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ACHLYS | CHAPITRE 13






































Royaume de Chô-Seon,

ancienne Corée réunifiée,

08 Décembre 1488 : 22 jours avant l'arrestation d'Ae-Cha.









































— O —

"[...] Et à ce jour, j'ose espérer que nous resterons des partenaires, seulement des amis qui s'aimeront jusqu'aux étoiles.

Je t'embrasse, mon cher ami Il-Nam, toi et nos deux enfants.

— Jeon (ou je ne sais plus trop) Ae-Cha."

La brune achevait de dicter sa lettre auprès de l'ami lettré dont la compagnie lui profitait. En dépit de son naïf caractère, elle attisait les hommes, la jalousie des femmes et la curiosité des enfants en bas âge. Elle ne s'apercevait de rien et bien moins depuis qu'elle s'était amourachée de son monarque à la peau d'opale. Ae-Cha porta ses doigts émaciés à sa douloureuse tête qui la fit geindre de mal, alertant ainsi son jeune camarade qui s'affairait à ranger soigneusement le bout de parchemin dans un pan de son hanbok. Kang Baek-Hyun demeurait un allié et certainement le seul qui avait connaissance des nombreux secrets de la jeune femme. Et parmi eux : l'existence de ses enfants ainsi que l'effusion amoureuse ressentie à l'égard de Sa digne Majesté. Baek — c'était ainsi qu'elle le nommait — ne masquait guère son scepticisme quant à cette superficielle amourette qui restait hors de sens. Ce discours tenu, la Jeon le connaissait jusqu'à la pulpe à tel point qu'elle ne s'ennuyait plus à lui répéter qu'il comprendrait en acquérant la sagesse. Le vingtenaire se contentait alors seulement de ses silences bavards.

— Avec tout le respect que je vous dois, Dame Jeon, je continue de penser que l'homme qui vous a blessé à la tête ne mérite pas tant de votre attention.

Elle souffla sa contrariété, son las et surtout, le peu d'estime qu'elle vouait aux paroles de son bien ami.

— Quoi qu'il en soit, je me charge de porter à cheval votre message. Votre époux l'aura reçu d'ici deux à trois jours.

— Merci, Baek-Hyun... Tu sais à quel point tout cela compte pour moi.

Un sourire du cadet plein de compassion puis une chaleureuse étreinte qu'il offrit à celle qu'il considérait tantôt comme une sœur, tantôt comme une mère. Une légère brise matinale vint soulever les cheveux de la royale suivante pour s'élever au ciel, venant chatouiller ses joues gonflées de gaieté soudaine.

— Ne me remerciez pas, j'aime sauver les demoiselles en détresse... Je devrais songer à en faire mon métier, je serais parfait dans ce rôle.

Tous deux rirent de bon cœur. Le garçon nourrissait une telle affection pour cette femme qu'il maintenait encore entre ses bras robustes, et créait déjà de forts liens avec son petit garçon qui lui rappelait une jeunesse insouciante et puis, avec le nourrisson qu'était sa fille, dotée d'une intelligence sociale remarquable. Fortune et titres ne l'intéressaient guère malgré sa famille de dignitaires. Il aimait les gens. Il adorait les observer et vivre avec eux.

Baek-Hyun laça la selle de sa jument à la robe baie ; il était l'heure de prendre chemin. À la suite de quelques mots tendres à sa belle, il monta sa bête et s'élança à la sortie de la cour.

Voilà une chose de faite.

— Qui était-ce ? résonna un timbre fluet.

Étonnée de l'inattendu de ce locuteur, elle se tourna lestement et se donna à sa vue. Ses lèvres se redressèrent lorsqu'elle découvrit la fragile et courte silhouette du Prince héritier. Elle se mit à hauteur ; Tae-Hyung se montrait encore sur la réserve, elle n'était là que depuis huit semaines. Sa bouche étirée vers l'avant la rendit toute chose ; il lui demeurait impossible de détourner ne serait-ce qu'un temps les yeux de cet adorable garçon dont elle s'occupait désormais.

— Un ami ! rétorqua-t-elle en apposant la paume sur le sommet de sa tête.

— Juste un ami ?

Surprise par le cocasse de sa question. Néanmoins, elle ne perdit pas ses joyeux traits. Elle prit un instant tandis qu'il tenait difficilement l'attente.

— Oui, Votre Altesse. Juste un ami.

Une ombre chagrine s'abattit sur son visage. Ae-Cha ne le comprit guère. Son chef à lui se détourna alors qu'elle insistait de son maternel parfois outrageux. Un monde tout entier semblait s'écrouler sur la tête de Sa Petite Altesse.

— Je ne l'aime pas, dans ce cas... Je pensais qu'on était amis exclusifs.

Cette nouvelle raviva le cœur navré de la plus âgée. Elle eût un allègre rire et amena ce petit à l'esprit large se réfugier tout contre elle. Tae-Hyung était très câlin et éprouvait tant d'amour pour les gestes affectueux qui lui demeuraient bien trop rares. Le roi était trop roi pour oser témoigner d'une quelconque tendresse. Sa mère, la reine, était trop reine pour oser être un peu mère.

Ae-Cha saisit la mâchoire du garçon en coupe ; c'était fou comme il lui rappelait son fils.

— Soyons amis exclusifs, juste vous et moi.

— Pour de vrai ? Ce n'est pas un mensonge ?

En écho, elle agita docilement le menton de côté, ravie de voir naître un sincère sourire sur les lèvres de son petit. Il était seul, alors elle lui restait. Comme un autre type d'ange-gardien mais qui, comme à l'habituel, veillerait sur lui pour l'Éternel. Ae-Cha se rappelait à quel point Jeong-Guk lui manquait et qu'elle aurait tant aimé voir les deux garçons jouer l'un avec l'autre en dépit de leurs écarts sociaux. Alors, afin de s'offrir le courage et la volonté, elle baisa le prince au front avec toute la douceur qu'une mère pouvait céder à son enfant.

— Un jour... Un jour, je vous présenterai mon fils.

Elle promit. Elle n'avait plus d'intérêt pour ce subreptice si longuement caché. Tae-Hyung exprima un hoquet ponctué d'une interrogation à laquelle elle s'attendait.

Oui, elle avait un fils. Un petit garçon d'à peine un an de moins que lui. Elle avait un enfant ; elle en avait deux. Or, c'était une confidence. Une bien jolie et obscure chose qui devait impérativement rester entre lui et elle. Juste lui et elle.

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La dame s'angoissait de ce que Sa Majesté lui souhaitait. On la convoqua. Ae-Cha vérifia un millionième de fois sa robe, son ébène attaché en natte et sa senteur puisqu'une fois, elle ne s'en accoutumait pas. Son allure lui paraissait impeccable bien que filaient quelques mèches indociles aux abords de sa chevelure folle. Jolie ; elle voulait lui plaire bien qu'elle ne lui pardonnait guère ses actes derniers d'il y a un mois. De multiples pensées fourmillaient dans son esprit alors qu'elle pénétrait le palais en compagnie du vieil eunuque, tout de vert vêtu.

À travers le corridor menant à la chambre royale, la présence reinale rebondissait contre les murs. La parole était pour son époux et même si Ae-Cha la portait péniblement dans son cœur, elle se prenait de culpabilité quant à ce désir effervescent suscité chez l'homme qu'elle, la reine, épousa. Au bout, la Jeon perçut le claquement des battements et des pas à l'arrivante vers elle. Bien vite, la souveraine se retrouva de face à la favorite qui s'inclina avec une déférence jouée.

— Votre Altesse...

— Dame Jeon, vous tombez bien, débuta-t-elle. J'ai ouïe dire que vous aviez été blessée physiquement par Sa Majesté, j'en suis navrée... Tâchez, à l'avenir, de ne pas demeurer trop près. J'ose seulement espérer que ses excès ne causeront pas davantage de dommages.

— Merci pour votre sollicitude, Votre Altesse.

Un malingre sourire en réponse et, suivie de son cortège, elle poursuivit sa route jusqu'au sortir de l'endroit. La brune resta interdite, estima à nouveau l'attention de cette femme marquée par la mauvaise foi. Ae-Cha revint à son esprit, et entra là où on l'attendait impatiemment.

Yeonsan-Gun était assis à l'incline au-dessus de la paperasse qui habillait son bureau de bois. Sourcils grossièrement froncés, il redressa le regard ; ses sombres tombèrent dans les plus clairs de celle qu'il adorait. Nul ne prononça un mot. C'était comme si la présence de l'un et de l'autre les happait sauvagement, tous deux. Or, c'était plutôt sa bouche à elle qu'il aurait voulu croquer à pleines dents... Il la contemplait, yeux éclatants de désir. Il la désirait, cœur pulsant d'amour. Et il l'aimait comme si sa mort en dépendait.

— Vous m'avez demandée, Votre Majesté ?

— Tu ne m'appelles plus "Yi Yung", alors ? railla-t-il.

Ses lippes s'entrouvrirent mais se ravisèrent bien vite, ignorant de quoi répondre pour ne pas contrarier l'impétueux. Elle se les pinça, seulement, et porta son oeil au sol luisant où elle pouvait admirer son reflet défait.

— Ae-Cha...

— Qu'aviez-vous à me dire de si important ?

Des excuses. C'était tout ce qu'elle voulait.

Le royal serra la mâchoire, agacé de cette subite démonstration d'agacement. Sa fierté le cognait et son amour incandescent pour elle ne lui faisait pas de présent. Il se montrait hésitant, souhaitant en découdre une fois pour toutes les autres mais luttant également pour ne pas plus éveiller ses démons. Le monarque se laissa aller à un soupir puis tapota la place à ses côtés.

— Viens là.

Sourcil haussé, elle croisa les bras contre sa poitrine.

— Est-ce un ordre de mon roi ?

— Non, seulement une supplication de ton tendre amant...

Son palpitant frappait son sein ; elle était secouée et malgré elle, ne retint le sourire s'esquissant peu à peu sur ses ourlets.

— S'il-te plaît ? titilla la Jeon.

— Ae-Cha, tu veux que je vienne te chercher ? rit-il, prêt à se lever pour entrelacer ses doigts aux siens.

Ce fût le mot magique ; celui qui fit basculer l'amoureuse échevelée vers celui qui allumait son âme d'un rien. Elle avait faibli. Encore. Pourtant, elle appréciait se sentir si dévouée. Lorsqu'il était au plus près, il ne suffisait que de son habitué sourire suffisant pour lui faire céder toutes ses barrières. Sa tête s'apposa contre son épaule, ses yeux se fermèrent ; ils profitèrent de l'un de ces doux moments qui leur devenaient rares. Les doigts de Yeonsan-Gun vinrent glisser sur la blessure cicatrisée de sa suivante, elle plaignit son inconfort.

— Pardon, ma douce... soupira le monarque.

— À quel propos ? De m'avoir fait mal à l'instant ou il y a un mois, Votre Majesté ?

— Les deux.

Il ne nécessitait de faire ajouts à ses mots ; son regret s'entendait à la cassure de sa voix. Un silence se fit avant qu'il ne fût rompu par l'Ae-Cha qui avait à cœur d'interroger l'homme se tenant près d'elle et jouant nerveusement avec l'alliance qu'elle-même portait toujours, celle de son époux ; elle songeait à s'en débarrasser.

— Que vous est-il arrivé, mon roi ?

Un nouveau souffle de l'interpellé. Ses tourments portaient, en effet, un nom : celui de son adopté fils. Il n'osa le formuler devant la jeune femme qui aimait profondément Tae-Hyung mais il pensait le fait d'avoir élevé ce garçon en prince comme étant la plus terrible erreur de sa vie. Les remords le rendaient fou. Les remords le bafouaient ; et il savait qu'un jour viendrait où son fils lui ferait payer tout cela. À mesure que le temps passait, il le redoutait plus que de raison. Yeonsan-Gun était en proie à de terribles angoisses ; ses nuits ne s'entêtaient qu'à d'effroyables cauchemars, tous mettant en scène son rejeton au visage, à la bouille angélique.

— Il me suit, Ae-Cha... Il me suit partout. Partout où je vais, il est là, je deviens dingue.

— C'est votre fils, Yi Yung... Quel mal voudriez-vous qu'il vous fasse ?

La châtaine peinait à comprendre d'où lui venaient ses irrationnelles craintes. Ses orbes se plissèrent tandis qu'elle frôla la joue royale de Sa Majesté pour une caresse. Elle le trouvait infiniment plus beau que lors de leur première rencontre.

— J'ai parlé avec Son Altesse, votre héritier. Nous sommes même devenus amis ! Vous n'y voyez pas d'inconvénient ? Le petit est seul, j'ai envie d'être présente pour lui.

— Sois d'abord là pour nous et je pense que ça ira. Tu es tellement pure que je m'inquiète pour toi...

Ces appréhensions infondées réussirent à égayer l'amante. Pure, certainement. Or, elle préférait cela à vivre dans une permanente inquiétude. Yi Yung ne vivait pas, lui ; il survivait. Ses lèvres vinrent butiner celles de sa favorite. Et bientôt, leurs souffles se mêlèrent, leurs langues valsèrent et leurs corps s'embrasèrent. Leurs bouches se décollaient puis s'entrechoquaient dans un rythme luxuriant. Des soupirs plaintifs échappèrent à la Jeon qui se laissaient étouffer par l'entreprise de son Kim qui grognait son plaisir et bandait son désir.

— Attendez... La reine...

— Ça m'est égal, la coupa-t-il entre deux fougueuses embrassades.

Sa reine, il n'en avait plus que faire. Seuls, l'un contre l'autre, importaient. Ils en éprouvaient le besoin, l'appétence comme si cela leur devenait vital. Tous deux s'attiraient irrémédiablement. Les doigts délicats du plus âgé débouclèrent la ceinture satinée qui fermait la robe de la plus jeune ; elle s'en montra toute sensible. Elle frémit ; et lui, sourit.

De l'autre côté des portes : des timbres. L'un hurlait, l'autre protestait. Le premier implorait, le second abdiqua sous les caprices juvéniles du prince qui osa une entrée dans les appartements de son bienheureux père. Ae-Cha se retira abruptement, de stupeur par le furieux aspect du garçon. Yeonsan-Gun n'était pas de cet avis alors il l'amena à nouveau contre lui et vint mordre à son lobe ; elle en hoqueta sa douleur.

— Sors, somma le contrarié à l'encontre de son aîné.

— Non. Qu'est-ce que vous faites ?

Le Prince héritier la découvrait dans une inconfortable position, une place qui revenait à celle qui devint sa mère quatre ans plus tôt. Pas à elle ; pas à la paysanne qu'elle resterait. La question posée par l'innocent finit de l'achever. C'était un garçon intelligent. Cependant, jamais suffisamment pour ne pas subir la colère acharnée de son père-roi. Lui, fulminait silencieusement, réalisant que sa maîtresse ne le laisserait ô grand jamais s'en prendre à son protégé.

— Votre Altesse, écoutez...

— Non, tu es une menteuse ! Je croyais qu'on était amis exclusifs !

Paysanne touchée.

Et sur ces virulents dires crachés à la dame, le juvénile prince s'enfuit de la pièce. La troublée tenta de le rattraper aussitôt que ses courtes jambes se mirent à courir ; or, ce fut un cuisant échec qui laissa à la Jeon un terrible goût âcre en bouche. Elle demeurait interdite devant les battants ouverts en grand. Son estomac luttait contre la nausée, elle se sentait démunie soudainement comme si cet enfant équilibrait son monde tout complet. Yi Yung, à l'abasourde plus qu'amoureux transit, le remarqua aussi : sa douce changeait. Ae-Cha pivota vers le majestueux qui restait tout de marbre. En lui, c'était la guerre et au beau milieu des sanglants combats, il maudissait Tae-Hyung autant de fois qu'il le pouvait et jusqu'à ses descendants les plus lointains. Leur instant fougueux ne durerait pas plus tant que le marmot serait continuellement entre eux. Le Gun le savait ; ce fut pour quoi il imagina toutes les façons dont il s'en dépouillerait au futur. La brune de jais baisa le coin de ses lèvres. Elle ne se soucia guère pas de l'aura pandémoniaque qui recouvrait le royal absolu et s'éclipsa hors du palais pour saisir le fuyard. Sur le parvis, la vie allait partout chez les membres de la petite cour. Les eunuques menaient leurs apprentis tandis que les ministres se pavanaient en coq en exposant les courtisanes à leurs bras. Ae-Cha renouait son habit dès lors que ses billes trouvèrent celles du petit. Près des jardins, il réfugiait son nez aquilin dans les jupes de sa mater. Mère adoptive mais mère quand même.

La consort Jang Soo-Ah l'accueillit d'un œil au seuil de l'énigme. Elle paraissait à la fois de chagrin et d'une rage certaine ; la dame de la cour redoutait ce jour-ci. Elle savait que ce jeune Tae apprendrait la relation qu'elle entretenait avec le roi de Chô-Seon, son bienfaiteur père. Malgré cela, tout ce temps, elle espérait pouvoir le lui confesser et lui faire comprendre cette chose bien trop complexe qu'était cet amour si particulier, même pour l'adulte qu'elle était. Ae-Cha s'y sentait prise au piège et en cela, elle avait plus peur que jamais.

























































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