Chapitre 21 : Charlatan
Rentrée de cours, Setsuha commença à être interpellé à partir de la deuxième bande de maraudeurs qui la dépassa en courant. Ne sachant que trop bien à quel genre de besogne sordide les Constellations pouvaient les employer, elle résolut d'aller vérifier de quoi il s'agissait. Puisqu'elle se trouvait à Hamalex, territoire de Becrux, elle pourrait toujours négocier avec les asters qui provoquaient une telle agitation chez les gamins des rues.
Elle perdit vite de vue le groupe qu'elle suivait, mais d'autres surgissaient furtivement, cavalant entre les passants, si bien qu'elle les pista jusqu'à un immeuble miteux de trois étages, engoncé entre une supérette et un commerce déserté, au rideau de fer abaissé. Quelques fenêtres avaient été condamnées au deuxième étage, mais les autres logements montraient toujours des signes d'occupation.
Alors qu'elle s'engageait sur le perron, une poignée de maraudeurs sortit en trombe et fila dans la rue. Les ailes serrées afin qu'elles ne frottent pas contre les murs écaillés, Setsuha gravit l'escalier. D'autres gamins arrivèrent derrière elle et se faufilèrent le long de la rambarde pour la dépasser, sans faire grand cas de sa présence.
Les Fukurõ n'employait les maraudeurs que pour servir de coursier ou s'occuper de leurs volières en leur absence. Ils appartenaient en outre aux familles qui n'usaient jamais d'agressivité à leur encontre. Arborer les ailes du harfang suffisait donc à rassurer les maraudeurs qu'elle croisait.
Parvenue au premier, Setsuha arrêta d'une main sur l'épaule un trio qui redescendait. La mise crasseuse, ils empestaient l'humidité et la sueur.
— Qu'est-ce qu'il y a, là-haut ?
Le plus âgé du lot, qui, à en juger par les picots épars sur son menton, devait frôler les dix-sept ans, leva son poignet pour lui montrer ce qui y était attaché. Un cordon de cuir passé au travers d'une canine animale, probablement de canidé.
— On est v'nu à cause de la rumeur. Apparemment tous ceux qui prennent un abraxas et le portent ont droit à un panier repas par semaine.
Setsuha éprouva une vague nausée à la vue des ornements. Il s'en dégageait quelque chose qui la révulsait. Elle s'abstint de leur demander à l'examiner et s'enquit à la place :
— Il y a quelqu'un qui les distribue ?
— Nan, ils sont juste posés comme ça. Mais y en a presque plus.
Les trois jetèrent un coup d'œil nerveux à une autre bande qui se précipitait vers l'étage supérieur. Ils posèrent une main défensive sur leur abraxas et tirèrent leur manche par-dessus, comme s'ils craignaient que l'épuisement du stock pousse les autres à essayer de le leur arracher. Ce qui risquait bien de se produire, jugea Setsuha. Elle les laissa donc s'esquiver et monta au deuxième étage.
L'un des appartements du palier était ouvert. Elle s'avança dans l'espace vieillot, plongé dans la pénombre par les fenêtres bétonnées. Brandissant la lampe torche de son téléphone, elle gagna le salon démeublé. Des grains de poussière flottaient dans le halo blanc. Une table trônait au milieu de la pièce. Les maraudeurs qui venaient d'entrer décrochaient les abraxas d'un porte bijoux en métal qui y était disposé. Ils lui adressèrent un regard défiant, avant de se sauver, ne laissant que deux abraxas sur les branches.
Setsuha en souleva un par le cordon, sans oser toucher à la canine. La nature de l'objet désignait Bairavi, la maîtresse des limiers, mais l'Essence qui l'imprégnait n'avait rien de semblable à ce qu'elle avait connu. C'était gangrené, malsain et pestilentiel. Une essence d'aratós.
Les dirigeantes de sa Constellation ne s'étaient donc pas alliées à Rigel uniquement pour attaquer le nexus des Régulus. Elles planifiaient autre chose. Mais quel genre d'opération pouvait impliquer des enfants dotés d'abraxas contaminés ?
Plongée dans ses réflexions, Setsuha réalisa soudain qu'elle n'entendait plus le moindre déplacement dans l'immeuble. Un picotement instinctif hérissa son plumage. Elle sut tout à coup qu'une présence dont elle n'avait pas détecté l'approche se tenait derrière elle. Lentement, elle pivota.
Sur le seuil de la pièce, lui barrant tout issue, se dressait le Charlatan. Il tendit une main gantée de cuir.
— Je vais récupérer ça, déclara-t-il d'une voix modulée, digne d'un artiste en scène.
Son masque altérait son timbre, le rendant inidentifiable. Setsuha se pétrifia, son portable dans une main, l'abraxas dans l'autre. Ses ailes s'étaient écartées dans son dos, sur un réflexe d'envol impossible.
Le pouls effréné, elle s'avisa qu'elle braquait le faisceau de la torche droit sur la figure du Rigel. La puissance du rayon devait l'aveugler, car il détournait légèrement la tête. C'était tout ce qu'elle parvenait à décrypter. Avec ce masque et ce costume, le langage corporel de l'homme lui était bien peu accessible. Elle abaissa son portable de quelques degrés.
— Vous êtes seul ? interrogea-t-elle d'une voix prudente.
Le Charlatan inclina la tête et esquissa un pas en avant, haussant légèrement la main qu'il tendait vers elle, en signe d'insistance.
— Il ne s'agit pas d'une attaque, si c'est ce qui vous inquiète. Je suis seulement là pour surveiller le bon déroulé de la distribution.
Son ton demeurait courtois, dépourvu d'animosité, recelant des inflexions presque joueuses. D'un geste précautionneux, Setsuha lui remit alors la cordelette. Elle demeura en alerte tandis qu'il refermait les doigts sur la canine déposée au creux de sa paume.
— Merci bien, lui dit-il.
Il ramassa le second abraxas avant de les faire disparaître dans une bulle de bronze. Il ne fit pourtant pas mine de s'éclipser ensuite et demeura campé devant Setsuha, la jaugeant en silence. Jugulant son appréhension, elle se risqua à articuler :
— Oui ?
— À moins que je ne m'abuse, votre famille ne s'est pas jointe à l'alliance.
— Effectivement, confirma-t-elle, incertaine.
Désignant l'endroit d'un geste de la main, le Charlatan fit remarquer :
— Vous conviendrez donc que c'est un endroit curieux pour rencontrer une créature telle que vous.
De la part de quiconque d'autre que lui, elle aurait pu s'offenser du qualificatif. Or, dans sa bouche, il ne sonnait aucunement dépréciateur.
— Je garde un œil sur les maraudeurs, c'est tout, répliqua-t-elle dans un souffle.
Un son méditatif filtra à travers le masque. Le Charlatan se rapprocha encore. Elle tressaillit imperceptiblement, bien qu'il laissât – à dessein ? – suffisamment d'espace entre eux pour qu'elle n'éprouve pas le besoin d'exécuter un mouvement de recul. Toute trace de badinage avait quitté son ton lorsqu'il reprit :
— Vous devriez prendre garde à ne pas vous mêler des activités de Rigel.
Setsuha ne parvenait pas à déterminer s'il s'agissait d'une menace ou d'un avertissement.
— Et vous me dites ça... ?
— En tout bien tout honneur, bien sûr ! s'exclama-t-il en posant les doigts sur son veston.
Confuse, elle tenta :
— Je n'ai pas à m'inquiéter de pouvoir sortir d'ici, alors ?
Cette fois, ce fut un rire qui vibra derrière la surface réfléchissante du masque. Le Charlatan s'effaça sur le côté et lui désigna la porte avec une courbette.
— Je vous en prie. Faites.
D'instinct, Setsuha resserra les ailes autour de ses épaules tandis qu'elle s'exécutait. Forcée de lui tourner le dos pour sortir, elle ne décela pourtant aucun mouvement derrière elle. Un instant plus tard, elle avait regagné la rue.
✧ ✧ ✧
La journée d'automne se mourrait dans des fulgurances rousses. D'ultimes raies d'or détouraient les arêtes des bâtiments. Drapé dans un manteau de laine pour se prémunir de la fraîcheur piquante qui tombait en soirée, Oswald se dirigeait vers le point de rendez-vous convenu avec Fukurõ.
Lorsqu'il l'avait contacté par message pour lui proposer d'aller boire un verre, il n'avait en tête que de s'accorder un moment agréable. L'intérêt qu'une aster privilégiée portait au prestidigitateur féru qu'il était nourrissait son orgueil d'artiste. L'enjôler et la ravir une seconde fois était un jeu, sur lequel il était prêt à miser plus gros que d'habitude. Du moment qu'il raflait la mise à la fin...
Auprès de l'hétairie, il pouvait se prêter à cette mascarade de vie ordinaire. Goûter égoïstement aux plaisirs d'une existence à laquelle il avait renoncé le jour où il avait accepté l'injection dans ses veines d'un poison mortel. Sous son identité civile, il pouvait se prélasser, se délecter de tout son soûl du divertissement qu'il partagerait avec Fukurõ.
Telles étaient ses intentions avant qu'il ne la trouve, la veille, un abraxas des Marcdargent à la main. À présent, Oswald allait à la rencontre de la jeune femme, son programme alourdit d'un objectif bien moins réjouissant.
Fukurõ l'attendait sous un orme, nimbée par la lumière déclinante. À son approche, il la vit détailler sa tenue avec appréciation. Elle-même avait revêtu un gilet brun de grosses mailles, serré par une ceinture de cuir, sous lequel elle portait une jupe qui révélait ses longues jambes gainées d'un collant. Il ne se priva pas d'admirer la façon dont l'ensemble la mettait en valeur.
— Bien le bonsoir, la salua-t-il de cette note enjouée qu'il adoptait systématiquement avec elle.
— Et à vous, répondit-elle avant de lui désigner le bar devant lequel ils se tenaient. Vous êtes déjà venu ?
— Non, je ne fréquente pas le coin habituellement.
En réalité, il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas mis les pieds dans un autre établissement que le Baroudeur. L'hétairie le précéda à l'intérieur, et ils se dénichèrent une petite table libre. Elle prit soin de disposer ses ailes mouchetées de sorte qu'elles ne se retrouvent pas malmenées par la proximité avec leurs voisins. Chaque fois qu'elle les mouvait, Oswald peinait à en détacher les yeux.
— Ça va aller ? interrogea-t-il avec sollicitude, en référence au manque de commodité pour des attributs tels que les siens.
— Oh, oui, ne vous en faites pas. J'ai l'habitude, lui indiqua-t-elle avant de pousser la carte des boissons vers lui. Allez-y, je sais déjà ce que je prends.
Il se saisit du menu pour le parcourir, mais son regard remonta bientôt vers son interlocutrice. Se fendant d'un sourire attrayant, il suggéra :
— Peut-être qu'on pourrait entamer cette soirée en commençant par se tutoyer ?
La mine espiègle de Fukurõ se fit non-moins séduisante.
— Excellente idée.
Oswald éprouva un contentement un peu trop vif à la découvrir si disposée à entrer dans la danse. Le serveur fut rapide à venir prendre leur commande, et Fukurõ lui demanda un verre de rouge, tandis qu'il optait pour un Black Russian. Alors que l'employé repartait avec la carte, il nota les yeux pensifs et curieux qu'elle attachait sur lui.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux savoir quelque-chose ?
Elle esquissa une moue de confirmation.
— J'ai à peu près une dizaine de questions.
— Tant que ça ?
Fukurõ se cala contre son dossier et énuméra, pétillante de malice :
— Tout ce que je sais sur toi pour le moment, c'est ton nom, ta profession, ton bon goût vestimentaire et le fait qu'apparemment, tu tolères la vodka.
Oswald s'abreuva secrètement de la façon dont l'éclairage moirait son teint ambré et polissait l'éclat onyx de ses iris. Bien sûr, il avait conscience d'avoir jusqu'ici évité de s'épancher sur le moindre détail personnel. Or, s'il voulait obtenir les faveurs de la Becrux et lui soutirer les informations qu'il convoitait, il allait devoir donner un peu au change.
— Qu'est-ce qui t'intéresse ?
Elle haussa les épaules.
— Tout ce qui te caractérise. Ce qui t'intéresse dans la vie, par exemple ? J'avoue que je suis aussi curieuse de connaître ton arété.
Oswald arqua les sourcils en la voyant s'emballer ainsi. Fukurõ ne faisait pas dans les banalités. Elle allait droit à l'authentique. Ce qui s'avérait aussi charmant que périlleux.
L'arrivée de leurs boissons lui donna le temps de réfléchir à sa réponse avant de se lancer, d'un ton quelque peu emprunté, les doigts autour de son verre :
— Par où commencer ? Je me considère comme un esthète et un voleur. Qui dérobe les joies simples à la vie.
Cette accroche parut conquérir son interlocutrice, qui posa le menton dans sa main, un sourire frémissant à la commissure des lèvres.
— Quel genre de joies simples ?
— Un verre en plaisante compagnie, glissa-t-il avec un air de connivence. Un repas raffiné. Un morceau de jazz ou de trip hop, quelques pas de swing, de charleston...
Autant de loisirs qu'il n'avait pas réellement l'opportunité de partager avec quiconque. Ni de s'y adonner, au demeurant. Les yeux de Fukurõ rutilèrent d'enjouement. Il semblait que ces précisions avaient fait mouche. Rayonnante, elle demanda :
— Alors, si je te parle d'électro-swing ?
Oswald sentit ses joues se creuser d'un sourire irrépressible. Il ne cessait d'être surpris par ces affinités qu'ils se découvraient. D'autant plus qu'il avait bien conscience que les esprits tels que les leurs ne courraient pas les rues. L'ivresse d'avoir déniché une telle merveille s'avérait difficile à réfréner.
Et pourtant, au fond de lui, le doute demeurait : les études de l'hétairie, sa lignée... sans compter qu'elle était celle qui l'avait abordé en premier lieu. Il ne pouvait ignorer la possibilité que tout ceci ne s'avère qu'un ravissant piège.
— Maintenant, je vais être déçu si tu me dis que tu ne le danses pas, l'avertit-il.
Fukurõ pouffa.
— Je ne suis pas une experte, mais je me débrouille. Je te montrerai, à l'occasion.
— Je n'attends que ça.
Savourant tous deux ce courant de complicité qui circulait entre eux, ils s'observèrent, le temps de siroter une gorgée de leur verre. Puis Oswald reprit :
— Avant de me laisser appâter, je devrais peut-être demander si tu n'as personne dans ta vie ?
Ce n'était pas ce dont il était censé la questionner. Il n'avait néanmoins pas pu s'empêcher de se laisser aller au caprice de la séduction. Une hésitation figea brièvement l'hétairie. Elle reposa son verre et s'humecta les lèvres.
— Je suis libre, déclara-t-elle avant de lui adresser une mimique interrogatrice. Et toi ?
Cela ne sonnait pas tout à fait comme un « je suis célibataire », et il préférait l'exclusivité, mais Oswald estima qu'il pourrait toujours éclaircir ce point plus tard. S'appuyant de l'avant-bras sur la table, posant les doigts de son autre main sur sa poitrine, il dosa finement crânerie et suavité pour plaisanter :
— Il se trouve que j'ai mes exigences. Tu ne crois pas que je vais tomber dans les filets de la première venue ?
Fukurõ secoua la tête avec une incrédulité amusée. Ses mèches frisées suivirent le mouvement. Elle le dévisagea sans dissimuler son appréciation, puis releva le menton, sourcils haussés et paupières vaniteusement plissées. Ses ailes s'étendirent de quelques pouces dans l'espace dont elle disposait.
— Je te retourne la question. Ça se mérite, un standard pareil.
Oswald s'esclaffa. Il ne se souvenait pas d'avoir jamais rencontré quelqu'un dont le répondant s'accordait si bien au sien. Néanmoins, il se rembrunit intérieurement en songeant que cela ne le rapprochait pas du sujet sur lequel il souhaitait l'amener.
— Je ne vais pas te contredire là-dessus, concéda-t-il d'un accent flatteur. En revanche, si tu faisais référence à la catégorie socio-professionnelle, j'ai bien peur d'être disqualifié.
L'hétairie lui adressa une moue de désaccord indigné.
— Je crois que tu as des représentations un peu erronées sur mon statut.
— Ah bon, feignit-il le scepticisme. Alors être une Becrux psychocriminologue ne te place pas au-dessus d'une bonne partie de la société astérienne ?
Fukurõ parut saisir où il venait en venir, et eut un signe de dénégation.
— Pas en termes de prestige, non. Et je ne suis pas davantage protégée par mon domaine d'étude. Ce n'est pas comme si j'appartenais à l'URIAA.
— Et pourtant, avec le climat actuel chez les Becrux, avoir une activité non seulement légal, mais au service de la loi, c'est un filet de secours.
Elle considéra la question sur une gorgée de vin.
— Si j'étais déjà en activité, peut-être. Mais en tant qu'étudiante, ça ne pèse pas grand-chose dans mon dossier.
Oswald afficha un étonnement dégagé.
— Je pensais qu'avec tes stages ou ce genre de choses, tu aurais déjà des connexions.
— Mmh, répondit-elle simplement en plongeant derechef le nez dans son verre.
Ah. Voilà qu'elle se montrait coriace, à présent. Devait-il considérer ses réponses comme suspectes ? N'ayant jamais anticipé qu'elle puisse s'approcher des activités de Rigel avant de la trouver dans le piège tendu aux maraudeurs, Oswald ne savait plus à quoi s'en tenir. Si les Fukurõ n'avaient pas rallié Rigel, étaient-ils pour autant leurs ennemis ?
Il se pencha au-dessus de la table, esquissant un air conspirateur :
— Donc, toi qui es si intéressée par la crimino, tu ne te penches même pas sur le plus gros cas actuel à Bryvas ?
Fukurõ roula des yeux amusés.
— Je n'ai pas dit ça... mais je ne suis pas une membre active de ma Constellation et je n'ai aucun pouvoir judiciaire. Je ne vais pas m'en mêler inconsidérément.
Il hocha la tête pour marquer sa compréhension. Il avait bien pris note qu'elle se gardait de rentrer dans les détails de liens de Rigel avec Becrux, mais ses explications le tranquillisèrent quelque peu. S'il s'en fiait à son discours, Fukurõ n'était pas personnellement impliquée dans la traque de Rigel.
Restait à savoir s'il risquait à nouveau de la croiser sous le masque du Charlatan, mais même l'hétairie n'avait peut-être pas la réponse à cette question, et insister davantage pourrait paraître louche. Oswald laissa donc la conversation revenir à des sujets plus légers, et se contenta d'apprécier le reste du temps passé à échanger avec Fukurõ. Tantôt captivé par ses récits, tantôt enorgueilli de la voir suspendue à ses lèvres, il s'oublia au point de ne pas voir arriver la fin de son verre et de perdre la notion du temps.
Quand il la quitta à la sortie du bar, son esprit bourdonnait, grisé, sans qu'il pût l'imputer à sa consommation.
✧ ✧ ✧
Toute blonde la lumière matinale, la silhouette de Keitan était aisément identifiable. Setsuha amorça une lente descente. Son allure stoppa net dès qu'elle rabattit ses rémiges duveteuses. Juché sur le rebord du toit, l'hóplite lui tournait le dos, et elle s'était approchée d'une glissade parfaitement silencieuse. Pourtant, dès que ses semelles touchèrent terre, il pivota le buste pour la saluer.
Souriante, Setsuha ordonna son plumage d'un mouvement machinal et le rejoignit, s'asseyant à ses côtés, les jambes dans le vide. Keitan plongea la main dans le sachet en papier qu'il gardait près de lui. Les yeux gourmands, il en tira deux brioches encore tièdes.
— J'ai failli ne pas t'attendre, déclara-t-il en lui en tendant une.
— Je t'ai dit que je serai pas là avant la demi, répliqua-t-elle avec un gloussement. Tu t'es encore pressé.
Tandis qu'elle déchirait un morceau de brioche, il poussa son épaule contre la sienne.
— C'est toi qui te presses pas autant que tu le pourrais.
— Pourquoi faire ? riposta-t-elle en mordant dans la pâte beurrée. Tant que je suis à l'heure.
Leur échange avait le ton d'une rengaine familière, qui ponctuait nombre de leurs rencontres. S'attaquant d'un coup de dent vorace à sa propre viennoiserie, Keitan l'observa en biais.
— Qu'est-ce qui te réjouit comme ça ? s'enquit-il d'un ton affectueux.
Sa perspicacité infernale fit soupirer Setsuha. Depuis son rendez-vous de la veille avec Oswald Faye, elle était d'humeur allègre. Les manières de l'homme, les inflexions de sa voix et le velours de son regard l'avaient subjuguée. Il lui tardait d'avoir l'occasion de le rencontrer à nouveau.
Néanmoins, à présent qu'elle était certaine de vouloir fréquenter Faye, il lui fallait en premier lieu clôturer les choses avec Keitan.
— J'ai rencontré quelqu'un. Et j'ai envie de tenter ma chance avec lui.
L'hóplite écarquilla des yeux surpris, avant de les lever au ciel, pensif. Finalement, il lui adressa une mine futée.
— C'est un hétairi ?
— Absolument pas.
— Il a déjà côtoyé des hétairis ?
— Je crois pas.
Keitan partit dans un éclat de rire, avant de feindre la sollicitude :
— Ohh, bonne chance pour l'initier !
Elle secoua la tête. En tant qu'asters dont l'arété se caractérisait par des attributs non-humains, les hétairis développaient toute une série de pratiques et usages indissociables de leur apanage. Or, ce qui allait de soi pour eux s'avérait bien moins évident pour les autres.
— Je te rappelle que j'ai dû t'initier aussi.
Il haussa les épaules.
— Oui, mais j'ai appris vite.
Setsuha déplia son aile pour lui asséner une tape à l'arrière du crâne, et il s'esclaffa de plus belle. Toutefois, il retrouva bientôt son sérieux, pour poser sur elle un regard profond.
— On arrête, alors ? explicita-t-il afin de formaliser leur séparation.
Elle acquiesça. Si elle se fiait à son intuition, mieux valait de toute façon qu'elle libère la place auprès de lui.
Les choses se complexifient entre Setsuha et Oswald ~
Alors que, ironiquement, c'est le ship qui progresse le plus fluidement x)
Et puis c'est officiellement la fin entre Keitan et Setsuha ! J'ai toujours eu en tête une rupture sans drama entre eux, puisqu'ils sont tous les deux sains et respectueux.
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