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ACHLYS | CHAPITRE 32
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk, 08 Décembre 1504.
- U -
Les babillages d'un Jeong-Guk, encore peu bipède, déchiraient les cieux de l'hiver. Une quinzaine d'années plus tôt, déjà, je nourrissais une rage fulgurante, celle d'un nourrisson qui réclamait l'adoption. Mes joues rosissaient de ces jours passés au vent puis de cette rencontre qui offrit issue à un sanglant récit entre une mère et son fils. Au sortir du couffin, mes orbes se plissèrent et ne discernèrent au flou que la silhouette de jais d'une presque trentenaire qui, je l'ignorais encore, allait éconduire mon existence entière. Sa dentition m'apparut tendrement ; la brume se dissipa à ses caresses tandis que je perçus, du bout de sa langue, l'articulation du nom qui serait finalement le mien.
"Jeong-Guk, le pilier de la nation", elle susurra.
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Un soubresaut, mes paupières joignirent la sombre clarté de ma cellule. Je m'éveillai d'un rêve, le même depuis un mois. Un râle flatta ma gorge, je me redressai peu à petit, avachi contre la cloison orgiaque de ma prison de rouille. Je m'essoufflai ; mon charnel endolori m'empêchait à la droiture de ma colonne ; mes membres, je pus en faire cas, restaient sous les gazes nombreuses. Mon sang s'était asséché et lorsque j'élevai mon oeil éteint au plus-haut, la date journalière me rattrapa. Cela faisait trente-six jours, tout juste, sur la paille lacérante. Les événements naguères me restaient au frais et nombreuses images s'agissaient de l'incessante torture, de la violence des maux jetés au hasard avec Sa Majesté, puis de ma subite perte de connaissance. Dès lors, on me refusait la liberté et je réalisais, un peu rancunier, que le Kim ne donnait pas d'accord à cela. Bientôt, il atteindrait la majorité et alors, il serait en droit entier de se débarrasser des ministres, de sa mère qui arrangeait toutes les décisions selon son vouloir, de son frère aussi. Tae-Hyung, véritable et unique fils de celle qui fut ma seule mère, je l'acceptais avec peine. Or, je me plus au rappel que nous n'étions finalement pas d'un sang pareil ; j'en paraissais le plus heureux. Le regard au vide, je me rembrunis si vite en songeant qu'il ne demeurait au rien, finalement ; ni mon frère ni mon amant, quelle répugnance.
Je crachai au plus loin de mon cachot alors que des pas s'entendirent en écho aux parois. Je ne cillai guère mais aperçus les bottes du soldat au-derrière de mes barreaux. Le tintement métallique de son trousseau de clés suffit à me faire réhausser le chef, il m'ouvrit sous ma surprise.
- Sors, tu es libre.
Il lança à la dérobée.
Je ne réagis pas, ébloui par les dires saints du géôliers, il s'agaça et partit en jurant de son dard malin. J'entrouvris la bouche ; nul n'en sortit tandis qu'un millième de questions sillonnaient mon esprit, toutes si tournées vers lui, le Kim. Ma langue poussa l'intérieur de ma cavité et je songeai, il me fallait voir Ga-Ram comme à chaque temps qu'il me fallait lui demander ses projets. Avec mal, je me mis sur pieds en m'aggripant férocement au pan de mur aux côtés. Je flageollai, mes jambes, côtonneuses. Et lorsque j'atteignis le blanc du dehors, je m'accordai une minute pour inspirer de grandes bouffées, paupières plissés. Au-dessus, le temps changeait et là, semblait planer une nuée obscure qui m'obstruait la vue.
J'errai jusqu'aux portes, je traînai la patte sur la place publique où je crus voir ma vie défilée sur les gravats jonchés de ma peur. Aujourd'hui, tout restait si terne comme si personne n'habitait plus les lieux depuis cette journée de cris étouffés. Je pus distinguer quelques eunuques et dames puis le poids d'un regard de fauve sur ma marche mortuaire. Je me renfrognai, de grimace ; à l'impossibilité de lui offrir une oeillade. Ainsi, je devinai la tristesse de sa face, la colère de ses membres, le déçu de ses ambres, et son coeur s'apaisant au rythme de mes pas s'éloignant.
Je n'aurais jamais gagné le droit de sortir s'il n'avait pas été le roi, j'étais reconnaissant.
Au seuil des battants, je m'immobilisai et me laissai tourner lentement avec la seule espérance que mes sombres rencontrèrent ses iris. Espoir réduit à poussière, je déglutis, je ravalai mes pleurs ; il était parti.
La cour, je n'y reviendrais pas, certainement. Ma vengeance fut, et j'avais la connaissance du véritable sort de ma mère - la sienne. La paix, je ne la décrochais pas encore et je ne le pourrais pas en ces lieux. J'avançai, ainsi, avec une conviction vague que cela restait ce qu'il y avait de mieux à faire. Pas d'affaires à reprendre au dortoir, ma mauvaise conscience me consumait et... Putain, ce que c'était douloureux.
Ga-Ram non plus, lorsque je le vis, écroulé sur la table de notre sous-sol, ne suffit plus à me donner quelconque envie de lui demander des comptes. Il m'observait, à l'entrée et à la chancelle. Sa ride lionesque se creusa, curieuse et inquiète. Certainement pas à mon propos. Il vint à moi de nonchalance et m'aida à m'asseoir malgré l'indiscrétion des membres de la rébellion. Je souffrais, c'était atroce comme jamais ce ne fût le cas. J'émis des plaintes peu modulées avec l'infime puis grande volonté que crever, à présent, ne me serait plus si fatal.
- Jeong-Guk... Jeong-Guk, tu m'entends ?
Shin Ga-Ram se rassura.
- Ça fait plus d'un mois que personne n'a de nouvelles. Que t'est-il arrivé au juste ? On m'a dit que tu avais été emprisonné.
Et mima un quelqu'un qui ne savait rien de quel avait été mon sort ces dernières semaines. Ma tête me lança.
- Rien... Rien de particulier, c'est juste...
Je malmenai ma lèvre du bas, je réprimai mes larmes. Je reniflai mais trop tard, je larmoyai. Les sanglots échappèrent à ma gorge, mon aîné s'en situa surpris et de gêne à ma subite vulnérabilité que je ne donnais à voir à personne. Je le laissai me serrer tout contre lui ; et à cette enlace désespérée s'ajoutèrent mes mains qui s'accrochèrent follement à ses haillons. Dans chacune des parcelles de ma peau, je sentis les pulsations de mon palpitant écorché. Le calvaire de l'esprit se poursuivait, encore et toujours si intense.
- La torture ne te réussit pas, mon grand, taquina l'indocile. C'était si pénible que ça ?
- Ferme-la, Ga-Ram. Pour une fois... Tais-toi...
Ses bras se resserrèrent autour de mes épaules et notre étreinte perdura. Des spasmes plus tard, il prit un écart et me saisit par les bras en ancrant franchement mon regard rougi dans la détermination du sien.
- Guk, dis-moi ce qu'il se passe.
- Tu... Tu vas vraiment le tuer ? couinai-je en le tenant au col.
Tae-Hyung.
Silence coupable.
- Tu l'aimes vraiment, hein. Tu as fait cette comédie pour m'implorer ?
- Fais-le, Ga-Ram. Massacre-le si ça peut soulager ton orgueil mais tu es prévenu, c'est toi que je poursuivrais pour te crever. Kim Tae-Hyung m'exècre mais la vérité est que je l'aime tellement que je sacrifierais ma vie pour lui.
Pour lui, cette ensorcelante guimauve.
- Et lui, serait-il prêt à faire ce sacrifice pour toi ? Enfin, j'entends bien ce que tu me dis, et je te prends aux mots.
À sa demande, j'ouïs un son de pas au plus près des vasistas. Je fus le seul à le distinguer tandis que Ga-Ram, mon aîné frère, me dévisageait sans l'once de compassion. Abruptement, je délaissai son habit et le considérai, si amer.
- Je ne peux pas m'arrêter là, Jeong-Guk. Après tout ce que j'ai fait, ce serait trahir tous nos amis dont la vie a été prise, tu comprends ?
- Arrête, tu veux seulement satisfaire ta fierté, je te connais.
- Aussi, je l'admets. Bon, écoute bien. Je t'offre une chance de nous aider à nous débarrasser de lui rapidement sinon je m'en occuperai et je peux t'assurer que ce ne sera pas très doux, je suis enragé.
- Tu as changé, je ne te reconnais plus.
Ses rotules scapulaires roulèrent, mes sombres se scellèrent. Juste un instant, juste le temps de panser sa menace. Je trouverais un moyen, je songeai. Tae-Hyung, je le protégerais... Parce que j'en avais perdu deux, et que deux étaient bien de trop. Je lui offris ma vue sans faire fi de mes pommettes vermeilles qu'il nettoya d'un tendre revers.
- C'est le monde qui a changé, pas moi. Je n'ai fait que m'adapter.
- Ou montrer qui tu es réellement.
- Quelle importance. Nous avons eu cette discussion trop de fois, qu'on en finisse avec ce régime absurde, une bonne fois pour toutes.
Tout paraissait être au calme tempétueux. Une angoisse se forma à ma trachée et si je n'étais déjà si épuisé, alors sans doute, je dégorgerais l'acide qui inquiétait mes parois ventrales. En quittant le bâtiment de ruines, je me bloquai à un carrefour sur lequel je me mis à une réflexion. Je ne progressai pas, je m'avachis, tête douloureusement entre les mains qui priaient à mes amygdales de ne pas m'abasourdir de ces désagréables souvenirs : ceux d'il y a cinq semaines et ceux d'il y a cinq minutes. Nulle part où me rendre ; or, mon tout-entier me le hurlait incessamment.
Le retrouver. Et qu'on en finisse, une bonne fois pour toutes.
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Les palatiaux demeuraient dans un obscur déferlement de paix. Leurs intérieurs, cheminés de lanternes, me prêtèrent la face étonnée de Sa Majesté ainsi qu'une peine profonde. Aucun ne s'attendait à mon ainsi revenir ; pourtant, je me conduisis là. Son oeil ambré me transperça, me sonda et songea, alors, à la raison qui m'invitait ici avec tellement de dévotion. Lestement, je me défis de mon armement, mon jingum, mon arc à mon dos et je les laissai à ses pieds. Ses lèvres, sur lesquelles je m'attardai non sans la discrétion, s'ouvrirent sans que nulle parole n'en sortit. Je réhaussai le regard et parcourus sa physionomie divine. Ses boucles éternellement brunes lui tombaient à ses yeux dorés et dès lors, le désir de glisser mes doigts dans son épaisseur chevelue me prit. Je chassai mon envie ; je ne faiblirais plus.
- Te voilà.
Il amorça de son timbre sans fioritures. Un mois depuis que je ne l'avais plus entendu me caresser le lobe, j'acquiesçai seulement sans n'avoir idée de quoi rétorquer à cela. En moi, le chaos. Ga-Ram resterait davantage le plus fort, je ne le nierais pas alors que ses mots pénétraient inlassablement mes sentiments.
- Me voilà.
Je répétai, sans âme.
- J'ai cru que tu ne reviendrais pas... J'ai eu si peur...
- Tu as toujours peur, Tae-Hyung, ce n'est pas nouveau.
- À t'entendre, on dirait que ça ne t'arrive jamais.
- Si, bien sûr. Tout le temps.
Et le Jeong-Guk de la veille ne l'admettrait pas.
- Tu te moques de moi ? reprit-il, à la prudence.
- Oui, je me moque... Mais je sais que ce n'est pas de ta faute.
Et le Jeong-Guk de la veille me ramenait à un déjà-vu assourdissant en compagnie d'un homme finalement si sensible. Il eut un sourire en mémoire de cette journée où nous nous étions éclipsés, où nous avions profité de ces spectaculaires marionnettes, à la capitale, et quand je le raillais, à l'époque, sur son mode de vie.
- Comment te sens-tu ?
- J'ai les jambes bousillées, Tae-Hyung. Comment veux-tu que je me sente ?
- Je suis désolé.
Si seulement.
- Désolé de ? Tu es un menteur congénital, doublé d'un tortionnaire, je suis impressionné... J'imagine que la torture était méritée puisque je m'en suis pris à notre bon et bien-aimé roi.
- Le cynisme te va mal, tu sais...
Il riota juvénilement. Il restait beau, merde.
- Je ne te ferai rien, Jeong-Guk. Fais ce que tu veux, tu ne seras jamais plus sous mon emprise, je... Je n'ai même pas la prétention de dire que c'est Jang et Ga-Ram qui m'ont manipulé, je suis le seul responsable.
J'approuvai.
- Jeong-Guk... Je suis désolé pour tout le mal que je t'ai causé et pour celui que je te causerai.
Je frissonnai.
- Dans notre prochaine vie, tu sais... À la fin, mon âme rencontrera la tienne et à cet instant, mon coeur pulsera encore et nous étincellerons d'un millième de lumières.
Et je le maudissais de presser une plaie si affligeante. Mollement, j'inclinai le chef de côté, plein d'une méfiante curiosité. Le Kim tapota la paume sur le coussin, près de lui, et sans attendre, je m'installai à son profil.
- Parle-moi d'elle... De cette autre vie.
Son sourcil se arqua, ses lippes se retroussèrent de plus belle, et un merveilleux tableau facial se figea dans l'époque.
- Je ne sais pas dans combien de temps mais ce sera un futur heureux, un futur où nous serons ensemble et en paix, un futur où je me réveillerai chaque matin à tes côtés après t'avoir aimé toute la nuit ; et où il me sera permis de te demander ta main jusqu'à ce que tu n'en puisses plus. Peut-être même un futur où nous recueillerons un petit Jeong-Guk ou un petit Tae-Hyung orphelin... On serait d'excellents parents, tu ne crois pas ?
- Je n'aime pas les enfants.
- Tu n'aimes pas grand monde.
Une ricane puis la tête contre lui, je me laissai aller au repos en échappant à toute amertume. Un chagrin, seul, nous enveloppait à présent ; et malgré tout, je réalisai la raison derrière cela et ne pus empêcher mon cardiaque de se heurter.
- Pourquoi me rends-tu tes armes ?
- Je ne sais pas. Mon frère continuera dans sa fichue quête du pouvoir, je ne peux pas lutter... J'aimerais en avoir de nouvelles, plus performantes.
J'inspirai.
- Je t'exècre mais tu persistes au sacrifice, il souffla.
Je n'entendis que mal ses mots, cette fois-ci.
- Regarde-moi, Jeon Jeong-Guk. Je vais parfaitement bien et j'ai eu le temps de régner quelques semaines grâce à toi.
J'expirai, encore cette façon qu'il prônait d'articuler si indécemment.
- Tae-Hyung... S'il-te plaît, j'ignore jusqu'où ira mon frère mais n'implore pas mon nom comme si c'était fini.
J'opinai et enfouis mon nez au creux de sa nuque, paupières closes. Son bras embrassa ma taille tandis que je humai et m'imprégnai du boisé de son effluve.
- Arrête de me renifler...
Il me taquina en me pinçant doucement la hanche. Je m'esclaffai gaiement et à nouveau, je relevai le menton pour rencontrer son précieux regard.
- Ferme-la, Kim Tae-Hyung. Pour une fois, juste... Tais-toi.
Sa mâchoire se serra et son baiser finit de trouver le mien dans une mansuétude qui me secoua l'estomac. Et dans notre vie prochaine, ce serait seulement lui, moi, et un amour jusqu'à la fin des Temps...
ACHLYS | CHAPITRE 32
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