𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟎𝟖











— 𝐀 𝐅 𝐓 𝐄 𝐑 𝐋 𝐈 𝐅 𝐄 —









« 𝐒𝐢 𝐭𝐮 𝐬𝐚𝐯𝐚𝐢𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐣𝐞 𝐭'𝐚𝐢𝐦𝐞, 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐭𝐮 𝐞𝐬 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐚̀ 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞, 𝐭𝐮 𝐧'𝐨𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐚𝐬 𝐭'𝐚𝐛𝐬𝐞𝐧𝐭𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐬𝐞𝐮𝐥 𝐦𝐨𝐦𝐞𝐧𝐭, 𝐭𝐮 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐭𝐨𝐮𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐚𝐮𝐩𝐫𝐞̀𝐬 𝐝𝐞 𝐦𝐨𝐢, 𝐭𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫, 𝐭𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞. »

- 𝐕𝐢𝐜𝐭𝐨𝐫 𝐇𝐮𝐠𝐨








𝟏𝟎 𝐒𝐞𝐩𝐭𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝟐𝟎𝟐𝟐

𝐀𝐯𝐞𝐧𝐮𝐞 𝐒𝐚𝐢𝐧𝐭-𝐂𝐡𝐚𝐫𝐥𝐞𝐬

𝐌𝐨𝐧𝐭𝐞-𝐂𝐚𝐫𝐥𝐨 – 𝐌𝐨𝐧𝐚𝐜𝐨



Charles fait les cent pas devant les grandes baies vitrées de son appartement Monégasque. Dehors, la nuit est tombée depuis un moment déjà, laissant la principauté scintiller de mille feux et l'océan au loin refléter l'étincelante lumière des étoiles.

Nerveux, il jette un coup d'œil à sa montre et son trac grimpe encore d'un cran. Ses mains sont moites, il meurt de chaud dans sa chemise blanche tirée à quatre épingles, mais il n'ose pas quitter le salon pour aller se rafraîchir.

Tout est fin prêt, l'appartement plongé dans l'obscurité n'est éclairé que par la dizaine de bougies qu'il a déposé un peu partout pour construire une ambiance tamisée, le repas déposé par le traiteur patiente bien au chaud dans le four et un professionnel est passé dans l'après-midi pour accorder son instrument de cœur.

Tout est fin prêt, il ne manque plus que la principale intéressée qui semble vouloir se faire désirer.

Charles à tout préparer à la seconde près, des semaines d'organisation, de confidence et de secret à garder loin des oreilles du monde et celles de Casilia.

Si tout se déroule comme prévu, elle devrait en ce moment même être en train de rentrer du bar dans lequel Carlos et Lando ont dû l'emmener. Il a fait exprès de prétexter une réunion de dernières minutes pour pouvoir s'éclipser et rentrer à temps pour tout préparer, pour s'assurer que cette soirée soit parfaite.

Le bruit des clés dans la serrure et d'une porte qui claque le fait sursauter. Silencieusement, il court se positionner au milieu du salon, le cœur tambourinant follement dans sa poitrine.

- Je suis rentré ! Elle crie. Attends un peu que je te raconte la dernière ! Lando m'a dit que Max et Daniel avaient encore...

Casilia s'interrompt au moment d'entrer dans le salon, les yeux écarquillés par la surprise, posés sur Charles qui se dandine maladroitement sur ses deux pieds.

- Charles...?

- Joyeux anniversaire, il souffle doucement.

La bouche de la jeune femme s'entrouvre de surprise et ses yeux s'emplissent immédiatement de larmes d'émotion alors que Charles se précipite vers elle et l'enlace avec force, pressant leurs corps et leurs cœurs l'un contre l'autre.

- Tu t'en es rappelé ? Sa voix tremble.

Charles recule légèrement, les mains, solidement arrimées aux épaules de la jeune femme, glissant le long de sa nuque jusqu'à saisir délicatement sa mâchoire tremblante d'émotion contenue et rapprocher leurs visages l'un de l'autre.

- Comment est-ce que j'aurais pu oublier ? Il chuchote.

Lentement, presque avec hésitation, il efface la distance entre leurs lèvres et imprime un long et doux baiser. Leurs bouches se meuvent l'une contre l'autre, se pressent, se caressent sans jamais approfondir l'échange.

- J'ai un cadeau pour toi, il chuchote au bout d'un moment.

Elle hoche simplement la tête et, refusant de mettre fin au baiser, il la guide à l'aveugle dans l'appartement, jusqu'à une chaise qu'il a déposée stratégiquement au milieu du salon. Elle s'assied et lui sourit, le regard brillant de curiosité tandis qu'il recule sans lui tourner le dos, refusant de la quitter du regard.

- Est-ce que c'est un strip-tease ?

Un rire surpris échappe au Monégasque qui laisse retomber un peu de pression et passe une main tremblante sur son visage crispé par le stress.

- Disons que c'est le plan B, il sourit.

Il lui tourne difficilement le dos et s'assied avec hésitation derrière le grand piano blanc qui ne lui a jamais paru aussi terrifiant. Il inspire lentement alors que ses doigts frôlent les touches avec dévotion. Il ose à peine relever les yeux vers la jeune femme, de peur de découvrir l'expression de son visage.

Si on lui avait dit un jour qu'il serait plus inquiet de jouer du piano que de piloter une monoplace, Charles aurait sans doute ri. Pourtant, à cet instant, il n'a plus du tout envie de rire.

Il prend plusieurs longues inspirations difficiles avant de se résoudre à faire le grand saut, Casilia n'attendra pas toute la nuit qu'il trouve le courage de se jeter dans le vide.

Presque douloureusement, il ferme les yeux et se concentre sur la mélodie qui bourdonne dans son esprit depuis des semaines. À chaque fois qu'il entend le rire de Casilia, à chaque fois qu'elle lui parle, qu'elle le touche, et même lorsqu'elle n'est pas là, cette musique le berce, elle le hante et s'imprime dans sa chaire, de ses os, dans son cœur.

Ses doigts pressent les touches et la mélodie se répand dans l'air. Elle fait vibrer la pièce, leurs cœurs, leurs âmes dans une parfaite et bouleversante résonance.

Charles a écrit ce morceau pour Casilia, il s'est entraîné des semaines, il y a mis tous les sentiments, tout l'amour qu'il éprouve à son égard et qu'il n'ose pas encore lui avouer.

Si l'amour était un son, alors ce serait cette chanson.

Lorsque la partition se termine, il n'ose pas ouvrir les yeux, par peur, par pudeur. Il s'est mis à nu, il a livré son cœur sur un plateau et maintenant, il ne peut qu'espérer que Casilia décide de l'accepter.

Il ne veut toujours pas lever les yeux, nerveusement, il passe une main dans ses cheveux, tentant de briser le silence par n'importe quel moyen.

- Ce n'est pas grand-chose, il plaisante. J'ai juste trouvé ça sympa, mais si tu n'aimes pas, on peut directement passer au plan B et...

- Tu as écrit ça pour moi ?

Charles sursaute, Casilia s'est levée, il ne l'a pas entendu approcher. Silencieusement, elle s'est assise aux pieds du tabouret, à quelques centimètres de ses mains qu'elle a admirativement regardé s'élancer sur les touches nacrées.

Presque timidement, Charles hoche la tête, il a peur de formuler ses pensées à voix haute.

- C'est magnifique. Est-ce que... Est-ce que tu lui as donné un nom ?

Il secoue de nouveau la tête pour dire que non. Il n'aime pas les traces de larmes sur le visage de Casilia, il ne voulait pas la faire pleurer.

- Que penses-tu de CL ?

Il fronce les sourcils un instant.

- Casilia Lorenz ?

Elle hoche la tête.

- Et Charles Leclerc.

- CL.

Ils se regardent un instant, les yeux dans les yeux, profondément et Charles pose une main sur la joue de Casilia.

- S'il te plaît, ne pleure pas.

Elle sourit doucement et appuie son visage dans la paume brûlante de son amant, de son amour.

- Tu sais, c'est le plus beau cadeau que l'on ne m'ait jamais fait, elle confie.

Charles rougit doucement, à la fois fier de lui et intimidé.

- Mieux qu'un strip-tease ? Il sourit.

Casilia hésite un instant, les yeux plein de malice avant de finalement déposer ses lèvres contre la pulpe des doigts du Monégasque qu'elle embrasse avec révérence.

- Est-ce que tu peux le jouer encore, j'aimerais le réécouter, elle demande.

Charles sourit, touché de voir qu'elle aime autant le cadeau qu'il lui a créé. Il hoche la tête et reprend le premier accord tranquillement, sans se presser, toute trace de stresse effacée.

Et pendant qu'il joue avec assiduité, il ne remarque pas le regard qu'elle pose sur lui, l'adoration sans limite qu'elle lui voue, l'amour sincère qu'elle lui porte et qui, à cet instant transparaît à travers ses yeux bordés de larmes de joie.

Il ne voit pas le sourire qui fleurit sur les lèvres de la jeune fille, concentré sur sa tâche, il n'entend pas les trois petits mots qu'elle chuchote presque comme un secret :

Je t'aime  



──────────────────────



𝟓 𝐟𝐞𝐯𝐫𝐢𝐞𝐫 𝟐𝟎𝟐𝟑

𝐑𝐞𝐬𝐢𝐝𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐅𝐚𝐦𝐢𝐥𝐢𝐚𝐥𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐋𝐞𝐜𝐥𝐞𝐫𝐜

𝐌𝐨𝐧𝐭𝐞-𝐂𝐚𝐫𝐥𝐨 – 𝐌𝐨𝐧𝐚𝐜𝐨



Si l'on avait un jour dit à Charles qu'il aurait autant d'appréhension à retourner dans la maison de son enfance, il n'y aurait sans doute pas cru.

Et pour cause, il aime profondément cette maison, celle qui a bercé son enfance et celle de ses frères, celle dans laquelle il a grandi. L'endroit qui regroupe les plus beaux moments de sa vie, les plus tristes aussi.

Lorsqu'il ferme les yeux, il parvient sans mal à voir son père lui apprenant à manier son premier kart dans la rue devant chez eux, les aboiements de leur chien Senna, l'odeur des pâtes fraîches de sa mère et les cris stridents d'Arthur lorsqu'il refuse de le laisser utiliser ses affaires.

Charles n'a que de bons souvenirs ici, des millions de rires, de moments partagés ensemble et aucun qu'il ne souhaiterait effacer.

Car cette maison, c'est aussi l'endroit que son père a choisi pour les quitter, confortablement installé dans le lit qu'il partageait avec sa mère, entouré des siens, dans cet endroit qu'il a construit pour eux, pour leur famille.

Non, la raison qui fait hésiter Charles aujourd'hui, ce ne sont pas les murs blancs légèrement délavés et gorgés de souvenirs, c'est celle qui vit encore en ses lieux, le pilier de leur famille soudée, sa mère.

Le jeune Monégasque craint le regard qu'elle posera sur lui une fois entré, il sait pertinemment qu'il est celui qui a merdé, qu'il aurait dû lui parler, qu'elle s'est inquiétée.

Parce que Charles ne lui a pas parlé de Casilia, il ne lui a pas dit qu'il était amoureux, que c'est avec elle qu'il comptait faire sa vie, il a tout gardé pour lui, comme un vilain secret.

Pourtant, il sait très bien que les deux femmes se seraient adorées, que Casilia aurait été intégrée. Mais pour une fois, rien qu'une fois, il a préféré être égoïste, la garder pour lui seul. La vérité, c'est que Charles ne voulait pas partager.

Alors, il a gardé le secret et depuis, il fait de son mieux pour éviter sa mère et ses yeux scrutateurs. Les mêmes yeux que les siens à la différence près qu'elle n'a j'ai eu aucun mal à lire en lui comme dans un livre ouvert, usant de ce talent naturel qu'on les mères.

Parce qu'il ne fait aucun doute que Pascale Leclerc à compris, qu'elle a senti un changement dans le comportement de son cadet, qu'elle a remarqué ses regards fuyants, mais qu'elle n'a rien voulu dire, qu'elle a attendu qu'il vienne lui parler, comme il l'avait toujours fait.

Mais pas cette fois.

Combien de fois il aurait aimé l'appeler, lui demander des conseils, lui raconter à quel point il trouve merveilleux d'être amoureux. Mais voilà, Charles s'est empêtré dans son mensonge, dans les non-dits et il n'a pas osé franchir le cap, comme un enfant piégé, il a préféré se cacher que d'affronter la vérité et de prendre le risque de se faire disputer.

Et le voilà aujourd'hui, devant la porte de sa maison d'enfance, trois mois après la disparition de Casilia, désespérément en quête de réconfort. De l'amour qu'elle est la seule à pouvoir lui apporter et dont il s'est naïvement privé.

La porte d'entrée est verrouillée, signe qu'il est le premier. Par habitude, il soulève un pot de plantes aromatiques disposé le long de la fenêtre, le quatrième en partant de la gauche, toujours le même. Il insère la clé dans la serrure et referme la porte derrière lui.

La maison est silencieuse, il ne trouve sa mère nulle part. Pris d'un doute, vérifie sur son portable qu'il ne s'est pas trompé dans l'heure qu'elle lui a donnée.

- Maman ? Il appelle.

- Je suis là-haut !

La voix de la coiffeuse résonne depuis l'étage et il grimpe les escaliers jusqu'à la chambre de ses parents où il la trouve, assise sur le lit au milieu de dizaines d'albums photos et de cartons remplis de souvenirs.

- Bonjour mon chéri, elle sourit.

Interdit, il plante un baiser sur la joue de la petite femme blonde, son regard porté sur les clichés étalés sur le lit.

- Qu'est-ce que tu fais ? Il demande.

- J'étais en train de faire du rangement. Lorenzo m'a demandé de retrouver ses diplômes de ski et je me rappelle l'avoir rangé dans l'une de ces boîtes.

Il hoche la tête avant de tendre la main vers l'un des cartons et de pointer une feuille du doigt. Sans qu'il n'arrive à se souvenir pourquoi exactement, elle lui rappelle quelque chose.

- Qu'est-ce que c'est ?

Le regard de la mère de famille brille légèrement et elle attrape le morceau de papier froissé avant de le déplier.

- C'est l'une de tes lettres au Père Noël, elle explique.

- Tu as gardé ça ?

- Bien sûr ! Tu t'étais beaucoup appliquée pour l'écrire. Celle-ci date de quand tu avais sept ans.

Charles esquisse un sourire attendri en découvrant les lettres majuscules rédigées maladroitement et la courte mais très précise liste de ses exigences.

- J'ai demandé un siège en F1 ? Il se moque.

- Tu as toujours été un petit garçon ambitieux, elle rit. L'année d'après tu as demandé une potion pour grandir plus vite et une fois vers neuf ou dix ans, tu as commencé à prendre très à cœur le fait d'être inscrit sur la liste des enfants sages. J'ai bien cru que ton père allait mourir de rire, regarde...

Tout en parlant, elle lui tend une autre lettre écrite de sa main et il s'empresse de déchiffrer l'écriture hésitante.

- « Cher Père Noël, je pense que si tu remplaçais ton traîneau par une voiture de Formule 1, tu pourrais livrer les cadeaux encore plus vite. Si tu as besoin d'aide pour choisir ton écurie, je pourrai te conseiller. » il lit.

Un rire échappe aux deux Leclerc et Charles repose la lettre dans sa boite avant d'attraper une photographie qui attire son regard.

- Et ça ? C'est vous ? Il demande.

Pascale ne répond pas immédiatement, le regard figé sur le cliché, les yeux humides. Elle les ferme un instant, le temps de reprendre contenance avant de répondre :

- C'est une photo de notre voyage de noces, elle explique. Nous étions allés en Egypte.

Charles relève la tête vers sa mère, surpris, avant de reporter son attention sur la photo de ses parents, beaucoup plus jeunes, posant fièrement devant la grande pyramide de Gizeh. Lui aussi est allé en Egypte quelques mois plutôt, avec Casilia, il a pris la même photo.

Son cœur le pince douloureusement et il esquisse une brève grimace qui n'échappe pas à la mère de famille.

- Charles, est-ce que tout va bien ?

Il secoue la tête pour la rassurer, mais une question lui brûle les lèvres.

- Est-ce qu'il te manque ?

La voix du pilote se brise légèrement sur la fin, d'appréhension, d'émotion.

- Tous les jours, elle répond. Il ne se passe pas un instant sans que je ne pense à lui.

Charles pince les lèvres, les yeux, gorgés de larmes, fixés sur la photographie.

- Est-ce que ça te fait mal ?

Est-ce que, lui aussi, aura mal toujours aussi mal ? Est-ce qu'il devra apprendre à vivre avec cette souffrance qui lui donne l'impression qu'un feu le consume de l'intérieur ? Est-ce que son cœur cessera un jour de lui faire souffrir le martyre ?

Voilà toutes les questions qu'il aimerait poser, celles qu'il n'ose pas formuler, celles qui sont trop lourdes à supporter.

- Parfois, oui, pas toujours, elle souffle. Le temps a passé, c'est moins douloureux qu'au début. Les premières années ont été les pires évidemment, mais la douleur à fini par s'apaiser.

Le souffle de Charles se bloque dans sa poitrine. Des années. Est-ce que lui aussi aura mal durant des années ? Est-ce que ce sera ça sa vie maintenant ? Condamné à souffrir pour l'éternité.

Bouleversé, il relève des yeux gorgés de larmes vers sa mère, vers sa maman.

- Je ne veux pas souffrir pour toujours, sa voix tremble.

Le visage de la cinquantenaire se plisse de tristesse et elle passe doucement une main sur le visage pâle de son fils.

- Tu ne souffriras pas pour toujours mon chéri. Le deuil et la douleur ne sont que des étapes du long chemin qu'il te reste encore à parcourir.

- Mais tu as dit que...

- Je sais ce que j'ai dit, elle coupe. Ton père était le grand amour de ma vie, j'ai eu le cœur brisé lorsqu'il s'en est allé. Mais il m'a donné de longues années de bonheur et trois merveilleux fils qui font ma fierté et qui me donnent tous les jours une raison d'avancer.

Charles déglutit.

- Je n'ai eu que sept mois.

- Et alors ? Ce n'est pas le temps que l'on passe ensemble qui compte, c'est ce que l'on décide d'en faire. Sept mois, c'est toute une vie lorsqu'on aime sincèrement quelqu'un.

Le pilote regarde ses mains et la photo qu'il tient toujours entre ses doigts tremblants.

- Elle me manque tellement, il souffle. Je n'en peux plus d'être aussi triste quand je pense à elle. Parfois, je voudrais même ne pas l'avoir connue.

Pascale ne dit rien, elle passe une main attentive le long du dos de son fils, frictionnant doucement sa peau parcourue de frisson.

- Chaque matin, lorsque je me réveille, elle murmure. Juste avant d'ouvrir les yeux, je cherche ton père dans le lit, je pose ma main sur l'oreiller froid et je me rappelle qu'il nous a quittés. C'est douloureux, mais pendant quelques secondes, juste avant d'ouvrir les yeux, j'oublie qu'il n'est plus là. Je le cherche dans le lit comme s'il ne m'avait jamais quitté et c'est la meilleure sensation du monde.

- Mais ensuite, tu ouvres les yeux et tu es triste.

- Oui. J'ouvre les yeux et je suis triste de ne pas le trouver à mes côtés, mais juste après, je me rappelle que toi et tes frères devez venir manger ce midi, que j'attends avec impatience de pouvoir regarder le nouvel épisode de mon feuilleton qui sort ce soir, que toute une vie m'attend en dehors de cette chambre et que j'ai hâte de pouvoir la vivre. Même si ça veut dire que je dois la vivre sans lui.

Charles regarde sa mère, il la laisse entrelacer leurs doigts et serrer doucement leurs mains ensembles.

- Ce que je veux dire, mon chéri, c'est que je ne reviendrais en arrière pour rien au monde. Je referais exactement les mêmes choix, car, même si certains m'ont fait souffrir, ils m'ont aussi apporté une vie merveilleuse qui vaut la peine d'être vécue telle qu'elle est. Est-ce que, si c'était à refaire, tu déciderais de ne pas tomber amoureux d'elle ?

Il prend quelques instants pour réfléchir même si la réponse est évidente.

- Non, il esquisse un petit sourire. Elle ne me laisserait pas le choix de toute façon. Elle ne m'a jamais laissé d'autre choix que de l'aimer.

- Alors ne regrette pas de l'avoir fait.

- Même si ça fait mal ?

- Surtout si ça fait mal, elle acquiesce. Cette souffrance, c'est la preuve que ce que tu ressentais était vrai et que ce que vous avez vécu ensemble survit à travers toi.

Ils plongent tous les deux dans un silence contemplatif et le regard humide de Charles voyage sur les clichés étalés autour d'eux.

- Tu l'aurais adoré, il souffle. J'aurais dû te la présenter.

- Bien sûr que je l'aurais aimé, mon chéri. Et puis, je ne suis pas aveugle, je vous ai vu plusieurs fois sur le paddock, la manière dont vous vous regardiez quand vous pensiez que personne ne vous voyait.

- Est-ce qu'il y a une seule personne qui ne savait pas pour elle et moi ?

- Eh bien, le public n'en savait rien et si je dois me fier à ses talents de déduction, Arthur non plus.

Il esquisse un bref sourire, il est vraiment qu'Arthur est plutôt doué lorsqu'il s'agit de ne pas voir l'évidence.

- J'aurais aimé que le monde sache, que l'on n'ait pas à nous cacher, mais c'était trop risqué pour elle. Je n'aurai pas supporté qu'elle perde sa place à cause de moi.

- Elle avait l'air d'être une jeune femme forte et intelligente, je suis sûre qu'elle ne se serait pas laissé faire.

- Oh non, il ricane. Elle était intraitable, une vraie casse-pieds.

- Mais tu l'aimais.

- Comme un fou.

- Alors tu ne dois pas regretter les choix qui t'ont mené jusqu'à elle et si tu ne les assumes pas maintenant, tu le regretteras toute ta vie.

Charles acquiesce, les paroles de sa mère résonnent en lui avec réconfort et une question lui brûle soudainement les lèvres.

- Dis maman, comment est-ce que tu as su que papa était le bon ? Comment sait-on que l'on veut passer le reste de sa vie avec quelqu'un ?

- Oh ! Eh bien, c'est une histoire idiote. Je travaillais chez un petit coiffeur de Monte-Carlo à l'époque et ton père venait toujours s'y faire couper les cheveux. C'est comme ça que nous nous sommes rencontrés. Je suis rapidement tombée amoureuse de lui, mais ma famille a traversé une période difficile et nous avons dû déménager, alors je l'ai quitté. Nous sommes partis pour Montpellier et je pensais ne plus jamais le revoir, mais il a débarqué un matin, la tête à moitié tondue, et a demandé que je lui coupe les cheveux. Je n'ai jamais su comment il m'avait retrouvé, ni ce qu'il avait fait à ses cheveux, mais quand j'ai eu terminé, il m'a dit qu'il ne me laisserait plus jamais m'éloigner parce que j'étais la seule personne au monde à pouvoir lui couper les cheveux. Que s'il fallait aller à l'autre bout du monde pour être bien coiffé, il le ferait sans hésiter. Il a demandé ma main trois semaines plus tard et aucun autre coiffeur n'a jamais retouché à ses cheveux.

- Vous ne nous aviez jamais raconté cette histoire, souffle Charles.

- Tes parents ont le droit d'avoir leurs petits secrets.

Pascale sourit, l'air complice et Charles hausse les épaules avec amusement.

- Je crois que c'était elle, la bonne.

Tout en parlant, il sort de sa poche le petit paquet emballé de papier doré, celui qui dort dans sa table de chevet depuis ce qui lui semble être une éternité. Délicatement, il le dépose dans les mains de sa mère, ignorant les battements hiératiques de son cœur, il n'est pas certain de vouloir affronter ce qu'il y a à l'intérieur.

Pascale retire le papier, exposant une boîte en velours bleu à l'intérieur duquel repose une magnifique parure d'or bleuté de saphir, l'exacte couleur des yeux de Casilia.

- Oh mon Dieu, souffle Pascale. Charles, il est magnifique.

- Je n'ai pas eu le courage d'acheter une bague.

Pendant plusieurs secondes, il n'ajoute rien, évitant soigneusement le regard choqué de sa mère qui manque de faire tomber le collier.

- Elle aurait détesté le collier, il explique. C'est trop gros, trop luxueux, Casilia n'aurait jamais supporté d'avoir autour du cou plusieurs dizaines de milliers d'euros de pierres précieuses. Je le savais parfaitement quand je l'ai acheté.

- Mais alors, pourquoi tu...

- Parce que ce jour-là, coincé pendant des heures avec cette vendeuse de chez Cartier à regarder des bagues plus extravagantes les unes que les autres, j'ai paniqué. J'ai pensé qu'elle risquait d'avoir peur, que j'étais en train de me précipiter, de tout foirer. J'ai eu peur et j'ai acheté le collier. Je me suis dit que ce n'était pas très grave, que j'attendrais le bon moment pour échanger le collier contre une bague et faire les choses bien. Mais je n'ai pas eu assez de courage et maintenant, c'est trop tard. J'ai tout gâché.

- Oh, mon bébé...

- Est-ce que je peux te parler d'elle ?

La voix de Charles tremble et Pascale s'empresse d'accepter. Délicatement, il se laisse glisser dans le lit jusqu'à poser la tête sur les genoux de sa maman qui caresse doucement sa chevelure indisciplinée.

- Bien sûr, tu peux tout me dire, elle souffle.

Il prend une grande inspiration, par où commencer ? Il y a tant à dire et en même temps, il craint presque d'exposer les souvenirs qu'il s'est acharné à chérir en tout intimité, seul, loin du monde, bien à l'abri dans les tréfonds de son esprit.

Charles ferme les yeux et ouvre son cœur.

- Au départ, je ne voulais pas sortir avec elle, il chuchote. C'était beaucoup trop risqué, ça me faisait peur. Je me suis persuadé que c'était juste pour s'amuser, qu'il n'y avait pas d'enjeux et que je pourrais y mettre un terme n'importe quand. J'ai cru que je pourrais avoir le contrôle.

Pascale caresse doucement le front de son fils sans commenter, elle se contente d'écouter sans l'interrompre. Elle le laisse raconter leur histoire à tous les deux.

- La vérité, c'est qu'à l'instant même où j'ai posé les yeux sur elle, j'étais perdue.

Il esquisse un sourire à l'évocation de leur première rencontre. À l'époque, il s'était totalement ridiculisé et il n'avait plus osé dire un mot de toute la soirée. Heureusement pour lui, Casilia l'avait déjà remarquée et elle s'était simplement moquée de lui sans lui en tenir rigueur.

- Elle était tellement belle, il souffle. Je crois n'avoir jamais rien vu de plus beau qu'elle. Elle rayonnait de mille feux, comme un soleil et à chaque fois qu'elle me souriait, j'avais l'impression d'avoir pour moi tout seul le plus précieux des trésors.

- Tant plus elle est aimée, et tant plus elle prend plaisir à contre-aimer...chantonne Pascale.

Charles ouvre les yeux pour tomber sur le visage souriant de sa mère dont le regard virevolte d'une photographie à l'autre, balayant sa vie entière d'une caresse invisible.

- C'est une phrase de Ronsard que répétait souvent ton père, j'ai mis longtemps à comprendre ce qu'elle signifiait, mais je crois qu'elle vous représente bien, Casilia et toi. C'est l'idée qu'aimer profondément et être aimé en retour est l'acte ultime qui nous mène vers la véritable beauté. Vous étiez beaux l'un pour l'autre, vous étiez beaux l'un avec l'autre, l'incarnation même du véritable amour.

Le pilote hoche doucement la tête. Il croit comprendre ou, s'il ne comprend pas, les paroles de sa mère trouvent tout de même échos en lui, ils font vibrer son cœur.

- J'aurais fait n'importe quoi pour elle. J'ai fait des choses folles, des choses qui ne me ressemblent pas sans jamais réussir à regretter quoi que ce soit, parce que c'était pour elle.

- Si tu espérais me le cacher, tes frères m'ont déjà parlé des esclandres que tu as causés, rit Pascale.

Mais Charles n'a pas envie de rire, il a entrouvert la porte de son cœur, la porte qu'il a barricadée ce jour-là, chez le fleuriste en bas de son immeuble. Il a naïvement pensé pouvoir arrêter de ressentir, limiter la casse, freiner ce tsunami d'émotion, mais il ne s'est jamais autant fourvoyé de toute sa vie.

- Au début, elle était comme un rêve, c'était simple, léger, il me suffisait de passer la nuit à ses côtés et d'oublier une fois le jour levé. Je pensais pouvoir me contenter de ça, de ce semblant de relation sans nom, de son corps contre le mien le temps de quelques heures à peine. Mais j'avais tort, j'ai tenté de repousser l'inévitable, de ne pas m'avouer qu'en réalité, je l'avais déjà dans la peau. Elle hantait mes nuits lorsque je ne pouvais pas l'avoir, la regarder m'ignorer sur le Paddock était une véritable torture et pourtant, j'étais à l'origine de cette frontière entre nous, de cette torture que je nous ai imposée.

Il avait été clair avec elle, il ne voulait rien de sérieux, mais en réalité, Charles n'avait jamais été autre chose que sérieux.

Dès le départ, il avait mis son cœur en jeu.

- Elle est tout ce que j'ai toujours voulu. Plus que les titres, plus que la gloire, je n'arrive même pas à imaginer ce que j'aurais fait si elle m'avait repoussée. Mais elle ne l'a pas fait et c'était magnifique.

Il marque une pause au terme de son monologue. Charles est légèrement essoufflé, il y a longtemps qu'il n'avait pas autant parlé, trois mois en réalité, toute une éternité.

- J'ai peur de ne plus jamais ressentir ce sentiment à nouveau, d'avoir laissé filer l'amour, d'être condamné à savoir ce que cela fait sans plus jamais pouvoir y goûter.

- Tu n'as pas à avoir peur de cela, mon chéri. Tu tomberas de nouveaux amoureux, répond sa mère.

- Comment est-ce que tu peux en être si sûre ? Il demande. Tu n'as plus jamais aimé d'autre homme après papa.

- Tu as raison, elle acquiesce. Mais j'avais le double de ton âge lorsque ton père est mort, j'avais déjà vécu la plus grande partie de ma vie à ses côtés.

- Et si je tombais de nouveaux amoureux, ce serait trahir Casilia ?

- Bien sûr que non, elle aurait sans doute été plus qu'heureuse de savoir que tu poursuis à vie sur le chemin du bonheur.

Charles réfléchit un instant.

- Je ne crois pas avoir envie de retomber amoureux, il conclut.

- C'est normal. Tu dois d'abord faire ton deuil et accepter ce que cela implique d'avoir connu un grand amour et peut-être qu'un beau jour, un autre amour se présentera à toi, pas moins important, différent et il ne tiendra qu'à toi de savoir si tu souhaites le saisir ou non.

- Casilia était mon soleil, avoue-t-il enfin.

- Tout comme ton père était le mien et maintenant qu'ils ne sont plus là, c'est à nous de rappeler au monde à quel point il était meilleur lorsqu'ils en faisaient partie.

Charles ferme les yeux malgré les larmes qui s'en échappent silencieusement.

- J'aurais dû lui dire que je l'aimais.

La main de sa mère essuie doucement les larmes qui coulent sur ses joues alors qu'elle souffle à son cœur.

- Elle le savait, Charles. Casilia savait que tu l'aimais et elle t'aimait aussi.

Elle le savait.



──────────────────────



Quelqu'un veut un mouchoir ? :')

Chapitre fort en émotion, tant pour le souvenir de l'anniversaire de Casilia que la rencontre de Charles avec sa mère.

Depuis le début, Charles ressent le besoin de se confier sans pour autant oser sauter le pas. Il s'est enfermé dans le secret et se retrouve bloqué à ne pas savoir s'il a le droit de raconter son histoire avec Casilia. Mais qui d'autre de mieux placé qu'une mère pour écouter sans jamais juger.

Dans ce chapitre, Charles a besoin de vider son sac, d'exposer ses craintes quant à l'avenir et connaître le vécu de sa mère qui est déjà passée par là. J'aime beaucoup mettre en avant la similitude et en même temps la différence de leurs deux histoires.

Désolé d'avoir manqué le rendez-vous de la semaine dernière, Afterlife est une histoire que je ne veux pas me sentir obligé d'écrire et qui doit venir à son rythme. Ce n'est que comme ça que j'obtiens un résultat qui me plaît et qui a le plus de chances de vous toucher.

J'espère que ce chapitre vous plaît, dans le prochain Charles se sentira peut-être enfin prêt à révéler au monde son grand secret. Reste à savoir comment il s'y prendra.

À très bientôt ! <3

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top