Chapitre 15 : Ignition
Le moelleux juteux de l'été avait définitivement laissé place au croustillant ocre de l'automne. La lumière flamboyante de fin d'après-midi roussissait les façades, et détouraient les silhouettes d'une aura dorée. Des tourbillons de feuilles mortes bruissaient sur le bitume.
Oswald flânait dans les rues, se délectant de l'atmosphère chargée de douceur. Dépouillé de son attirail de Charlatan, il n'était qu'un citoyen de Bryvas parmi tant d'autres. La machine lancée par Rigel filait à toute vapeur depuis l'attaque de Belel. Ils s'étaient attendus à entrer en conflit avec les dirigeantes de Becrux, après leur tentative de détruire le Nexus, mais leur échec et la capture de Charis, grièvement blessé, avait camouflé leurs véritables intentions.
Au hangar, les Marcdargent n'avaient pas attendu qu'Élide se rétablisse de sa blessure pour s'employer à l'élaboration d'une nouvelle frappe à Sadar. Plus personnelle et plus coûteuse, cette fois, en représailles pour la perte de Sahira. La frénésie fielleuse qui les animait avait transformé le repaire en véritable nid de couleuvres, Oswald avait-il été pris du besoin de s'octroyer un temps de solitude, durant lequel il laissait voguer ses réflexions, s'adonnait à quelques menus vols à la tire et satisfaisait ses caprices du moment.
Caprice qui, pour l'heure, consistaient en un désir de tremper les lèvres dans un café digne de ce nom. Aussi Oswald s'engagea-t-il dans une rue piétonne de Mortraze fameuse pour ses enseignes. Ce qui arrêta son choix ne fut néanmoins pas les cartes, mais la figure ailée aperçue à travers la vitrine.
Il appréciait trop la singularité des coïncidences pour ne pas pousser la porte de la boutique, remué par la curiosité. L'hétairie était après tout parvenue à l'intriguer lors de chacune de leurs trois rencontres précédentes. Par son charme bienveillant d'abord, puis par l'intérêt qu'elle-même semblait lui porter, et enfin, par son petit tour pendant le braque de l'opéra de Bryvas.
Oswald n'avait pas manqué de remarquer les fins pendants d'oreilles et bracelets d'argent assortis qu'elle arborait, quand elle était apparue devant lui avant la pièce. Avec une pointe de repentir, il avait songé que si elle s'attardait à l'après-spectacle, il serait contraint de l'en délester au même titre que les autres spectateurs. Mais son affront serein, lorsqu'elle avait exécuté sa manœuvre en pleine collecte de leur butin, l'avait interpellé. À la fois outragé que quiconque tente de le doubler, lui, prestidigitateur et cambrioleur virtuose, et épaté pas l'adresse qu'elle déployait sous la pression, il avait choisi de lui céder cette manche.
Toutefois, ce qui l'avait frappé dès la première seconde, dès l'instant où il avait posé les yeux sur sa silhouette drapée de soie, nimbée par les lumières des lanternes, en cette nuit de festival, n'était autre que ses ailes aisément reconnaissables. Car son chemin avait déjà croisé celui d'une hétairie aux attributs de hiboux des neiges, bien des années auparavant.
Les effluves chaudes et corsées des grains moulus l'accueillirent à l'intérieur. Comme la jeune femme se trouvait installée seule à table, des manuels, des fiches et un mince ordinateur portable disposés devant elle, il n'eut aucune hésitation à l'aborder :
— Tiens, encore vous, plaisanta-t-il en arrivant à sa hauteur.
Elle releva la tête de son écran, et son coup d'œil machinal se mua en une expression engageante quand elle le découvrit. Vêtue d'une robe de fine laine beige, un imperméable du même coloris reposant sur le dossier de sa chaise, et chaussée de bottes en cuir à talons, elle présentait une élégance sans sophistication.
— Oh, bonjour, sourit-elle avant d'ajouter avec humour : peut-être qu'on pourrait se présenter, cette fois ?
— Volontiers, approuva Oswald, emballé par le liant dont elle faisait preuve. Vous êtes donc ?
La réputation de sa famille ne lui était pas étrangère, mais il ignorait tout de la jeune hétairie.
— Setsuha Fukurõ.
Il serra la main qu'elle lui tendait.
— Un prénom en kanji, je suppose ?
— Avec les caractères d'opinion et de blanche, confirma-t-elle.
— Oswald Faye, enchanté.
L'avantage d'agir sous le masque et le pseudonyme du Charlatan résidait dans le fait que son identité demeurait inconnue du public. S'il observait tout de même une certaine prudence lorsqu'il révélait son nom, le risque lui semblait acceptable en ce qui concernait Fukurõ.
— Je vous dérange, peut-être ? supposa-t-il en désignant ses affaires.
— Non, je vous en prie, répondit-elle avec un geste de la main pour l'inviter à s'asseoir.
Il se débarrassa donc de son manteau à revers en pointes, et prit place face à elle, tandis que l'étudiante - car il supposait désormais qu'elle l'était - lui faisait de la place sur la table. Elle avait noué les frisures blanches de ses mèches sur son crâne, dégageant son visage aux traits comme ciselés dans l'ambre.
Il désigna sa tasse emplie d'une boisson crémeuse.
— Je peux vous l'offrir ? En remerciement pour la dernière fois.
Et en compensation pour l'avoir impliquée dans un braquage.
— J'ai déjà réglé, répliqua-t-elle, un pétillement dans ses yeux d'obsidienne.
Oswald commanda son café, puis parcourut du regard les documents de la jeune femme.
— Qu'est-ce que j'interrompais ?
Elle referma son ordinateur, et se recula au fond de sa chaise avec un soupir, ajustant la position de ses ailes afin de ne pas les écraser sous son dos.
— Des recherches pour mon mémoire, mais je m'y prends en avance, alors ça ne presse pas.
— Vous êtes studieuses, commenta-t-il avec un fin sourire.
— Juste ce qu'il faut. C'est ça ou sacrifier ma vie sociale à la fin de l'année.
Le serveur revint lui déposer sa tasse de café noir. Il enroula deux doigts autour de l'anse et souffla sur la surface fumante.
— Vous êtes dans quel domaine, alors ?
— Je fais un Master de psychocriminologie et victimologie, révéla-t-elle le plus posément du monde.
Pourtant, la lueur scrutatrice au fond de ses prunelles indiquait qu'elle guettait sa réaction, parfaitement consciente de l'effet que pouvait avoir son annonce. Or elle ne pouvait se douter de la crispation qui raidit l'échine d'Oswald, tandis qu'il la voyait soudain sous un tout autre jour. L'ironie de la situation fut amère à avaler, et une défiance malvenue se déversa dans ses veines. Le son qui lui échappa tint du ricanement davantage que du rire.
Il dut réfréner la nuée de questions qui lui vinrent, ne souhaitant pas se montrer trop inquisiteur, et résolut de répondre par une platitude :
— J'imagine que dans une ville comme celle-ci, vous allez avoir de quoi faire, une fois diplômée.
— C'est bien ce qui m'intéresse, rit-elle avant de reposer son avant-bras sur la table. Et vous ? Vous êtes dans quoi ?
Il s'agissait du sujet qu'Oswald avait attendu, du moment de précéder à une subtile vérification.
— Actuellement, je tiens la boutique familiale, à Mortraze. Mais pour ce qui est de ma carrière principale, je suis intermittent du spectacle, amorça-t-il.
Une profession qui faisait bien souvent sourciller, qui suscitait un mépris à peine tamisé de politesse, à moins d'être parvenu à se hisser dans les hautes sphères de la scène. Il n'y eut cependant nulle trace de dépréciation dans les yeux de l'hétairie. Au contraire, ils s'animèrent d'un éclat enthousiaste.
— Vraiment ? Quel domaine exactement ? s'enquit-elle avant de s'amuser en l'examinant de haut en bas : attendez, je peux peut-être deviner. Vous n'êtes pas technicien, vous êtes plutôt de la scène, alors... comédien ? Danseur ?
Intrigué par ce qu'elle pourrait bien déduire à son propos, Oswald suivit son cheminement d'inférence avec attention. Un rire lui échappa alors.
— Je vois que vous m'avez déjà analysé, plaisanta-t-il, en référence aux stéréotypes entourant la psychologie. Vous n'êtes pas tombée loin : c'était prestidigitateur.
Il étudia à son tour sa réaction, cherchant à déceler l'éclair de reconnaissance. Néanmoins, seul un intérêt authentique illumina la physionomie de la jeune femme. Elle ne manifesta aucun signe de se souvenir de celui dont elle avait autrefois applaudi les talents. Oswald douta presque de s'être mépris, cependant quelle autre hétairie possédait ce teint de miel, ces iris noir d'encre et cette masse de frisures mouchetée ? Et surtout ce regard, que les tours d'adresse faisaient miroiter.
Mais c'était il y a longtemps...
Peut-être ne lui avait-il pas fait d'impression suffisamment forte, pour imprimer son esprit comme elle s'était inscrite dans le sien.
— Oh, mais vous devez avoir des notions de psychologie, alors ? fit observer Fukurõ. Les processus attentionnels, ça doit vous parler. Et vous devez en connaître un rayon en techniques d'influence et persuasion !
Oswald s'accouda à la table, un air taquin jouant sur ses traits.
— Drôle d'intérêts, pour une psychologue, rétorqua-t-il.
Elle roula des yeux avec malice.
— Tout dépend de ce qu'on en fait.
Bien sûr, Oswald était on ne peut plus d'accord. Ayant rarement — si ce n'était jamais — l'occasion de discuter des procédés de capture l'attention et mystification de l'audience, il fut ravi d'échanger avec une connaisseuse. Ils avaient beau ne pas faire référence à la même catégorie de spectateurs, les siens ne se constituant désormais plus que de ses victimes, il se laissa absorber par leur échange, se régalant d'avoir l'entière attention de son interlocutrice.
Le moment pour Furkurõ de quitter le café vint trop vite à son goût, toutefois il n'en montra rien. Elle rangea ses affaires, puis ils remirent leurs manteaux. Au comptoir, une exclamation outrée échappa à Oswald lorsqu'elle sortit sa carte et régla sa consommation.
— Je croyais que vous aviez déjà réglé !
Fukurõ lui adressa un sourire mutin en refermant son porte-monnaie.
— Vous pourrez toujours m'offrir le café la prochaine fois, si vous y tenez.
Saisissant sa manœuvre, il eut le sentiment de s'être fait adroitement supplanter. Néanmoins, elle s'y était prise d'une manière telle qu'il ne parvint pas à en être froissé. Elle méritait définitivement ce prochain café.
✧ ✧ ✧
Alphecas se dressait comme un bastion de béton et de verre sous la brusque averse. L'épaisse masse nuageuse, couleur de plomb, plongeait les lieux dans une pénombre prématurée. Les rideaux de pluie drue se fracassaient en bruine contre la façade, enveloppant le bâtiment d'une fumée liquide.
Protégée par sa large veste à capuche, dont les manches engloutissaient ses doigts, Kaya traversa le parking, enjambant les mares et les ruissellements, afin de gagner l'accès à la rampe intérieure. Tandis qu'elle gravissait les étages, des fragments de voix ricochèrent sous son crâne, telles les ondes d'une station de radio à la limite de sa portée, crachotant quelques bribes intelligibles au milieu du bruit blanc.
De temps en temps ou à la fin de chaque mois... pas trouver comment en discuter avec toi... un peu de déco...
Kaya ne savait pas à quel moment le stress et la pression répétitifs s'étaient mués en flambée. Elle avait inconsciemment ignoré le brouhaha sous sa boîte crânienne jusqu'à ce que le télescopage des voix atteigne une ampleur telle qu'elle ne parvenait plus à se concentrer en cours.
Rentrée chez elle, la jeune femme avait ouvert l'armoire à pharmacie de sa salle de bain. Debout, une main sur la porte, elle avait fixé la boîte de comprimés, sans pouvoir se résoudre à y toucher. L'état léthargique dans lequel la plongerait le neuroleptique sédatif serait impossible à dissimuler à son entourage.
Ils sauraient qu'elle avait rechuté. Pour la seconde fois en peu de temps.
Il lui faudrait reprendre rendez-vous avec sa psychiatre, risquer un changement de prescription et un nouveau panel d'examens...
La seule perspective d'un tel envahissement de son quotidien par le milieu médical suffisait à lui nouer la gorge. Elle avait besoin qu'on la laisse en paix. Qu'on ne scrute pas ses moindres réactions. Qu'on ne dissèque pas son comportement.
Et surtout, elle savait qu'elle ne pourrait révéler les facteurs anxiogènes à la source de sa dégradation psychique. Tout ce qu'elle taisait à propos de Cineád, les soupçons d'Isaac, la crainte que les Marcdargent s'en prennent à eux...
Pas tarder à aller... il reste de l'eau... vais faire... dois encore changer...
L'écho de ses pas se répercuta entre les murs couverts de fresque de la cage d'escalier qu'elle emprunta. Un jour ténu et grisâtre régnait sur le dernier palier. Les précipitations crépitaient contre la trappe vitrée. Kaya retira sa veste, qu'elle roula avant de la déposer au sol, puis enfila ses écouteurs, la minuscule diode blanche s'allumant entre ses mèches. Elle lança une playlist sur son smartphone et l'installa dans les plis de son vêtement.
Sent la soupe... pas encore là...
Kaya consacra une poignée de minutes à s'échauffer, avant de pousser la porte. Une bourrasque mouillée la cueillit quand elle s'avança dans l'espace à ciel ouvert. La musique rythmée à ses oreilles assourdissait le boucan pluvial.
En quelques pas, son legging et le dos de son sweat crop adhérèrent froidement à sa peau. Sa respiration s'approfondit. Fouettée par les trombes, elle écarta les bras de son corps. D'un rebond sur la pointe des pieds, elle se lança dans une combinaison de mouvements longs, fluides, sinuant.
Kaya cala son souffle sur son rythme. Elle étirait ses membres, allongeait sa colonne. L'eau cascadant le long de son corps, ses mèches trempées claquant contre ses joues et sa nuque déchirèrent l'engourdissement qui l'engainait. La première pirouette qu'elle exécuta inonda ses veines d'un flot d'euphorie. Elle recommença, plus vite. Et recommença encore.
Lancer la jambe, tendre les mains. Ouvrir les vannes. Fendre la pluie de ses membres. Projeter des gerbes dans son sillage. Laisser remonter le venin, s'en gorger les veines, pour l'évaporer par le moindre de ses pores. Puiser au fond de ses tripes. Catalyser cette nuée grondante et caustique, en alimenter la frénésie de ses enchaînements.
Tout son être exultait alors qu'elle ondulait du buste et roulait des hanches. Les yeux fermés, elle pouvait sentir les filets de pluie dévaler son échine et son ventre exposés. Se fiant à son propre poids pour se repérer, elle tournoyait, aussi aisément qu'une créature marine roulant sous la surface houleuse, maîtresse d'elle-même jusqu'au bout des doigts. Elle ne pensait plus, elle s'immergeait dans le flux, battait avec les percussions, et son corps suivait, galvanisé.
La silhouette se profila comme une apparition caligineuse. Combinaison sombre ruisselante, épis de jais battus par les coups de vent. Kaya ne prit conscience de sa présence que lorsque les précipitations diluviennes faiblirent tout à coup, la tirant de sa transe.
Elle s'immobilisa. Ses expirations essoufflées s'échappaient en panaches de vapeur dans l'air humide. Son pouls cognait à ses tempes, les pulsations effrénées se répercutant dans tout son être. Ses épaules et sa poitrine se soulevaient rapidement tandis qu'elle pantelait.
Ils s'observèrent à distance, des voiles bruineux filant entre eux, estompant leurs figures. Les mèches dégoulinantes de Kaya lui barraient le visage. Elle glissa les doigts sur son crâne pour les ramener en arrière. Finalement, elle déglutit, tâchant de reprendre sa respiration, puis retira ses écouteurs, qu'elle fourra dans ses manches. Le silence qui succéda au fracas diluvien lui emplit les tympans.
Elle ignorait pourquoi Cineád était venu la trouver sur le toit, mais, en cet instant, une seule idée occupait son esprit. Elle s'approcha donc de lui, piétinant la pellicule d'eau ridée par les souffles d'air. Loin à l'ouest, les strates nébuleuses furent crevées de raie de lumières pareilles à des lames de verre.
— Tu mentais, lâcha Kaya en parvenant devant lui. Pour Basile et Gale.
Le pyrocien demeura un instant impassible, se bornant à la scruter de ses iris cérulés. Puis, il émit un rire nasal et un rictus sournois fendit son visage.
— Non, rétorqua-t-il. J'ai dit que je pourrais.
Sa main s'ouvrit, évoquant les flammes dévorantes qui pouvaient en jaillir à son gré. Chaque fois qu'elle lui avait posé la question fatidique, Cineád s'en était tenu à cette formulation, laquelle lui permettait de déguiser la vérité. Car, en termes de capacités, il lui était bien sûr possible d'éliminer n'importe qui. Alors qu'en termes de volonté...
Kaya jeta un coup d'œil à sa paume, avant de reporter son regard dans le sien.
— Donc, si je te demandais si tu le ferais... ?
— J'ai pas d'intérêt à m'en prendre à eux, répondit-il d'un ton détaché.
Elle lâcha un esclaffement imprégné de cynisme qui le fit hausser un sourcil. Une goutte roula sur le front de Kaya. À présent qu'elle avait cessé de s'activer, son corps se refroidissait sous ses vêtements trempés. Cineád inclina la tête sur une expression sarcastique et reprit :
— Alors ? Maintenant que t'es fixée, tu vas courir prévenir ton isádelphe ?
— Tu sais bien que non.
Toute trace de dérision s'évanouit du faciès du pyrocien. Sa voix était basse, ton timbre, profond, lorsqu'il l'interrogea :
— Je sais quoi ?
Kaya répondit par un regard sans équivoque. L'éclat igné dans les yeux de Cineád se troubla. Il releva le menton, et l'examina ostensiblement.
— Tu dérailles, observa-t-il.
Elle se tendit.
— Pas du tout.
— J'ai déjà vu ce qu'il se passait quand ça t'arrive, lui rappela-t-il avec un reniflement désinvolte. Quand tu vas revenir à ton état normal, tu seras beaucoup moins certaine de ce que t'es en train de croire.
Elle fut prise de frémissements irrépressibles. Percluse de froid autant que d'indignation.
— Ça m'est arrivé une fois ! Le reste du temps, j'étais parfaitement lucide !
Sceptique, Cineád claqua de la langue.
— Tu m'excuseras de douter quand même.
— Mon arété ne ment pas, déclara Kaya, faisant allusion à ce qu'elle lui avait communiqué entre les rayons de la bibliothèque. Ça avait l'air d'être un symptôme, pour toi ?
De nouveau, quelque chose flancha dans le regard de Cineád. Avant qu'il ne découvre les dents sur un rictus sardonique.
— Ça veut rien dire, décréta-t-il. Tu peux éprouver ce que tu veux, je t'ai bien vu freiner, quand tu te rappelles que ce que t'as en face de toi, c'est un tueur d'Asters qui se fout des dommages collatéraux.
Et, comme si ce rappel des faits concluait l'échange, il pivota les talons, en même temps que des rayons de lumière métallisée glissaient sur le squat. Un grondement ulcéré au fond de la gorge, Kaya esquissa un geste en avant, sans même réfléchir à la finalité de son acte.
Pourtant, ce fut sans la moindre hésitation qu'elle agrippa la manche de Cineád, le fit pivoter, empoigna le col de sa combinaison pour l'attirer à elle, et pressa sa bouche à la sienne.
Ses veines fourmillèrent de la chaleur qui imprégna instantanément ses lèvres glacées par la pluie. La texture de celles du pyrocien la surprit. Le simple fait d'en éprouver leur goût envoya un picotement le long de sa colonne. La courbe de sa bouche était souple, ferme, cuisante.
L'espace de quelques battements de cœur, ils demeurèrent figés ainsi. Puis, avec lenteur, Cineád entrouvrit la bouche, l'ajustant à la sienne dans un souffle brûlant. La poitrine de Kaya se serra. Les yeux fermés, les doigts crispés sur le denim humide, elle retenait d'instinct sa respiration.
Incapable de se retenir, elle l'embrassa précautionneusement. Les lèvres de Cineád glissaient contre les siennes sans lui répondre. Ses épis dégoûtant sur leurs visages rapprochés.
Et soudain, un râle sourd lui échappa, et il l'empoigna par la gorge. Tenue à distance de son corps, et à la merci de sa bouche, qui l'assaillait avec force, Kaya tressaillit. Son cœur martelait ses côtes. Insatiables, leurs bouches revenaient continuellement se mouler l'une à l'autre, chaque pression comme un point final avant de se séparer, pour néanmoins se sceller de plus belle.
La mâchoire de Kaya se desserra, autant par besoin de respirer que par désir d'approfondir le baiser. Les anhélations ardentes du pyrocien furent tout ce qu'elle parvint à inhaler. Alors que leurs lèvres s'ouvraient plus amplement, elle rencontra du bout de la langue le rebord de sa bouche. Une plainte affamée remonta dans sa gorge, tirant un son moqueur à Cineád.
En dépit de quoi, la chaleur des doigts serrant ses jugulaires devint dévorante. La façon dont il la consumait se fit féroce. Sa langue l'envahit, brûlante et avide, écrasant furieusement la sienne pour l'empêcher de se hisser à sa rencontre.
Et ce baiser agressif, dépourvu de tendresse, dissolvait tout, bouleversait l'esprit de Kaya, engendrait un brasier ineffable en elle. Elle était à bout de souffle quand il prit fin et que Cineád la relâcha subitement. Une part de lui demeurait pourtant inscrite dans sa chair. Elle sentait encore son goût sur ses papilles. Ses lèvres lui paraissaient gorgées de la vigueur des siennes. Le fantôme de son contact persistait autour de sa gorge. Il avait consommé le baiser avec appétit, tout en se gardant de se donner.
À présent, il la dévisageait, la mine interloquée. Comme s'il avait récolté plus que ce à quoi il s'attendait, et moins que ce qu'il aurait voulu. Sa physionomie parut osciller entre plusieurs émotions, avant que, esquissant un sourire goguenard, il ne passe un pouce sur sa lèvre inférieure, comme pour y recueillir la saveur laissée par Kaya.
— Si c'était une sorte de stratagème pour m'avoir dans votre camp vis-à-vis des Mardcdargent, je te préviens tout de suite : ça vaut pas quatre-vingts balles.
Ramenée à la réalité par son sarcasme coutumier, Kaya durcit le visage et poussa une exclamation fulminante. Pesant des deux mains contre le torse du pyrocien afin de l'écarter de sa route, elle le dépassa et se dirigea à pas vifs vers le bloc d'accès.
Pourtant, tandis qu'elle ramassait ses affaires, elle dut se retenir de toucher ses propres lèvres, en quête des réminiscences de leur baiser. Car aucun de ceux qu'elle avait échangés auparavant ne tenait la comparaison. Aucun ne l'avait remué de l'intérieur avec une telle fièvre.
Deux avancées de romances pour le prix d'une dans ce chapitre !
Oswald et Setsuha apprenent à se connaître ~
Et Kaya et Cineád passent un nouveau cap !
Bien sûr, vous me connaissez, tout ne roule pas après le premier baiser, leur relation va devoir encore se développer...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top