𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟎𝟒
— 𝐀 𝐅 𝐓 𝐄 𝐑 𝐋 𝐈 𝐅 𝐄 —
« 𝐒𝐢 𝐭𝐮 𝐬𝐚𝐯𝐚𝐢𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐣𝐞 𝐭'𝐚𝐢𝐦𝐞, 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐭𝐮 𝐞𝐬 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐚̀ 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞, 𝐭𝐮 𝐧'𝐨𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐚𝐬 𝐭'𝐚𝐛𝐬𝐞𝐧𝐭𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐬𝐞𝐮𝐥 𝐦𝐨𝐦𝐞𝐧𝐭, 𝐭𝐮 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐭𝐨𝐮𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐚𝐮𝐩𝐫𝐞̀𝐬 𝐝𝐞 𝐦𝐨𝐢, 𝐭𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫, 𝐭𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞. »
- 𝐕𝐢𝐜𝐭𝐨𝐫 𝐇𝐮𝐠𝐨
𝟖 𝐌𝐚𝐢 𝟐𝟎𝟐𝟐
𝐀𝐮𝐭𝐨𝐝𝐫𝐨𝐦𝐞 𝐈𝐧𝐭𝐞𝐫𝐧𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥 𝐝𝐞 𝐌𝐢𝐚𝐦𝐢
𝐅𝐥𝐨𝐫𝐢𝐝𝐞 – 𝐄𝐭𝐚𝐭𝐬-𝐔𝐧𝐢𝐬
- Embrasse-moi !
- Quoi ?!
Autour d'eux, l'orage éclate et le tonnerre gronde, couvrant le son de leurs voix. Debout au milieu du paddock, face à face sous une pluie déchaînée, Charles et Casilia s'affrontent du regard.
Au loin, tout le monde les attend pour débuter le podium et la pluie battante de cette fin d'après-midi n'entame en rien la ferveur du public qui attend fébrilement que les pilotes viennent soulever leurs trophées amplement mérités.
Charles est sorti de sa voiture hors de lui, frustré qu'une grossière erreur de stratégie lui arrache la pole position qu'il est pourtant certain d'avoir mérité. Plus loin, Casilia célèbre sa victoire, riant aux éclats alors qu'elle est secouée par les membres de son équipe qui la porte en triomphe. Leurs yeux s'accrochent le temps d'une seconde et le monégasque lui lance un regard mauvais qui fane légèrement le beau sourire de la jeune fille.
En vérité, il n'est pas en colère contre elle, Red Bull a été meilleur, elle a été meilleure et si la victoire s'était jouée uniquement sur leurs qualités de pilotes, il serait sans doute aller la féliciter. Mais voilà, aujourd'hui, la victoire n'a rien à voir avec le talent et c'est une erreur humaine qui l'empêche d'atteindre la plus haute marche du podium.
Charles n'a pas la tête à la fête, il n'arrive pas à se contenter de l'argent lorsqu'il a frôlé l'or du bout des doigts. Rapidement, il expédie la pesée et reste éloigné des journalistes qui le harcèlent de questions auxquelles il n'a pas envie de répondre. Il accueille avec soulagement l'orage qui éclate soudain au-dessus de leur tête et qui a au moins le mérite de disperser la foule agglutinée autour de lui.
C'est sur le chemin du podium qu'elle l'arrête, agrippant son bras de ses mains si petites qu'il se demande parfois comment elle arrive à manier le volant de sa monoplace. La pluie s'abat sur eux, alourdissant leurs combinaisons, mais il n'en a rien à faire, le regard perdu dans les yeux de Casilia qui le dévisage avec colère.
L'information met quelques instants à monter jusqu'à son cerveau et le sang du monégasque ne fait qu'un tour alors qu'il la traîne sans ménagement jusqu'à une allée déserte, loin des caméras et d'éventuels regards curieux. Là, il la lâche, presque comme si elle l'avait brûlé et il recule d'un pas, lui donnant silencieusement le temps de se rétracter. Mais c'est mal connaître Casilia.
- Embrasse-moi, elle insiste.
- Mais qu'est-ce qui te prend tout à coup ? Il questionne, surpris.
Agacée, elle repousse ses cheveux mouillés en arrière et s'adosse contre le mur, les bras croisés sur sa poitrine, une mine renfrognée plaquée sur son visage d'habitude si souriant.
Et si Charles note la manière dont sa combinaison souligne la finesse de sa taille, la manière adorable dont son nez se fronce sous le coup de la colère et la longueur indécente de ses cils lorsqu'elle lève les yeux au ciel, c'est uniquement parce qu'il est observateur.
- Oh parfait ! Tu veux la jouer comme ça ?!
- Peut-être que si tu commençais par m'expliquer...
Les yeux plissés de fureur, elle décroise les bras et s'avance jusqu'à enfoncer son index dans le sternum du pilote qui recule pour ne pas envenimer la situation. Bientôt, il se retrouve dos au mur et jette des regards autour d'eux, s'assurant que personne ne puisse immortaliser l'instant.
- Si tu crois que je vais supporter ton indécision encore longtemps, tu te fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude, fulmine-t-elle.
Elle ponctue sa phrase de quelques insultes en allemand que Charles est bien incapable de traduire et il lève les bras au ciel en signe de paix.
- Écoute Casi, il tente. Tu devrais te calmer, je suis sûr qu'on peut en discuter et...
- C'est la meilleure !
Révoltée, elle s'écarte et commence à faire les cent pas devant lui, les points sur les hanches et les sourcils froncés, adorable.
Finalement, elle relève vers lui un regard où domine à présent l'incertitude et une pointe de ce qu'il croit être de la peur ?
- Tu n'as pas envie de m'embrasser ? Elle hésite.
Elle s'écarte un peu plus et il n'a pas le temps de répondre qu'elle reprend, la pluie peinant à dissimuler son regard mouillé.
- Oh Charles, je suis tellement désolée, s'excuse-t-elle mortifiée. Ça fait des semaines qu'à chaque fois que je te regarde, tu me regardes aussi et j'ai pensé que... enfin que peut-être tu... Oh, mon Dieu, j'ai été tellement stupide, je me suis fait des idées, s'il te plaît excuse-moi, elle balbutie.
- Casi...il commence.
- Non ! Non, tu n'as rien à dire, vraiment, je me suis fait des films, tu n'y es pour rien. Est-ce qu'on peut faire comme si ce n'était pas arrivé ?
Elle continue de déblatérer dans son coin sans le regarder dans les yeux, les joues rouges de hontes. Charles n'y tient plus et esquisse un sourire moqueur tout en se décollant du mur pour la rejoindre. Du bout des doigts, il épingle son menton délicatement et incline son visage vers le haut tandis que son autre bras s'enroule autour de sa taille.
Sans lui laisser le temps de rouspéter, il joint leurs lèvres, approfondissement légèrement lorsqu'il se rend compte qu'elle ne réagit toujours pas. Et puis soudainement, comme si elle reprenait vie, ses deux petites mains encadrent le visage du monégasque et elle lui mord la lèvre avant d'ouvrir la bouche pour lui donner l'accès.
- Espèce de sale petit...marmonne-t-elle avant d'abandonner.
Charles ricane contre ses lèvres et enroule ses bras solidement autour d'elle, s'enivrant du goût divin de ses lèvres alors qu'elle laisse échapper un soupir fébrile, ses doigts fourrageant dans les cheveux du pilote.
Doucement, il caresse le contour de sa mâchoire du bout des doigts tout en espaçant progressivement le nombre de ses baisers, diminuant leur intensité jusqu'à reculer, effleurant une dernière fois ses lèvres avides de plus.
- Allez championne, tu as un trophée à aller chercher.
- Pas envie...elle marmonne-t-elle.
Sur la pointe des pieds, elle lui vole un nouveau baiser et il a toutes les peines du monde à s'arrêter, plongeant son visage dans son cou alors qu'elle caresse de la pulpe des doigts la peau sensible de sa nuque. Cédant à la tentation, il dépose le long de sa gorge une ligne de baisers enflammés, s'arrêtant juste sous son oreille pour murmurer tendrement.
- Profites-en, c'est ton moment et puis tu n'auras aucune chance la prochaine fois alors autant que tu saches ce que cela fait.
Malicieuse, elle s'écarte pour le regarder dans les yeux.
- Aucune chance, vraiment ? N'est-ce pas un peu présomptueux ? Je ne te voyais même pas dans mon rétroviseur toute à l'heure...
Faussement outré, il hausse les sourcils tandis qu'elle s'extirpe souplement de son étreinte, reprenant la route vers le podium.
- Tu abuses. J'étais trois secondes derrière toi, il ricane.
- Ah bon ? Alors c'était trois longues secondes.
Elle lui adresse un clin d'œil moqueur et aucun des deux ne parle de ce qu'il vient d'arriver, mais Charles n'est pas inquiet, après tout, l'intérêt est partagé. Pour le moment, ils ont un podium à célébrer et des fans à contenter, ils auront tout le temps de discuter plus tard, seuls, dans une chambre, à l'abri des regards.
Le sourire ne quitte pas ses lèvres alors qu'il la regarde avancer, sa longue tresse balançant au rythme et ses pas et Charles se surprend à relativiser.
À défaut d'avoir eu le Grand Prix, il a eu la fille.
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𝟏𝟖 𝐉𝐚𝐧𝐯𝐢𝐞𝐫 𝟐𝟎𝟐𝟑
𝐐𝐮𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞𝐫 𝐏𝐫𝐞𝐧𝐳𝐥𝐚𝐮𝐞𝐫 𝐁𝐞𝐫𝐠
𝐁𝐞𝐫𝐥𝐢𝐧 – 𝐀𝐥𝐥𝐞𝐦𝐚𝐠𝐧𝐞
Le séjour initialement prévu chez Pierre s'avère finalement bien plus court que prévu puisqu'à peine quarante-huit heures après son arrivée, il reçoit un appel de l'ancien manager de Casilia. Et le voici à présent, tendu et hésitant, debout devant la porte de la maison qu'elle habitait dans le centre de Berlin.
L'endroit est charmant, l'hiver glacial et pluvieux de la capitale allemande ne rend pas hommage à la beauté des lieux et il se rappelle parfaitement d'avoir passé des jours et des nuits inoubliables dans le petit jardin pavé de fleurs et d'arbres fruitiers. Casilia aimait tellement cette maison et ce jardin qu'elle était allée jusqu'à embaucher un jardinier à temps plein pour s'occuper de ce petit coin de paradis à l'écart du monde et de la pression qu'elle subissait.
Aujourd'hui, alors qu'il revient ici pour la première fois depuis de longs mois, Charles ne retrouve rien de l'endroit de ses souvenirs, cette constatation lui pince le cœur alors qu'il hésite avant de frapper à la porte.
Il reconnaît sans mal la femme de ménage qui vient lui ouvrir et le laisse entrer. Ils se sont déjà rencontrés plusieurs fois quand il venait voir Casilia, mais il ne se rappelle pas son prénom et n'a pas la force de le demander lorsqu'il remarque qu'elle éponge discrètement ses yeux mouillés. La tête basse, il se contente de la suivre dans les couloirs de cet endroit qu'il connaît par cœur, mais qui lui semble aujourd'hui si étranger.
Autour d'eux, plusieurs personnes s'activent, remplissant de grands cartons, vidant l'endroit de toute trace de Casilia. Charles n'a pas envie d'être ici, pas quand chaque objet sur lequel il pose le regard ne fait que lui rappeler l'abominable vérité.
Il ne veut pas se rappeler de cet endroit sans Casilia, vide et sans âme, il préfère se souvenir de la vie, des rires et de ces moments merveilleux qu'ils ont passés ici, ensemble, loin du monde.
S'il ferme les yeux assez forts, il arrive à la voir, allongé dans le canapé, riant aux éclats ou pleurant à chaudes larmes devant un film quelconque, danser dans le salon et faire l'amour dans chacune des pièces sans jamais penser qu'un jour, tout cela appartiendrait au passé.
- Bonjour Charles, je suis content que tu sois là.
Le monégasque inspire rapidement avant de se tourner vers Adrian Neumann et d'esquisser un bref sourire. Adrian et sa femme Bianka avaient été les managers de Casilia depuis ses débuts dans le sport automobile, un peu comme des parents de substitution.
Ils avaient toujours été très proches tous les trois et Casilia avait été incapable de leur cacher sa relation avec lui. Et même si les Neumann s'étaient d'abord montrés très protecteurs et retissant, ils ne s'étaient jamais opposés à leur histoire. Ils s'étaient donc croisés à de nombreuses reprises, tissant progressivement des liens amicaux jusqu'à ce qu'il soit, en quelque sorte, accepté dans la famille.
Bianka et Adrian avaient aussi été les gardiens de leur secret, éteignant systématiquement à grands coups de chantage et de pots-de-vin toutes les rumeurs d'un éventuel couple entre les deux pilotes superstars. Charles sait que si leur couple a pu perdurer aussi longtemps loin des projecteurs, c'est en grande partie grâce à eux.
- J'ai hésité, admet-il.
Adrian esquisse un sourire compatissant, ses yeux balayant d'un air perdu l'endroit qui, cartons après cartons, devient un peu moins la maison de Casilia.
- Je me doute, soupire-t-il. Bianka... Bianka ne sort plus de la maison depuis que c'est arrivé... Elle s'en veut terriblement et j'ai beau lui dire qu'elle n'y est pour rien, je ne suis pas certain qu'elle arrive un jour à s'ôter la culpabilité d'avoir acheté ce billet.
Charles détourne le regard sans savoir quoi dire.
- Vous lui passerez le bonjour, tente-t-il maladroitement.
Adrian esquisse un pauvre sourire.
- Je suis sûr qu'elle en sera contente, approuve-t-il. Et toi ? Comment vas-tu mon grand ?
Les yeux fixés sur le tapis qu'il se rappelle avoir acheté avec elle, Charles prend quelques instants pour réellement réfléchir à la question de l'Allemand. Comment va-t-il ?
- Honnêtement, je ne sais pas, mieux, je crois ? Je n'arrive pas à me dire qu'elle n'est plus là, je le sais pourtant, mais c'est comme si mon corps refusait de l'admettre. Parfois, je vois quelque chose qui me fait rire, je me retourne pour lui dire...et puis je me rappelle qu'elle n'est plus là. Elle n'est plus là et pourtant elle est partout, c'est douloureux.
La main d'Adrian presse son épaule avec douceur, comme pour lui montrer qu'il comprend, qu'il partage ses sentiments et Charles a du mal à imaginer que quelqu'un puisse souffrir autant que lui.
C'est, sans aucun doute, égoïste, mais il a parfois besoin de se raccrocher à ce sentiment, savoir qu'il était le plus proche d'elle et que par extension, il est celui pour qui la peine est la plus violente, ça lui fait du bien.
- L'autre jour, Forrest Gump passait à la télé, confie Adrian. Je l'ai appelé pour lui demander si elle allait regarder, c'était son film préféré. J'ai laissé un message en lui disant de me rappeler et puis je me suis rappelé...
Charles serre la main toujours posée sur son épaule en signe de soutien alors que le regard de l'Allemand et perd dans le vide plusieurs secondes.
De l'autre côté de la maison, le bruit d'une porte qui claque le sort de sa torpeur et il ferme les yeux une seconde, le temps de se reprendre et de revenir à l'instant présent avant de relever les yeux vers le Monégasque.
- Je suis désolé de t'obliger à revivre ça, mais nous sommes en train de vider la maison. Casilia a décidé de la léguer à une association, mais on a retrouvé des affaires à toi alors peut-être que tu veux les récupérer. On n'a tout laissé dans la chambre si tu veux y aller...On peut aussi demander à quelqu'un de les descendre ici, mais, je...Je n'ai pas eu le courage de monter là-haut...
De nouveau, il lui adresse un pauvre sourire et Charles tourne la tête en direction de l'étage où se trouve la chambre de Casilia. Il déglutit avec difficulté, acquiesçant vaguement lorsque qu'Adrian lui dit qu'il peut prendre tout le temps qu'il lui faut avant de le laisser en bas de l'escalier, un pauvre carton pour seul soutien de la tête pleine de souvenirs qu'il s'apprête à balayer.
Doucement, il monte les escaliers, évitant par habitude les marches qui grinces comme toutes ces fois où il ne voulait pas la réveiller. Sa respiration se bloque et il pose son front contre le battant de la porte.
La chambre est exactement comme dans son souvenir, attendrissante, bordélique, vivante, Charles à le cœur au bord des lèvres alors qu'il caresse du bout des doigts le bureau où s'entassent cahiers de notes, photos et morceaux de vie. Devant la grande armoire traîne des piles de vêtements jetés à la va-vite sûrement en faisant sa valise pour l'Asie. Le lit est défait et un pyjama en boule est glissé sous l'oreiller, comme si elle n'était jamais partie.
Comme si elle allait revenir.
Charles n'ose rien toucher, tout est à sa place, sa veste laissée sur le dossier d'une chaise, sa paire de lunettes sur la table de chevet, une copie de son planning accroché au-dessus du lit et la photo d'eux deux prise quelques mois plutôt pendant les vacances, sa préférée, celle où il l'embrasse devant la grande pyramide de Gizeh.
Avec précaution, il décroche doucement le cliché qu'il pose au fond du carton. Il commence doucement à comprendre qu'il n'est pas venu chercher ses affaires, mais les souvenirs de leur vie à deux. Les souvenirs que Casilia avait d'eux.
Dans cette chambre qui a abrité quelques-uns des plus beaux moments de sa vie, Charles à l'impression que le temps a cessé de s'écouler. Allongé dans le lit, le nez enfoncé dans l'oreiller qui porte son odeur, l'un de ses t-shirts qui lui servait de pyjama pressé contre le cœur, il n'ose pas fermer les yeux, trop occupé à graver dans sa mémoire chaque détail de cet endroit destiné, lui aussi, à disparaître.
Une pression dans le bas du dos l'empêche de profiter pleinement de l'instant et il pousse un soupir agacé tandis que ses doigts partent distraitement à la recherche de l'objet incriminé. Lorsqu'ils se referment sur une matière douce, pelucheuse, il hausse les sourcils de surprise avant de ramener à lui quelque chose qu'il n'aurait jamais cru revoir un jour.
Sous ses yeux, tout décousu et de mauvaise qualité, un œil en plastique à moitié arraché, se tient un ourson en peluche à qui il aurait donné le monde. Sans qu'il ne cherche à les retenir, les larmes débordent tandis qu'il ferme les yeux, la petite peluche serrée au creux de son cœur.
D'aussi loin qu'il se souvienne, Casilia avait toujours eu un attrait particulier pour les clichés, un week-end, elle avait réussi l'exploit de le traîner dans une fête foraine. Ils avaient passé l'après-midi et une partie de la nuit à s'y promener, cachés derrière leurs casquettes et leurs lunettes de soleil. Ils avaient dépensé sans compter, essayés toutes les attractions et Charles ne se rappelle pas d'avoir autant ris de toute sa vie. Puis elle l'avait tanné pour qu'il lui gagne une peluche, c'était si cliché, surtout qu'elle était bien meilleure que lui aux jeux d'adresse.
Mais Casilia ne voulait pas gagner une peluche, elle en voulait une qu'il aurait gagné pour elle. Alors il s'y était plié essayant encore et encore jusqu'à ce que le gérant du stand ne le prenne en pitié et ne lui offre cet horrible ours en peluche à la fourrure délavé.
Évidemment, elle l'avait adoré, c'était tellement cliché, c'était parfait. Il avait proposé de lui en offrir un plus beau, digne d'elle, mais elle avait refusé. Il ne savait pas qu'elle l'avait gardé, lui offrant une place si proche de son cœur.
Secoué par les sanglots, il colle la peluche contre son visage, la petite truffe en plastique pressée contre son front et il inspire lentement. Petit à petit, l'ourson s'aspire ses larmes, Charles retrouve son souffle et, avec la douceur de ceux qui manipulent les plus précieux des trésors, il tente de brosser la fourrure abîmée.
Lorsqu'il se sent prêt, il la dépose au fond de la boite, juste à côté de la photo qui accroche de nouveau ses prunelles et il jette un regard à l'endroit. C'est la toute dernière fois qu'il vient ici et il n'est pas certain d'être prêt à dire adieu à cette part de Casilia, mais il sait aussi qu'il n'a pas le choix.
Alors il prend le temps, une à une, il décroche les photos placardées sur les murs, il feuillette les notes, souriant devant les traces de son esprit vif et de ses penchants hyperactifs, des petits dessins de monoplaces gribouillés dans les marges de ses carnets à ses réflexions griffonnées avec application.
Il ne prend pas tout, juste ce qu'il lui faut, de quoi se rappeler, ne pas oublier une fois que le temps aura fait son effet.
Debout, devant son armoire, il sélectionne quelques vêtements et laisse les siens de côté. Il essaie tant bien que mal de faire tenir tout ce qu'il aimait chez elle dans cette petite boîte, les souvenirs, les rires, les larmes aussi, parfois.
Puis finalement, au bout d'un long moment, il se sent prêt. Le carton fermement serré dans ses bras, il s'adosse à la porte et bois et embrasse une dernière fois du regard cette pièce dans laquelle il ne reviendra pas.
Il aimerait dire qu'une page se tourne, qu'elle l'aide à avancer, la vérité, c'est qu'elle ne fait que lui rappeler ce qu'il a perdu, ce qu'il n'aura plus jamais, ce que rien n'y personne ne pourra lui ramener.
Mais il est heureux d'être venu, de pouvoir dire adieu à cet endroit à défaut de dire adieu à Casilia.
Lentement, il inspire l'odeur des souvenirs, referme la porte derrière lui et descend l'escalier sans jamais se retourner. Il retrouve Adrian dans le salon affairé avec les ouvriers.
- Tu as tout ce qu'il te fallait ? Demande celui-ci.
- Je crois, oui.
- C'est bien, j'en suis heureux. S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour toi surtout n'hésite pas à...
- Qu'est-ce que vous allez faire maintenant ? Bianka et toi ? Interrompt-il.
Le demi-sourire d'Adrian se fane lentement et il hausse les épaules d'un air peiné.
- Je ne sais pas. Je crois qu'on a besoin de temps, mais on ne prendra pas de nouveau pilote... Tout recommencer, c'est trop dur. Je crois qu'il faudra que l'on trouve autre chose, conclut-il.
Charles lui adresse un sourire compatissant.
- J'espère que vous trouverez, je ne crois pas qu'elle aurait voulu que vous arrêtiez de vivre à cause d'elle.
- Oh non, rit Adrian. La connaissant, elle aurait même été folle de rage.
Le Monégasque esquisse un petit sourire amusé, en effet, c'est du Casilia tout craché.
- Tu veux que je te dépose quelque part ? Propose Adrian.
- Non, merci. Je crois que j'ai besoin de marcher un peu.
- D'accord, il hésite. Charles, si un jour tu as besoin de quelque chose, n'importe quoi, n'hésite pas.
Le pilote sourit doucement avant de prendre la direction de la porte. Cependant, avant de quitter la pièce, il ressent soudain le besoin d'ajouter quelque chose. Aussi, il se retourne et tombe dans le regard curieux d'Adrian qui ne l'a pas quitté des yeux.
- Vous savez, commence-t-il. Elle n'arrêtait pas de dire à quel point elle avait de la chance de vous avoir et que sans vous, elle n'aurait sans doute jamais réalisé son rêve de devenir pilote. Alors, merci pour ça, merci de nous avoir donné une chance de connaître Casilia.
Les yeux d'Adrian brillent d'émotion alors qu'un premier vrai sourire étire les lèvres de l'Allemand et Charles se sent soudainement gêné alors il détourne le regard, par pudeur.
Et lorsqu'il quitte la petite demeure berlinoise, Charles ne se sent pas mieux, il n'a pas l'impression d'avoir avancé, ou tourner une page. Mais les derniers mots d'Adrian ne cessent de tourner dans son esprit, réchauffant subtilement son cœur meurtri.
- Et moi, je suis heureux qu'elle soit tombée amoureuse de toi, Charles. Merci de l'avoir rendue heureuse.
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Casilia était une personne incroyable <3
Je suis contente d'avoir écrit ce chapitre qui n'était pas dans le plan de départ. Même s'il ne s'y passe pas grand-chose techniquement parlant, je suis contente de pouvoir ajouter un peu plus de profondeur et de détail à son personnage et à la vision que Charles avait d'elle.
C'est aussi pour moi l'occasion de donner un peu de répit à Charles qui a été très fortement secoué par le début de son périple et d'aborder la question de l'après qui est quand même le titre de l'histoire haha. Qu'arrive-t-il à nos affaires, à nos biens, à ce qui nous donne une emprise sur le monde après notre mort. Casilia avait des managers, elle avait une maison, elle était réelle et tout n'a pas subitement disparu parce qu'elle est morte.
Alors, oui, ceci est une fiction et peut-être qu'en faire tout un chapitre, c'est un peu trop, mais je suis le genre d'auteur qui aime particulièrement être au plus proche de la réalité et j'ai beaucoup aimé réfléchir à cette question. J'espère que vous n'aurez pas trouvé ça trop ennuyeux haha
La semaine prochaine, nous découvrirons un nouveau pilote, une nouvelle lettre qui n'en est pas vraiment une et un sujet d'actualité qui me tient beaucoup à cœur alors j'espère que vous êtes prêt !
Bonne course et joyeux Hunger Games à tous haha !
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