t r o i s

La cloche sonne, annonçant la pause déjeuner. On a quarante cinq minutes pour manger. Dans mon cas, ça signifie quarante cinq minutes à rester assise, seule, sur un banc isolé sous le grand arbre de la cour, à manger en regardant les élèves passer. Vu comme ça, c'est très gore, je l'avoue, mais c'est ainsi.

Installée sur le banc, mes yeux restent braqués sur mon plat. Puis ils dévient ensuite sur mes mains.

Cette année, mes harceleurs ne sont plus là. Personne ne s'en prendra à moi, ne me rabaissera ou ne me jugera.
J'en soupire de soulagement.

Ça me rassure de savoir que cette année au moins, je pourrai suivre les cours calmement, sans péripéties. Je pourrai être une élève normale. Certes, à quelques exceptions près, mais c'est déjà ça.

En plus de celle de l'arbre, je sens une autre ombre me recouvrir la tête, ainsi qu'une présence humaine à mes côtés.

— Tiens, tiens, résonne une voix féminine, on va maintenant savoir ce qu'elle cache sous ce manteau.

En levant la tête, j'aperçois trois élèves.

Ceux-là, ils sont de ma classe.

Il s'agit d'un trio : deux filles et un garçon. D'après l'expression de leurs visages, je peux assurer qu'ils ne sont pas là pour faire connaissance. J'ai trop vite parlé en disant que cette année serait calme.

— Qu'est ce que vous voulez ?

— Enlève ton manteau.

— Désolée, mais je ne peux pas.

— Je me fiche que tu ne puisses pas. Je veux voir ce que tu caches.

— ...

Dans un mouvement rapide, elle retire brutalement ma capuche.

Oh non ...

À la vue de mon visage, tous trois affichent une mine à la fois dégoûtée et horrifiée. C'est honteuse que je remonte ma capuche et baisse la tête, encore une fois.

— Mais c'est quoi cette créature ... ? souffle le garçon.

— C'est dégueulasse, ajoute la deuxième fille du trio, tu es dégueulasse. Tu n'as pas ta place dans la société. Tu mérites vraiment de mourir. Si j'étais toi, j'irais me pendre.

Son amie fait brusquement tomber mon plateau de nourriture, puis ils s'éclipsent.

Quant à moi, je reste assise dans l'ombre, tête baissée. Quelques larmes perlent sur mes joues tandis que d'autres menacent de couler.

Je peux les comprendre, au fond.

Mon visage est horrible, dégueulasse. Mes veines sont pratiquement visibles, comme s'il n'y avait rien qui les couvrait. Je me déteste d'être comme ça.

La cloche sonne, et en relevant la tête, je l'aperçois.

Mon voisin.

Il reste stoïque, quelques minutes, à me regarder depuis l'entrée de notre bâtiment, puis finit par rentrer.

Je me relève à mon tour, avant de marcher en direction de ma salle de classe. Dès que j'y mets les pieds, le bruit cesse et toutes les têtes se tournent vers moi. Quelques rires résonnent, et l'envie de m'enterrer six pieds sous terre devient de plus en plus forte.

J'inspire fortement, et, une fois que mes poumons sont pleins d'air, je m'avance vers mon siège. Je n'ai aucun voisin ou voisine de classe. Je suppose qu'ils me trouvent tous beaucoup trop repoussante pour s'asseoir à côté de moi.
Installée, je balaie la salle des yeux, avant de voir mon voisin avec elle.

Cette même fille qui m'a agressée.

Moi qui pensais qu'on aurait pu devenir amis, me voilà brutalement ramenée à la réalité en le voyant avec elle.

— Le monstre est de retour ! s'écrie le garçon qui accompagnait les filles, à la pause déjeuner.

La classe éclate de rire. De mon côté, c'est mon cœur qui se brise.
Cependant, dans la foule en rire, le grincement d'une chaise retentit avant de s'arrêter à mes côtés. J'ose relever la tête, curieuse de savoir ce qui se passe, mais ce que je vois me surprend tellement que je reste immobile à le fixer, la bouche grande ouverte. Si bien qu'il me tourne lui-même la tête, histoire que je regarde devant moi.

Mon voisin a quitté sa place pour venir s'asseoir à côté de moi. J'en suis choquée.

Tous les rires ont cessé, et sa copine - je suppose - me foudroie du regard.

Je suis gênée, mais tellement gênée. Heureusement que ma capuche me recouvre tout le visage, sinon je crois que je serais devenue rouge de malade à force de sentir ses regards sur moi.
Le professeur ne tarde pas à arriver.

Ce n'est pas Mr.Bucket, mais un autre. Après avoir posé ses affaires sur son bureau, il balaie la salle des yeux. Lorsque son regard se pose sur moi, il fronce directement les sourcils.

— Toi, là bas !

J'arque un sourcil. Étant donné que mon regard était déjà braqué sur lui, je continue de le fixer, signe que je l'écoute.

— C'est quoi ce foutage de gueule ?

Pardon ?

— Excusez-moi monsieur, mais de quoi parlez-vous ?

Ma voix est fébrile, tremblante.

— Porter un manteau en plein été ? Vous vous foutez de moi ? Retirez-moi ça tout de suite.

— Ouais, c'est ça, retire le manteau pour que tout le monde voit la créature hideuse que tu es ! hurle la supposée copine de mon voisin.

J'ignore ses dires, et recentre mon attention sur mon professeur.

— Je suis désolée monsieur, mais je ne peux pas ...

— Je n'en ai rien à foutre de ce que tu dis. J'ai dit de l'enlever, tout de suite.

Je m'apprête à répliquer quand :

— Elle a dit qu'elle ne pouvait pas l'enlever, c'est si difficile de le comprendre ? Même monsieur Bucket le sait, ça. Vous n'avez qu'à aller lui demander, intervient mon voisin.

Je reste bouche bée suite à sa réponse.

C'est gentil de sa part de prendre ma défense ...

— Je n'étais pas au courant de ça. Et donc j'exige qu'elle l'enlève.

— En effet, elle ne peut pas enlever son manteau.

Mr.Bucket débarque dans la salle, raison pour laquelle je soupire de soulagement. Il parle à voix basse avec notre professeur, puis se retire quelques minutes plus tard.

— Bien. Je suis désolé, Ellora, pour ce petit malaise. Mr.Bucket m'a tout expliqué, je m'excuse pour ce désagrément. Je m'appelle Monsieur Grégor, professeur de science.

Une fois les présentations terminées, le cours peut enfin commencer.

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