𝐄
ACHLYS | CHAPITRE 26
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk, 26 Octobre 1504.
- E -
- Uimundae, Votre Majesté.
Je fus pris d'un doute. J'ignorais que cela serait si vif avant que cet homme d'il y a cinq jours ne revienne annoncer son savoir nouveau. Il m'était impossible de m'en réjouir alors je demeurais soucieux. Si ce garde avait posé la main sur l'identité de notre groupe, cela voudrait-il dire qu'il aurait pris Ga-Ram et les autres ? Je fronçai le nez, je plissai les orbes : ma cervelle tournait à régime. Tae-Hyung resta tacite, un temps. Je l'approchai et je me figeai lorsqu'il octroya la parole sans un regard pour moi.
- Où sont-ils basés ?
- En plein coeur de la capitale, Votre Majesté.
J'étais infiniment trop bon. Je le savais, j'aurais dû m'assurer qu'il ne révèle jamais rien à mon roi. La mâchoire de celui-ci se serra lorsqu'il comprit. Les images de notre première nuit lui revinrent en refrain dès lors que ses prunelles s'imbriquèrent aux miennes, je ne cillai pas.
- Quoi d'autre ? Leur emblème ? reprit-il sans se défaire de mon havane sombre.
- Leur emblème est un serpent, Votre Majesté. Mais ils portent tous des tatouages pour se reconnaître entre eux. Ce sont des experts. En botanique, particulièrement. En temps normal, ils agissent à l'emploi de fleurs diverses pour empoisonner leurs ennemis mais depuis que leur nouveau chef est à leur tête, ils s'autorisent les mouvements hostiles.
Un mutin s'esquissa sur les ourlets de mon brun, son pari était gagné. La Majesté devint obscur et somma à son pantin d'achever ses investigations. Je n'agis guère lorsqu'il sortit, échine courbée. Bien que je l'empoisonnerais avec mes fleurs, celui-ci...
L'œil de marbre du monarque me fit tressaillir ; il se posa sur ma figure, me détaillant comme si je n'étais que chose futile, parasite dans sa chaussure. Mon sourcil se leva, ne témoignant pas de mon impression au devant de son aura implacable. Je le trouvais changé mais jusqu'à quel point ? Certainement pas pour le meilleur. Le nom de mon groupe lui effleura les lèvres avant qu'un rire ne le saisisse. Je ravalai ma salive en faisant état de ce pouvoir qui l'enveloppait. À présent, j'émis quelques confusions à savoir qui se trouvait face à moi : mon royal tant aimé ou le successeur de son père.
- Jeong-Guk... Je suis un peu idiot, non ? Ils vivent là, dans mon royaume, ils sont tout près et je n'en savais rien. Peux-tu seulement me confirmer la véracité de ces informations ?
- Non.
- Quoi "non" ?
- Je ne peux rien te dire, pardon.
- Aimer, ce n'est jamais avoir à dire qu'on est désolés... Je devrais te faire pendre pour ton silence...
Nerveusement, je ricanai. J'avais beau l'aduler avec toute la sincérité du monde, j'acceptai médiocrement la faible valeur que les royaux accordaient à la vie. Tae-Hyung susurrait, pour sûr. Il ne plaisantait pas. Il ne le pouvait plus. Je n'osai guère me mouver pour le joindre. Son corps demeurait tendu, presque trop pour prétendre à la détente. Son irritation était telle que j'aurais désiré le voir esquisser l'ombre d'une quelconque boutade. Or, il restait si anxieux, si jubilant à l'idée que tout serait enfin terminé. Cette guerre, ma vengeance. Je n'ajoutai rien. Il était roi et moi, son humble soupirant. Frustrations. J'entendais les murmures incessants de sa voix. Je voyais le tremblement de ses mains et l'incontrôlable frénétique mouvement de celles-ci gravant le nom d'Uimundae à l'encre hémoglobine.
- Tae-Hyung... Je t'ai juré protection au péril de ma vie. Je tiendrai parole, crois-moi.
- Admettons que je te fasse confiance, ne me déçois pas.
- Jusqu'à mon dernier souffle.
Je le laissai sur ces paroles pour rejoindre le dehors, les idées m'y seraient plus claires. Celles de Ga-Ram revenaient au trot dans ma mémoire puis celles de Baek-Hyun, tous deux ayant soutenu la méfiance à l'égard de Kim Tae-Hyung. Je n'en savais toujours rien davantage, ni cela ni ce pour quoi ma mère avait été écartelée. Sa Majesté me jura ne rien connaître... J'ignorais alors qui croire. Au loin, j'aperçus les Altesses, Ah-Reum et Soo-Ah, qui rondaient dans les jardins. Le regard de mépris de la première et la suffisance de la seconde me firent grimacer. Même si j'allais à la rencontre de la reine douairière, elle ne me dirait rien de plus que la dernière fois, perte de temps. Et voilà que son père, le ministre Jang, entrait dans cette équation irrésolue. Son sarcasme m'excédait, je pourrais tant tous les tuer...
Le ministre pour se rendre suspect de tout. Soo-Ah pour se rendre complice de la mort d'Ae-Cha. Ah-Reum pour se rendre épouse de Tae-Hyung. Et Tae-Hyung, pour avoir partagé la couche d'Ah-Reum. Les chauds et froids me tiraillaient.
Certains de mes subalternes passèrent en me saluant, je ne leur répondis que succinctement. J'aperçus pareillement Dame Park, puis le Chul qui transportait de nombreux rouleaux de parchemins. Lorsqu'il m'entrevit, il voulut faire demi-tour aussi vite. J'eus un sourire et le suivis alors tandis qu'il accélérait. De ses courtes jambes, il n'alla loin et il ne me fallut que quelques secondes pour le saisir par l'arrière de son col.
- Lâchez-moi, monseigneur ! s'agita mon très petit eunuque.
- Tu veux que je m'énerve, Chul ? Ne sois pas impoli.
Je ris. Parce que le taquiner demeurait source réelle de distraction dans cette géhenne incessable.
- Tu te méfies de moi et je comprends ; je me serais méfié de moi-même à ta place. Mais je ne te ferai pas te mal alors ne me frappe pas, tu ne ferais pas le poids de toute façon.
- Vous êtes méchant.
- Oui mais sincère.
Je lui témoignai de toutes mes dents avec toute ma bonne foi, il se détendit un peu. Je le relâchai et l'autorisai au ramassage de ses feuilles qui s'étaient échouées dans la poussière.
- J'allais à la bibliothèque du roi, monseigneur, déclara-t-il d'un petit timbre.
- Bien, je t'accompagne.
- Non, c'est inutile !
J'hallucinais, me craignait-il à ce point ?
- Trop tard, je viens. Pas de chance pour toi, hein ?
Il poussa un râle et poursuivit sa route, avec moi sur ses talons. C'était fou ce qu'il était épuisant à la plainte mais je devinais que ça servait peut-être à me faire fuir. Je réussis à le faire taire, néanmoins, en moquant qu'il ne séduirait jamais nulle femme s'il continuait sa désobligeance... Il égara sa langue, alors.
La bibliothèque était celle de l'ancien Prince héritier, nouvellement devenu celle du roi. Elle lui était réservée et aucun autre ne pouvait y entrer sans accord au préalable. L'eunuque que j'accompagnais me servait de guide dans les immenses rayons contenant livres et merveilles de toutes les sortes. "Ne touchez à rien" s'empressa d'ordonner le petit-homme, pas autoritaire pour un sou. Je haussai les épaules en retour et me laissai aller à une certaine rêverie en parcourant les étagères non-étiquetées. Les corpuscules reprenaient leurs droits sur les ouvrages depuis le décès de l'ancien monarque. De la bouche de certains, il paraîtrait que seul le fils habitait ces lieux, le père n'y allant que plus rarement.
- Au fait, elle te plaît la Dame Park ? commençai-je envers Chul.
- Je me concentre, ne parlez pas.
- Tu vas me dire comment baiser, aussi ?
Il ne rétorqua rien, je soufflai de dépit et je repris.
- Peu importe ce que tu penses de moi, je tiens à le protéger.
Lui, Sa splendide Majesté.
- Si cela vous importait réellement peu, vous ne seriez pas là.
Balle perdue pour le Jeon, je contournai le meuble des archives et le rejoignis. Il était doué pour me couper l'herbe sous le pied. Que dire, j'étais troublé.
- Tu connais bien le prince Dae-Ho ?
Juste un silence.
- Chul, j'insistai.
- Oui... J'ai vu qu'il était de retour.
- Qu'est-ce que tu sais ? Ne t'avise pas de me mentir, je peux lire dans tes yeux.
Il déglutit, cela m'arracha un rire plein.
- Sa Majesté et Son Altesse ont grandi ensemble... Ils étaient proches avant que Son Altesse, la reine Ah-Reum, ne vienne vivre un temps à la cour. Ils se sont tous rencontrés à cette époque et également, c'est à cette époque où de violentes querelles entre les frères concernant la reine ont éclatées. Sa Majesté aimait sa promise d'un amour naïf comme je n'en avais jamais vu...
- Tu plaisantes ? Il la déteste.
- Ah, ça... Écoutez, je ne suis pas sûr de ce qui s'est vraiment passé mais je sais que le roi a commencé à la haïr du jour au lendemain.
Cette folle femme serait à l'origine d'une gêne confuse chez les deux Kim et cela, depuis leur enfance. Dae-Ho souhaitait reprendre ses privilèges de l'héritier légitime sur le trône. Si Tae-Hyung n'avait pas été adopté ici, Dae-Ho serait le seul successeur possible. Je voyais la fin de ces desseins. J'opinai pour remercier Chul de ses informations sur lesquelles je méditai un court instant avant de me lever.
Debout, à mes pieds, je chancelai légèrement. Le peu d'aliments ingurgités et ma récente fièvre eurent raison de me faire basculer à dos contre le meuble qui tomba au sol et emporta les dossiers dans un grand fracas, ô joie. L'eunuque me lança une haine par le regard suite à ma bêtise, je quémandai son pardon du bout de mes lèvres et je m'abaissai pour réparer mon erreur - au moins ramasser tous ces ouvrages.
Un à un, je le fis et progressai.
Je ne bronchais pas mais je restais un peu nauséeux. La perte de mon A-Ra m'avait offert un coup de massue ; mon corps restait endolori, mon cœur, encore mutilé. Les prunelles au vide, j'agis spontanément en rangeant les papiers dans un ordre mal calculé. Néanmoins, mes sombres s'accrochèrent à des caractères qui, malgré mon illettrisme toujours un peu présent, je reconnus.
A E - C H A.
Le nom de ma mère. Un fichier qui lui était consacré et potentiellement, un fichier qui contenait les réponses que je recherchais avec tellement de vigueur depuis lors. J'élevai le chef vers Chul, tant occupé pour daigner m'arrêter dans ma quête. Je n'hésitai plus et ouvris les pages. Des peintures de sa sublime figure et des lettres lui étant adressées, d'autres qu'elle ne reçut jamais... La plupart était pour mon père, d'autres de Yeonsan-Gun. Il y en avait quelques-unes pour A-Ra, encore pour moi... Une autre pour Tae-Hyung. L'envie de les lire me tint. Le temps manquait, je devais tout emporter. Parmi les feuillets, des documents d'identité au son de Jeon Ae-Cha. Parmi ceux-là, le Jeon Il-Nam. Et encore parmi eux, des volantes rassemblées en un registre où étaient inscrits les noms des membres de notre petite famille si détruite. Malgré moi, un sanglot m'étrangla à mes découvertes soudaines.
"J E O N A E - C H A : EXÉCUTÉE LE 30 DÉCEMBRE 1489 À LA SUITE D'UN AN D'EMPRISONNEMENT".
"MOTIF : HAUTE-TRAHISON".
Et une flopée d'explications s'ensuivit. Explications que je ne parvins pas à lire. Tae-Hyung me gratifiait encore de cours pour apprendre à déchiffrer la lecture. Ce n'était pas assez. Je ne savais pas en lire autant que là. De plus, un quart de la page manquait, arraché, la plaie. Je me pinçai la lippe, terriblement frustré. C'était illisible et il n'y avait de doute sur le fait qu'une tierce personne s'était arrangé pour que je ne trouve jamais le coupable. Le défunt roi détenait cette paperasse ; il avait connaissance de mon existence, de celle de A-Ra. Et Tae-Hyung, comment pourrait-il détenir ces documents sans en connaître la réalité ? Bordel, Jeong-Guk, quand est-ce que tu apprendras ?
Je dépliai nonchalamment le livret de famille. Sur la première feuille se situait l'état civil de mes deux parents puis sur une deuxième, un vide - là où auraient dû se trouver celui de ma sœur et le mien... Un dernier restait à part, inintelligible mais pas suffisamment pour que je ne puisse y déchiffrer le nom de Kim Tae-Hyung le Kim.
"J E O N T A E - H Y U N G : AÎNÉ".
Une douce bourrasque redressa les pores de ma peau. Un hoquet me lança et mon corps réagit à l'information balançante sous mes yeux effarés. Mes fesses touchèrent le sol ; je me débridai en priant pour que ce papier ne soit qu'un leurre, ne soit que la chimère d'un homme amoureux qui ne serait voué qu'à la douleur. Pas lui. Pas mon Kim, je le refusais.
ACHLYS | CHAPITRE 26
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