༄ Chapitre 17
DAGON
— À quoi tu penses ?
Je regardais mon aînée assise sur un rocher qui contemplait un point en hauteur. Quoi exactement... je n'en avais absolument aucune idée. Tout ce que je voyais, c'était les eaux assombries par la nuit.
— Tu ne t'es jamais demandé ce qu'il y avait à la surface ? À quoi ça pouvait bien ressembler ?
— Non... mais pourquoi tu me demandes ça, Ko' ?
Un sourire mystérieux étira les lèvres de Kori, ce fut tout ce que j'obtins comme réponse. Je lançai un coup d'œil par-dessus mon épaule, vérifiant que personne ne m'avait pisté. Nous n'avions pas le droit d'être là, surtout pas au milieu de la nuit. J'admirais les longs cheveux noirs de Kori qui flottaient lentement autour de son visage, ses yeux bleu-vert étaient retournés se poser sur ce point qu'elle fixait quelques instants avant que j'arrive. Puis elle se redressa et son expression me fit frissonner. Je connaissais cette expression, elle l'arborait à chaque fois qu'elle avait une idée... une mauvaise idée.
— Je sais qu'on a pas le droit, mais tu ne voudrais pas remonter à la surface, juste pour jeter un coup d'œil ?
— Non, Kori, on ne peut pas, si père ou mère l'apprend, nous allons avoir de graves pro...
— Alors il suffit qu'ils ne l'apprennent jamais, me coupa-t-elle, décidée. Enfin si tu ne veux pas venir, j'irai seule. Tu n'as qu'à m'at- tendre ici, ce ne sera pas long.
Je ne souhaitais pas désobéir aux ordres de nos parents, pourtant, quand je la vis s'élancer à grande vitesse à travers les eaux pour regagner la surface, un sentiment de grande inquiétude me gagna. Hésitant, il me fallut de longues secondes avant de prendre ma décision.
— Kori, attends !! braillai-je dans le vide.
Je m'élançai à mon tour, suivant le sillon de bulles qu'elle avait laissé derrière elle. Je l'apercevais vaguement au-dessus de moi, elle avait toujours nagé plus vite que moi et que n'importe qui d'autre en fait. Je sortis la tête de l'eau au terme d'une longue remontée, j'étais à quelques mètres de ma grande sœur, je me rapprochai calmement avant de guetter ce qui nous entourait. Mais, en dehors des flots sombres, il n'y avait rien en vue. Quoique... une chose ronde et lumineuse se réfléchissait dans l'eau. Je redressai la tête pour tomber sur cette étrange boule de lumière. En y prêtant mieux attention, je pus discerner que de nombreuses autres petites choses brillantes l'entouraient. Ça ressemblait à une autre mer, mais sans le mouvement des vagues et ces étranges lumières en plus. Pourtant, c'était beau, reposant, tout était calme.
— C'est beau, commentai-je, le sourire aux lèvres.
— Oui, je me demande ce que c'est. Ça a l'air si proche et pourtant...
Je la vis tendre une main en direction de la boule de lumière, elle referma ses doigts avant de ramener son poing vers elle.
— Impossible à attraper. Est-ce que tu crois que c'est un autre océan ?
— Je ne sais pas, ça y ressemble, mais avec des choses en plus.
Un nouveau silence s'installa entre nous, nous restâmes à contempler ce que nous pensions être un autre océan. Une mer que nous ne connaissions pas qui nous échappait. Nous allions être sévèrement corrigés si quelqu'un découvrait que nous étions venus ici, mais pour voir ça, ça en valait la peine.
— Je trouve ça injuste, déclara soudainement Kori.
— Quoi ?
— C'est injuste de nous garder en bas alors qu'il y a des choses si belles à la surface. On devrait avoir le droit de décider de nos vies, après tout, elles nous appartiennent.
L'air mélancolique qui s'était imprimé sur son visage me fendit le cœur. Je n'aimais pas la voir ainsi, elle tellement plus belle quand elle souriait.
***
J'ouvris brusquement les yeux. Un rêve? Non, c'était un foutu souvenir qui s'était transposé en rêve. Cet événement remontait à si loin que je pensais qu'il avait totalement disparu de ma mémoire. Je n'étais qu'un jeune garçon à l'époque, Kori rentrait pleinement dans l'adolescence à cette période. Mais ça n'avait rien changé à notre relation, elle faisait tout avec moi et l'inverse était aussi vrai. Je fixai le plafond longuement avant de me redresser en soufflant longuement, je fus assez surpris de ne pas me trouver dans ma chambre. Mais l'odeur familière d'Aesma vint rapidement me chatouiller les narines. Du coin de l'œil, je la regardai dormir, elle avait les traits détendus et sa poitrine se soulevait calmement au rythme de sa respiration. Je ne restais jamais dormir avec une femme, et même dans ma chambre, quand j'en avais avec l'une d'elles, je n'en voulais pas à mes côtés pour la nuit et je les renvoyais dans la leur.
Pourtant, j'avais failli à cette habitude par deux fois avec cette petite peste. Elle brisait ma routine et faisait naître en moi des sentiments que je n'avais jamais ressentis pour personne. Je la voulais plus que tout, c'était limite une obsession. Je ne pouvais plus toucher aucune de mes concubines sans que l'image d'Aesma les remplace. Je ne parvenais jamais à aller au bout, restant frustré et énervé pendant des heures ensuite. Je voulais son corps... son âme. Tout, je voulais tout d'elle. Ce sentiment était si intense que ça en devenait douloureux par moments. Toujours frôler ce qu'on désirait sans réellement réussir à l'obtenir. Cette fille me donnait l'impression d'être une tempête en pleine mer dans laquelle j'étais coincé et que, malgré tous mes efforts pour m'en échapper, elle me gardait prisonnier de ses eaux déchaînées. Et ce caractère, ce foutu caractère qu'elle possédait... il me donnait envie de lui tordre le cou autant que de la posséder sauvagement. Aesma était encore plus indomptable que...
Ne pense pas à elle !
Je grognai discrètement avant de plaquer mes cheveux vers l'arrière. Cette situation allait me rendre dingue... ou alors provoquerait un drame. Le corps chaud de l'artificielle se mut contre moi alors qu'elle me tournait le dos. Mon regard scruta son corps et je ne pus m'empêcher de me demander d'où venaient tous ces bleus qui marquaient sa peau claire. Certains étaient plus récents que d'autres. Je l'avais souvent couverte d'hématomes, mais ceux-là, je n'en étais en aucun cas responsable. L'idée que quelqu'un d'autre que moi puisse lever la main sur elle me mit en colère. Aesma était ma propriété et personne d'autre n'avait le droit de la toucher, que cela soit en bien ou en mal. Je tendis une main vers son bras et le caressai lentement, prenant garde à ne pas la réveiller, il aurait pourtant été simple de profiter de son sommeil, mais quelque chose me retenait de faire cela. Je retirai finalement mes doigts avant de me lever de sa couche et me diriger vers la sortie. Avant de quitter la chambre, je jetai un rapide coup d'œil par-dessus moi en direction d'Aesma qui dormait toujours profondément. Je quittai la chambre et pris le chemin de la mienne. Pourtant, j'aurais aimé rester, terminer ma nuit dans son lit. Mais je préférais éviter de le faire, ce ne serait que plus m'enfoncer dans mon obsession... ou peut-être avais-je déjà touché le fond et je tentais simplement de remonter à la surface. Je secouai la tête pour chasser ces pensées, c'était agaçant, elle prenait beaucoup trop de place.
Quand enfin je rejoignis ma chambre, l'odeur de Kawena me frappa tout de suite. Elle avait une odeur bien particulière, quelque chose de très... sucré. C'était agréable, mais je commençais à la trouver écœurante depuis quelque temps, trop douce. L'odeur d'Aesma était plus forte, plus pimentée. Écartant le tissu d'un geste vif, je vis l'artificielle à la peau mate assise sur mon lit, ses yeux à la couleur des émeraudes me ciblèrent pour ensuite ne plus me lâcher. Je m'approchai jusqu'à me planter devant mon lit, mais je n'y entrai pas. Je croisai les bras sur mon large torse, observant la brune.
— Qu'est-ce que tu fous là ? lui demandai-je, mal aimable.
— J'espérais passer la nuit avec toi, mais visiblement tu as trouvé mieux ailleurs.
Son ton était teinté de reproche, ce qui ne manqua pas de m'agacer. Pour qui se prenait-elle ?
— Je n'ai pas de compte à te rendre, Kawena, dégage.
Je me détournai d'elle en lui faisant un signe dédaigneux de la main pour lui indiquer la sortie. Je pensais que cela suffirait à la faire déguerpir, elle qui obéissait toujours comme la chienne qu'elle était.
Pourtant, elle parvint à me surprendre.
— Qu'est-ce qu'elle a de plus ?!
— Pardon ? fis-je en me retournant.
— Tu crois que je ne le vois pas ? Cette fille, Aesma, tu n'as d'yeux que pour elle, tu nous délaisses depuis qu'elle est arrivée et même quand tu veux bien de nous, de moi, ce n'est plus comme avant! Alors, qu'est-ce qu'il y a chez elle ?!
Je restai silencieux, ne sachant quoi répondre à ce qu'elle venait de dire. Non, je savais quoi répondre, mais je n'avais pas envie de le faire.
— Ce n'est pas ton putain de problème, Kawena !
— Si, ça l'est! J'ai toujours répondu au moindre de tes désirs, chaque geste, chaque parole! Je ferai n'importe quoi pour toi! Je refuse que tu te détournes de moi pour cette sale petite... !
Un bruit sec résonna dans la pièce, le silence revint en maître. Le visage sur le côté, Kawena avait les yeux grands ouverts, sa joue avait rougi avec la gifle que je lui avais donnée. Je lui en donnai encore une qui la fit tomber sur le sol. Sans plus de ménagement, je vins m'emparer de ses cheveux pour l'obliger à me regarder droit dans les yeux.
— Je m'en fous de tout ça, lui crachai-je avec mépris, tu n'es rien pour moi. Oui, je t'ai favorisée uniquement parce que tu écartes les cuisses avec une facilité risible, parce que je pensais que tu tomberais vite enceinte. Pourtant, depuis maintenant deux ans que tu es là, pas un seul enfant, pas même un début de grossesse. De toutes les femmes de mon harem, tu es la seule à ne jamais être tombée enceinte.
Je détaillai son visage qui se trempait de ses larmes, sa lèvre inférieure tremblait, alors que sa mâchoire était crispée parce qu'elle devait serrer les dents. Sur une autre, j'aurais trouvé cette expression délicieuse et excitante, mais tout ce que je voyais à ce moment-là, c'était une pitoyable bonne femme qui espérait obtenir de l'amour. Elle me dégoûtait. J'approchai mon visage du sien pour la regarder d'encore un peu plus près et qu'elle saisisse bien ce que j'allais lui dire.
— Tu n'obtiendras jamais rien de moi, Kawena, tout ce que tu as fait s'est avéré totalement inutile. Je suis même plutôt étonné que tu n'aies pas défiguré quelqu'un d'autre que Cadence. Même ça, c'est pitoyable. Cette fille transpire la faiblesse, c'était une victime facile. Si elle avait été plus forte, je suis certain que tu n'aurais pas abîmé son visage, seulement utilisé des stratagèmes vicieux pour ne pas risquer ta peau. Toi aussi, tu es faible et pitoyable.
— C... c'est faux...
— Ta gueule, ordonnai-je, je ne t'ai pas autorisé à l'ouvrir. Tu veux savoir la différence entre toi et Aesma ? Je vais te le dire, toi, tu attends les jambes écartées et tu frappes dans le dos, alors qu'elle, elle frappe pour garder les jambes serrées. Elle ne s'abaisse pas à faire tout ce qu'on lui dit docilement dans l'attente d'être aimée.
Oui, Aesma possédait une force de caractère que j'avais vue chez très peu de femmes. Elle avait beau avoir peur, elle n'abandonnait jamais et, même si c'était extrêmement frustrant pour moi, je respectais grandement ce trait de sa personnalité. Je me redressai en tenant toujours la longue tignasse de Kawena qui chouina de douleur quand je la contraignis à se remettre debout également. Je la poussai hors de ma chambre, elle s'étala sur le sol du couloir dans un nouveau geignement pathétique.
— Tu n'étais rien, tu n'es rien et tu ne seras jamais rien ici. Fous- le-toi dans le crâne, Kawena.
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