Chapitre 53
L'appartement était plongé dans un silence de plomb, bercé par le bruit des vagues. Assis en tailleur sur le sol de sa chambre, Jimin fixait le dossier qu'il était posé devant lui depuis dix minutes maintenant. Une part de lui mourait d'envie de l'ouvrir, mais l'autre était terrifiée. Il avait peur de ce qu'il allait y découvrir. Il avait peur de ne rien trouver de concluant et d'être encore déçu.
Sa montre affichait sept heures dix et les premiers rayons de soleil caressaient faiblement le ciel, le teintant de ses touches orangées qui le rendaient magnifique. Le calme qui l'entourait fut brisé par un bâillement provenant du couloir qui se fit entendre à travers sa porte entre-ouverte. Il n'avait pas besoin d'aller voir pour savoir que Jungkook venait de se réveiller.
Voulant éviter que le brun ne tombe sur ces documents et ne pose des questions, Jimin prit ses découvertes et les remit dans leur enveloppe avant de la glisser sous son matelas, là où elle serait à l'abri d'un commandant bien trop curieux. Au même moment, un petit coup à la porte résonna dans la chambre avant que celle-ci ne s'ouvre doucement sur le grand tatoué. Ce dernier semblait encore dans le gaz. Ses cheveux fraichement coupés étaient en bataille alors qu'il se grattait paresseusement les yeux avec ses poings encore fermés.
Le médium l'observa quelques secondes et ne put s'empêcher de le trouver affreusement mignon et surtout bien trop sexy pour cette heure si matinale.
— Salut, fit Jungkook, la voix rauque.
— Bonjour.
— Qu'est-ce que tu fous assis par terre à sept heures du mat ? demanda le commandant, confus et encore endormir.
— Je venais d'enfiler mes chaussettes, mentit Jimin en lui montrant ses pieds.
Le tatouer laissa échapper en rire enroué qui fit rougir le plus jeune tant il était adorable. Seulement vêtu de son jogging qui lui tombait outrageusement sur les hanches, Jungkook s'étira comme un chat avant de reprendre la parole d'une voix toujours aussi éraillée.
— Tes pieds sont minuscules, gloussa-t-il.
— Je fais un mètre soixante-dix ! Tu t'attends à quoi ? Je ne vais pas chausser du quarante-cinq ! répliqua le médium en se levant.
Une fois sur pied, il s'approcha de son aîné, une moue boudeuse sur les lèvres et le poussa hors de sa chambre.
— Mes pieds sont encore assez grands pour te botter le cul, alors va te laver ! ordonna-t-il, faussement contrarié.
— Viens avec moi, j'ai faim, murmura suavement Jungkook en posant ses mains sur sa taille fine.
— Tu rêves ! Au mieux, je te fais couler du café, mais c'est tout ce que tu auras venant de moi !
Pendant qu'ils parlaient, Jimin continuait de le pousser jusqu'à la salle de bain, faisant rire le commandant qui vint plonger son visage dans son cou, y déposant des baisers humides.
— Allez, je...
Un gémissement quitta les lèvres du plus jeune lorsque le policier prit le lobe de son oreille en otage, le suçotant sensuellement. Résister à Jeon Jungkook était une chose bien difficile pour Jimin. Ce grand brun ténébreux savait exactement comment le faire craquer et malgré toute sa volonté, il emportait la partie à chaque fois.
— Roh et puis merde, lança le médium en entrant dans la salle de bain.
D'un geste habile du pied, il referma la porte derrière et commença à retirer ses vêtements sous le sourire vainqueur de son partenaire qui se délectait du spectacle.
— Je te déteste, grommela le plus jeune à présent totalement nu.
Sans attendre, le brun se débarrassa de ses vêtements et s'approcha de lui.
— On verra si ce sera toujours le cas quand tu gémiras mon nom, répliqua Jungkook en le soulevant pour l'entraîner dans la douche.
Une fois encore, les deux colocataires succombèrent à leurs désirs charnels. La pièce fut rapidement emplie par leurs gémissements et du bruit de leur peau qui se rencontraient. Les marques de leur corps contre les parois de verre recouvert de buée témoignèrent de cet échange auquel ils s'adonnèrent durant un long moment, jusqu'à être totalement rassasiée de l'autre.
⊱⋅ ──────────── ⋅⊰
Comme Jimin le craignait, ils étaient arrivés en retard au travail ce matin. La journée s'était déroulée calmement et bien qu'il tentait de s'occuper l'esprit, le médium ne cessait de repenser au dossier qui était caché sous son matelas. Il se demandait encore ce qu'il allait y trouver et s'il aurait le courage de l'ouvrir en rentrant.
Après sa pause déjeuner, lui et Jungkook avaient convenu de partir aux alentours de seize heures pour qu'il aille rendre visite à madame Min. Le médium ne connaissait pas l'adresse de Yoongi et malgré ses tentatives de l'appeler, le fantôme restait silencieux. Le commandant s'était donc servi de leur base de données pour trouver l'information et le moment venu, les deux colocataires avaient quitté le commissariat pour se rendre dans le quartier où vivaient les parents du défunt garçon.
L'Audi était à présent garée devant une petite maison délabrée. Assis sur le siège passager, Jimin regardait droit devant lui, le cœur battant à la chamade. À côté de lui, Jungkook n'avait pas manqué de voir à quel point ses mains tremblaient. Dans un geste aussi délicat que possible et sans réfléchir, il vint prendre sa main gauche dans la sienne et entrelaça leurs doigts, attirant ainsi son attention.
— Ça va aller ? demanda-t-il d'une voix basse.
Jimin haussa les épaules avant de mordre nerveusement sa lèvre supérieure.
— Tu veux que j'entre avec toi ? proposa le commandant.
— Non, Yoongi voudrait que j'y aille seul. Ce n'est pas contre toi, c'est juste qu-
— Pas la peine de te justifier microbe, le coupa doucement Jungkook. Je t'attends ici et si tu as besoin, tu sais où me trouver.
Le médium hoche la tête et expira un bon coup pour se donner du courage. Offrant un sourire sans joie à son aîné, il se pencha rapidement et déposa un baiser sur sa joue avant d'ouvrir enfin la portière et de quitter le véhicule.
Les membres tremblants, il monta les petites marches qui devançaient la maison et lorsqu'il arriva devant la porte en acier, il prit une grande inspiration et appuya sur le bouton de la sonnette. Un bruit strident résonna derrière le battant en métal avant que des pas ne se fassent entendre. La porte s'ouvrit enfin sur une femme d'une cinquantaine d'années. Cette dernière observa son visiteur de longues secondes et en faisant de même, Jimin fut choqué par la ressemblance que cette personne avait avec Yoongi. Ce visage était identique au sien, mais au féminin.
— Bonjour, je peux vous aider ? demanda-t-elle.
Malgré le sourire sur son visage, le médium pouvait voir que l'étincelle de vie dans ses orbes noirs avait disparu. Était-ce la disparition de son enfant qui avait causé cela ? Probablement.
— Bonjour, je... je m'appelle Jimin.
Sa voix avait craqué à la fin de sa phrase, trahissant sa nervosité. Face à lui, madame Min avait perdu son sourire pour afficher désormais un air plus peiné. En entendant ce prénom, c'était comme si tous les souvenirs qui la ramenaient à son défunt fils venaient de la frapper en plein visage.
— Je suis désolé de ne pas être venu vous voir plus tôt, reprit le blond.
— Tu as presque huit ans de retard, cingla la femme à la chevelure sombre.
Le ton dur et froid de sa voix donna subitement à Jimin une forte envie de pleurer, mais il serra la mâchoire, ne voulant pas craquer.
— Je sais. Je... est-ce que vous seriez d'accord pour m'accorder un peu de votre temps. Je sais que vous devez beaucoup m'en vouloir, mais j'aimerais vous expliquer.
Madame Min le toisa quelques secondes avant que son visage ne se radoucisse. La cinquantenaire s'écarta et fit signe à son invité d'entrer. L'intérieur de la maison était bien plus chaleureux que l'extérieur. Dans le petit sas d'entrée, suspendu au mur, se trouvaient trois cadres sur lesquels Jimin reconnut sans difficulté son meilleur ami. Sur chaque photo, Yoongi avait un âge différent. On pouvait le voir enfant, vêtu d'une salopette en jean alors qu'il était sur un tricycle. Sur la deuxième, il était plus grand, peut-être dix ou douze ans. Il montrait fièrement son uniforme scolaire, sûrement pour le premier jour de classe et sur la troisième, il avait le même visage qu'à présent. Figé dans le temps depuis son assassinat.
— Assieds-toi, invita madame Min en désignant l'un des sofas présents dans le petit coin salon.
Comme pour l'entrée, plusieurs cadres de différentes tailles étaient disposées sur les meubles. Certains de l'enfant, parti trop tôt, d'autre d'un homme que le médium reconnut comme le père de Yoongi tant leur ressemblance était également frappante.
— Je t'écoute, reprit la femme aux cheveux noirs en prenant place sur le deuxième.
— Je voulais déjà vous présenter mes condoléances. Je... je ne sais pas ce que Yoongi vous a dit sur moi, mais il était très important pour moi.
— Si important que tu n'as même pas daigné venir à ses funérailles ?
— Je n'ai pas pu y assister parce que quelques jours après sa mort, mon père m'a interné de force dans un asile ! répliqua Jimin d'un ton plus dur.
Il ne supportait plus qu'elle remette en parole son amour pour Yoongi.
— Je sais que ça parait gros dis comme ça, mais c'est la vérité. J'y suis resté enfermé jusqu'en juin dernier. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas été présent. Votre fils comptait énormément pour moi. Yoongi n'était pas seulement un ami, c'était un frère, un confident, un meilleur ami. Il était absolument tout pour moi et vous avez le droit de m'en vouloir, mais s'il vous plaît ne doutez pas de mon affection pour lui.
Jimin n'avait pas respiré durant sa tirade et lorsqu'il le fit enfin, ses poumons furent même douloureux. Pendant que ses yeux étaient verrouillés sur le visage qui se trouvait face à lui, le médium n'avait pas remarqué les larmes qui ruisselaient de ses yeux. Ce ne fut que lorsque le goût salé vint caresser ses lèvres rougies qu'il s'en rendit compte.
Un long silence s'installa entre eux. Seuls les reniflements du plus jeune se faisaient entendre avant que madame Min ne prenne la parole. Toute la colère qu'elle avait ressentie à l'égard de ce garçon qu'elle ne connaissait que de nom, semblaient s'être évaporée en voyant ses larmes et sa détresse. De son vivant, son fils n'avait que son prénom à la bouche depuis qu'il l'avait rencontré. La première chose qu'il faisait le matin était de parler de ce petit garçon qu'il aimait tant et la dernière chose qu'il faisait au coucher était de prier pour qu'il soit en sécurité.
— Je te prie de m'excuser.
— Vous n'avez pas à vous excuser, répondit Jimin, les yeux humides. S'il y a quelqu'un ici qui doit être désolé, c'est moi.
— Et si nous arrêtions de nous excuser tous les deux alors ? proposa madame Min.
Le médium hocha la tête, reniflant une nouvelle fois avant d'essuyer les larmes sur son visage.
— Est-ce que je peux t'offrir quelque chose à boire ?
— Non merci madame Min, c'est très gentil de votre part.
— Appelle-moi In-soo.
— D'accord, acquiesça Jimin en regardant autour de lui.
Il ne savait pas quoi dire. Devait-il dire à madame Min qu'il voyait le fantôme de son fils ? Non, il était préférable qu'il garde cette information pour lui. Il ne voulait pas prendre le risque de la froisser. Peut-être pourrait-il lui parler de son travail ?
— Est-ce que tu veux bien me parler de toi ? demanda In-soo.
— Je... je ne sais pas vraiment quoi vous dire. Depuis que je suis sorti de l'asile, je travaille pour la police en tant que consultant. J'ai... j'ai décidé de retrouver ceux qui ont assassiné Yoongi.
Ces paroles étaient sorties sans même qu'il ne puisse les contrôler. Madame Min s'était figée en entendant cela et Jimin ne savait pas quoi en penser. Était-elle en colère ?
— La police a parlé d'un crime de rue. Ils ont dit qu'il était au mauvais endroit, au mauvais moment. Tu... tu penses qu'ils se trompaient ?
— J'en suis persuadé. Je ne peux pas trop vous en dire pour ne pas vous mettre en danger, mais je peux vous assurer que ce n'était pas un simple meurtre de rue. Je trouverai ceux qui ont fait ça, je vous en donne ma parole.
Les yeux de In-soo devinrent plus humides avant que des perles salées ne les quittent, roulant sur son visage pâle.
— C'était la raison de ma visite, je voulais vous voir, ainsi que votre époux, pour lui présenter mes condoléances et vous promettre que la mort de votre fils ne resterait pas impunie, reprit le médium d'une voix plus douce.
— Pour mon époux tu arrives trop tard mon garçon, il nous a quittés il y a plusieurs années maintenant.
Cette nouvelle frappa Jimin de plein fouet et il sentit son cœur se comprimer violemment dans sa poitrine.
— C-comment ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Je... je croyais que le traitement pour son cœur fonctionnait. Y-Yoongi m'avait dit qu'il était très certainement tiré d'affaire.
La voix de jeune consultant se brisa à la fin. Il avait l'impression d'avoir de nouveau échoué. Monsieur Min était mort en pensant que son fils avait été oublié, que personne ne se souciait de ce qui lui était arrivé.
— La perte de notre fils a été trop dur à supporter pour lui. Il est parti quelque mois après les funérailles de Yoongi, expliqua In-soo, les yeux débordants de peine.
— Je suis sincèrement désolé. Je...
Devant la détresse émotionnelle de son visiteur, madame Min se leva et prit place à ses côtés, le prenant dans ses bras. Accroché à elle, Jimin se laissa aller, libérant toutes les larmes et la peine qui le consumaient. Il était tellement accablé par sa peine qu'il était incapable de ressentir la présence de son meilleur ami qui, quelques pas plus loin, observait la scène.
Si son cœur aurait été encore capable de battre, le mentholé serait surement en larme, mais il en était incapable. Pourtant, même si les larmes ne coulaient plus, la douleur qu'il ressentait, elle, était bien réellement. Son père était parti. Il n'avait pas survécu et c'était de sa faute. Il avait pourtant tout fait pour qu'il puisse vivre longtemps. Il avait sacrifié une partie de son innocence pour cela, mais ça n'avait servi à rien.
Détruit par cette nouvelle, le mentholé disparut derrière ce voile invisible, laissant de nouveau seuls, les deux personnes qu'il aimait le plus au monde.
Dehors, assis dans sa voiture, Jungkook attendait patiemment son cadet. L'inquiétude le rongeait et il se faisait violence pour ne pas débarquer dans cette maison et s'assurer qu'il allait bien. L'anxiété qu'il avait ressentie avant de passer cette porte était si grande que le commandant se demandait s'il n'allait pas de nouveau faire une de ses crises.
— Putain Jungkook, arrête de t'inquiéter comme ça, grogna-t-il en frappant l'arrière de ta tête contre la surface en cuir.
Quand Jimin et son hôte réussirent à calmer leur chagrin, madame Min se mit à parler de son fils. Elle avait eu très peu d'occasion de le faire et même si son cœur ne cessait de lui faire mal, le médium était ravi d'entendre ses histoires et de voir les clichés qu'elle lui montrait. Le jeune consultant avait fait de même, partageant avec elle les nombreux souvenirs qu'il avait avec lui.
Après une bonne heure, In-soo s'était levée et avait demandé à son invité de la suivre. Ensemble, ils avaient longé un petit couloir jusqu'à arriver jusqu'à la dernière porte qu'elle ouvrit. En voyant l'immense poster de rock accroché sur le mur en face de lui, Jimin comprit immédiatement où il se trouvait, et encore une fois, un voile de larmes recouvrit ses yeux.
— Tu peux entrer, assura madame Min avec douceur.
Le médium s'exécuta et regarda autour de lui. C'était la première fois qu'il mettait les pieds ici. Lui et Yoongi avaient été amis durant tant d'années, mais jamais, il n'avait eut l'occasion de venir chez lui.
C'était étrange d'être dans cette chambre où le temps semblait s'être arrêté. Le blond ressentait une grande mélancolie, mais également un sentiment de sérénité, comme les fois où il s'était retrouvé dans les bras de son meilleur ami. Cette chambre était surement l'endroit où il avait passé le plus de temps.
— Tout est exactement comme le jour de sa mort. Je.. je n'ai jamais eu le courage de ranger ses affaires, expliqua In-soo.
Le regard de Jimin se posa d'abord sur un cadre photo en bois qui se trouvait sur sa table de chevet. En s'approchant, il reconnut immédiatement le cliché et pour cause, il avait le même dans son portefeuille, mais en plus petit. Son attention se porta ensuite sur une veste en cuir qui était encore suspendue sur la chaise de bureau. D'un pas lent, il s'approcha pour la regarder de plus près. Il avait vu Yoongi dans ce vêtement un nombre incalculable de fois.
— Je peux ? demanda-t-il en regardant madame Min.
— Bien-sûr.
D'un geste prudent, comme s'il avait peur que la veste ne parte en poussière, le médium prit l'habit dans sa main et l'amena jusqu'à son visage. Il inspira l'odeur qui s'en dégageait, mais un sentiment de déception le traversa en réalisant que son odeur avait disparu. C'était la première chose qu'il avait oubliée après sa mort. Il avait beau essayer, il ne se souvenait plus de son parfum et ce simple détail faisait de nombreuses fois remonter les larmes qu'il tentait de réprimer. Sans réfléchir et poussé par les émotions contradictoires qu'il ressentait, Jimin enfila la veste qui était bien trop large pour lui.
— Après sa mort, je suis venu ici et j'ai trouvé ça, commença In-soo en sortant une boite à chaussure noire du placard, qui se trouvait à droite de l'entrée. Ton nom était inscrit dessus. Je ne l'ai jamais ouverte parce que je sais qu'il voulait que je te la remette.
Le consultant pivota vers elle, les joues légèrement rougies et prit l'objet qu'elle lui tendait. Il voulait l'ouvrir, mais il ne fit rien.
— Est-ce que ça vous embête si je l'emmène avec moi ? Si vous le souhaitez, je vous la ramènerai, mais je préférais regarder ce qu'elle contient chez moi, au calme.
— Non, bien-sûr. Elle est à toi, accepta le cinquantenaire avec un sourire bienveillant.
— Merci beaucoup.
Le calme vint de nouveau les entourer. Jimin ne pouvait pas s'empêcher de regarder autour de lui, observant chaque détail qui lui rappelait son meilleur ami. Lorsqu'il passa devant la fenêtre, son regard se perdit à travers la vitre et se posa sur l'Audi qui était garée plus loin, mais surtout, sur l'homme qui était appuyé contre celle-ci. Avec tout ça, il avait totalement oublié que Jungkook l'attendait.
— Je suis désolé In-soo. Je ne suis pas venu seul et mon ami attend depuis longtemps maintenant. Je vais devoir vous laisser, annonça Jimin, embarrassé.
— Je comprends. J'ai été ravie de faire enfin ta connaissance Jimin, et je te prie de me pardonner pour l'accueil que je t'ai fait.
— Je ne vous en veux pas. Je vous remercie de m'avoir accueilli et d'avoir partagé tous vos souvenirs avec moi. Je... je reviendrai vous voir plus souvent.
— J'espère que ce sera le cas. Tu es le dernier lien que j'aie avec mon garçon.
— Je vous le promets, assura le médium avant de réaliser ce qu'il avait sur le dos. Oh je... je suis désolé, je vais l'enlever.
— Non, garde là. C'était sa veste préférée. Je suis sûr qu'il serait heureux que tu la portes.
Jimin se figea quelques secondes, sentant sa gorge se nouer pour la millième fois depuis qu'il avait passé la porte de cette petite maison.
— Je vous remercie du fond du cœur.
— Merci à toi. Je te raccompagne.
Le jeune consultant hocha la tête et contempla une dernière fois cette chambre puis suivit madame Min à travers le couloir. Lorsqu'ils arrivèrent dans le sas d'entrée, Jimin enfila rapidement ses baskets avant que In-soo n'ouvre la porte.
Ce bruit attira immédiatement l'attention de Jungkook qui tourna la tête vers la maison. Quand son regard se posa sur Jimin, la première chose qu'il remarqua fut la veste en cuir qu'il portait et qui, au vu de sa grande taille, n'était pas à lui. La seconde fut ses yeux bouffis et à cet instant, une violente envie de le rejoindre le traversa. Que s'était-il passé là-dedans ? Il se doutait bien que cette rencontre serait riche en émotion, mais avait-elle été désagréable avec lui ?
Durant une fraction de seconde, le commandant parvint à établir un contact visuel et Jimin lui offrit un petit sourire avant de se tourner vers la femme qui l'avait reçu. Cette dernière fit un pas en avant et vint enlacer tendrement le plus jeune.
— À bientôt Jimin. Je t'en supplie, sois prudent. Je sais que l'on ne se connait pas beaucoup, mais Yoongi tenait tellement à toi, que j'ai l'impression que s'il t'arrivait quelque chose, je perdrais mon fils une deuxième fois.
— Je vous le promets, murmura Jimin, les yeux fermés, profitant de ce contact.
En enlaçant In-soo, le médium avait la sensation que Yoongi le faisait avec lui. Comme si à travers lui, son meilleur ami pouvait prendre dans ses bras, la femme qui l'avait mise au monde. Il savait que c'était impossible, mais c'était une manière pour son esprit, de soulager la peine qu'il ressentait.
Une fois séparé, le consultant salua une dernière fois madame Min et tourna les talons pour rejoindre la voiture. Pendant qu'il marchait dans sa direction, Jungkook contourna l'Audi et alla à sa rencontre, voulant s'assurer qu'il allait bien.
— Ça va ? demanda-t-il.
Cette simple question fissura instantanément le masque de Jimin qui tentait de garder la face. Il ne voulait pas craquer. Il ignorait pourquoi, mais il ne voulait pas paraitre faible, pas maintenant, pas tant qu'il était devant cette maison. Il ne voulait pas prendre le risque que madame Min le voit encore pleurer.
— Est-ce qu'on peut rentrer ? répondit-il, ignorant volontairement la question de son aîné.
Voyant qu'il ne voulait pas parler, Jungkook hocha simplement la tête et monta dans sa voiture avant de démarrer. Même s'il était encore tôt, le commandant prit la direction de leur appartement.
Assis sur le siège passager, son cadet tenait sur ses genoux une vieille boite à chaussure noire. Sans poser la question, le tatoué comprit que celle-ci était importante pour lui, il n'y avait qu'à voir la force avec laquelle ses phalanges la tenaient.
Une vingtaine de minutes plus tard, la voiture du policier s'immobilisa sur la place habituelle devant leur résidence. Le trajet s'était passé dans le silence et dans ce même mutisme, le médium sortit de la voiture et partit en direction de leur appartement. Soupirant de tout son saoul, le brun coupa le contact et descendit à son tour du véhicule. Il ignorait ce qu'il devait faire. Devait-il le forcer à parler ? Ou peut-être était-ce une meilleure idée de le laisser seul ? Après tout, il avait sans doute besoin de solitude après tout ça. C'était ce qu'il aurait voulu ? Enfin, c'était le cas avant de rencontrer Jimin. Depuis qu'il le connaissait, ce petit bout d'homme à la chevelure blonde était devenu une sorte de safe-place, un endroit où Jungkook pouvait être lui-même sans avoir peur du jugement, et ce, même s'il lui était encore difficile de l'avouer. Et si c'était la même chose pour lui ? Et s'il avait simplement besoin d'un endroit rassurant ? Est-ce qu'il était cet endroit ?
Une fois dans l'appartement, le brun retira ses chaussures et suivit son cadet qui partait en direction de sa chambre. Le voir si morose lui était insupportable alors, d'une voix prudente, il prit la parole, priant pour qu'il ne le repousse pas.
— Hé microbe.
Le concerné se figea, dos à lui.
— Est-ce que ça va ?
Un ange passa avant que Jimin ne bouge enfin. Pour répondre à la question qui venait de lui être posée, il bougea uniquement la tête de gauche à droite. D'un pas prudent, le brun parcourut la distance qui les séparait et posa doucement sa main sur son épaule pour l'inciter à lui faire face.
Lentement, presque de façon hésitante, le médium fit volte face et lorsque le commandant vit les larmes qui déferlaient sur ses joues, il sentit son cœur louper un battement.
— Dis-moi ce que tu veux que je fasse, murmura ce dernier en essuyant les larmes sur sa joue droite avec son pouce.
— Est-ce que... est-ce que tu peux me prendre dans tes bras ? J'ai... j'ai juste besoin de-
Sans le laisser finir sa phrase, le tatoué le tira jusqu'à lui et l'enveloppa de ses bras. Le visage enfoui contre son torse, Jimin laissa les larmes qu'il lui restait quitter son corps, tachant ainsi le t-shirt blanc que son aîné portait.
— C'était... c'était si dur d'être l-là-bas. Tout... toutes ses affaires étaient... elles étaient encore à l'endroit où il les avait l-laissées. C'est... ça fait toujours aussi mal p-parce qu'il est vrai-vraiment p-parti. M-moi je le vois, mais... sa mère elle... elle l'a perdu et je... je ne peux rien faire p-pour l'aider, articula difficilement le médium entre deux sanglots.
— Chut, calme-toi, chuchota Jungkook en caressant son dos.
— S-son père est mort. Il... il n'a pas supporté de perdre son u-unique fils et il s'est l-laissé mourir. Je... c'est trop dur, je... je n'arrive pas contrôler tout ça. Ça fait trop mal, je...
Jimin serrait si désespérément le t-shirt de son aîné, qu'il avait l'impression qu'il allait le déchirer. Le brun ne l'avait jamais vu ainsi. L'accablement qu'il ressentait était tel, qu'il avait la sensation qu'il risquait de se briser à tout moment. En réalité, le médium n'avait jamais pu faire son deuil, car le fantôme de son ami était toujours présent, mais en entrant dans cette maison qui était vide de sa présence, il avait été frappé à la dur réalité ; Min Yoongi était mort et il ne reviendrait jamais.
Inquiet de son état de détresse, Jungkook s'écarta de lui et prit son visage en coupe pour le regarder.
— Hé Jimin, regarde-moi. Il faut que tu respires. Je sais que c'est douloureux, mais essaie de te calmer.
Le blond bougea la tête frénétiquement de gauche à droite. Sa main droite qui tenait encore la boite à chaussure lâcha prise et la laissa tomber sur le sol avant qu'il ne lève ses deux bras pour venir cacher son visage.
— J'y arrive pas, ça f-fait trop mal ! Il est mort, il est parti ! Il... il est vraiment parti. Je...
Voyant que rien ne semblait fonctionner, le commandant le tira de nouveau contre lui. Son bras recouvert de tatouage entoura sa taille, pendant que son autre main vint se poser à l'arrière de sa tête, le maintenant ainsi immobile et l'empêchant de se blesser.
En le regardant aussi détruit, Jungkook eut l'impression de se voir quelques années plus tôt lorsque sa vie avait basculé. Il savait ce qu'il ressentait. Il connaissait mieux que quiconque cette douleur qui vous déchirait les entrailles. Cette sensation de ne plus pouvoir respirer, comme si des milliers d'aiguilles transperçaient votre cage thoracique. Il le savait et pour cela, il avait l'impression de la revivre avec lui.
— Je suis désolé, je suis tellement désolé, chuchota ce dernier pendant que son cadet continuait de pleurer à chaudes larmes contre lui.
Laissant son instinct prendre le dessus, il glissa ses mains sous les cuisses de Jimin et le souleva pour l'emmener dans le salon. Avec prudence, il s'assit sur le canapé et continua simplement de caresser son dos avec tendresse et la façon la plus rassurante possible pendant qu'il se libérait enfin de ce poids qui le rongeait.
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Jungkook ignorait combien de temps, il était resté ainsi, assis sur le canapé, Jimin contre lui, pleurant toutes les larmes de son corps. Tout ce qu'il savait, c'était que cela ne faisait que quelques minutes qu'il s'était calmé. Épuisé, le médium avait fini par sombrer, mais même en dormant, le brun l'entendait encore sangloter, faiblement.
Le blond reposait contre son torse et même s'il avait une envie pressante d'aller se soulager, Jungkook n'osait pas bouger d'un millimètre par peur qu'il ne se réveille et n'éclate de nouveau en larmes. Pourtant, lorsque l'envie fut insoutenable, il se redressa prudemment, contractant tous les muscles de son corps afin de se mettre debout. La respiration du plus jeune effleurait son cou dans un rythme régulier, le faisant frissonner à chaque expiration.
En arrivant dans la chambre de Jimin, Jungkook le déposa délicatement sur son lit et vint le recouvrir avec le plaid qui se trouvait au pied de ce dernier. D'un pas silencieux, mais rapide, il retourna dans la salle à manger et prit la boite à chaussure qui était sur le sol. Par chance, cette dernière ne s'était pas ouverte, mais le brun mentirait s'il disait ne pas être curieux de savoir ce qu'elle contenait.
En retournant auprès du plus jeune, il vit que ce dernier s'était recroquevillé sur lui-même et malgré la température de la chambre et le plaid qui le recouvrait, il serrait la veste en cuir contre lui, son nez enfoui dans le tissu.
Une expression peinée sur le visage, le tatoué déposa doucement la boite en carton sur la table de chevet. Son cœur lui hurlait de s'allonger près de lui, de le prendre dans ses bras et de le réconforter, mais sa raison l'en empêcha. Laissant échapper un léger soupir, Jungkook quitta la chambre en refermant la porte derrière lui.
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Jimin fut réveillé par le bruit des vagues. Replié sur lui-même, il vint frotter ses yeux encore mi-clos.
— Jungkook, marmonna ce dernier d'une voix basse.
Aucune réponse.
Battant à plusieurs reprises des paupières, le blond regarda autour de lui. Sa chambre était plongée dans l'obscurité la plus totale, témoignant de l'heure tardive qu'il devait être. Doucement, il se redressa et fixa un point devant lui. Est-ce qu'il s'était écroulé de fatigue à force de pleurer ? En bougeant, le bruissement du cuir attira son attention sur la veste qu'il avait sur les épaules. Jimin baissa les yeux sur cette dernière et sentit son cœur se comprimer violemment.
— Yoongi, appela-t-il.
De longues secondes s'écoulèrent durant lesquelles, le silence fut le plus total. Aucun frisson, aucun pressentiment, aucune sensation. Le calme plat, le néant.
— Yoongi s'il te plaît. J'ai besoin de toi, reprit le médium d'une voix brisée.
De nouveau face au calme et l'obscurité, le blond se résigna et se leva. Son meilleur ami était parti, il ignorait pourquoi, mais il ne le ressentait plus. Hors de sa chambre, le silence était roi. D'un pas lent, il longea le couloir et lorsqu'il arriva dans le salon qui était, lui aussi, plongé dans le noir, un faible flux de lumière attira son attention.
Installé confortablement en tailleur sur le canapé, son ordinateur sur ses genoux et ses écouteurs dans les oreilles, Jungkook dégustait son bol de nouille tout en regardant un animé. Ne voulant pas le surprendre, Jimin avança prudemment vers lui en contournant le canapé. Quand sa silhouette apparut dans la vision périphérique du plus vieux, ce dernier tourna la tête et retira un écouteur en affichant un sourire chaleureux.
— Salut, fit le tatoué d'une voix douce.
— Salut, répondit Jimin dans un murmure.
En silence, le médium parcourut la distance qui les séparait et prit place sur le canapé. Il avait besoin de contact, de réconfort alors, malgré l'appréhension qu'il ressentait, il s'installa au plus près de Jungkook. Leur bras et leur cuisse se touchaient et sans même demander l'autorisation, il posa délicatement sa tête contre son épaule.
À côté de lui, le brun resta immobile et l'observait en silence pendant que son cadet ramenait ses jambes contre lui, les posant sur sa cuisse.
— Tiens, fit Jungkook en lui donnant son bol de nouille.
— Merci.
Comme la première fois, sa voix était aussi basse qu'un murmure, mais la chaleur qui venait d'envahir Jimin était la meilleure chose qu'il avait ressentie aujourd'hui. Pendant qu'il prenait la première bouchée de ses ramen, le tatoué déconnecta ses écouteurs sans fil afin de partager l'animé qu'il regardait avec lui.
— Tu veux que je remette l'épisode depuis le début ? proposa le commandant, toujours avec autant de douceur dans sa voix.
Le médium bougea négativement en se rapprochant davantage de son aîné, s'installant plus confortablement avant de reprendre sa dégustation.
Jimin n'avait pas besoin qu'on lui parle, il n'avait pas besoin d'entendre de longues tirades sur ce qui s'était passé, il avait simplement besoin d'une présence, surtout d'une seule, celle de ce grand brun. Inconsciemment, il était sa maison, l'endroit où il se sentait en paix et en sécurité.
Il était presque vingt-trois heures lorsque le troisième épisode de l'animé que les deux colocataires regardaient se termina. Bien qu'il tentait de penser à autre chose pour ne pas surcharger son pauvre cœur de davantage d'émotion, il ne cessait de penser à cette boîte à chaussures qui l'attendait dans sa chambre. Il voulait l'ouvrir, mais il ne voulait pas le faire seul.
Toujours installé contre son aîné, ses jambes pliées contre sa poitrine, Jimin tourna la tête vers lui. Il observa son profil parfait pendant que ce dernier regardait son écran de téléphone. Il tenait l'appareil de sa main gauche tandis que sa main droite reposait sur le genou du médium. Inconsciemment, presque de façon mécanique, le commandant traçait des légers cercle contre sa peau.
— Jungkook, appela-t-il d'une voix hésitante.
— Oui ? répondit le concerné en levant les yeux vers lui.
Au même moment, il réalisa ce qu'il était en train de faire alors, avec un sourire embarrassé, il retira sa main, cessant de le toucher.
— Est-ce que tu... je voudrais ouvrir cette boite, mais je... je n'ai pas envie de le faire seul. Tu veux bien rester avec moi ?
Jungkook le sonda un instant, réfléchissant à sa question. Est-ce que c'était réellement une bonne idée ? Peut-être que cette boite contenait quelque chose que Yoongi n'aurait pas voulu qu'il voie ? Mais pouvait-il refuser cela à son cadet ? Surtout lorsqu'il le regardait avec ses yeux de chien battu ? Non. Il n'était clairement pas assez fort pour cela.
— Oui bien-sûr.
Un sourire timide sur les lèvres, Jimin se leva, suivi du tatoué et il partit en direction de la chambre. Le blond alluma la lumière du plafond et s'installa en tailleur sur son lit tandis que son colocataire fit de même. Prenant une grande inspiration pour se donner du courage, le médium tendit la main vers sa table de chevet et prit l'objet qui réveilla son anxiété.
Posé sur ses genoux, il observa le carton noir de longues secondes, cherchant au plus profond de lui, une étincelle de courage pour soulever le couvercle. Il n'avait même pas encore regardé à l'intérieur, et voilà qu'il sentait de nouveau cette boule prendre vie dans sa gorge, la nouant si fort que c'en était douloureux.
— Hé, je suis là avec toi, murmura Jungkook en pressant délicatement son genou.
— Je ne sais pas ce qu'il y a là-dedans, mais ce sont les dernières choses qu'il a laissées derrière lui.
— Je sais, mais dis-toi qu'il les a laissés pour toi. Comme une sorte d'héritage. Ça prouve à quel point tu comptais pour lui.
Oui, Jimin comptait pour Yoongi, il le savait, il n'avait aucun doute là-dessus, et en repensant à cela, il ne put empêcher un voile de larmes venir entacher sa vision.
— Ne commence pas à pleurer, tu ne l'as même pas ouvert, rigola tendrement Jungkook en venant essuyer ses joues avec les manches de son gilet. D'ailleurs comment tu fais pour avoir encore des larmes à l'intérieur de ton corps ?
— Je n'en sais rien, pouffa le médium avant de renifler.
— Allez, ouvre là et ensuite, on ira se regarder un nouvel épisode de Game of Trône pour te changer les idées. Ça te va ?
Le plus jeune hocha la tête avec un sourire affectueux. Il était si reconnaissant envers Jungkook d'être là avec lui. Expirant un bon coup, il souleva enfin le haut de la boite et voyant les premiers objets qu'elle contenait, il ne put retenir un petit rire peiné, avant qu'une nouvelle larme ne coule.
Il resta silencieux et immobile de longues secondes, détaillant chaque petite chose qui avait été déposée de la part de son meilleur ami. Quand il retrouva de nouveau le contrôle de son corps, il prit d'une main tremblante les photos cabine. Il se souvenait du jour où elles avaient été prises comme si c'était hier. Jimin n'avait que quatorze ans à l'époque, et pendant un voyage d'affaires de ses parents, il avait échappé à la surveillance de leur majordome et avait fait le mur. Il était allé rejoindre Yoongi et ensemble, ils étaient allés au centre commercial où ils avaient passé la soirée. Ce soir-là, ils avaient repéré le nouveau photomaton qui venait tout juste d'être installé et comme deux enfants, ils s'étaient rués à l'intérieur pour prendre une demi-douzaine de photos. Sur la grande majorité, ils faisaient des grimaces, et malgré la peine et la nostalgie qu'il ressentait en les regardant, Jimin ne put s'empêcher de sourire.
Prudemment, comme s'il avait peur qu'elle parte en fumée, le médium posa les photos près de lui.
— Je peux ? demanda Jungkook.
— Oui, répondit-il d'une voix basse.
Le commandant prit les clichés entre ses doigts et ne put retenir un sourire attendri.
— Tu avais quel âge ?
— Quatorze ans.
— Tu étais trop mignon, complimenta le tatoué.
— J'étais bien potelé, oui, gloussa Jimin, gêné.
— Non, tu étais déjà très beau. Tu m'aurais vu à l'adolescence, mon Dieu, la puberté m'a fait du bien.
Le médium se mit à rire faiblement avant de plonger son regard dans celui de son aîné. Il savait qu'il faisait tout pour détendre l'atmosphère et rendre le moment moins dur pour lui, rien que pour cela, il le remerciait. Il reporta ensuite son regard sur le deuxième objet et il le reconnut immédiatement. C'était le bracelet porte-bonheur de Yoongi. Que faisait-il ici ? Pourquoi l'avait-il enlevé ?
Confus, il prit le bijou dans sa main et l'observa. Ce bracelet était plus un objet de valeur sentimental que monétaire. C'était une simple babiole, mais il avait de l'importance pour Yoongi, il représentait l'amour qu'il avait pour la musique. Il était en argent et accrochés à la chaine, se trouvait deux guitares à l'horizontale, soudée l'une à l'autre. Le mentholé adorait ce bijou et savoir qu'il le lui avait légué, faisait naitre en Jimin, une sensation étrange.
Il porta ensuite son attention sur une médaille de tir à l'arc et se mit à sourire.
— Je me souviens de cette médaille. Il l'avait gagnée au lycée. J'avais encore fait le mur pour aller assister à cette compétition. Yoongi était vraiment doué pour le tir à l'arc, il était arrivé deuxième ce jour-là, raconta le médium en passant la pulpe de son pouce contre l'objet brillant.
Après avoir posé la médaille à côtés des photos cabine, il prit ensuite une petite peluche à l'effigie d'un chat roux avant d'être de nouveau frappé par ses souvenirs.
— C'est moi qui lui ai offert ça. Je n'arrive pas à croire qu'il l'ait gardé. Il est extrêmement laid, mais Yoongi avait dit qu'il l'adorait. J'étais tellement pathétique.
Jimin avait parlé à voix haute et même si pour lui ce qu'il venait de dire avait du sens, cela en avait beaucoup moins pour l'homme assis à côté de lui.
— Pourquoi tu dis ça ? demanda Jungkook.
— On se connaissait depuis quelques mois seulement, et Yoongi m'avait invité à sa fête d'anniversaire pour ses onze ans. Mon père était en déplacement à l'époque et va savoir comment, j'avais réussi à convaincre ma mère de me laisser y aller. Je me souviens qu'on lui avait acheté un superbe train électrique, mais comme un idiot, je l'avais oublié dans la voiture quand ma mère et notre chauffeur de l'époque m'avaient déposé. Je me suis donc retrouvé à une fête avec un tas d'enfant que je ne connaissais pas et en plus, je n'avais pas de cadeau. Quand le moment est venu d'offrir les cadeaux, je me suis presque mis à pleurer parce que j'avais peur que Yoongi arrête d'être mon ami. Il faut savoir que je n'en avais pas beaucoup, en fait, je n'en avais pas du tout même. C'est là que j'ai eu l'idée de ce truc. C'était le mien et je le trainais toujours avec moi, partout où j'allais, il était toujours dans mon sac à dos. Comme l'enfant innocent que j'étais, je l'avais sorti de mon sac et j'avais couru dans la maison pour chercher de quoi l'emballer. Ce n'était pas la maison où nous sommes allés aujourd'hui, je crois même que ce n'était pas chez lui, mais bref. Donc, je suis allé dans la cuisine et j'ai trouvé une feuille à papier journal. Ce truc était si petit que j'avais enroulé la feuille autour et je lui ai offert. Quand il l'a déballé, je me souviens que tous les enfants qui étaient là, avaient commencé à rigoler, mais pas Yoongi. Il m'avait regardé avec ses grands yeux et m'avait souri avant de me prendre dans ses bras. Il disait qu'il l'adorait et qu'il le garderait pour toujours. Je ne pensais pas qu'il le ferait vraiment.
— C'est vraiment adorable de ta part. Tu ne m'as jamais raconté comment tu l'avais connu, fit le commandant, curieux et adouci par ce souvenir que son cadet venait de partager avec lui.
— J'avais huit ans quand on s'est vu pour la première fois. C'était en début d'année scolaire, j'avais été invité chez un garçon de ma classe et ce jour-là, c'était aussi l'anniversaire de son grand frère. Mon ami a donc rapidement oublié ma présence pour aller jouer avec les copains de son frère qui étaient bien plus intéressants que moi. Je sais que j'aurai pu me joindre à eux, mais j'étais bien trop timide pour ça. J'avais donc passé l'après-midi assis sur la balançoire. Je me souviens que les plus grands disaient que j'étais bizarre parce que je restais tout seul. Ça m'avait rendu encore plus triste, déjà que mon ami m'avait complètement oublié, j'étais aussi devenu une bête de foire. Quand est venue l'heure de souffler les bougies, je n'avais pas osé bouger pour aller chercher du gâteau et pourtant je me souviens que je mourais de faim. C'est là que Yoongi s'est pointé devant moi. Il tenait dans sa main une assiette avec une grosse part de gâteau et plein de bonbons.
Jimin s'interrompit en sentant sa gorge se serrer puis il prit une grande inspiration pour réprimer les larmes qui menaçaient de couler.
— Je me souviens encore de ce qu'il m'a dit.
— Qu'est-ce que c'était ? demanda Jungkook, curieux.
— Tiens, on dirait que tes parents ne te donnent pas à manger, récita Jimin avec nostalgie. Je crois qu'il voulait me dire que j'étais trop maigre.
Le brun se mit à rire faiblement sans quitter son cadet des yeux. Il pouvait voir à quel point il tentait de retenir ses larmes, ce qui comprima sa poitrine.
— C'est la première chose qu'il m'ait dite et depuis ce jour-là, il ne m'a plus jamais lâché. J'ai vraiment dû lui faire pitié pour qu'il vienne vers moi.
En disant cela, le médium avant gardé les yeux rivés sur la petite peluche rousse qu'il caressait avec ses doigts.
— Je pense surtout qu'il a vu à quel point tu devais te sentir seul.
Sans rien dire, il haussa simplement les épaules avant de renifler et de passer le revers de sa main sur ses joues humides. Il lui fallut quelques minutes pour trouver le courage de continuer sa découverte. Yoongi lui avait laissé plein de petites choses, allant de quelques paroles de musique chiffonnées sur une vieille feuille, à des figurines qu'ils adoraient. Quand il eut terminé, son regard se posa sur le dernier objet qui était une clé USB sur laquelle était collée une petite étiquette "Play me".
Confus, il montra le petit morceau de plastique à son aîné qui la prit dans sa main.
— Play me ? articula le tatoué avec un accès anglais des plus parfaits.
— Hm, je vais aller chercher mon pc.
Sans attendre une réponse, il posa délicatement la boite sur la table de chevet et courut hors de la chambre avant de revenir avec son ordinateur dans la main. Il s'assit ensuite à sa place initiale et alluma l'appareil avant d'y insérer la clé USB.
La fenêtre s'ouvrit instantanément sur son écran et les deux hommes purent y voir deux fichiers. L'un deux étaient un fichier vidéo, l'autre un document qui semblait verrouillé.
— Est-ce que tu veux que je te laisse pour que tu puisses regarder la vidéo tranquillement ? proposa Jungkook.
— Non ! S'il te plaît, reste avec moi, s'empressa de répondre Jimin en saisissant rapidement son poignet.
— D'accord, acquiesça le commandant avec un sourire rassurant.
Hochant silencieusement la tête, le blond se recula jusqu'à ce que son dos ne touche le mur. Il étira ensuite ses jambes et attendit que Jungkook vienne s'installer à côté de lui. Quand ils furent enfin installés, Jimin appuya sur le fichier vidéo et l'ouvrit.
Durant les premières secondes, tout était silencieux. Il reconnut immédiatement le lieu qui était filmé et pour cause, il y avait été quelques heures plus tôt. Ils entendirent ensuite des bruits de mouvement, avant qu'un buste d'homme n'apparaisse devant l'objectif. Jimin n'eut aucun mal à reconnaitre son meilleur ami qui semblait trifouiller les réglages de la caméra et lorsque sa voix raisonna, il n'eut plus aucun doute. C'était lui.
"Ok, est-ce qu'elle marche cette foutue caméra ?"
Yoongi apparut enfin devant la caméra et le médium sentit son cœur cesser de battre. Cette coupe de cheveux, ses boucles d'oreilles, sa montre, en remarquant tous ces détails, Jimin comprit que ces images avaient été filmées quelques jours avant sa mort.
" Ok, je crois qu'on est bon."
Le mentholé passa une main dans ses mèches et s'installa sur le bord de son lit. Il laissa échapper un soupir pour se donner du courage et d'afficher un sourire attristé qui noua la gorge du garçon qui le regardait à travers l'écran. Lorsque sa voix résonna de nouveau, Jimin prit subitement la main de Jungkook dans la sienne et la pressa.
" Salut Min, je vais te sortir une vieille phrase clichée qu'on entend dans tous les films, mais cette fois, c'est la vérité. Si tu regardes cette vidéo, c'est que je suis sûrement mort. J'espère que tu la verras dans de nombreuses années, peut-être même lorsque tu seras vieux, mais si ce n'est pas le cas, sache que je suis désolé. Ça voudra dire que j'ai merdé, encore. "
Un petit rire sans joie quitta ses lèvres avant que ne fixe de nouveau l'objectif. Les deux colocataires restaient très silencieux, observant ce jeune garçon dont la vie avait brutalement été prise. Jimin faisait de son mieux pour ne pas craquer, il ne pouvait pas.
" Ce n'est pas évident pour moi de te faire cette vidéo parce que je vais te dire des choses sur moi que j'aurais préféré que tu ne découvres jamais. Je te demande simplement de ne pas m'en vouloir et de ne pas oublier que je suis toujours moi. Au moment où je tourne ça, nous sommes le... " Yoongi regarda l'écran de son téléphone avant de reporter son attention sur l'objectif droit devant lui. " Nous sommes le deux janvier deux mille quinze. "
— Onze jours avant sa mort, murmura Jimin en balayant une larme sur sa joue.
" Je ne te l'ai pas encore dit, mais je viens de trouver un nouveau travail, il paie bien et grâce à ça, je vais pouvoir aider mes parents à continuer de payer le traitement de mon père. Avant de te dire de quoi il s'agit, je dois déjà te raconter comment ça a commencé. "
L'expression du garçon changea, il semblait mal à l'aise et surtout effrayé par ce qu'il allait dire. Prenant une nouvelle inspiration, il reprit la parole.
" Comme tu le sais, mon père a une maladie cardiaque depuis plusieurs années. Nous n'avons jamais roulé sur l'or, mais après son diagnostic, c'est devenu encore pire. J'ai enchaîné les petits boulots, mais ce n'était jamais suffisant, puis un jour, un gars que je connais m'a parlé d'un taff qu'il faisait pour arrondir ses fins de mois. Je sais, tu te demandes sûrement " quel travail ? ". C'est là que je veux que tu gardes ton esprit ouvert et que tu essaies de comprendre. Je... je suis devenu cam-boy. Je te passe les détails, tu dois sûrement savoir ce que c'est. Je faisais ce travail depuis mes quinze ans et ce gars avait raison, ça payait bien, enfin, c'était le cas jusqu'à ce que les frais d'hôpitaux augmentent. Quelques mois après mes dix-sept ans, un de mes clients m'a contacté pour me demander si je voulais un extra. Je... j'ai refusé, du moins au début, sauf que, je ne te l'ai jamais dit, mais les huissiers sont venus frapper à notre porte, mes parents devaient une somme d'argent astronomique alors, j'ai fini par accepter. Ce... ce n'était plus seulement du sexe à travers un écran. Je suis désolé Min... tu... tu dois me trouver dégoûtant et peut-être même que tu dois me détester maintenant, mais je l'ai fait pour eux et pour nous. "
La voix de Yoongi se perdit dans un murmure tandis qu'il fit disparaitre une larme qui roula sur sa joue. Assis sur son lit, Jimin lui, n'en croyait pas ses oreilles. Il avait l'impression que la terre venait de s'ouvrir sous ses pieds. Il pensait connaitre son meilleur ami, il pensait tout savoir de lui, mais en quelques minutes, il venait de découvrir qu'il ne savait rien. La douleur qu'il ressentait était si forte qu'il avait l'impression de suffoquer. Comme lors de sa crise plus tôt, ses joues étaient ravagées par des larmes qu'il était incapable de contenir alors que ses yeux étaient rivés sur ce garçon qu'il aimait tant et qu'il avait perdu.
" Après... après cette fois-là avec ce gars, j'ai... j'ai ramené un paquet d'argent et j'ai payé les dettes de mes parents. J'aurais pu m'arrêter là et j'allais le faire jusqu'à ce que j'apprenne que ton enfoiré de père t'avait encore battu. Je... ce n'est pas de ta faute, je l'ai fait parce que je le voulais ! J'ai continué à accepter des clients et à chaque fois, j'étais tellement bien payé que je ne pensais qu'à une chose, rassembler le maximum de fric pour te sortir de là. "
Cette fois, les larmes roulaient à flot sur ses joues rougies avant qu'il ne baisse la tête. Ses sanglots étaient audibles à travers le micro de la caméra. De longues minutes passèrent pendant lesquelles Yoongi tentait de calmer ses pleurs et lorsqu'il y parvint enfin, il releva la tête.
" Tous ces gars avec qui je... ce sont des mecs blindés de fric. Ils ne cherchent qu'une échappatoire à leur vie pourrie. Je ne sais pas si ça peut te rassurer, peut-être même que tu ne regardes plus cette vidéo, mais... ils... ils me traitent bien. Maintenant que tu sais comment tout ça a commencé, je veux juste te dire que j'ai accepté un nouveau client. Il... c'est une personne très influente et j'ai négocié avec lui. Je vais être très bien payé et si tout va bien, dans quelques mois, toi et moi, on sera dans un avion pour l'Europe ou n'importe où dans le monde. Tu l'auras compris, qui dit homme influent, dit aussi sûrement de gros ennuis, alors je fais cette vidéo pour que tu saches toute la vérité. J'espère sincèrement que tu ne tomberas jamais dessus. J'espère que tu garderas toujours l'image que tu as de moi, celle de ton grand frère qui t'aime plus que tout. Si jamais ce n'est pas le cas, je te demande pardon. Je suis désolé de te décevoir à ce point et surtout d'être parti et de t'avoir laissé seul. "
Malgré ses efforts, le visage de porcelaine du mentholé était à nouveau inondé par ces perles salées.
" Je... Je crois que je t'ai tout dit. Oui, je sais, je ne t'ai pas donné le nom de ce type, mais c'est parce que je ne le connais pas encore. Ce n'est pas lui qui m'a engagé. Pour finir, je te laisse aussi toutes mes affaires fétiches et tu as intérêt à en prendre soin parce que si ce n'est pas le cas, mon fantôme viendra te hanter ! "
À ce moment-là, un rire débordant de peine quitta ses lèvres avant qu'il ne reprenne un air plus sérieux.
" Je t'aime Jimin, ne l'oublie jamais. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Merci d'avoir débarqué dans ma vie et d'avoir été mon rayon de soleil, d'avoir illuminé mes ténèbres avec ton sourire et ton amour. Merci de m'avoir aimé en retour et d'être resté à mes côtés malgré tout ce que tu as enduré par ma faute. Peu importe le jour où tu vois ça, j'espère que tu es heureux. Que tu es amoureux et qui sait, qu'une ribambelle de bébés court partout autour de toi. J'espère être resté à tes côtés assez longtemps pour te voir grandir et devenir un homme merveilleux. Je l'espère sincèrement... Je vais devoir couper maintenant, ce machin n'a plus de batterie. Je t'aime. "
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