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ACHLYS | CHAPITRE 15

𝐈𝐍𝐓𝐄𝐑𝐋𝐔𝐃𝐄








































Royaume de Chô-Seon,

ancienne Corée réunifiée,

Tae-Hyung.
































— H —

Enfui. Il fuit sans me laisser la seule chance de m'expliquer. Il fuit sous les regards décontenancés des uns. Sous le mien... Mon cœur s'alourdissait, portant le poids d'une culpabilité amenant le doux nom de Jeon. Celui-ci me faisait écho ; et l'homme le portant se retira, malmené par la cruauté du monarque exultant à gorge ouverte. Je l'étudiai ; Yeonsan-Gun gagnait cette fois à mon plus grand des regrets. Je demeurais pris dans les filets d'une dignité moquée ; je restai alors la mâchoire hérissée jusqu'au pâlissement de mes jointures manuelles. Mes deux fauves s'ancrèrent là où Jeong-Guk se confondit à la dense foule qui ne dansait guère. Ici, les chuchots allaient et venaient et je pensais de marbre devant ces indiscrétions inopinées. Je ne souhaitais que lui ; pas ce qui m'agaçait d'un semblant de rien. Ma langue claqua au fond de mon col puis je me tournai vers Chul qui gardait un certain intérêt pour le sol plutôt que pour ma personne. Sa terreur paraissait croissante devant la folie furieuse de son roi.

— Retrouve-le, sommai-je avec une princiale autorité.

Le petit rond acquiesça docilement et prit congé, suivi de quelques autres serviteurs. Je me sentis plein de répugnance à l'encontre de Sa Majesté ; je fis alors volte-face sans démontrer davantage de mon respect. Le seul méritant le mien s'en était allé, j'ignorais où. Tout naturellement, je rentrai à mon palais en espérant l'y trouver. Les portes s'ouvrirent à mon passage affolé. Je m'arrêtai, réalisant mon erreur puisqu'il ne s'y situait pas. Je me tendis à soupir. Ces fichues fiançailles. Je devais les lui expliquer, lui expliquer à quel point il se leurrait. Néanmoins, la réaction de mon garde anti-guimauve en disait tellement plus que je ne pouvais l'espérer.

Je regrettais ma lâcheté. Je regrettais mes craintes et mes humbles hésitations lorsqu'il s'agissait de lui, de nos sentiments. Je pivotai à la sortie avec le vain dessein de trouver le Jeong-Guk. Or, je me figeai lorsque mes prunelles allèrent aux siennes, sur le seuil. L'ébène me dévisageait, bras ballants, de ses sombres incrédules. Il se murait dans son mutisme ; je préférerais l'entendre me hurler dessus mais il n'en fit rien : son stoïcisme m'accablait.

— Tu es revenu... m'essoufflai-je en l'approximant.

Soulagement ; il ne bougea point.

— Jeong-Guk, dis quelque chose...

J'amenai la main à la mèche dissimulant son oeil d'un havane nuancé. L'embarras m'éraflait.

— Rien à signaler, Votre Altesse, rétorqua-t-il en arborant une esquisse maigre à ses ourlets.

Qu'il m'appelle ainsi ne me semblait jamais aussi douloureux qu'en cet instant...

— Menteur.

— De nous deux, c'est vous le menteur mais qu'importe ; je suis seulement parti faire un tour.

Je percevais sa peine. Cependant, il avait raison : je ne me montrais pas plus honnête que lui dès nos premiers mots échangés mais il n'y eut un temps où je ne me le reprochais pas. De notre rencontre à mes confessions quant à sa mère jusqu'à cette grise nuit où je m'emportais à l'ivresse... Puis aujourd'hui, au sujet de mes épousailles. C'était de trop, je le concevais. Clamer que je désirais seulement sa protection serait manquer de délicatesse.

— A ce propos, pouvons-nous en discuter ?

— Merci mais non.

Je riotai. Cet homme me faisait perdre tous moyens. Il était imprévisible autant qu'amusant. Son charme féminin me frappa, la première fois, et me frappait encore aujourd'hui. Je réduisis le peu d'espace qui me maintenait loin de lui et tirai doucement sur son bras pour l'attirer tout contre moi. Il se roidit et j'en jouissai, égoïste. Je rabattis mes paupières, offrant mes ambres à l'obscurité. Mon soupir débuta sa course lorsque son souffle se tut.

— Je ne me répéterai pas, Jeong-Guk.

C'était idiot : je ne me dévoilai pas certain de la bonne façon de l'aborder.

— Tu n'as pas besoin de faire semblant, je vois bien que cela t'affecte. Ce qu'a évoqué mon père ne découle que d'un malentendu...

— J'ai déjà dit que cela m'était égal. Ça vous regarde, Votre Altesse.

— Arrête de m'appeler ainsi. Tu n'as pas idée d'à quel point ça m'est insupportable.

Je tonnai ainsi sans empêcher l'éraillement de mon timbre. L'opacité de la pièce nous enveloppait d'une intimité. Celle par-delà la fenêtre me plongeait dans une quiétude dont tous deux avions le besoin. Il restait silencieux mais cela n'avait plus à voir avec le silence d'il y a des minutes. Je le sentis se détendre contre mon corps chaud et entourer ma taille de ses bras tout fins. Un rire, et le contentement me prit. Cela parce que sans lui, sans plus le doute, je ne pouvais rien.

Un bruit tonitruant nous extirpa de cette apaisante léthargie. Nous sursautâmes de concert et chacun reprit aussitôt sa place originelle. Mes orbes s'ouvrirent de stupeur tandis que lui, s'empourpra de sa gêne. À ma droite, de maints débris de verre jonchaient le parquet aux côtés d'une pierre sur laquelle s'accrochait un papier où l'on avait inscrit des caractères d'un rouge bruyant.

"Le roi mourut, et ce fut le début de la monarchie."

Jeong-Guk approcha afin de lire ces mots par-dessus mon épaule. Les frissons me prirent et j'adressai un oeil à mon complice qui me le rendit. J'apportai mon intérêt sur l'objet de nos angoisses et remarquai la présence d'un emblème gravé dans un coin de ce bout de parchemin ; le serpent se mordant la queue.

Mon ébène chancela, devint blême. Je froissai la feuille dans ma main et considérai longuement l'homme qui se tenait près de moi, qui murmurait des paroles inaudibles.

— Hé. Que se passe-t-il ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

Ce que je craignais était imminent mais je devenais curieux, toutefois. Ce dessin reptilien paraissait semblable à celui de la dernière attaque à la cour. Je désirais comprendre mais je n'y saisissais rien.

— Votre Altesse, il faut vous mettre à l'abri. Tout de suite.

À l'extérieur, d'assourdissantes esclandres se firent entendre. Des cris si ce n'étaient des hurlements, des sirènes et des coups d'éclats.

Les rebelles attaquaient déjà là.

Je m'élançais au verre brisé à la volonté d'y mettre quelques deux yeux. Toutefois, mon pas se freina par la dextre de mon garde qui se rabattit sur mon poignet. Ses pupilles si soucieuses me hurlaient en silence que je ne devais plus rester en ces lieux. Je le considérais longuement et me trouvais d'embarras sous le poids de son regard. Je clignai la prunelle et alors, il m'entraîna à sa suite, à la sortie de mon palais. Ma robe se mêlait à mes jambes et ralentissait notre course ; je crus un temps que le Jeon s'arrêterait et me souleverait entre ses bras. Je l'en jugeais capable et un peu fou pour ne point hésiter. Le chaos régnait partout où nous allions. De mes dactyles autres, j'élevais le bout de mon habit et le suivais au travers du dédale de couloirs. Le personnel accourait, se bousculait et se cachait, tout plein d'effroi. Eunuques et dames virent leurs corps massacrés, et je me pris d'inquiétude pour mon gentil Chul que je n'observais nulle part. Je mettais toujours la distance avec ces gens de son rang. Néanmoins, lui, je le considérais en mon frère, petit ou grand puisque j'ignorais son âge. Il apparut à mes services dès ma treizième année et il fallut sept ans pour que je m'en prenne d'amitié. Je freinai mon gardien contre guimauve pour l'interpeller au sujet de mon vert domestique. Il me considéra d'ennui et me certifia alors que je restais la seule priorité de sa garde. Sa réplique me caressait de plaisir ; je me pliais à son bon vouloir et suivis mon bon ami.

Les attaquants s'habillaient de masques clownesques, ils ne nous octroyaient pas le droit de confirmer leurs identités. En dépit de cela, je ne permettais pas le doute : ils étaient les mêmes qui eurent déjà causé les tueries à la cour, neuf mois auparavant. Si, jadis, les assaillants épargnaient le bas-citoyen, aujourd'hui tout obstacle passait au travers des lames et des lances. Jeong-Guk se remettait justement de ses blessures et je ne pouvais concevoir qu'il lui arrive quoi que ce soit. J'examinai sa mine préoccupée et ses sourcils de fronce qui trahissaient ses affres sous-jacents, lesquels je me demandais. Les intrus abattraient Sa Majesté s'ils le souhaitaient mais que nous arriverait-il à mon ébène entêté et à moi-même ?

— Jeong-Guk, arrête-toi. 

— Navré mais pas le temps, je dois vous...

Mettre à l'abri, oui. Et après ?

À une maximale distance, des membres de cette organisation rendaient à la terre un ministre — de la Guerre — et son militaire accompagnant. À l'instant, je regrettais que ce fonctionnaire ne soit pas le mal-aimé ministre Jang, pater de ma mère. Ce lâche dignitaire fuyait sans confusion et j'espérais que le roi le perçoive et le banisse pour sa foi si mauvaise. Jeong-Guk, différent en tous les points, acheva son trot et tira le jingum de son fourreau. Il se hâta sur les ennemis de la couronne sans le souci de son corps pénurique. Malgré tout, il battait vif, fougueux, angoissant et angoissé. Diverses fois, on essayait de me mordre par le froid de leurs glaives mais toujours, mon Jeon réagissait et les désarmait rapidement. Une tension enlaçait l'un et l'autre rebelle qui reculaient, désormais au parquet. Sans la peur, j'approximai un à l'aléatoire et en lui ôtant son déguisement, je découvris le faciès d'une femme vingtenaire. Une ricane de mépris secoua ma glotte ; je pensais odieux que l'on envoie des demoiselles pour la vieille besogne. Ces rebelles témoignaient de peu de moral, cela me gardait perplexe. Je décidais de conserver le masque en indice et me tournai, intransigeant, vers quelques gardes royaux au détour d'un couloir. Je leur sommai l'arrestation des révolutionnaires, ils s'exécutèrent alors. Par instinct, je me mis en poste au-devant du mien de soldat par l'appréhension qu'ils ne reconnaissèrent celui qui les défit lors de la purge dernière. Lorsqu'ils s'éloignèrent, Jeong-Guk laissa doucereusement tomber sa tête contre mon échine, la respiration infiniment plus lasse.

— Tu tiens encore debout ?

— Ça vous étonne ?

Dos à lui, je fis coulisser ma main vers l'arrière afin d'entraver son chancellement. Je tins le creux de sa colonne puis me montrai lentement à sa face.

— N'en fais pas trop, tu n'es pas en état de te battre.

Ses lèvres se redressèrent tandis qu'il releva le chef à mon égard en reculant de quelques pas. Un filet de sueur perlait sur son front et je ne pus m'empêcher de le penser adorable avec son rose terne aux joues.

— Trouvons seulement un endroit où se cacher.

— Si c'est un ordre...

— Non, je te l'implore.

Je m'agenouillai et ris de gaieté de cœur en éprouvant sa panique alors qu'il croyait que je le supplierais en baisant ses pieds. Sa naïveté me divertissait. Je cherchai, en réalité, à tâton l'épée laissée par l'un des rebelles battus bien que je ne quittai mon Jeong-Guk de ses yeux. Lorsqu'elle fût à ma trouvaille, je m'en saisis avec fermeté et me mis sur pieds, devant lui.

— Tu m'en veux ? Je comprendrais si c'était le cas.

Mon interrogation le surprit. Cela se justifiait, elle me surprenait aussi.

— Oui, je vous en veux. En revanche, le moment est mal choisi pour en discuter.

Son entêtement me contrariait. Il agrippa mon avant-bras, forçant ses jambes à ne pas se dérober. Nous nous remîmes en marche. J'eus une pensée pour Eun-Hee, absente depuis la veille puisque partie en convalescence hors de la capitale : elle resterait sauve, ma petite furie.

Jeong-Guk et moi traversâmes le corridor et sortîmes du palais au plus vite. Le chaos était maître : les corps inertes tapissaient les sols terreux. La lune nous illuminait en dépit des lanternes palatiales. J'entendais les cris, les supplications des uns et des autres, l'effroi ambiant et le sang giclant. Les masqués s'acharnaient en bêtes, faisant tomber les têtes militaires. Certains essayaient désespérément de joindre les appartements du roi. Et parmi eux, beaucoup succombaient avant même d'atteindre les portes. Le menton de mon garde s'agita diverses fois, il cherchait un moyen de nous faire quitter cette inextricable situation. Quand bien même, je ne voyais rien. Il était difficile de penser lorsque des attaques nous venaient de tous côtés. Cela allait de soi : je demeurais le seul assailli sans sourciller. Mon ébène n'agissait qu'en défense et je m'assurais de nos arrières. Je maniai l'arme avec une dextérité insoupçonnée. Je soutins un sourire à mon allié et me liguai, avec lui, contre nos défiants.

Dos à mon dos, nous gardions cette dynamique. Ma royale tenue n'était que frein à mes gestes mais Jeong-Guk était là, m'assurant et me rassurant. Sa plaie coxale le faisait geindre à chacun de ses faits. J'aimerais, cependant, qu'il me permît d'agir en garrot pour lui. A terme, nous en réchappâmes indemnes ; presque quant à mon ébène. Lui était à bout, prêt à toucher la terre. Alors avant qu'on ne fût attenté, je le saisis par le creux de ses reins et le laissai enrouler ma nuque de son bras.

— Je peux marcher seul, vous savez...

— Tu es trop lent, je ne préfère pas, je fis à son lobe.

Je le supportais jusqu'à ce que nous trouvions un lieu sauf. Les cuisines, peut-être, qui semblaient bien loin de tout ce tohu bohu extérieur. La sombre clarté de la salle suffit à nous apercevoir réciproquement. J'installai soigneusement Jeong-Guk précieux contre un pan de mur. Bien entendu, il ne manquait plus de gémir sa souffrance et je réalisais comme je haïssais de le rendre si vulnérable. Je me confondis en excuses sitôt, nerveux, et m'éloignai de tout son lui d'où émanait un affre important. Son œil curieux me questionna sur l'endroit où j'allais si pressé ; je ne m'empêchai guère de m'amuser et de me plaire de son attachement soudain. Or, je ne rétorquai que le rien et me hâtai de fouiller les placards et rangements dont les cantinières disposaient dans ces cuisines. Je farfouillais tout, ici et partout sans prêter oreille aux interpellations nombreuses de mon patient. Je ne déviais pas de ma tâche et m'enlisais dans l'idée déterminée que les employées devaient posséder des compresses, une aiguille et du fil. Les appels désespérés de mon accoutumé protecteur me tendaient des sourires et des rassures sur mon arrivée prochaine à son chevet. Il hélait l'Altesse que je resterais certainement pour le garde qu'il était mais je ne m'en formalisais pas alors que je plaçais entre mes bras ce que je recherchais tellement. Ce moment fut ponctué de silence puis d'un mot, un seul qui figea mon coeur tout-complet en sursaut.

— Tae-Hyung...

Je m'immobilisai quand je saisis au vol mon nom articulé du bout de ses lèvres. Je le ressentis sur chaque parcelle de mon derme et de mon âme qui se gonflait d'une allègre excitation. Je capturai ma lippe subalterne, et mutin, je la martyrisai encore peu à l'aise avec cette envolée mirifique de sentiments.

Bonté divine.

Je pivotai à son égard et le dévisageai, mots et maux coincés au fond de ma gorge.

— Toi alors... je m'étranglai.

À présent, je ne retins pas mon sourire de ravage ; je m'en montrais incapable alors que cet homme, de ses prunelles, ne me quittait jamais plus. Je resserrai mes soins au plus près de ma poitrine et retournai à lui à l'accroupi. La tendresse nous étreignit et me porta à manipuler les mèches noires qui entravaient sa vision absolue.

— Est-ce que je peux te panser ?

Il opina. Je coulai mes doigts sur la ceinture de son habit et le distendis assez pour mettre à nu son thorax et son abdomen bandés. Il ne broncha nullement. Ses runes recouvraient ses muscles moindres ; elles me fascinaient, elles me happaient tant que j'en redessinai les contours de la pulpe. Il se rétracta, se contracta, je le sentis frémir ; cela me plût. Je défis ses gazes par-dessus sa plaie infectée. Lors d'un temps, je le soignais minutieusement : il souffrait, c'était évident. Je lui offris alors la tranche de ma main dans l'ouverture de sa bouche, il la mordit pour ne point émettre de cris trop criants. Ses dents plantées dans ma chaire me firent grincer des miennes. J'achevai, pourtant, mon ouvrage avec peine, mon unique main. Je repris alors mon dû sur lequel Jeong-Guk laissa une sanguinolente trace de sa mâchoire.

— Je suis... Impressionné, je m'émerveillai en estimant ma pauvre paume.

— C'est votre punition pour avoir été malhonnête.

Et cela le faisait rire.

— J'imagine que c'était mérité...

Je traitai sa plaie. Lorsque j'achevai, je dégageai à nouveau les cheveux de mon ébène qui me montra une inquiétude sûre quant à mes phalanges douloureuses.

— Ça fait très mal ?

L'interrogation me fit flotter, c'était idiot. Je secouai négativement la tête et me fis, à mon tour, un pansement autour de ce qu'il m'avait causé. Je relevai le chef, l'ouïe attentive, l'amour en laine. J'élevai la main sans dire mot puisqu'il comprit que cela ne laisserait qu'une cicatrice. À notre entour, je ne discernai rien si ce n'étaient les bruits irréguliers de nos souffles mêlés. Je me levai et abouchai le battant pour jeter un sommaire coup de regard vers la cour. Jeong-Guk m'observa faire, attendant sagement que je lui revins. Et lorsque je vins à lui, je l'aidai à se mettre sur pieds.

— C'est plus calme, dehors... Sortons.

— Bien, Votre Altesse.

Où passait mon nom au sortir de sa jolie bouche indolente ? Il jouait. Je n'avais, cependant, plus la force de relever. Nous marchâmes vers l'extérieur. Avec une extrême prudence, nous rejoignîmes le parvis pris d'horreur partout. Du sang, des membres arrachés, des têtes coupées, des victimes à l'agonie : une véritable boucherie. Mon estomac se noua, je fus saisi à la gorge par l'effluve nauséabond de ces chairs gisantes. J'apposai l'attention n'importe où mes ambres me le permettaient. Les portes centrales étaient ouvertes : l'accès à la cour restait libre.

Je me demandais comment ils entrèrent et n'ayant point de réponse, cela me tourmentait.

— Vous croyez qu'ils sont partis ? m'interrogea le Jeon.

— Je ne sais pas trop...

Je me dévoilais d'une méfiance. Et en écho à mes songes, un tonitruant fracas me glaça les sangs. Il provenait du palais le plus grand, celui de sa mal estimé, Sa Majesté. La détresse trouait nos cœurs pulsants mais je trouvais au furtif la main accueillante de mon garde que j'enlaçai dans la mienne. L'univers tout total se tût dans un silence cosmopolite. Avec une prudence justifiée, Jeong-Guk et moi-même nous tournâmes vers les pas qui déchiraient désormais ce calme infernal. Tapis dans la sombre clarté des lampions, nous attendions que tombe le verdict de cette marche assurée. D'infinissables autres enjambées obéissaient aux premières, et des voix claquèrent la ventée sifflante. Le vieux Kim, mon père, apparut par son dos, du haut des marches royales. L'effroi traversait son visage cinquantenaire de même qu'une épée transcendait sa peau et ses côtes. Sa carcasse chancelante oscillait et luttait à son maintien droit. Je scrutais sa peur et la laissais s'imprégner de mes sens. Sa rougeur traduisait une rage que je lui connaissais depuis toujours, celle de ces jours où ses épisodes paranoïdes dominaient sa raison. Je comprimais la main de mon précieux dans ma poigne tandis que je jouissais de ses doigts délicats caressant ma face dorsale. Le menton de mon patriarche s'orienta vers nos silhouettes dans l'ombre comme mû par un désir accablant de me repérer. Et sa parole en furie s'éleva dans la nuit, injuriant et maudissant ce nom, moi, Kim Tae-Hyung. On me perfora de ses cris et de la haine qu'il me crachait puis de ses geignements courroucés de sa douleur. Au devant de Sa Majesté se profilait une figure plus menue, davantage svelte et maître de soi. Shin Ga-Ram cheminait avec fierté et tenait, à sa droite, un jingum à la désirée couleur de la mort. Et à son derrière se dessinaient des hommes si nombreux et gardant leurs identités discrètes. Le croissant lunaire les sublimait dans une aura mystique, si au-delà du réel et à tel point que l'on imaginait une œuvre peinte où riches et pauvres s'affrontaient. La patience devenait insoutenable.

Du côté de mon père, seul dans sa tempête, chacun de ses traits tendus s'imprimait dans le désordre de mon esprit. Le dément mangea abruptement la pierre dont l'escalier était méthodiquement construit. Ga-Ram se fendit d'un sourire de fourberie et botta le menton de son roi qui termina contre la rudesse du sol, au bas des marches. Il le rejoignit, et bientôt, le monarque craint se mua en une atroce souvenance. Le rebelle dépouilla le malheureux de l'épée supplicieuse de son nombril dans un son fluide qui rappelait un liquide en mouvement. Sa Majesté tomba, heurtant la tête au par-terre pour une énième. Alors le Shin le souleva par le peu de cheveux de son crâne. J'abordai une avance vers lui mais mon garde protecteur me retint d'une force surnaturelle tandis que les larmes habillaient mes cils et s'échouaient sur ma bouche tremblante. Et de là, un pleur surprenant bouscula mon larynx. Jeong-Guk apposa sa main autre sur mes paupières et me contraignit à détendre ma tête dans le creux de sa nuque. 

— Jeong-Guk, ton frère... C'est lui qui... je larmoyai.

— Je n'en savais rien, Votre Altesse...

Je le repoussai à sa réplique. Le Jeon ne masqua sa surprise, et je m'en contrefichais. Pour l'heure, j'apportai de nouveau mon intérêt à la scène hémoglobine qui se jouait sous mes pupilles. Son frère l'aîné, à Jeong-Guk, portait le roi, mon pater inerte, sur son épaule large. Et d'un revers de son regard, il constata la portée de ses dégâts avant de déclamer tout haut ce que je n'espérais pas tout bas.

— Mes frères, mes sœurs, nous l'avons fait... Le roi... Le roi est mort.

La solennité l'entourait et je me sentis miséreux et impuissant. À mon côté gauche, la contre-guimauve s'interrogeait certainement sur mes affres spirituels et l'intensité à laquelle je demandais à être ailleurs, n'importe où sauf ici. Yeonsan-Gun était le tyran de mon existence et je l'abhorrais avec férocité. Néanmoins, à son égard, j'éprouvais un attachement furieusement filial que je ne saisissais pas à présent. Je pensais qu'il ne s'agissait que d'une mythologie, que je ne me retrouverais pas face à mes regrets devant le décès de cet homme.

Le papa de ma vie, le seul qui fut à ma connaissance et celui qui décida de m'adopter malgré son titre.

Je hoquetai, pris dans un tourbillon de ressentiment. Les assaillants se dirigèrent vers les battants de la cour en emportant, avec eux, un peu de moi. Le monarque tombait et je savais, à ce jour, que je ne le verrais plus. Je considérais sa tête dodelinante sur l'épaule du chef de l'insurrection. Ils franchirent les portes et je me chus au sol. Je m'abattais de rancoeur alors que la promesse d'une ère nouvelle s'esquissait, une sombre époque de Chô-Seon où il n'y avait de place pour un monarque.


"Le roi mourut, et ce fut le début de la monarchie."



















































ACHLYS | CHAPITRE 15 | INTERLUDE

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