𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟎𝟔











— 𝐀 𝐅 𝐓 𝐄 𝐑 𝐋 𝐈 𝐅 𝐄 —









« 𝐒𝐢 𝐭𝐮 𝐬𝐚𝐯𝐚𝐢𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐣𝐞 𝐭'𝐚𝐢𝐦𝐞, 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐭𝐮 𝐞𝐬 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐚̀ 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞, 𝐭𝐮 𝐧'𝐨𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐚𝐬 𝐭'𝐚𝐛𝐬𝐞𝐧𝐭𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐬𝐞𝐮𝐥 𝐦𝐨𝐦𝐞𝐧𝐭, 𝐭𝐮 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐭𝐨𝐮𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐚𝐮𝐩𝐫𝐞̀𝐬 𝐝𝐞 𝐦𝐨𝐢, 𝐭𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫, 𝐭𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞. »

- 𝐕𝐢𝐜𝐭𝐨𝐫 𝐇𝐮𝐠𝐨









𝟏𝟏 𝐀𝐨𝐮𝐭 𝟐𝟎𝟐𝟐

𝐏𝐲𝐫𝐚𝐦𝐢𝐝𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐆𝐢𝐳𝐞𝐡

𝐋𝐞 𝐂𝐚𝐢𝐫𝐞 – 𝐄𝐠𝐲𝐩𝐭𝐞



- Je ne remonterais plus jamais sur l'une de ses créatures du diable, c'est beaucoup trop dangereux, il râle.

- Pardon ? Je crois que j'ai mal entendu. Est-ce que le grand pilote de formule 1 Charles Leclerc vient de dire qu'un pauvre petit chameau est un moyen de locomotion trop dangereux ? Je peux mourir en paix ! Elle ricane.

Amusé, il plaque sa main sur la bouche de la jeune femme pour la faire taire alors qu'elle prononce son prénom volontairement plus fort pour le mettre mal à l'aise. Doucement, il ajuste le turban qui dissimule son visage, qu'il sait rayonnant de bonheur, protégeant leur identité pendant ce voyage qu'ils font en secret.

Avec application, il replace une mèche folle de ses cheveux ébouriffés sous le tissu, profitant de l'occasion pour laisser le bout de ses doigts frôler avec adoration la courbe de son visage et s'échouer sur ses lèvres tentatrices.

- Pardonne-moi, Ô grande cavalière du désert, si je ne suis pas à l'aise avec les moyens de locomotion qui se conduisent par eux-mêmes, il plaisante.

- Tu ne devrais pas te moquer, il risque de se vexer.

- Je pense que je vais prendre le risque.

Délicatement, il laisse retomber son bras pour aller saisir sa main et entrelacer leurs doigts avant de les porter à ses lèvres. Charles adore embrasser les mains de Casilia, il aime l'embrasser tout court d'ailleurs, mais ses mains ont une valeur particulière à ses yeux. Elles sont l'expression de son talent brut, de son génie de pilote, mais surtout, ce sont les mains qui l'enlacent et ne le lâchent jamais, qui lui font sentir que tant qu'elles seront là, il ne peut rien lui arriver.

Charles n'a pas peur d'être faible devant Casilia, il ne craint pas de lui dire qu'il a peur des chameaux, que sa saison le déçoit, qu'il ne se sent pas à la hauteur des attentes que l'on fait peser sur ses épaules. Il n'a pas peur parce qu'il sait que personne au monde ne peut le comprendre mieux qu'elle.

Casilia n'a besoin que d'un regard, que de l'effleurer du bout des doigts pour le comprendre et lui faire oublier en un instant le poids qui comprime sa poitrine.

Alors il embrasse ses mains salvatrices, la cicatrice en forme de cœur à l'intérieur de son poignet et toutes les petites traces anodines qui font de Casilia sa Casilia.

Finalement, il relève les yeux pour tomber dans le regard soucieux qu'elle pose sur lui.

- Est-ce que ça va ? Elle demande.

- Oui. Je suis heureux d'être ici, avec toi.

Et juste comme ça, c'est suffisant pour chasser l'ombre inquiète de son regard et faire de nouveau fleurir son lumineux sourire. Le cœur de Charles se gonfle de fierté et ses lèvres s'étirent.

Elle ouvre la bouche pour répondre, mais ils sont interrompus par leur guide qui les interpelle, quelques mètres plus loin.

- Hé ! Les amoureux ! Une photo devant la pyramide ?

Puis il agite les bras pour leur montrer où se placer avant d'aller de sortir l'appareil d'une sacoche.

- Je crois qu'il parle de nous, elle s'empourpre et le tire par la main.

- Il nous a percé à jour, misère ! Mais qu'allons-nous faire ? Il surjoue.

Charles sourit, alors qu'elle le frappe mollement. Il est toujours amusé par la timidité dont elle fait preuve lorsqu'il s'agit de mettre des mots sur leur relation balbutiante. Elle n'a soudainement plus rien de la compétitrice hors pair qui lui donne bien du fil à retordre sur les circuits.

Tendrement, il la tire à lui, passant un bras autour de sa taille alors qu'elle dévore d'un regard émerveillé la grande pyramide, dernière merveille du monde antique.

Mais Charles n'a pas besoin des pierres, pas quand il a la plus jolie merveille du monde juste sous les yeux, bien à l'abri au creux de ses bras, rien que pour lui.

- À trois, vous dites pyramide ! Crie le guide.

Casilia tourne son attention vers l'appareil, un joli sourire pour la postérité.

- Un !

- C'est si grave, qu'on ait l'air amoureux ? Demande-t-il finalement.

Surprise, elle relève vers lui un regard curieux, mais il n'ajoute rien, aussi stressé que le jour de sa première course. Comprenant le sérieux de sa requête, elle prend un instant pour réfléchir vraiment, ses yeux ancrés dans les siens.

- Deux !

- Je ne crois pas, non. Je trouve ça bien.

Le sourire qui étire ses lèvres lui fait presque mal aux joues, mais Charles n'en a vraiment rien à faire alors qu'il resserre son emprise autour de la taille de la jeune fille et comble l'espace jusqu'à ses lèvres avec ferveur, le cœur battant à tout rompre.

- Trois !

Il l'embrasse comme si elle était l'unique oasis au milieu du désert, la seule bouffée d'air disponible sur terre, sa seule source de lumière.

Et jusqu'à la fin des temps, Charles gardera, tatoué à l'encre des sentiments sur un coin de son cœur, le souvenir d'avoir, à cet instant précis, embrassé la huitième et plus belle merveille du monde. 



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𝟐𝟗 𝐉𝐚𝐧𝐯𝐢𝐞𝐫 𝟐𝟎𝟐𝟑

𝐊𝐢𝐧𝐠'𝐬 𝐋𝐲𝐧𝐧

𝐍𝐨𝐫𝐟𝐨𝐥𝐤 – 𝐀𝐧𝐠𝐥𝐞𝐭𝐞𝐫𝐫𝐞



Passer du luxe épuré et moderne de l'appartement londonien de Lewis Hamilton au manoir de briques rouges typiquement anglaise de la famille Russell, c'est un fossé que Charles n'aurait pas imaginé sauter.

Pas aussi rapidement en tout cas.

Le monégasque a beaucoup apprécié cette semaine passée auprès du septuple champion du monde, et ce, pour plusieurs raisons. La tranquillité d'abord, Lewis n'est pas exactement le plus bavard des hommes, ce qui s'est révélé être une bénédiction pour l'esprit tourmenté de Charles.

La solitude ensuite, personne ne s'attend à le trouver ici, si loin de sa terre de prédilection, il n'a pas vu l'ombre d'un appareil photo depuis plusieurs jours. Une pause salvatrice pour lui qui est constamment sous le feu des projecteurs, traqués par les journalistes qui ont repéré l'odeur attrayante d'un scoop à déterrer.

Enfin, il a pu accompagner le pilote anglais sur les traces des rêves cachés de Casilia. Rencontrer celles et ceux avec qui elle travaillait si dure sur ce projet de centre et voir de ses yeux la concrétisation de cette idée folle née de la volonté d'une femme d'avoir un chien nommé Bones.

L'idée d'utiliser son séjour improvisé dans le berceau de la monarchie pour aller délivrer la lettre de George lui fut suggérée par Lewis. Sans que Charles n'ait besoin d'en parler, comme s'il savait qu'il y aurait une lettre pour son coéquipier.

Cette certitude l'intrigue. Qui avait-il de si évident entre George et Casilia pour que Lewis soit certain qu'elle lui laisserait l'une de ses précieuses lettres ?

Sa première idée était qu'ils avaient eu une relation dont il n'aurait pas eu connaissance, mais il l'a bien vite écarté. George est en couple depuis des années et Casilia lui en aurait forcément parlé. Il y a forcément quelque chose de plus profond, une nouvelle facette de Casilia qu'il n'aurait jamais soupçonnée, un autre secret qu'il lui tarde de voir dévoiler.

Voilà donc ce qui l'amène à frapper à la porte du manoir des Russell, perdue en plein milieu de la campagne anglaise par un dimanche pluvieux de janvier.

Après quelques secondes d'attente, la porte s'ouvre sur un George souriant qui l'invite à entrer et récupère ses vêtements mouillés par la bruine hivernale de ce début d'année.

- Mes parents avaient hâte de te rencontrer, explique le Britannique.

- Je suis étonné de ne pas les avoir croisés plus tôt, sur un paddock ou aux remises de prix.

Un voile passe rapidement devant les yeux de l'autre pilote, si vite que Charles se demande un instant s'il n'a pas rêvé.

- Ils venaient plus souvent me voir avant le covid, c'est plus compliqué pour eux maintenant, élude-t-il simplement.

Charles hausse les épaules et ne pose pas plus de question, il n'est pas vraiment venu pour parler des parents de George de toute façon. Tranquillement, il le suit dans la grande maison, traversant salons sur salons, épaté par cette façon que les Anglais ont de compartimenter chaque instant de leur journée, salon de thé, fumoir, boudoir, comme si chaque pièce ne pouvait avoir qu'une seule utilité.

La curiosité piquée, le Monégasque pénètre dans une grande salle à manger où l'attend patiemment le reste de la famille Russell qui se lève à son arrivée. Le premier à s'approcher pour lui serrer la main est monsieur Russell qui lui demande immédiatement de l'appeler Steve.

- Bonjour Charles, c'est un plaisir de te rencontrer.

- Depuis le temps que George nous parle de toi, nous étions impatients.

Madame Russell, Alison, lui offre une étreinte maternelle pleine de cette douceur dont sont dotées toutes les mères. Il sert la main de Benjy et embrasse Cara, le grand frère et la grande sœur de George avant de saluer Carmen qu'il est la seule à connaître.

C'est une situation pour le moins intimidante pour Charles qui ne s'attendait pas à se retrouver ainsi entouré par toute la famille de George qui l'accueil comme s'il était un ami de longue date.

- Tu n'as pas eu de mal à trouver mon garçon ? Demande la mère de famille.

- Non, madame Russell, le GPS a trouvé la route sans problème.

- Appelle-moi Alison, inutile d'être aussi formel ! Tu fais partie de la famille après tout.

Charles ne peut retenir un coup d'œil intrigué en direction du pilote Mercedes. Les parents de George sont peut-être des personnes extraverties, mais ils n'en restent pas moins des inconnus pour Charles qui a l'impression qu'une information importante lui passe sous le nez.

Benjy et Cara, les aînés ne sont pas en reste, bien que moins démonstratifs que leurs parents, ils le bombardent littéralement de questions sur lui et sur sa vie.

Le Monégasque fait d'abord de son mieux pour répondre à leurs interrogations sans arrière-pensées, mais les Russell ont vraiment l'air de savoir beaucoup de choses sur lui, beaucoup de choses privées qui plus est. Charles est de plus en plus troublé à mesure que le repas s'écoule et que les plats s'enchaînent avec fluidité.

- Excusez-moi, demande-t-il finalement. C'est la première fois que nous nous rencontrons, n'est-ce pas ?

Alison Russell semble d'abord surprise, mais elle finit par lui répondre d'un air soucieux tout en se levant pour récupérer les plats vides.

- Bien sûr, pourquoi ?

- C'est juste que vous avez l'air de savoir tellement de choses à mon sujet, j'ai été surpris, il explique.

- Eh bien, George nous parle beaucoup de ses collègues pilotes...

Madame Russell à clairement l'air mal à l'aise sans que Charles n'arrive à savoir s'il a fait ou dit quelque chose de mal. Il se sent soudainement gêné de s'être montré intrusif et baisse les yeux sur ses mains.

- Tu as sûrement besoin d'un coup de main en cuisine maman, laisse-moi t'aider.

Alison ne répond pas et Charles lève à peine les yeux lorsqu'elle sort du salon avec Cara, plongeant l'endroit dans un silence pesant qu'il est certain d'avoir déclenché.

- Excuse ma femme fiston. Casi est un sujet sensible pour nous tous, encore plus pour Alison.

- Vous parlez de Casilia ?

Charles relève la tête, curieux, ils n'ont pas parlé d'elle de tout le repas, que vient-elle faire là-dedans ?

- Peut-être que nous pourrions poursuivre cette discussion au salon ?

La suggestion vient de Benjy et malgré ses interrogations, Charles ne peut s'empêcher de se demander avec amusement duquel de leur salon est-ce qu'il peut bien être en train de parler. Cependant, les autres semblent être d'accord avec lui et il n'a pas à cœur de les presser. Maintenant qu'il y regarde de plus près, depuis le début du repas, la discussion ne fait que tourner autour de lui, des questions autour de sa vie, de sa carrière, de sa famille.

Le front plissé par la concentration, il prend place dans l'un des petits fauteuils de soie sombre installés autour de la grande cheminée.

- Nous n'avons pas été entièrement honnêtes avec toi quand tu nous as demandé si c'était la première fois que nous nous rencontrions.

Charles fronce les sourcils, surpris. Il ne se rappelle pourtant pas d'avoir déjà rencontré les membres de la famille de George. Il a une bonne mémoire, même plusieurs années en arrière, il s'en serait souvenu. Attendant impatiemment des explications un peu plus claires, il laisse reprendre monsieur Russell qui lance des regards émus à ses enfants.

- Nous ne nous sommes jamais rencontrés physiquement, mais Casilia nous parle beaucoup de toi depuis quelque temps.

- Vous connaissiez Casilia ?

Il ne peut pas retenir son interrogation surprise avant de tourner la tête vers George qui lui adresse un pauvre sourire contrit.

- Nous la connaissons depuis bien plus longtemps que tu ne l'imagines, sourit monsieur Russell.

- Elle ne m'en a jamais parlé, il doute.

- C'est normal, acquiesce-t-il. Nous avons convenu il y a longtemps de rester discrets sur nos liens et les raisons de notre rencontre, les rumeurs cours si vite et nous ne voulons pas prendre le risque de lui porter préjudice. Pour nous, elle est comme un membre de la famille.

Charles fronce les sourcils d'incompréhension. Il a entendu beaucoup de choses étranges, voire invraisemblables depuis qu'il a commencé son périple pour réaliser les dernières volontés de Casilia, mais ce que les Russell lui racontent relève d'un tout autre niveau auquel il n'est pas sûr de pouvoir croire. Son doute ne semble échapper à personne puisque monsieur Russell se renfrogne légèrement et que George intervient.

- Charles, je sais que tout cela doit te sembler tiré par les cheveux et de mauvais goût, mais s'il te plaît, laisse-nous t'expliquer. Nous sommes amis depuis longtemps, je ne t'aurais jamais demandé de venir si ce n'était pas important pour nous.

Toujours sur la défensive, le pilote finit par donner son accord pour écouter la suite de l'histoire, mais il se réserve le droit d'y croire ou non.

- La première fois que j'ai rencontré Casilia, c'était en 2019, j'étais dans ma première saison de F1 et elle était toujours en formule 2. Nous avions déjà été adversaires avant ça, mais nous n'avions jamais vraiment pris le temps de discuter.

George sourit comme s'il se remémorait des choses dont lui seul à connaissance et Charles est pendu à ses lèvres.

- Le moins que l'on puisse dire, c'est que je passais vraiment une mauvaise année chez Williams. La voiture la moins compétitive du plateau et pas un seul point de tout le championnat, il esquisse un sourire douloureux.

Charles hoche la tête, 2019 coïncident avec sa première année chez Ferrari et il doit bien admettre qu'à cette époque il était plus préoccupé par son intégration que par les déboires des pilotes de fond de grille. George et lui ne se sont rapprochés que plus tard.

- Bref, expédie le Britannique. Ce n'était clairement pas la meilleure saison de ma vie et quand j'ai reçu cet appel de Casilia, j'ai bien cru que j'allais toucher le fond. Je m'en rappelle encore, c'était juste après le Grand Prix du Mexique, j'avais terminé seizième et elle m'a appelé pour me dire que Williams lui proposait un baquet pour la saison suivante. Mon baquet, il précise.

- En 2019 ? S'assure Charles.

C'est beaucoup plus tôt que ce qu'il pensait. Casilia n'était entrée chez Red Bull que pour la saison 2022, il n'avait aucune idée qu'une place lui avait été proposée avant cela. Les baquets sont si rares et les obstacles si nombreux, surtout pour une femme, il ne comprend pas qu'elle n'ait pas saisit la chance que lui proposait Williams d'entrer dans la cour des grands.

George lui lance un nouveau sourire contrit et le monégasque est de plus en plus curieux.

- Oui. Déjà à cette époque-là, j'ai trouvé curieux qu'elle m'appelle pour me prévenir qu'elle avait été approchée, c'est plutôt inhabituel, il ricane. Mais Casilia est différente alors la suite n'aurait pas dû m'étonner. Elle m'a demandé de lui donner une bonne raison de ne pas prendre ma place et c'est ce que j'ai fait. C'était plutôt pathétique et j'étais vraiment furieux de devoir m'abaisser à la supplier de me donner une chance, mais je l'ai fait et j'ai été honnête avec elle.

Il s'arrête de parler et Charles ne manque rien de la main de Carmen qui vient s'enrouler avec douceur autour de son poing fermé. Un peu perdu, il détourne les yeux lorsque le père de Georges prend la suite de son fils.

- Les médecins ont diagnostiqué à Alison un cancer du sein cette année-là, il explique. Dieu merci la tumeur a été découverte à temps et elle a pu être complètement retirée, mais nous sommes passés par des moments compliqués qui ont beaucoup impactés le moral de George et l'unité de notre famille.

- Je l'ai dit à Casilia, poursuit le benjamin. Honnêtement, je ne savais pas à quoi m'attendre, je pensais qu'elle allait se moquer de moi, mais ça a été tout l'inverse. Elle n'a plus jamais parlé de signer chez Williams et à la place, elle m'a demandé comment elle pouvait m'aider.

Tous assis dans leurs fauteuils, ils échangent des sourires complices dont Charles aimerait comprendre la source parce qu'il est certain qu'elle a à voir avec Casilia et ce talent naturel qu'elle avait de s'immiscer dans la vie des gens.

- Sans que l'on ne comprenne vraiment comment, elle s'est mise à avoir une place de plus en plus importante dans nos vies. D'abord pour moi, me donner des conseils, m'envoyer les contacts de médecins spécialisés prêts à recevoir ma mère immédiatement. Et puis avec Benjy et Cara jusqu'à ce qu'on la présente à nos parents.

- Tu devrais certainement le savoir mieux que nous, mais elle a cette empathie dans le regard qui nous donnait envie de nous confier. C'est une oreille attentive, toujours de bon conseil et une amie incroyable, commente Benjy.

- Elle a tout de suite accroché avec ma mère et je ne saurais pas l'expliquer, mais elle est rapidement devenue le quatrième enfant de la famille.

Charles esquisse un sourire, il n'a aucun mal à s'imaginer Casilia parfaitement dans son élément au milieu des Russell, partageant un repas de famille avec eux comme s'il avait s'agit de la sienne.

- Forcément, cela nous a intrigués. Elle connaît toutes les étapes, tous les médecins qu'elle nous a adressés la connaissaient personnellement, j'ai fini par poser la question. C'est comme ça que nous avons appris que sa mère était morte d'un cancer du sein très avancé.

C'est un choc pour Charles qui écarquille les yeux de surprise. Casilia n'avait jamais été très bavarde au sujet de sa famille et il en avait déduit qu'ils n'étaient pas proches surtout qu'elle passait le plus clair de son temps avec Adrian et Bianka, mais il n'avait jamais pensé qu'elle puisse être orpheline.

Dans sa cage thoracique, son cœur le pique douloureusement alors qu'une vieille blessure qu'il pensait cicatriser se rouvre. Lui aussi est un orphelin après tout.

D'incompréhension, il plisse les lèvres. Il aurait aimé qu'elle lui en parle, ils auraient pu partager leur souffrance, s'appuyer l'un sur l'autre pour mieux se relever. Mais elle n'en a jamais parlé et Charles se sent subitement mis de côté, comme si elle ne l'avait pas jugé digne de connaître son secret.

- C'est arrivé quand elle était adolescente, poursuit George. Elle en parle très peu, je crois qu'elles n'étaient pas très proches à l'époque, mais quand l'état de sa mère s'est dégradé, c'est elle que l'hôpital a appelée pour payer les factures et prendre les décisions difficiles.

Charles fronce les sourcils et fait mentalement le calcul. Comment peut-on demander à une enfant pas encore majeure de prendre en charge les frais médicaux de sa mère mourante ?

Cette situation le révolte autant qu'elle lui brise le cœur. Son père s'est éteint après plusieurs années de lutte contre la maladie, dans les derniers mois de sa vie, se sachant mourant, il a tout préparé pour que sa femme et ses fils puissent faire leur deuil en paix, loin de toutes les préoccupations administratives et Charles ose à peine imaginer dans quel état il aurait été si on lui avait demandé de faire des choix à cette période de sa vie. Apprendre que Casilia était seule dans ce moment terrible de sa vie est un crève-cœur pour lui.

- C'est peut-être utopique de ma part, mais je crois que nous aider dans cette période difficile lui a permis de faire la paix avec son passé.

- Nous l'avons accueilli à bras ouverts, sourit Steve. Avec les années, elle est devenue un membre de la famille à part entière, notre quatrième enfant. Casi a su faire renaître en nous la joie et l'optimisme. C'est une jeune femme solaire, un modèle de courage.

- J'ai appris plus tard qu'elle avait claqué la porte de chez Williams et qu'elle les avait presque menacé de déclencher un véritable scandale s'ils osaient ne pas renouveler mon contrat, explique George.

- Tu aurais dû voir la fête que nous avons organisée quand elle a signé chez Red Bull ! Papa avait sorti ses meilleures bouteilles, c'est l'un de mes meilleurs souvenirs, assure Benjy.

Les Russell passent le reste de l'après-midi à lui raconter comment Casilia éclairait leur vie, à la manière d'un soleil. Ils noient Charles d'anecdotes tantôt hilarantes, tantôt touchantes et il ne lui en faut pas plus pour comprendre qu'à défaut d'avoir été une vraie famille de sang, ils avaient été, tout comme l'étaient les Schumacher, une famille de cœur.

Et quelque part, Charles est rassuré. Soulagé de savoir que même dans les moments les plus durs de sa vie, Casilia avait toujours eu une famille, une qu'elle avait choisie à défaut de celle qu'on lui avait donné. Elle avait toujours été merveilleusement entourée.

À vrai dire, il n'est pas réellement surpris. Ne dit-on pas que le bon amène le bon ? Casilia avait eu le meilleur, tant de bonheur.

Chacun y va de son anecdote, l'enterrement de vie de jeune fille de Cara aux allures de Very Bad Trip, la double fracture tibias et péroné de Benjy après qu'ils se soient lancés dans un duel de figures acrobatiques sur trampoline, la coiffure ratée de George qu'il avait dû cacher sous des casquettes pendant des semaines, les brunches du dimanche matin en famille et les célébrations par téléphone à chaque nouveau podium. Des dizaines de souvenirs dont on se rappelle avec le sourire et qui vous tire des larmes de rire à leur simple évocation.

Charles les écoute avec attention, un peu en retrait de la conversation. Celle qu'ils décrivent, c'est la Casilia qu'il a connue, celle qui aurait tendu la main même à son pire ennemi et qui aurait absolument tout mis en œuvre pour sauver une inconnue.

Délicatement, Carmen se glisse à ses côtés alors que les autres continuent de discuter, jamais à court de souvenir à raconter.

- Est-ce que ça va ? Elle demande.

Il hausse les épaules sans la regarder, les yeux portés sur le salon.

- C'est étrange de découvrir tout ça maintenant qu'elle n'est plus là, il explique. J'ai l'impression de ne pas avoir fait assez attention à elle, de ne pas lui avoir posé assez de questions.

L'Anglaise lui adresse un petit sourire compatissant avant de détourner, elle aussi, son attention sur le salon.

- Casilia était très secrètes à propos de sa vie privée, elle justifie. Elle faisait très attention à tout cloisonner. La famille de George ne voulait pas communiquer à propos du cancer de sa mère alors leur rapprochement aurait pu sembler étrange, elle est volontairement restée en retrait pour les préserver. Elle était du genre à vouloir protéger tout le monde.

- Vous étiez proches ?

- Pas autant que je l'aurai voulu, elle soupire. George et moi avons commencé à nous fréquenter en 2020, ils étaient déjà très proches à cette période-là et je suis vite devenue jalouse. George ne m'avait pas encore parlé de la maladie de sa mère et j'avais du mal à croire qu'ils ne soient pas plus que des amis. Ils étaient tout le temps fourré ensemble à cette époque, elle esquisse un sourire. Casilia l'a compris et elle a pris ses distances le temps que ma relation avec George se renforce et que nous officialisions. Puis les choses ont suivi leur cours et nous n'en avons plus jamais parlé, mais cette distance entre nous ne s'est jamais complètement effacée, elle faisait toujours plus attention quand j'étais là, elle était dans la retenue.

- Elle était très douée pour cerner les gens, souffle Charles. Je ne pense pas qu'elle t'en ait voulu.

- Je sais, mais j'aurais dû faire le premier pas, son regard ne quitte pas George. Elle les a maintenus unis dans la période la plus compliquée de leur vie, sans rien attendre en retour, simplement parce qu'elle en avait le pouvoir.

Charles hoche la tête pour montrer qu'il comprend et les deux se taisent, observant cette famille unie dans le souvenir de l'être aimé.

Finalement, quelques heures plus tard, il est sur le départ. Le soleil presque couché brille faiblement au travers des grandes baies vitrées soulignant de reflets dorés le grand jardin paysager.

Il embrasse les Russell, accueillant d'un sourire leur invitation à revenir dîner de temps en temps. Charles refuse à demi-mot, Casilia n'est pas vraiment morte dans leur esprit, elle est simplement partie plus en avant. Il peut encore sentir sa présence dans chacun de leur rire et il s'attend presque à la voir débarquer au détour d'un salon, jamais en retard pour l'heure du thé.

C'est une forme de deuil qu'il respecte à défaut de la comprendre. Le souvenir de son sourire rayonnant est encore trop persistant et parler d'elle au présent ne la fera pas revenir.

Casilia est morte, montée dans un avion qui n'atterrit jamais, il n'arrive pas à voir au-delà de cette vérité absolue qui trop souvent encore parvient à le tirer vers le fond.

Alors il se contente d'esquisser un sourire et de laisser George le raccompagner jusqu'à la porte d'entrée quand un détail lui saute aux yeux, debout sur le pas de la porte.

- Je n'ai pas salué ta mère, il retient George.

Un autre voile passe dans les yeux du pilote britannique et Charles commence à en avoir assez de ces non-dits qui semblent gangréner toute la famille. Cependant, il ne dit rien ravalant le fiel qui lui brûle la gorge.

- Elle doit être dans le jardin.

Le monégasque avise la fine pluie qui n'a pas cessé de tomber depuis le début de la journée avant de hausser les épaules et de rabattre sa capuche sur son crâne. Distraitement, il salue son camarade avant de se détourner.

- Tu peux revenir quand tu veux, Charles. Tu seras toujours le bienvenu, ajoute-t-il.

Charles se contente d'un simple merci, il n'est pas certain de vouloir revenir ici, pas tout de suite en tout cas.

Il se détourne simplement et prend la direction du grand jardin à l'anglaise. C'est un bel endroit que même la fraîcheur humide de l'hiver anglais ne parvient pas à départir de son charme. Il lui fait un peu penser au jardin berlinois de la jeune femme et il ne fait aucun doute que Casilia est passée par là, laissant sa marque profondément ancrée dans l'architecture de l'endroit.

Trouver madame Russell n'a rien de très compliqué, elle se tient debout en plein milieu d'un parterre de plantes, abrité sous un grand parapluie. Silencieusement, il la rejoint, prenant soin de ne piétiner aucun des bulbes qu'il peut discrètement voir pointer.

- Nous sommes au milieu d'un parterre de tulipes, commente simplement Alison. Casilia les a toutes plantées l'automne dernier.

Charles esquisse un bref sourire ému.

- C'étaient ses fleurs préférées, il souffle.

Le regard toujours désespérément fixé sur les plans à ses pieds, la femme se contente d'acquiescer, la mâchoire contractée.

- Ce sera magnifique dans quelques mois, un vrai paradis, sa voix chevrote.

- Elle aurait adorée, il approuve.

- Elle aurait dû être là pour le voir.

Charles ne dit rien, il n'y a rien à dire à cela.

- Je lui avais acheté des tulipes, il explique à la place. Des rouges. Pour pouvoir lui offrir à son retour. J'ai fait le tour de tous les fleuristes de Monaco pour pouvoir trouver des tulipes en décembre, il m'en fallait absolument. C'est la seule chose à laquelle j'ai pensé ce jour-là, trouver des tulipes rouges. Tout ça parce que je m'étais enfin décidé à lire un de ces stupides articles sur la signification des fleurs et que je comprenais enfin le message qu'elle essayait de me faire passer depuis des mois, il sourit.

- Des tulipes rouges... Du Casilia tout craché. Pourquoi dire les choses alors qu'on peut les répéter encore et encore avec un langage aussi joli que celui des fleurs ? Elle a toujours été trop futée pour nous.

- J'étais chez le fleuriste lorsqu'ils ont annoncé... Il n'arrive pas à le dire. Le bouquet doit encore être chez moi, quelque part, complètement fané...

- Tu sais, elle nous a demandé si elle pouvait venir avec toi au prochain repas de famille.

Surpris, Charles relève les yeux, emplis de larmes, vers la femme qui n'a pas bougé, contemplant toujours la végétation d'un air absent.

- Elle tient beaucoup à toi, ajoute-t-elle.

Il plisse les lèvres sans rien ajouter de plus. Charles n'a pas envie de s'étendre sur ses sentiments pour Casilia avec madame Russell. Peut-être un peu par pudeur, l'envie de garder pour lui seul les secrets de leurs relations. À la place, il tire de sa poche la petite enveloppe beige soigneusement préservée. Il s'approche juste assez pour profiter du parapluie et glisse la lettre dans les mains de la mère de famille.

- Casilia a laissé ça. Elle a écrit le nom de George, mais je crois qu'elle aurait aimé que je vous la donne.

Puis il recule d'un pas et se détourne pour partir avant de se stopper, les mots lui brûlant la gorge.

- Je ne suis certainement pas le mieux placé pour vous dire quoi faire et, sur de nombreux aspects, vous la connaissiez certainement mieux que moi, mais la retenir comme ça... Ce n'est pas sain et elle aurait détesté vous faire du mal. J'espère que vous trouverez le moyen de la laisser partir, moi, je n'ai pas encore réussi, mais je crois qu'elle mérite que l'on essaie.

Et il quitte le jardin sans se retourner, incapable de dire si l'eau sur le visage d'Alison Russell est salée.

Il quitte la demeure aussi vite que ses jambes le lui permettent, un goût amer dans la bouche et le cœur lourd de regret.

Casilia mérite qu'on la laisse s'en aller, mais il ne sait pas s'il aura un jour le courage d'abandonner l'avenir qu'il leur avait créé.



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Hello !

Un chapitre un peu particulier, à vrai dire, au moment où je le publie, je ne suis toujours pas certaine que vous allez l'aimer. Disons que j'ai pris un risque scénaristique !

Ce chapitre explore en profondeur la notion de déni, pas celui de Charles qui commence à sortir de cette phase, mais celui des Russell qui est extrêmement fort. Peut-être l'avez-vous remarqué, mais durant tout le chapitre, ils parlent de Casilia au présent, comme si elle était simplement partie et pas morte.

Je trouve que c'est une réaction compréhensible, bien que difficile à appréhender de l'extérieur. Disparaître dans un crash d'avion, c'est mourir et en même temps pas vraiment, il n'y a pas de corps, pas d'endroit où se recueillir. C'est très soudain, peut-être trop et une réaction humaine à ce genre de nouvelle, c'est de la nier. Les Russell vivent la disparition de Casilia dans leur bulle familiale, ils n'essaient pas d'y intégrer Charles et c'est pour ça que le fossé entre eux est si grand.

Je ne suis pas certaine d'avoir réussi à retranscrire mon idée de départ comme je le souhaitais, mais j'espère que vous aurez compris ma réflexion et l'endroit où j'ai essayé de vous amener.

Le chapitre de la semaine prochaine est mon préféré ! Je le relis dans mon coin en attendant de pouvoir vous le montrer haha ! Alors je vous préviens, vous allez rire et vous allez pleurer, mais vous allez adorer parce que je ne vous offre pas un, mais deux pilotes !

À vendredi ! 

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