'enfer au fond des abysses. Mon regard trouva directement Dagon et j'eus l'impression qu'on me poignardait en plein cœur. Le prince était assis et une jeune femme – en apparence en tout cas – trônait sur ses genoux, un regard fier et le sourire aux lèvres. Elle était rousse de ce que je voyais et semblait particulièrement pulpeuse, malheureusement, la distance à laquelle je me trouvais ne me permettait pas de distinguer la couleur de ses yeux. Mais une chose était certaine, elle aurait pu sans mal faire bander un mort.
Un sentiment de trahison, de colère et de déception s'empara de moi. J'avais la gorge serrée alors que le monstre griffu de la jalousie me lacérait les entrailles. Il était souriant, lui, et ne repoussait pas la femme qui était assise sur ses genoux, au contraire, il avait une main posée contre sa taille. Je reculai pour ne plus avoir à subir cette vision. Si je m'étais sentie coupable quelques instants auparavant, ce n'était plus du tout le cas, encore une fois, cette ordure s'était moquée de moi. Il partait seulement quelques heures et le voilà déjà avec une autre femme sur les genoux. J'étais définitivement une idiote, c'était certain. J'avais envie de hurler de rage et de déchaîner un ouragan contre ce salaud, mais je refoulai cette envie meurtrière au plus profond de moi.
— Aesma, qu'est-ce que tu fous ?! vociféra Azura quelques mètres plus loin.
Je tournai le regard vers elle, puis je revins à ce que j'avais vu un peu plus tôt. Je n'avais plus rien à faire ici. Tant pis pour la discrétion. Je m'élançai à toute vitesse vers Azura et Cadence pour les saisir. Je voulais m'éloigner de là le plus rapidement possible, et surtout ne plus jamais y penser. Je ne savais pas si c'était la rage que je ressentais à ce moment-là, mais on fut loin en un temps record. Je fus obligée de m'arrêter quand je sentis Cadence glisser hors de mon emprise, Azura en profita aussi pour s'extirper de ma prise.
— Je peux savoir ce qui te prend, Aesma ?! cria l'adolescente. Tu es devenue folle ?!
— Je suis désolée.
Je ne savais pas quoi dire de plus, je n'avais pas envie de devoir expliquer les raisons de cette soudaine colère. Je ne voulais plus penser à rien, juste tout oublier de ce que j'avais vécu dans ce monde aquatique. J'aurais tant aimé ne jamais rencontrer Dagon, il disait que j'étais la pire chose qui lui soit arrivée... eh bien, c'était réciproque. À la différence que lui, il m'avait complètement détruite. Je me sentais si stupide d'avoir cédé à ses avances et de l'avoir laissé avoir mon corps. Je n'aurais jamais dû accepter, c'était ma plus grosse erreur. Il devait jubiler, ce bâtard, se moquer de ma stupidité d'ancienne humaine.
Et il pouvait, même moi j'avais envie de me frapper. Azura sembla percevoir mon trouble, car elle ne cria pas une nouvelle fois. On reprit notre avancée, même si un silence de plomb était tombé, j'avais terriblement envie de pleurer. Jusqu'au bout, il aurait réussi à me faire souffrir, il ne m'aurait accordé aucun moment de répit.
Après avoir nagé certainement plusieurs heures dans les eaux sombres du fond des océans, nous attaquâmes enfin la remontée vers la surface. J'avais le cœur qui battait fort, on allait enfin revoir la surface ! Pour Azura, ce serait la première fois, mais Cadence et moi, nous retournions enfin dans notre monde, celui que nous n'aurions jamais dû quitter. La surface se profila et bientôt, nous eûmes la tête hors de l'eau. Je pris une grande inspiration par réflexe et mes yeux se posèrent sur le ciel, le soleil commençait doucement à se coucher, donnant au ciel au-dessus de nos têtes une couleur orangée absolument magnifique. Je tournai la tête vers Azura qui observait ce spectacle avec des yeux d'enfant. La voir ainsi me fit sourire, je souhaitais qu'elle se plaise dans notre monde, dans celui qui avait aussi été celui de sa mère un jour.
— Bienvenue dans ton nouveau chez-toi, Azura.
Je ne savais pas ce que l'avenir nous réservait, mais sentir à nouveau l'air frais et revoir la lumière me donnait bon espoir que les choses ne pourraient que bien aller à partir de maintenant. J'avais vraiment envie d'y croire.
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