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ACHLYS | CHAPITRE 8










































Royaume de Chô-Seon,

ancienne Corée réunifiée,

8 Novembre 1488 : 53 jours avant l'arrestation d'Ae-Cha.



































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Le jour se levait sur Chô-Seon. Les caquètements des coqs suffirent à éveiller ceux habitants la misérable cité qui longeait la rivière Cheonggyecheon. Les commerçants hululaient pour vendre épices à prix cassés : ils insufflaient la vie aux chemins encore déserts. Quelques manants déambulaient çà et là dans leur extrême pauvreté ; certains faisaient la manche, réclamant sous aux plus aisés, et d'autres — les plus discrets — exhibaient leurs corps pour donner plaisir aux hommes fortunés en bordel. Ae-Cha se comptait de ceux-là, naguère. Puis son désormais époux lui offrit la vie dont elle avait rêvé longtemps. Un mariage dans une heureuse entente. De courtes nuits mais les plus merveilleuses qui furent. Et des enfants. De magnifiques enfants qui faisaient la fierté du jeune couple. La brune eût une jouissance en songeant à chacun de ses accomplissements.

Y compris la cour qu'elle intégra récemment.

De cela, aussi, elle avait fantasmé, espérant pouvoir accorder une vie décente à Jeong-Guk et A-Ra, nouvellement née. Elle parcourait les sols fertiles en tenue de dame. Son bonheur était évident. Et même si elle ne souhaitait demeurer démonstrative, tout semblait la trahir. Ses cils papillonnant de gaieté. Ce rictus continuel qu'elle peinait encore à masquer. Le corps en proie aux secousses du cœur. Des maintes mointes, et une tête échévelée... Suite à des semaines de démenage, elle parvint à enfiler sa robe traditionnelle. Une fierté pour elle. Or, un énième retard retentit. La dame en cheffe Park lui donnerait une correction mais qu'importait : elle avait toutes les raisons du monde pour être heureuse.

Ae-Cha ne se pressa guère ; le paysage lui coupait le souffle. Sa candeur et son empathie titanesque étaient ce pourquoi Il-Nam fût tombé sous son charme. On pensait que le monde était bien trop cruel pour une pareille femme. Elle en pensait moins.

Qu'elle était agaçante à voir le bien chez tout ce qu'il y avait de plus vil ici-bas...

Ses pieds chaussés traversèrent l'allée, celle avoisinant la bâtisse où couchait le roi sans sa reine depuis leur union. Le vent s'élevait et sifflait à travers les noires ondulations cascadant ses épaules danseuses. Ses fossettes apparurent à la lumière crépusculaire et ses lèvres vermeilles appelaient la douce indécence. Ae-Cha se différenciait ainsi des autres de son rang. Il lui coûtait de s'en rendre compte ; pourtant, sa beauté brute était pareille au bourgeon de perce-neige qui accueillait décembre. À l'angle du palais, elle se figea aussitôt que le reconnaissable effluve musqué royal lui alla à l'odorat. Ses deux pupilles, nûment étirées, se relevèrent avec grâce et plongèrent dans celles de Sa Majesté. Une surprise prit le Gun ; il manqua de peu de heurter sa servante favorite. Ses billes rondes se lancèrent dans le détail de la somptueuse figure qui se montrait à lui. Celle de cette femme qui, depuis peu, le servait de près.

— Pardon, Votre Majesté... s'inclina-t-elle avec un sombre respect.

Une légère esquisse préoccupée vint habiller les lèvres surmontées d'une infime cicatrice de ce dernier. Sa main bandée s'éleva. Elle s'éleva et glissa frénétiquement sur son menton duquel nous pouvions apercevoir sa barbe de quelques jours. Ae-Cha se sentit d'un si grand embarras devant son geste qu'elle ignorait maintenant si elle devait ou non s'excuser pour l'indignité dont elle témoignait. Cet homme la troublait terriblement, et plus qu'il ne devrait. Sa barbe et moustache naissantes, on ne lui attribuait que peu le qualificatif de "bel". Néanmoins, la dame le pensait merveilleux sans faire état de ces teintes nerveuses qui tachaient son estomac. Elles lui retournaient les vicères, vicieuses et sans mal. C'était ce qu'elle ressentait à chacune de ces fois où elle le confrontait. C'était ce qu'elle croyait à la norme sans savoir qu'elle se leurrait profondément.

— Dame Park... Disciplinez un peu mieux vos subordonnées, tonna la voix grave du monarque.

Sa soudaine sévérité étonna la première concernée qui leva seulement la tête vers lui qui la dévorait des yeux sans s'en cacher.

— Oui, Votre Majesté... répondit faiblement la dame en cheffe.

La gracile silhouette de Yeonsan-Gun s'élança de quelques enjambées vers la tendre maman en délaissant le suspicieux chaman qui l'accompagnait de tous temps. Ses longs doigts opalins filèrent sur sa nuque débarrassée de sa chevelure attachée ; sa bouche, elle, approcha son lobe jusqu'à l'effleurer de son souffle abattant.

— Vous m'obsédez, Dame Jeon.

Elle gloussa farouchement, se sentant alors comme lors de ses premiers émois amoureux. Qui refuserait quoi que ce soit à Sa Majesté ? Pas elle. Pas depuis qu'elle avait cédé une première fois à ses avances, il y a peu. Son oreille fût doucement baisée par ses lèvres.

— Je serai dans mes appartements pour déjeuner.

Elle acquiesça ; elle comprit l'invitation. Et il restait certain qu'elle y serait. Le quarantenaire reprit distance, et suite à un échange d'œillades entendues, Ae-Cha se plaça en rang derrière lui, aux côtés de ses semblables. Ainsi, tous se remirent en marche. Son tout-elle se redressait par moments, percutant l'échine monarchiste de Sa Majesté puis le regard glacé de Son Altesse, la reine, qui perçut tout de l'attraction naissante entre son époux et sa servante. Elle vit, aussi, l'ardeur enfantine du jeune prince qui abêtissait ses nourrices et surtout, l'insolente satisfaction lisible dans les iris mouvants de son roi.

Le palais principal était une somptueuse construction d'un rouge chatoyant et d'un luisant doré, légèrement surélevé. Son entrée se bordait de dragons sculptés se faisant face, rappelant ceux brodés sur sa robe de souverain. En dépit du caractère grandiose de cette architecture, Ae-Cha ne se tracassa pas. Sa témérité et son audace lui permirent de pénétrer ces lieux saints que même la reine, Soo-Ah, ne connaissait que peu.

Désormais, midi passait. L'estomac de la dame de cour jacassait sa famine ; elle n'avait satisfait sa faim que par un bout de pain et un peu d'eau, ne souhaitant guère paraître trop ballonnée devant celui qu'elle s'apprêtait à voir. Le vieil eunuque du roi, décontenancé, annonça cette arrivée à haut timbre. La brune fit son entrée et courba poliment la colonne en soufflant le titre honorifique de cet être qui hantait ses pensées.

Nulle réponse de ce dernier. Seulement d'interminables ruminations.

Ae-Cha se hissa droite tel un piquet. Cependant, ce qu'elle observa lui vola un hoquet d'effroi. Un frémissement agita son échine alors qu'elle porta ses dextres à sa face. Le choc l'étranglait, elle songea au demi-tour mais se ravisa avec déglutition. Yeonsan-Gun s'inclinait à l'excès sur les innombrables documents qui jonchaient son bureau. Ses prunelles quittaient furtivement la sympathie habituelle pour ne laisser que deux orbes injectés de folie hémoglobine. Le royal n'existait plus que de spasmes et d'une attitude semi-violente à l'égard de ses environs. Ses artères manuelles battaient, pulsaient et malmenaient son derme ; il tremblait de tout son lui. Il trémulait et murmurait des dires aliénés, inintelligibles, peu ordinaires. Le grand Kim semblait hors du temps et de la Terre, c'était comme si la présence de sa dame Jeon altérait toutes communications. On croirait sentir la brume de son esprit au sortir de son crâne décrépit. Ae-Cha approcha à pas légers, à pas peureux. De la sue roulait sur la tempe de ce châtain tandis qu'elle finissait sa course sur son menton mal rasé.

— Votre Majesté, que se passe-t-il ? avança-t-elle prudemment.

L'interrogé éleva brusquement le chef ; un sourire monstre vint alors se dessiner sur ses lèvres sèches.

— Te voilà enfin, ma douce Ae-Cha... Je le tiens... Je le tiens, enfin...

Son grinçant rire fit frémir la dame qui ignorait tout du sens de ses propos.

— Je le tuerai... Je le tuerai avant qu'il ne me tue, tu entends ? J'égorgerai ce putain d'enfant. Je le tiendrai entre mes mains et je lui dirai "tu n'aurais jamais dû naître, Tae-Hyung"...

Un nouvel hoquet. Sa gorge se serra ; ces mots rebondirent entre quatre murs, elle frissonna de sa terreur. Lui, retourna à ses affres sous les ambres effarées de sa favorite. Celle-ci remarqua les innombrables plats refroidis mais non entamés de côté. Elle se saisit de baguettes avec lesquelles elle prit un émincé de kimchi qu'elle mêla à un peu de riz blanc. Elle s'assit au plus près de lui et tendrement, posa sa main réconfortante sur sa cuisse tressautante.

— Votre Majesté, mangez un peu.

Ledit se statufia : il arrêta de griffonner sur son bout de parchemin. Ses yeux s'ouvrirent en grand, il était surpris et contrarié, surtout d'avoir été coupé dans son flux dément.

— Sors.

La froideur de sa parole lui opprima le cœur et la berça d'un désenchantement certain.

— Yi-Yung... Écoutez-moi... implorait-elle en usant de son nom de naissance.

Or, sa colère devint furibonde. Après tout, comment osait-elle ? Le roi de Chô-Seon se leva avec une telle brutalité qu'elle perdit l'équilibre. L'épouvante se lisait sur chacun de ses traits. Elle ne devenait plus que soumise et asservie. Elle fauta par le seul emploi de ce nom que même les plus proches ne connaissaient. Ae-Cha le savait et pourtant, son cœur lui sommait de ne point céder à l'angoisse, de demeurer à ses côtés comme elle se l'était juré à son arrivée à la cour. Elle s'accrochait aux paroles de Sa Majesté, à ses douces promesses et à la tendresse dont il sut déjà faire preuve envers elle. La mère de famille s'embarrassait encore à comprendre ce qui pouvait bien traverser l'esprit du souverain ; il ne pensait pas à de jolies choses. Cependant, elle ne concevait aucunement la fuite. Et quand bien même, elle lui reviendrait.  Elle finissait toujours par lui revenir.

Yeonsan-Gun perdait son sang le plus froid. Debout, à présent, il s'emparait de tout pour le jeter dans le rien. Il riait à gorge ouverte jusqu'à faire chanceler le monde. Non, il grondait à la manière du tonnerre divin jusqu'à faire tressaillir de terreur même le plus brave de ses soldats. Une onde l'enveloppait entier, quelque chose de dévastateur et d'incontrôlé. Le diable même en pâlissait d'envie. Des voix montèrent à l'extérieur. Celles des eunuques affolés qui leur parvenaient avec effort. La dame se trouvait à la paralysie. Les insultes humiliantes proférées par l'un la frappaient de dégoût pour elle de même que la vaisselle cognant les murs et causant une mare de verre en débris. Des couverts et des bols en métal suivirent mais résistèrent à la casse. Un de ceux-là, d'une soupe à l'algue, heurta l'arcade de la Jeon Ae-Cha qui geignit sa douleur. Ses dactyles se portèrent lentement à sa plaie ciselée d'où le sang s'échappait peu à peu, venant entacher le blanc de sa robe et son amour-propre.

Un premier sanglot l'étreignit lorsque les portes s'ouvrirent enfin.

Les servants de quatre des cinq palais se ruèrent là pour tempérer la fureur monarchique. La pièce se remplissait fulgureusement, les corps se mêlaient et semblaient danser sous le rythme des cris et des pleurs. Pour Ae-Cha, ce tableau similait la peinture de cet artiste qu'elle appréciait. Les ombres se mouvaient les unes contre les autres sans jamais pouvoir être discernables aux yeux du spectateur. Et parmi la foule se tenait notre Ae-Cha effacée, si ébranlée. Nul ne considérait cette femme si ce n'était pour se questionner sur sa présence en ces lieux. Le regard, finalement arrêté, du Gun tomba dans les embués de sa dame blessée. Il l'approximait lorsqu'elle recula. Il insistait de l'œil lorsqu'elle défit le sien. Une grande affliction le prit en réalisant ce qu'il faisait à sa domestique de cour qu'il aimait à la mort. Le bourreau se fraya un chemin parmi ses humbles serviteurs, l'air toujours hagard. Au-devant de sa brune, il amena les doigts sur son sourcil ensanglanté sans savoir que la douceur de ce geste abattrait la victime de plus belle.

Ae-Cha se releva, le charnel vacillant. Ses ambres vissées au par-terre lui permirent de reculer sans faiblir sous le poids de cet amour qu'elle savait insensé. La sortie se trouvait à son derrière, elle tenta d'actionner la poignée et cela dura avant qu'elle n'y parvienne somme toute. Son agresseur épiait ses mouvements en conservant ce visage indéchiffrable, impassible, presque éteint. Sur le seuil, on la bouscula abruptement. Le médecin royal accourait vers son patient régulier, le maître chaman et les gisaengs sur ses talons pour espérer guérir son esprit erratique.

— Ne restez pas là, mademoiselle, lui intima le second arrivant.

Maintes fois, elle s'inclina plus bas que terre. Elle se pressentait inapte à formuler la moindre excuse, mais elle sentait qu'elle le devait. Cet homme était roi avant d'être homme et celui-là ne détachait plus son attention de la fuyante malgré les indications de son patron de santé. Il le priait de s'allonger ; le malade témoignait d'entêtement et d'un mutisme soudain comme s'il méditait sur ses actes de ce très récent passé.

La confuse lui adressa un ultime regard empli d'un chagrin acté. Et sur cela, elle quitta les appartements avec la pensée que sa journée tournait au cauchemar. Elle ignorait encore que bientôt, ce serait sa vie toute entière.















































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