épilogue

PIERRE A LES YEUX RIVÉS sur son téléphone alors qu'il vient de raccrocher avec Hella. Le ciel pleure en même temps que lui. Monaco gronde, lui qui passe par la principauté avant de partir pour Monza, le temple de la vitesse.

Il se déteste.

Se déteste d'avoir eu peur.

Peur pour lui, peur de ses sentiments, peur de se laisser aller, peur d'aimer de nouveau.

Toutes ses erreurs passées qui le font devenir l'ombre de lui-même. Son cœur est meurtri mais Pierre sait. Sait qu'il aurait fini par briser celui de la blonde à tout moment, puisqu'il n'est plus capable d'aimer correctement. D'entretenir une relation saine.

Sans compter que tout était trop intense entre les deux amants.

L'effroi a empêché le français de maintes et maintes choses, et continuera de le faire. Il a tout perdu et le sait, mais est persuadé que ce choix est le bon.

De toute façon, il est trop tard.

Le normand ne sait combien de temps il reste ainsi sous la pluie. Assez pour que ses vêtements soient trempés. Lorsqu'il retourne chez Charles et Matteo, lieu dans lequel il loge pour la nuit avant de partir pour l'Italie, il sent une atmosphère étrange, lourde.

Il sait.

Ils savent.

Pierre pince ses lèvres et retire sa veste gorgée d'eau avant de passer précipitamment dans le salon en saluant à peine les deux amoureux. Il se vêtit de vêtements secs et propres avant de retourner dans la pièce à vivre, affronter la dure réalité.

Affronter sa bêtise qu'il considère comme la seule solution.

- Salut, tente le châtain.

- Hella m'a appelé en larmes, coupe l'italien amèrement. Pourquoi ? il a l'impression de faire face à ses parents.

- Vous n'êtes pas là pour me faire mon procès concernant ma vie privée à ce que je sache, grogne-t-il en croisant ses bras contre sa poitrine.

Rester sur la défensive, stratégie d'auto-défense qu'il ne maîtrise d'ailleurs que trop bien.

- Non, mais on aimerait quand même comprendre pourquoi sachant que nous t'avons vu cet été avec elle, argumente son meilleur ami.

- Il n'y a rien à expliquer, j'ai juste compris qu'elle n'était pas faite pour moi.

- Jusque quand tu vas te mentir à toi-même ? Charles se lève et se défait du bras de Matteo qui souhaitait le retenir pour ne pas que le ton monte.

- Tu racontes n'importe quoi Charles.

- Ah oui ? Jusque quand tu vas me mentir droit dans les yeux en me disant que tout va bien alors que je pourrais jurer que chaque soir tu fais insomnies sur insomnies et crises de larmes sur crises de larmes parce que t'as peur ?! Et que c'est principalement les raisons qui te font prendre des décisions stupides ?

Pierre ne répond pas, bien trop perturbé, bien trop bouleversé par la véracité de ces propos tenus par le monégasque. Il sait qu'il a raison et il a mal.

- Cette fois-ci je ne vais pas te couvrir, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Je sais que tu souffres, je sais que ce n'est pas simple mais ta souffrance ne te donne pas le droit de détruire quelqu'un de la sorte. Je suis extrêmement déçu.

Les épaules de Pierre s'affaissent à mesure que les mots tranchants de Charles parviennent à ses oreilles comme des bourdonnements. Jamais il n'avait entendu des paroles aussi dures, si dures que cela lui cisallait la gorge de répliquer face à son meilleur ami.

Son meilleur ami qui avait raison, il le savait. Mais impossible de faire marche arrière.

Pierre a tout perdu en ce mois d'août. Sa confiance en lui, sa dignité, le respect de son ami mais surtout, surtout, il avait perdu Hella.

À présent il ne souhaite se concentrer et se rattacher qu'à son avenir. Ce que personne ne sait encore, c'est que la guerre avec RedBull est terminée. Il quitte le giron, part pour Alpine. Une nouvelle aventure qui lui permettra peut-être d'enfin guérir les plaies non cicatrisées.

Il mérite une fin heureuse.

□□□

Pratiquemment deux mois après les évènements d'août, Hella essaie de passer à autre chose. D'oublier. De jeter à la poubelle tous ces instants de partage qui avaient marqué à vie son esprit.

Le manque est pire que tout.

Heureusement, elle peut compter sur Matteo. Malgré tout, ces deux-là sont restés en contact et sont devenus de très bons amis. La finlandaise a découvert ce qu'est l'amitié sincère et c'est sûrement son meilleur gain en deux-mille vingt-deux.

La jeune femme considère Pierre comme la part d'ombre et de lumière à la fois. Le yin, le yang.

Ils étaient une éclipse.

La lune et le soleil qui ne se rencontrent que rarement.

Peut-être que c'est elle le problème. Elle qui est si facile à jeter vulgairement comme un chiffon.

Hella est de celles qui aiment trop.

Hella est de celles qui aiment plus que l'autre.

Hella est de celles qui aiment l'amour.

Elle souhaiterait le détester d'avoir rempli ses songes de toute illusion, toute promesse qu'il n'a finalement guère tenue. Elle lui avait parlé de ses doutes, de ses peurs, de ces rejets aussi nombreux soient-ils et pourtant il avait réitéré.

Qu'est-ce qui le différenciait des hommes qu'elle a fréquentés avant lui ? Il avait dit qu'il ne serait pas comme eux, puis le voilà à l'autre bout du monde sans aucun contact avec elle.

Depuis deux mois.

Comment oublier quelqu'un en deux mois ?

La finlandaise essuie ses larmes vivement en entendant la sonnerie de son téléphone. Elle n'a pas dormi de la nuit et se retrouve dans ses draps, à songer au pire, à à peine huit heures du matin.

Matteo l'appelle. Ses sourcils se froncent, lui qui est au Japon pour soutenir Charles dans cette rude épreuve, lui qui a tant perdu sur ce circuit huit ans auparavant.

- Allo Matteo, comment tu vas ?

- Hella... c'est Pierre.

Et dans les paroles qui suivirent, Hella a senti son corps tout entier défaillir, et un mal-être puissant la prendre.

non, il ne sera jamais sien. puisqu'il n'est plus.

□□□

Les hauteurs de Monaco sont toujours sublimes. La finlandaise observe celles-ci en contrebas, se demandant comment est-ce qu'elle s'est retrouvée ici. Entourée de personnes qu'elle ne connaît pas.

Entourée mais tellement esseulée. Tout le monde discute, essaie de sourire malgré les événements. C'est sans doute ce que Pierre aurait voulu.

Lui qui a perdu la vie de la même façon que Jules Bianchi sur ce tracé tragique de Suzuka, six jours plus tôt.

Hella ressent un vide profond.

Abyssal.

Elle a mal parce qu'elle sait qu'ils s'étaient quittés en de mauvais termes. Que les derniers mots échangés n'étaient pas ceux rêvés. Pourtant qu'est-ce qu'elle regrette de ne pas l'avoir rappelé, de ne pas avoir forcé le destin.

De ne pas lui avoir dit qu'elle ne croyait pas en son discours futile de personne horrifiée par les relations, qu'elle saurait être patiente.

Peut-être que le départ aurait été plus douloureux.

Mais elle n'aurait pas vécu l'amertume de ne jamais avoir pu sortir ces trois mots qui ne valent plus rien de sa bouche.

On refait le monde avec des si.

La fatale réalité est qu'elle ne peut guère changer le passé. Qu'accepter est l'unique solution afin d'avancer. Son regard se perd à travers l'immensité bleue. Monte-Carlo est merveilleux.

Une main se pose sur son épaule, puis une larme solitaire vient se loger sur sa peau pâle. Elle se retourne et profite de l'étreinte du monégasque pour souffler et reprendre ses esprits.

Le cœur noirci par les mauvais songes.

Après des funérailles organisées à Rouen, Charles a tenu à réunir tous les proches du normand chez lui, à Monaco, afin de se remémorer une dernière fois de l'humain qu'il était. Tous étaient réunis. Famille, amis de longue date, pilotes. Personne n'a manqué à l'appel.

- Pierre... était l'ami que tout le monde rêvait d'avoir. Toujours à l'écoute, blagueur, pousser quelqu'un vers le haut, sans qu'on lui soit redevable. Donner, sans rien attendre en retour. Il... il était mon meilleur ami, un frère... qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça Hella ?

- "La vie donne les combats les plus rudes à ses plus fidèles soldats." C'est ce que ma mère me disait à chacun de mes chagrins. C'est ce qu'elle m'a répété après les événements d'août. Je t'ai connu à peine quelques jours en face à face Charles, mais tu sauras t'en relever comme tu l'as toujours fait. Pierre t'accompagnera pour 2023, sois-en certain.

- Le pire c'est qu'il commençait à aller mieux, il reprenait goût à la vie, quittait l'équipe qui lui a fait autant de mal que de bien, la peur et toute la négativité commençaient à se dissiper... c'est tellement injuste.

- C'est vrai, la vie est injuste. Pierre méritait tellement mieux...

- Et toi comment tu te sens ? demande-t-il doucement en gardant sa main posée sur son épaule.

- Comme quelqu'un qui perd l'homme qu'elle aime. Le pire c'est de savoir que mes dernières paroles à son égard ne sont pas celles que j'ai voulues alors qu'en deux semaines il m'a fait l'aimer au-delà de tout ce que l'on peut imaginer.

Le silence après ces propos n'est que pesant. Ils ne savent que dire. Est-il vraiment parti ?

Lui qui a tant eu peur d'être abandonné, le voilà qui quitte ce monde en ne laissant qu'un immense chagrin derrière lui ?

Pierre était un homme solaire, sûr de lui et blagueur. Un frère capricieux -dernier de la fratrie oblige- mais un oncle dévoué, un fils rêvé, un ami fidèle, un coéquipier présent et un amant maladroit.

Le soleil se couche et une nouvelle journée sans le français se termine.

Irréel.

- Je ne vais jamais pouvoir remonter dans une monoplace, souffle Charles qui doit s'envoler pour Austin dans quelques jours.

- Ne raconte pas de bêtises, tu vas le rendre si fier, puis tu dois rendre fier Matteo aussi. regarde-le à nous surveiller de loin, cette remarque lui arrache un rire, presque sincère.

- Je suis content qu'il ait gardé contact avec toi. merci pour tout. Pierre n'a jamais réellement su gérer ses relations amoureuses, mais j'espère que tu n'as jamais douté de sa sincérité. Je ne l'avais jamais vu ainsi avec une femme.

Il essuie une larme perlant sur sa joue, avant de reporter son regard vers les étoiles. Vénus scintille de mille feux. Peut-être que Pierre les regarde de là-haut.

- Gagne pour lui l'année prochaine je t'en supplie, murmure la jeune femme doucement.

Et le monégasque, après quelques secondes de flottement, hoche la tête.

Pour lui.

En sa mémoire.

Août est passé à une vitesse phénoménale et Hella aurait souhaité que le temps s'arrête. Qu'ils restent bloqués dans cette boucle afin que jamais le pilote ne quitte ce monde de cette façon.

La voilà de nouveau brisée par un homme.

Sauf que sa douleur est multipliée au centuple.

Elle qui pensait que Pierre était comme tous les autres. Cruelle calomnie. Maintenant, par delà les étoiles, il brille.

□□□

... ça va ?

bon d'accord, vous allez certainement me détester mais l'idée m'est venue directement après le grand prix du japon, le fait qu'il aurait pu y passer dans la vraie vie, etc... donc je l'ai imaginé en fiction. puis c'est un parallèle pour dire que jamais il ne pourra réellement être heureux et c'est ce qui rend l'histoire encore plus triste.

désolée, mais c'est comme ça ! le bonus sortira le 30 DÉCEMBRE, spoiler alert : un point de vue total du côté de charles :)

-alcools

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top