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ACHLYS | CHAPITRE 16

𝐈𝐍𝐓𝐄𝐑𝐋𝐔𝐃𝐄 𝐏𝐓.𝟐


































Royaume de Chô-Seon,

ancienne Corée réunifiée,

Tae-Hyung.





































— A —

À mort, le roi. 

Et par cela, je désirais dire qu’il n’était plus et qu’à l’état de souvenirs, il devint. Je ne le réalisais qu’avec grande peine. Cette nuit passée se nommait d’une croix blanche et voilà, pourtant, que je me rendais vert de doutes au point de n’avoir su fermer l’oeil. De nombreuses vies prises… Trop de coeurs arrachés. Des nobles, leurs familles, des soldats, le bas-peuple et puis, notre malheureux monarque. Je le succédais dans l’ordre des choses, et ce fût dans un instant tel de perte et d’apathie que je souhaitais la capture à sa place à lui. 

Le soleil post-méridien me berçait de ses rayons chaleureux alors qu’un cortège convergeait autour du panel boisé brûlant du père disparu. Tout fut organisé dans un déferlement de panique puisqu’il m’eût été compliqué de faire ou de commander sans hausser le ton sous tension. Le mutisme devint un allié, comme si rien de tout cela ne m’ébranlait. Néanmoins, c’était idiot. Cette tuerie me gardait un goût corsé, et je ne passais pas à autre chose quand le vide m’animait ainsi. Mes pupilles se vissèrent sur la fumée grisonnante qui s’élevait dans les tours et émanait du linceul lin et sans corps mort. Les sauvages l’emportèrent, la veille. Parmi eux, je comptais Shin Ga-Ram. Un rire fit trembler mes lèvres, sidéré. Jeong-Guk ne connaissait pas ses plans, il me le jura et je le crus, certainement un peu candide. 

Les tambours claquaient dans les vents. L’inhumation ne se procèderait guère tandis que l’on ignorait où le groupe Uimundae retenait la dépouille de la Majesté. La bravoure me perdrait alors quelque part, cela me soulgeait de n’avoir à suivre l’enterrement. Eun-Hee, notre mère aussi, conservait l’indifférence feinte. Si jeune et déjà éprise par les codes où une femme de haute ne devait ni rire ni larmoyer. Un autre, et comme à l’accoutume, brillait par son absence en ce jour endeuillé. Dae-Ho, mon cadet, n’offrait plus de ses nouvelles et apparaissait quand l’envie le lui chantait. A présent, mon unique souhait serait que la putride âme de notre père subsisterait, elle rencontrerait celle d’Ae-Cha et s’agenouillerait en mille pardons. J’espérais que là-haut, dans cette vie d’ailleurs dont je ne savais encore rien, ma nourrice ne le lui accorderait pas. Ce songe bien-pensant, je le devais à mon anti-guimauve qui ne me quitta pas depuis hier malgré son état, et le mien, à déplorer. 

— Votre Altesse, il faut vous préparer au plus vite… s’essouffla le Chul, navré.

Je ne lui en tenais rigueur puisque j’avais toutes les raisons au monde pour ne pas vouloir être prêt d’ici une heure. J’opinai d’un oui encore flottant et je pivotai vers le Jeon qui restait soucieux, à ma droite. 

— Je rentre, tu m’accompagnes ?

En écho, il me servit un sourire aimable et je me gonflai de gratitude. Ensemble, nous cheminâmes vers mon palais — plus pour longtemps, il semblerait. Une horde de dames suivit nos pas sans que je m’en satisfasse. Depuis l’enfance, je rêvais d’assister aux obsèques du Gun mais devant le fait accompli, je nourrissais le sentiment que l’on me déchirait les entrailles avec les dents. Je plongeai, nu, dans le bassin où l’on me frotta avec acharnement sous l’oeil du ministre des Rites, du maître chaman et de deux dignitaires religieux. A ma demande, on s’occupa de Jeong-Guk aussi dans une pièce voisine. Or, des interrogations restaient en suspens, des quiproquos mêlés et un nous irrésolu. Le temps manquait : un mariage, le mien, m’attendait. 

Je ne vivais plus qu’à peu de mois de la majorité royale. En attendant, ma mère régnerait en régente-douairière, mère du roi de Chô-Seon. Un soupir, il était trop tôt. Qu’importait la couronne puisqu’il n’en restait qu’un que je convoitais sans la cesse, le seul que je n’aurais pas. Apparemment, les sujets impossibles m’attiraient plus que la raison et la paix. 

Assaini, je quittai le bain afin d’enfiler un habit ample. Dans ma chambrée, mes apprêts royaux reposaient dans un coin non loin de mon garde à l’appui contre une cloison. Je congédiai la foule de dames, ne laissant ici que les dignitaires, Choe Sang-Pil le chaman fou, Chul et la cheffe Park. L’inestimable vue de Jeong-Guk glissa dans la mienne et fourmilla mes sens. S’il demeurait alors cela irait, le mieux étant l’ennemi du bien. 

— Comment se porte notre futur roi ? 

Il interrogea, intéressé, malgré les sermons confucéens des dévots. La déception maquillait mes traits, je ne le masquais pas. 

— Je pourrais me saisir d’une corde et me la nouer autour du cou… Est-ce que cela répond à ta question ?

Ses cils se creusèrent, inquiets. Je riotai d’un pétillement d’amusement lorsque ses deux sombres se détournèrent à la contemplation de mon plus simple appareil. L’eunuque me ôta ma robe, paré à me changer. 

— Toi qui as coutume d’avoir des amants, je te pensais décomplexé.

— C’est différent, Votre Altesse.

— Parce qu’impliquer ses sentiments rend la chose plus difficile ? je haussai le sourcil.

A nouveau, son brun de fonce s’imbriqua dans mon orangé. Les fonctionnaires et serviteurs écoutaient avec discrétion l’échange. Peu à peu, les derniers me couvrirent de vêtements, ceux-là même portés par feu Yeonsan-Gun lors de son union. Jeong-Guk y médita longuement sans plus s’embarrasser maintenant que j’aie été vêtu. Sa bouche se redessina, il reprenait un peu de ses couleurs. 

— Merci de m’avoir soigné, la nuit dernière. 

Un hochement de tête répliqua à ma place. J’exprimerais bien des idées pour qu’il me démontre la reconnaissance qu’il éprouvait à mon égard. Ce jour s’annonçait pénible. Quant à Jeong-Guk, je ne me montrais pas certain sur ses pensées. Sa physionomie indéchiffrable alourdissait mes repères, son silence se perpétuait sans l’arrêt et je craignais que l’on n’évoquât jamais mes noces. De mes grandes ambres chagrines, j’observais mon ébène à présent que je me préparais à affronter une destinée que je ne voulais pas. L’attention que je lui portais soudainement retint la sienne. Ses ripostes régulières me divertissaient et je me quémandais la raison pour laquelle il me devenait si cher. Dès lors que nos vues se mêlèrent en ce septembre premier, je sus qui il était et je ne pressentis pas le besoin d’en profiter davantage que, déjà, mon coeur lui appartenait tout-entier. Le Jeon n’était pas le plus loquace des gardes mais j’appréciais chacune des attentions qu’il prouvait pour moi. Cela m’étonna d’un sourire. Et de plus belle alors que le Chul se débattait avec son mètre soixante pour décorer le haut de mon crâne de mon couvre-chef royal. Je me moquai en maudissant que s’il mangeait un peu mieux, il grandirait encore. J’émis un leste geste de menton envers mon milicien le railleur complice. Sa présomption dissimulait une émotion que je ne lui reconnaissais guère. Son échine se décolla du mur avec une lenteur tentatrice. Il s’avança et ne défit pas ses prunelles dansantes de mes fauves fascinantes. Son doigté gracile s’empara de l’objet destiné à coiffer mes châtains et s’approchant plus, il le déposa sur mes épaisses ondulations. Le regard gorgé d’énigmes que m’adressait Jeong-Guk similait des sables mouvants dans lesquels je me laissais attraper sans échappatoire possible… 

— Votre Altesse, s’il-vous plaît… 

— Qu’y a-t-il, Chul ?

— Votre fiancée vous attend. 

Sois honteux, eunuque. 

Jeong-Guk recula sitôt ces mots syllabés. Mon palpitant se resserra, son facial se tendit, accablé, tandis que l’impuissance m’enlaçait. Après quatre années, je me retrouverais au-devant de mes erreurs qui portaient le nom dangereux de Rhee Ah-Reum, bientôt ma reine.

— C’est impressionnant, Votre Altesse, comme vous avez l’allure d’un roi ! s’égosilla Dame Park. Vous me rappelez feu votre père lors de son sacre. 

Ce devait être un compliment.

— Et toi, Jeong-Guk ? Qu’en dis-tu ? 

Sa tête se redressa vivement au sortir d’une torpeur assourdissante. Il ne prononça rien mais j’attendis. De fil en aiguille, il prit conscience de l’endroit où il se trouvait, avec qui, sa profession, son âge ensuite et certainement, sans aucun doute, son nom et son prénom… Je ris. 

— Vous êtes parfait. En revanche, la demoiselle se trompe. Vous ne ressemblez en rien à Sa Majesté… Vous, vous serez le plus grand des rois que Chô-Seon ait connu. 

Les fourmillements s’intensifièrent avec le désir de l’étreindre. Je m’avançai à lui et tapotai gaiement le haut de sa chevelure corbeau ramenée en chignon tout défait. Il grimaça, je lui servis un sourire malingre et le contournai pour me conduire vers les battants, suivi des autres à ma solde.

— Ah, Jeong-Guk… hélai-je, sur le pas de la pièce. Quand pourrons-nous discuter sérieusement ? 

— A quel sujet ? 

L’insensible Jeon feignait l’ignorance ; or, il détenait connaissance — je m’en persuadais — des maux qui entouraient mon coeur.

— Juste avant votre cérémonial, fit-il alors sous un soupir. 

Ce temps me paraissait court, tellement trop juste que je l’acceptais, la mine en rancoeur.

J’acquiesçai et m’empressai d’abandonner le lieu de mes appartements pour le parvis bondé. Les populations se mélangeaient au-dehors. Aristocrates et ouvriers puis les courtisanes et les parias ; tous venaient en ce jour célébrer l’avènement de leur héritier. L’enthousiasme se ressentait, et en dépit de mes tracas, je le partageais pour cet événement où je devenais le roi unique de mon royaume. Il s’agissait de mes ambitions, de la raison première pour laquelle j’accomplissais mes devoirs de prince aîné avec tellement de passion. Cela ne m’enchantait nullement que de vivre ce rêve à travers les assemblées et les papiers administratifs interminables. Cependant, je trouvais un extase certain à gouverner puisque le règne démontrait une volonté vorace de faire évoluer les existences. A-Ra, soeur cadette de mon Jeon, demeurait le premier pas vers une métamorphose des sociétés. Elle se tenait là, au plus près de la princesse, assise dans un chariot à roues pour le transport des infirmes. L’apercevoir me fit admettre une joie auquel j’adjoignais la conviction de meilleures conditions de vie pour les indigents. Sur mes appuis, je rendis le signe de la main partagé par les deux jeunes amies. Mes membres vibraient à la cadence de mes craintes mais pourtant, mon esprit tournait d’obsession. Celle d’offrir honneur à Jeong-Guk en devenant le meilleur des souverains que Chô-Seon ait connu.

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Ah-Reum tenait sa fierté par un dos droit, une tête haute, une émotion relativement cachée et un nom qui me paraissait aigre. Sa chevelure de jais ornée d’un chignon bas et sage la couvrait de suffisance. Son hanbok éclatait d’un rouge vermillon et coïncidait avec mon habit d’apparât. En ces lieux baignés de luxe, la reine Soo-Ah délaisserait son titre pour la régence lors du prochain quart de l’année, jusqu’à mes vingt-et-un ans. La presque douairière se présentait devant nous, siégée au sommet de la cour et de l’immensité du peuple s’étendant jusqu’au delà des murs de la capitale. Le maître soleil, pareil, sortait ses plus belles parures pour nous éclairer de sa bonté lumineuse. Je me souvenais de l’adolescence où nous devions déjà nous marier depuis lors et de mon insistance, pour attendre la majorité, dans un instant d’ivresse de mon père. Bien que nous n’y étions pas, le code m’empêchait d’ignorer plus longtemps ma promesse d’union alors que je devais impérativement être couronné. Je fis l’impasse sur un renouvellement de l’accord de mariage et sur la présentation des offrandes. Une fois, il y a quatre ans, me suffisait. 

La cérémonie s’éternisait, dirigée par les dignitaires. Les peuples se poussaient, les clowns riaient et les sermons fusaient hauts. Et parmi la cohue, je ne remarquais pas la présence de Jeon Jeong-Guk, mon ébène. 

— Où est-il ? je réclamai à Chul, tout proche.

— Je suis là, Votre Altesse. 

Jeong-Guk apparut à mon dos, et lorsque je lui montrai ma face, il inclina son échine comme il le faisait habituellement de respect. Son visage lui restait fidèle et ne me dévoilait rien de ses songes. Il se redressa tout droit et harponna ses sombres à mes pupilles fauves sans jamais faire fi de la présence régalienne si près de nous.  

— Qu’est-ce donc ? s’indigna cette indigne souveraine. Qu’attendez-vous pour vous prosterner devant Sa future Majesté ? 

Une sidération absolue raidit mon garde insolent tout entier. La bouche à demi-ouverte, il la considéra dans son infinie beauté en laissant un mal à l’aise s’installer sur ses épaules voûtées. Je l’approximai, troublé de ne point voir de réaction quelconque sur chaque parcelles de son derme hormis une tension visible qu’il ne contrôlait plus. 

— Jeong-Guk… Jeong-Guk, tu m’entends ? Tu n’as aucun ordre à recevoir de cette femme. 

— Je sais, susurra-t-il comme pour s’en convaincre. Vous êtes mes souverains, pas mon Dieu.

Sa rétorque m’hébéta. Et à travers elle, je sentis le mépris et la haine ; je sentis le dégoût et son animosité profondément enracinée en lui. Je raclai doucement le fond de ma gorge et me repris aussi bien que je le pouvais.

— Je vous rejoins au bas de l’estrade dans quelques minutes, Ah-Reum. 

— Oui, Votre Altesse.

Elle acquiesça docilement et se retira. 

Nous étions tous deux, à présent. Je ne trouvais pas l’élan pour aborder ce qui nous fâchait alors j’admirai son faciès doux et baigné des rayons crépusculaires.

— Vous ne vous inquiétez pas d’avoir contrarié votre épouse ? commença-t-il lui-même.

— Future épouse.

— Je crois que c’est pire, Votre Altesse. 

Son ton plein d’amertume se persuadait que je le prenais pour un amusement. Il se leurrait. Notre relation détenait quelque chose de foncièrement singulier que je n’avais avec nul autre de mes entours. Je l’approchai et réduisis de la sorte le peu d’espace qui nous maintenait loin.

— Tu es différent, Jeong-Guk.  Ne sois pas comme ça.

Il se repliait alors que je m’enlisais dans ma peur pour oser poser mes pas dans le plat. Ses lèvres se tordirent, grimaçantes, grignantes et cadavériques dont je rêvais longuement ces jours-ci.

— Je sais que je me répète mais vous ne vous rappelez vraiment de rien ? Moi, ça fait deux semaines que ça ne quitte plus mon esprit et que je me torture à être si troublé par un simple baiser.

Le Jeon exprima ces dires qui détenaient une saveur curieuse en mon sein puisqu’évidemment, de tout, je me rappelais. 

Nos bouches tendrement entrelacées sous le relent alcoolisé puis cet instant de flottement avant que je ne m’endormisse sous ses caresses. Le lendemain lorsque sa parole questionna la mienne, et que je lui mentis effrontément sur ma souvenance. Mon accalmie traduisait mes remords sondés. Je ne cherchais plus à user de faux-fuyants pour m’extraire de mon embarras : cette discussion aurait lieu et peu importait ma faute. 

Je transmis un oeil à mon arrière, à cette masse bruyante qui attendait impatiemment ma venue à elle. Ma taille élancée vint faire barrage à ce nous, Jeong-Guk et Tae-Hyung qui s’aimaient dans le secret. On ne perçut plus l’ombre du garde sous la mienne ni le fin ourlement de ses lippes à mon action. Je glissai, à la douceur, mes dactyles sur sa pommette dont la froideur me saisit aussitôt. Je parcourus sa physionomie des bouts de ma paume, je les baladai sur ses paupières closes puis sur l’arrêt de son nez, j’achevai mon marathon à l’effleurement de sa lèvre du bas.

— Si c’était à refaire, je t’embrasserais de nouveau… Je t’embrasserais jusqu’à l’étourdissement, jusqu’à ce que tu n’en puisses plus et que mort s’en suive. Si c’était à refaire… Bordel Jeong-Guk, crois-moi que je battrais marées et vents pour avoir la chance de poser de nouveau mes lèvres sur les tiennes. Tu comprends, maintenant, à quel point tu m’es précieux ?

Je repris mon haleine. Ses billes s’ouvrirent en plus grand sous l’étonnement et la détonation des cieux. L’armée tirait des coups de fusils au-dessus de nos têtes comme pour avertir de l’événement marital. Les muscles de ma mâchoire se contractèrent et je concentrais mon attention sur Jeon Jeong-Guk qui offrait l’impression qu’un poids se déchargait de son lui tout-complet.

— “Bordel” ? C’est stupéfiant comme vous pouvez être grossier, ironisa-t-il.

— Ta faute.

— La mienne. 

Nous nous sourîmes brièvement. L’heure venait de m’en aller, de servir les cheoseonins ; c’était fou comme je ne le voulais pas. J’admirais mon garde qui n’égarait ni la face ni sa vivacité dans un moment semblable. Je lui offris une cajolerie dernière sur le sommet de sa tête et sans la conviction, je m’éloignai pas à pas, progressant peu à peu vers celle qui partagerait le restant de ma vie.

Les officiants religieux priaient aux côtés de Sang-Pil que je trouvais bien plus étrange sans la compagnie de Yeonsan-Gun. Le chaman invoquait et faisait la médiation entre les Hommes et les esprits, les ancêtres. Je le soupçonnais de jeter des malédictions ici et là. Après tout, il restait le fidèle allié de mon père et de son vivant, ce détraqué alimentait ses idées délirantes. A présent, il maniait les rituels symboliques aux côtés du ministre concerné. Le Jeon, à travers les invités, disparut au-derrière des battants draconiques. Il ne montra intérêt qu’à son frère adoptif, Ga-Ram, qui se confondait à la paysannerie. Leurs épaules se croisèrent en marche avec une détermination prouvée, l’un au culot d’assister à la fête et l’autre s’éloignant toujours plus de moi.

Cette mascarade conjugale se poursuivit ainsi. J’ignorais si cet homme qui tyrannisait cette chose qui battait fort dans ma poitrine reviendrait. Je réconfortais mes affres en m’abrutissant de ces vérités dont je doutais encore : je serais le meilleur souverain, certain mais époux convenable, cela n’arriverait pas.

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— En tant que souverain de Chô-Seon, je promets solennellement de gouverner avec sagesse et justice, de protéger et de servir mon peuple avec dévouement, et de défendre l’intégrité et la prosperité de notre nation. Que les cieux et nos ancêtres témoignent de mon engagement envers cette noble cause. 

L’intronisation et le serment furent grandioses lorsque je devins le roi. On scanda mon nouveau titre, celui de l’Ah-Reum moins, et cela me rendit gris. Sa Majesté… Père, je désirais que vous vous retourniez sans jamais trouver le repos. S’il me voyait ainsi, il m’aimerait à moindre et je lui rirais au nez de le voir paraître si livide. Mes prunelles croisèrent celles d’Ah-Reum et sitôt, mon euphorie s’envola au profit d’une mélancolie. Je n’apercevais nulle part le Jeon, et cela me fit mal. 

— Un problème, Votre Majesté ?

Ce timbre miel m’épuisa à l’avance. Mon épouse était l’archétype de mes pires cauchemars. Elle manipulait son monde depuis nos premiers émois de l’âge ingrat. Je l’ignorai et la laissai s’agacer seule. Je sollicitai Chul qui s’inclina plus bas que la terre maintenant que je devenais roi, fils de roi, et il fut suivi de milliers d’autres. Jeong-Guk serait impressionné s’il voyait ça… 

La soirée débutait. Le royaume s’époumonnait, les coeurs et les corps en festivités.

— Votre Majesté, mes compliments pour ce cérémonial, félicita ma mère en nous rejoignant sur le parvis. 

Ces propos étaient dénués d’un sens particulier. Ma reine la remercia d’un sourire, satisfaite de sa désormais position. L’âgée s’inclina aisément comme si elle avait un secret plus intime à nous confier. 

— Profitez de la retraite nuptiale pour concevoir un héritier, mes chers. 

— Bien, Votre Altesse. 

Cette histoire me rendait malade. Je perçus les murmures des souveraines, partageant des expériences et des conseils sur les plus beaux dessous. Les voeux de mariage furent partagés en grande pompe et nos nouveaux appartements furent imaginés uniquement pour servir à la nuit de noces. Les rites continuèrent où la chambre fut purifiée et où l’Ah-Reum et moi fûmes escortés par la matriarche, le ministre Jang, le ministre des Rites et ses dignitaires, le maître chaman, l’érudit Cha Young-Nam, l’eunuque Chul, le vieil eunuque et sept dames de la cour. Des chants et des danses accompagnèrent notre entrée dans le palais. Des tissus tapissaient les parois, la pièce était magnifiquement décorée de plantes et de bougies. Un voile blanc se suspendait au-dessus du couchage et créait une atmosphère intimiste qui m’offrait la nausée. Au centre trônait un meuble sur lequel reposaient deux coupes de vin. A ma contemplation, je réalisais à quel point tout cela devenait concret. Les sons alentours se coupèrent. Et un silence assassin enveloppa les lieux. 

— Votre Majesté, Votre Altesse, passez une excellente nuit, conclut le ministre des Rites. 

Lorsqu’il referma les battants, je me retrouvais seul avec l’insupportable consort qui entra à petits pieds dans la salle. Mon épaule se chut dans l’entrebaîllement alors qu’elle progressa vers la boisson vignolée. J’entendis son souffle régulier sans l’écouter et je l’observai siéger au sol. Quel agacement.

— Installez-vous, Votre Majesté.

Je vins à elle qui porta le vin à sa langue. Les feux dansaient aux lanternes, et l’ombre se fit plus grande sur nos deux corps face à face. La liqueur traversa sa gorge opaline puis lorsqu’elle me proposa son verre, je me hâtai au refus. La tradition désirait l’enivrement des époux tandis que je n’aspirais qu’à une chose, fuir à longues jambes. 

— Je préfère rester sobre pour ce qui va suivre, je justifiai. 

— Avez-vous crainte de perdre la raison ? fit-elle à la ricane. 

Je ne répliquai rien. 

Je la conduisis, par la main, à notre couche sous les voiles limpides. Je m’étendis au matelas à l’ouverture de mes bras, prêts à l’accueillir tout contre moi. Sa fragrance embaumait les airs, chatouilla mon nez et ma première pensée alla à Jeong-Guk qui transportait toujours cette senteur particulière, celle d’un gingembre. Et comme lui, le Jeon était piquant et boisé. Je leur trouvais une force de résilience commune, une faculté à se conformer aux alentours, à se glisser dans le moule sans peine. Mon garde similait la fleur par ses pétales chatoyants qui, de loin, attirait les vues mais qui, de tout proche, repoussait les parasites. Et lorsque l’on creusait la terre, on y découvrait son tubercule, sa racine difforme et cabossée par les temps de sa vie. Oui, Jeong-Guk était un gingembre à l’insubtile odeur de renaissance. 

J’enlaçai l’Ah-Reum avec une tendresse flageollante. Nous restâmes ainsi lors de la demi-heure qui suivit. Après elle, la brune s’éleva, dénouant sa chevelure qui cascada ses épaules. Epaules qui se mirent à nu au-devant de mon oeil désorienté. Son derme diaphane me faisait croire à celui d’une poupée de cire que l’on briserait trop en la manipulant peu. Ses pommettes rosirent de ferveur alors que je détaillais chacune des parcelles de son grain de peau. Nous avions des airs d’enfants, de minuscules marmots transportés par le premier émoi et la timidité d’aller plus loin. Néanmoins, je n’attendis plus et je laissai choir mes étoffes au sol. 

— Vous êtes d’une beauté sans conteste, Votre Majesté… qu’elle soupira doucement. 

— Le compliment vous est retourné.

Nos peaux se touchèrent, et ses lèvres cueillirent mon visage. Je parcourus ses hanches du bout de mes doigts, nichai ma tête dans sa nuque et l’y embrassai sans pressentis. Nous prîmes des instants pour se découvrir l’autre et l’un. Des picotements prirent naissance sur ma masculinité tandis que la femme y reposa la paume. Nous basculâmes et ainsi, je la surplombai avec l’assurance soudaine. Je déployai ma rosée qui chemina de ses consoeurs ses seins à son pubis et ses cuisses ouvertes. A chacun de mes kilomètres, elle se cambra un peu plus et soufflai tantôt son aise, tantôt sa gêne.  

Je baisai sa chair, grognai toujours lorsque son genou frottait mon membre qui se gorgeait de sang à mesure des aventures. Alors je poursuivis ainsi. Je taquinai ses sens, pourchassai ses gémissements nombreux puisque j’admettais qu’il n’y avait plus belle oeuvre que le plaisir d’une femme. J’agis avec le dessein ferme de concevoir l’héritier convoité par tous mais pas moi. Ses jambes enlacèrent ma taille et le parcours se fit plus rythmé, jalonnant entre la douce lenteur et l’indicible hâte. Je ne possédais rien de l’expert en sexe. Or, je m’appliquais à ne pas lui retirer sa nature vierge sans préparation : cela lui resterait douloureux, et son père mettrait ma tête à prix. 

Jeong-Guk le comprendrait. 

J’humidifiai son intimité tandis qu’elle n’avait plus l’arrêt de se tortiller, de geindre et gémir à quel point elle adorait cela. Elle tira sur mes boucles châtaines, son point d’ancrage pour ne point faiblir encore. J’abandonnai sa féminité et redressai mes pupilles ambres vers elle dont le corps tout complet me suppliait d’aller à bout. Ah-Reum me désirait, elle me voulait et me convoitait en ignorant qu’elle ne m’aurait jamais. Son vagin brûlait d’impatience comme de presque passion mais il n’y avait de passion sans amour. J’eus une pensée nouvelle pour Jeong-Guk, encore, et son air de désolation quand je lui partageai mon sentiment plus tôt. Et cela suffit à m’offrir l’élan pour déserter la couche sous l’effarement de ma compagne. 

— Tae-Hyung, que faites-vous ? 

— Je ne peux pas… Je ne peux pas faire ça, Ah-Reum. Pardonne-moi… Pardon. 

Sans ajout de mot, je récupérai mes habits et pris la fuite en la laissant pantoise dans sa nudité. Cette union ne serait pas consommer, pas ici et non ce soir. Jamais. 







































































ACHLYS | CHAPITRE 16 | INTERLUDE P.2

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