𝐎
ACHLYS | CHAPITRE 6
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk.
— O —
Elle grelottait.
Elle avait peur, elle avait froid et elle attendait. Elle attendait patiemment que vint la mort. Moi, je laissais mes mauvais sentiments se dissiper.
D'interminables heures filèrent depuis qu'A-Ra s'écroula au creux de mes bras, depuis que je l'amenai chez nous à Uimundae, là où elle reposait à l'habitude. Et pas un seul instant, je ne songeais à autre qu'à l'horreur qu'elle dût subir. À son visage marqué de coups. À son corps frappé de violence. À ce regard profondément éteint qu'elle m'adressa avant d'embrasser le sommeil. Je veillais à son chevet, n'ayant rien avalé ni fermé l'œil de la nuit hormis pour contenir mon émotion croissante. Je savais que je devais demeurer fort, bien plus fort que ça. Pour elle, au moins. Ga-Ram eut quelques vents de la nouvelle avant de me retrouver dans cette chambre pour ma sœur. Ses injures contre l'univers ne me calmèrent pas : je faiblissais, déjà faible, mais tant peu fier de l'admettre.
Un filet de sue perlait sur la tempe de l'inconsciente, alors je m'empressai d'éponger son derme avec le seul tissu me tombant dans la main. Son souffle haletait, presque implorant. Et son éclat facial de gaieté grisonnait, il m'effrayait. La même pensée m'assaillait depuis la veille : que faisait-elle hors de nos murs ? A-Ra était alitée, incapable de se mouver et trop infectée pour prétendre se lever. L'unique hypothèse serait une nouvelle crise de diarrhée qui la pousserait à ma recherche. Le moment tombait à mal, trop bon pour n'être qu'un hasard puisque je la quittai récemment pour entrer à la cour de Sa Majesté.
— Jeong-Guk ?
Saloperie de royaux.
Ils me gâteraient la vie jusqu'au bout. Si le roi avait épargné notre tendre mère alors nul le besoin de vengeance, je serais resté auprès de ma cadette pour la protéger.
Saloperie de vengeance.
— Jeong-Guk, écoute...
— Quoi ?
J'entendis le soupir de Ga-Ram et ensuite, ses pas pressés allant vers moi. Sa jugulaire battait sous sa peau flétrie tandis que son rouge aux joues trahissait la nature de son courroux.
— Tu as mangé ? posa-t-il en s'asseyant dans la poussière, à mes côtés.
En écho, je secouai négativement le chef et à nouveau, il souffla puis vint presser sa paume contre ma nuque tendue.
— Vas manger, Jeong-Guk.
— Pas faim.
Pas faim. Envie de rien.
A-Ra me dirait une chose semblable si elle se réveillait. Mon aîné ne me répondit guère, portant seulement ses prunelles sur les crispations endormies de notre sœur. Le soleil était bas au ciel ; la nuit tomberait dans une heure. Je devrais être au palais mais la seule idée de m'en aller me restait insupportable. Je ne bougeais pas et cela, en dépit même de ce que Ga-Ram avait à en dire.
— Comment est ta vie là-bas ?
Au palais.
— Bien.
Un rire l'étouffa, nerveux. Il ôta sa main de mon encolure pour l'apposer à sa chevelure hirsute.
— Tu sais très bien que là n'est pas la question...
Oui. Seulement, je ne détenais ni force ni volonté de me confier sur l'avancée de quelconque mission. Mes pensées étaient en désordre. Tant pour qu'il en comprenne quoi que ce soit. Mon sentiment paraissait équivoque. Notre but premier, trop important pour l'évoquer ici. Que raconter qu'il ignorait encore ? Sa Majesté était folle à la démence : j'appris qu'il massacrait aussi régulièrement ses suivantes puisque la dernière en date, celle de la veille et emportée par une quinte de toux, se fit sitôt trancher la gorge lorsqu'elle ouvrit de peu la bouche. Sa dépouille fut jetée avec les plus anciennes et aucune d'elles ne reçut les honneurs des défunts. L'effroi filait en éclair sur mon faciès d'ordinaire glacé de colère. Sa reine, elle, apparaissait complexe. Elle se montrait parfois ici ou là, parfois au détour d'un couloir ou d'un dédale de chemins. Dans ces moments, elle ne me saluait pas, ailleurs ou à l'écoute de son père, le Jang ministre, perfide et influent.
Quant au fils, l'aîné, il se différenciait par le physique et par le mental. Des divergences d'opinion en découlaient et je serais curieux de connaître le comment et le pourquoi.
— La cible à abattre en premier, c'est le roi... Nous lancerons bientôt une nouvelle répression contre la cour, m'informa Ga-Ram. Tu seras bientôt tenu au courant.
J'acquiesçai.
— On en a déjà parlé. Tu sais que ton rôle est essentiel dans l'affaire.
J'acquiesçai encore.
— Jeong-Guk, tu m'écoutes ?
— Je t'ai entendu...
J'inspirai et pour la première fois depuis un temps, je détournai mes sombres et je les fondis dans le brun de ses yeux. Longuement, je le considérais... Douloureusement. Sans n'avoir de cesse.
Un coup tinta contre la porte. Un autre cognant mon cœur comme à l'attente inlassable. Le battant s'ouvrit et dévoila la gracieuse silhouette du prince. Ses iris observaient les lieux et se confondirent vif aux miens. Je baissai résignement le menton mais je constatai brièvement que mes habits le couvraient toujours. Il fallait au moins cela pour qu'il passa inaperçu dans le vieux bâtiment de la résistance...
— Que croyez-vous faire, là ? l'abordai-je de mon timbre rêche.
Mon frère m'inspectait de son œil rond, aussi surpris que je l'étais moi-même. Devant l'invité, j'apparaissais peu enclin à la discute, je ne m'en cachais pas et moins quand il avança sur mon sillage, mâchoire crispée et sommaires regards vers la brune agitée.
— Comment va-t-elle ?
Je ne sourcillai pas. Si avec Ga-Ram, j'articulais quelques bribes de bon vouloir, avec Son Altesse c'était différent. Tout était différent. Ses deux billes d'ambre me troublaient ; elles sondaient mon âme sans la relâche. Et puis, ce pareil pli soucieux au-dessus de ses sourcils... Que faisait-il là ?
— Jeong-Guk, parle-moi. Dis-moi comment va A-Ra.
— Allez-vous en.
— C'est vraiment ce que tu veux, Jeon Jeong-Guk ?
Et encore cette excitante façon qu'il avait d'articuler mon nom...
J'élevai les pupilles. Ses traits se marquaient d'impassibilité puisqu'il espérait une réaction. Je n'avais besoin de personne. Surtout pas de lui.
— Oui, finis-je à la rétorque.
Je témoignais de mon amertume. D'une amertume redevable envers lui dont la lucidité brillait tantôt. Je me serais écroulé d'incompréhension s'il n'avait pas été avec moi et sa fichue prise de recul. Je jouissais du souvenir de ses paumes contre mes hanches quand il fallut accuser l'état de ma sœur. Je jouissais aussi du souvenir de ma tête sur son épaule lorsque je crus m'effondrer en pleurs. Au désormais, Kim Tae-Hyung se trouvait là encore. Il entrouvrit ses lèvres fiévreusement pâles, paré à ajouter mot. Or, il se ravisa et contrit, quitta précipitamment la chambre. Ga-Ram le rattrapa de près, saisi par son insatiable indiscrétion. Ils s'arrêtèrent dans le corridor de là où je pouvais ouïr ce que se disaient les deux hommes. Mon frère était idiot mais certainement pas aveugle : il reconnut Son Altesse bien qu'il feignait l'ignorance. Visiblement peu atteint par mon rejet, l'héritier se montrait remarquablement bavard. De loin, je percevais des dires dont ceux qui eurent raison de me foudroyer.
— Le fils d'un noble ? Qu'est-ce que vous en savez ?
— J'ai entendu l'information circuler alors que je rentrais. J'ai vu un homme sortir d'un bordel ; il était soûl et vantait ses exploits auprès d'une fille aux longs cheveux noirs. Ce sale type n'a cessé de déblatérer à ce sujet, révélant qu'il est à l'origine de plusieurs violentes agressions ayant toujours lieu près de la zone commerciale. Cet individu n'est pas une lumière, je n'ai pas mis longtemps avant de le faire arrêter...
— C'est ça que vous étiez venu dire à Jeong-Guk ?
— Oui mais cet imbécile ne veut pas me voir. Tu lui diras qu'il est inutile d'en vouloir à la Terre entière et qu'il n'est pas obligé de supporter sa peine seul. Je suis là, moi. Je suis toujours là.
Et qu'est-ce que cela changeait qu'il soit là ?
— Ne dites rien à Jeong-Guk. Il est suffisamment perdu comme ça.
— Hm, c'est entendu.
Un tonnerre vif vrombit dans mes grises pupilles. Je renâclais les propos entendus. Je ne mis pas longtemps à réaliser le mot phare de cet échange. Un noble... Un putain de noble. Encore. Cette classe voyait le jour pour réduire à rien les miens, je n'en doutais plus. Ma poigne se serra, féroce et sauvage. De l'autre côté de la porte, le Prince héritier s'éloignait : il retournait dans sa cage de dorure, si loin de moi.
Ma vision glissa alors à ma rapière rangée dans son étui. À l'accoutumée, je ne combattais jamais hors de ma formation à la cour. Aujourd'hui, la pulpe de mes doigts chatouillaient en même temps que l'étau qui serrait mes entrailles. J'apposai mon toucher autour du manche et le nouai à ma ceinture.
Je songeais à ce richard d'homme qui n'avait idée de quelle chose dégueulasse il éveillait en moi. Une rage intense. Et un désir violent de le voir disparaître à jamais. L'aristocrate était enfermé... Or, c'était la mort qu'il méritait.
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Je déglutis.
Son dos prenait appui contre un pan du mur ; il me dévisageait en silence. Ses traits faciaux demeuraient tendus et ses bras, croisés contre sa poitrine. Sa robe luisait sous les rayons, je peinais à maintenir les orbes ouverts. Son Altesse se tenait à moi, revenue en dépit de mon souhait de ne voir personne. Le châtain se détacha de sa cloison sans jamais défaire son regard de mon regard ne serait-ce qu'un seul court et petit instant.
— Trois jours... reprit-il son souffle.
Il s'agissait de mon temps pris au chevet d'A-Ra, au plus loin de la cour et de lui. Trois jours, c'était long. Cela l'avait été pour moi, et pour lui si je me référais à ses venues répétées la veille et avant la veille. Trois jours suffisait pour que je me languisse de lui et pour que ma cadette s'éveille dans la pièce à côté.
— Vas-tu me dire de m'en aller ? La réponse est non.
— Vous êtes buté...
— Tu adores ça.
Un rire sardonique m'étrangla. Lui ne riait pas même si je percevais le redressement discret de sa commissure. Il marcha jusqu'à moi où je siégeais au sol et près de l'unique fenêtre. Il progressait mais ne se figea que lorsque se touchèrent nos fronts. Son souffle s'abattait sur mon derme, sa main capturait ma taille et remonta le long de mon bras puis sur mon épaule avant d'atteindre ma joue et mon cœur... Ce traître.
— Cela fait trois jours, Jeong-Guk... Trois jours que je ne t'ai pas vu, fit-il en un murmure comme un doux secret trop bien gardé.
Je tombais de nouveau dans ses billes semblables à des pierres précieuses. Malgré moi, un son similaire à une plainte s'échappa de ma glotte, cela le fit sourire. Et lui, il avait un putain de beau sourire... Naïf. Mirifique. Il me bouleversait.
— Tu rougis un peu.
— Reculez, Votre Altesse.
— Est-ce toi qui donne les ordres, maintenant ?
Je me tus et lui donnai raison. Je ne demeurais que son humble serviteur, je ne restais que moi qui soutenais son attention habillée d'un haussement de sourcil espiègle.
— Comment va ta sœur ?
Vraiment ?
— Vous me regardez comme si vous vouliez me bouffer et vous pensez que je vais vous répondre ?
— Ah ! Tu as su aligner plus de deux mots, on progresse !
J'exerçai une malingre pression sur son thorax pour le forcer à conserver une distance raisonnable : mon corps chauffait à son seul contact...
— Arrêtez de vous moquer.
— Encore un ordre. Je te trouve seulement... Surprenant. Vas-tu aussi me dicter mes sentiments ?
— Je préfèrerais que vous n'en ayez pas... marmonnai-je tout bas.
Il ne releva pas et s'écarta, faisant état de cette salle qui me servait de couche.
— A-Ra s'est réveillée hier... Elle n'a pas dit grand chose, depuis. Elle ne veut rien avaler, non plus. Son sommeil est confus, elle cauchemarde beaucoup et craint toujours de rester seule alors, avec Ga-Ram, nous veillons sur elle à tour de rôle.
Je lui devais cette information, mais est-ce qu'il m'écoutait au moins ?
— J'envie son courage...
Cette subite confession m'interloqua. Tout cet intérêt propre se perdit là où trônait un portrait de ma défunte mère, protégé par un cadre et orné de fleurs de perces-neige... Ses favorites. Les lippes princières se redressèrent en un léger sourire de mélancolie avant qu'il ne se tourna, cette fois-là, vers moi qui l'étudiait en silence.
— Elles se ressemblent.
— De qui vous...
— A-Ra. Et ta mère, Ae-Cha.
Mes orbes s'arrondirent à l'entente de ses paroles. Je ne comprenais plus, je ne le voulais pas. Le nom de la mater droit sorti de sa bouche rose. Enfin pourtant, la réalité ne se leurrait guère et me frappait de toutes ses forces.
Tae-Hyung savait tout. Et jusque-là, il ne m'en avait rien dit.
ACHLYS | CHAPITRE 6
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