L'ambiance au domicile de Julian était à couteaux tirés. Jungkook affichait une mine dure et glaciale, tentant de dissimuler la panique qui rongeait chaque fibre de son être. Cet homme qu'il ne connaissait pas, venait de lui dire que son amant avait de grandes chances de mourir s'il décidait d'aller au bout de son idée. Pourtant, Jimin campait sur ses positions, refusant d'abandonner cette idée totalement suicidaire.

— Je vais le faire, Jungkook, avec ou sans toi, martela Jimin, décidé à obtenir gain de cause. J'aimerais que tu sois là parce que ça me terrifie d'affronter ça seul, mais si tu décides d'abandonner maintenant, c'est ok. Je ne t'en voudrai pas, mais n'essaie pas de m'en empêcher.

Le tatoué était pantois face aux propos de son petit ami. Était-il sérieux ? À cet instant, Jungkook se sentait comme un objet de décoration sans aucune utilité et il détestait cela.

— Alors mon avis ne compte pas ? Tu vas juste n'en faire qu'à ta tête sans m'écouter ?

— Ça ne regarde que m-

— Ne me dis surtout pas que ça ne me concerne pas parce que c'est faux ! l'interrompit Jungkook d'un ton dur. On a déjà eu cette conversation ! À partir du moment où tu as voulu qu'on se mette ensemble, ta sécurité et ta vie me regardent ! Je refuse de te perdre, tu peux comprendre ça ?

Jimin laissa échapper un long soupir. Conscient que cette discussion ne mènera à rien, il décida d'abdiquer, du moins pour le moment.

— Ok, ce n'est vraiment pas le moment, on discutera de ça plus tard, somma-t-il.

— Il n'y a rien à ajouter, il est hors de question que tu mettes ta vie en danger. Pour ça, il faudra me passer sur le corps.

Le cœur broyé par la peur, le commandant Jeon lança un regard noir à son cadet, puis quitta la pièce en furie. Lorsque la porte d'entrée claqua, Jimin sursauta légèrement, le regard rivé sur le mur blanc devant lui. C'était une catastrophe. La situation était des plus chaotiques et il ne savait plus quoi faire. Son envie de connaître la vérité était si grande, cependant, son amour pour Jungkook lui hurlait de l'écouter, pour ne pas le perdre.

— Écoute Jimin, prends le temps de réfléchir à tout ça. Ton petit ami a raison, c'est dangereux, alors tu dois vraiment être sûr de ce que tu fais.

— Je sais ce que je veux. Je vais réunir les affaires des Yoongi et quand je serai prêt, je vous contacterai, assura le médium.

— Très bien, je ferai de mon mieux pour t'aider, abdiqua Julian.

Jimin acquiesça et sortit son téléphone. Il enregistra le numéro du brun puis le remercia avant de quitter les lieux, priant pour que son amant l'attende dehors.

Dans son véhicule, Jungkook tentait de calmer les tremblements qui avaient pris possession de ses muscles. Il était envahi par tant de sentiments différents. La colère, la peur, la frustration, la tristesse. Cette dernière émotion était la pire, car il avait la sensation qu'il ne comptait pas suffisamment pour que son amant veuille rester en vie.

Avant de rencontrer Jimin, le commandant se fichait éperdument que la mort vienne le cueillir. Il avait même, à plusieurs reprises, provoqué cette dernière, parce qu'il avait toujours estimé qu'il aurait dû partir avec son unité. Pourtant, désormais, il ferait tout son possible pour se réveiller chaque matin aux côtés de l'être qui avait dérobé son cœur. Même si la douleur d'avoir perdu ses hommes était toujours bien présente, le tatoué se répétait chaque jour qu'à présent, il devait vivre pour son amant, pour leur couple.

Ce soir, Jungkook venait de découvrir qu'il avait été encore une fois naïf de croire qu'il en serait de même pour son petit ami. Jimin ne tenait pas à la vie, ni à lui. Dans le cas contraire, ne serait-il pas légitime qu'il souhaite rester avec lui ? Vieillir à ses côtés ? L'épouser ? Qui sait, peut-être même fonder une famille ? Non, tout ce qui l'importait, c'était cette vendetta dans laquelle il s'était lancé, peu importe ce que cela lui coûterait. C'était ça le plus dur à supporter, car il savait que dorénavant, ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne perde la moitié de son âme.

Le policier fut sorti de ses pensées par la portière passager qui s'ouvrit. Jimin monta dans le véhicule et attacha sa ceinture en silence. Sans dire un mot, Jungkook mit le contact et démarra jusqu'à leur domicile. L'ambiance était des plus désagréables et pesantes, et bien que cela le tuait à petit feu, l'aîné du couple refusait de courber l'échine une fois de plus.

Ce fut alors bercé par le mutisme ambiant que l'Audi rouge arriva, après plus de trente-cinq longues minutes, devant la résidence au bord de mer. Contrairement à d'habitude, Jungkook ne stationna pas à sa place et s'arrêta face au petit chemin en dalles grises qui menait à l'entrée du bâtiment. Le regard rivé devant lui, il patienta en silence que son passager ne descende.

Voyant que son petit ami ne manœuvrait pas vers sa place de parking, Jimin fronça les sourcils et posa son regard confus sur sa personne.

— Tu ne te gares pas ?

— Non, tu peux descendre et rentrer, répondit le tatoué d'un ton bien trop calme pour être sincère.

— Q-quoi ? Où... où est-ce que tu vas ?

— Ça ne te regarde pas.

Heurté par la réponse de son compagnon, le médium haussa les sourcils et se mit à triturer le cuir de la portière.

— On pourrait rentrer et en discuter à l'intérieur ? S'il te plaît, je n'ai pas envie qu'on se dispute encore, implora presque le plus jeune.

— Je n'ai plus rien à te dire. Tu as pris ta décision, j'ai pris la mienne. Maintenant descends s'il te plaît, j'ai besoin de prendre l'air et de m'éloigner de tout ça.

— De t'éloigner de moi, tu veux dire, rectifia Jimin, le cœur en berne et surtout blessé dans son orgueil.

— Prends-le comme tu veux, je m'en fous, souffla Jungkook en baissant les yeux entre ses jambes.

— Jungkook, s'il te plaît, ne fais pas ça.

— Faire quoi ? répliqua froidement le concerné sans pour autant hausser le ton.

— Me repousser.

— Ah parce que c'est moi qui te repousse ? pouffa amèrement le plus vieux. Tu te fous de ma gueule, j'espère ? Là-bas, je t'ai presque supplié de laisser tomber et tu m'as dit que ce que tu faisais de ta vie ne me regardait pas, alors n'inverse pas les rôles. S'il y en a un ici qui repousse l'autre, ce n'est pas moi.

— J'ai besoin de réponse ! Tu peux comprendre ça ? s'emporta Jimin agacé de ne pas être entendu.

— Non ! Désolé, mais non, je ne peux pas comprendre ! J'ai parfaitement saisi que tu voulais retrouver le tueur de Yoongi. Putain, je suis même le mieux placé pour le comprendre, mais il y a d'autres solutions, c'est toi qui les refuses. Tu dis m'aimer, mais ce n'est pas ça l'amour. L'amour ce n'est pas être égoïste comme tu l'es.

— Je suis égoïste ? s'indigna le médium.

— Oui, tu l'es ! Si tu m'aimais réellement, tu ferais tout pour rester à mes côtés, pour qu'on puisse faire ce tour du monde, pour qu'on... Merde, j'étais sérieux quand je parlais de t'épouser, et toi tu...

Jungkook se tut, la gorge nouée par l'émotion. Il ne parvenait plus à contenir cette boule qui broyait sa trachée tant elle grossissait à chaque seconde qui s'écoulait. Sentant les larmes s'échapper de ses yeux noirs, le brun tourna la tête sur le côté.

Même s'il ne le regardait plus, Jimin pouvait voir les perles salées ruisseler sur ses joues et cela lui fit l'effet d'un coup de massue en pleine poitrine.

— Mon cœur, souffla-t-il en tournant son corps vers lui pour venir poser sa paume sur son bras tendu vers le volant.

Peu désireux qu'on le touche, Jungkook recula en bougeant négativement la tête. Il ne pouvait pas, pas cette fois. C'était au-dessus de ses forces, et si son amant n'était pas capable de comprendre ça, alors ils étaient réellement dans une impasse.

— Je peux pas. Je... je ne supporterai pas de te voir aller au bout de ton idée. Julian l'a dit, c'est du suicide et je refuse de participer à ça. J'ai déjà failli te perdre une fois et j'ai bien cru que j'allais en crever. Je ne veux pas revivre la même chose. Si tu es décidé à le faire, vas-y, je ne suis personne pour te retenir, mais je refuse de te voir mourir sous mes yeux.

— Tu me demandes de choisir entre toi ou la vérité ? murmura Jimin, la voix tremblante.

— Non, je ne te demande plus rien, répondit Jungkook en tournant enfin la tête vers lui.

Ses traits, d'ordinaire si doux, étaient déformés par la peine et les larmes. Cette vision eut l'effet de briser toutes les barrières du jeune médium qui ne supportait pas de le voir ainsi, surtout sachant qu'il en était la cause.

— Je te connais, tu as déjà pris ta décision. Tu iras de l'avant, je le sais et c'est qui me fait le plus mal.

Cette fois, le ton de sa voix était éteint, comme si toutes ses forces l'avaient quitté. C'était le cas, il n'avait plus la volonté de lutter contre un fantôme du passé. Yoongi passait avant tout, même avant lui, et il ne pouvait pas rivaliser avec ce besoin de vengeance qui animait l'homme qu'il aimait. Cependant, il devait se protéger et peut-être qu'au fond, une part de lui espérait que son départ ferait réagir son cadet.

— Maintenant, descends s'il te plaît, demanda-t-il d'une voix calme.

— Jungkook, s'il te plaît. Ne t'en va pas comme ça. Rentre avec moi et discutons-en, implora le plus jeune.

— Descends, intima de nouveau le conducteur en se penchant en avant pour ouvrir lui-même la portière passager. Je t'en supplie, descends de la voiture.

Les joues ravagées par les larmes, Jimin rendit les armes. Cela ne servait à rien d'insister. Ils étaient tous les deux en colère, la discussion était donc sans issue.

Hochant simplement la tête, le blond déposa tout de même un baiser sur l'épaule de son petit ami, puis quitta le véhicule.

— Je t'aime Jungkook. Peu importe ce que tu penses, c'est le cas, mais j'ai fait une promesse et je la tiendrai.

— Je te souhaite bonne chance alors, répliqua le tatoué en enclenchant la première vitesse, faisant ainsi comprendre au médium son désir de s'en aller.

La poitrine totalement en miette, Jimin referma donc la portière et regarda cette voiture si familière s'en aller, emportant avec lui toute trace de joie.

⊱⋅ ──────────── ⋅⊰

Dans la maison de banlieue, une douce musique de Jazz emplissait la vaste pièce de vie ainsi que la cuisine. Vêtu de son ensemble pyjama en soie bordeaux, Lilith préparait le dîner, bougeant au rythme de la musique. Près d'elle, installé à même le parquet du salon, Taehyung se débattait depuis une trentaine de minutes avec le plan d'un des berceaux. Ne voulant pas inquiéter sa fiancée, le lieutenant de police avait gardé pour lui la crise de panique qui était survenue plus tôt dans la journée. Le jeune femme était déjà bien assez angoissée par son accouchement qui arrivait à grands pas, il était donc impensable qu'il l'angoisse davantage.

— Punaise, qui est l'imbécile qui a conçu ce truc ? pesta le policier en retournant le papier dans tous les sens.

— Arrête de t'énerver bébé, gloussa Lilith en posant un regard attendri sur son amant. Tu demanderas à Jungkook de le faire quand il passera. Il est doué en bricolage.

— Je suis capable de monter un berceau, s'offusqua Taehyung. C'est ce plan qui est merdique !

— C'est ça, pouffa la psychiatre. Tu n'as jamais été doué pour le bricolage, ce n'est pas grave, tu sais. Tu es doué pour plein d'autres choses.

— Ah oui ? Et comme quoi ? demanda le châtain, une moue boudeuse sur les lèvres.

La jeune femme reposa l'ustensile de cuisine sur le plan de travail et alla rejoindre son bien-aimé. Entravée dans ses mouvements à cause de son ventre bien arrondi, elle s'accroupit difficilement face à lui et passa une main dans ses mèches bouclées.

— Pour commencer, tu cuisines bien, tu fais le ménage sans râler, tu sais faire les courses comme un grand et tu me prépares le petit déjeuner au lit tous les dimanches, débuta Lilith d'une voix douce avant de reprendre avec plus de sensualité. Et le plus important, tu sais me faire l'amour comme personne.

En entendant cela, l'égo de Taehyung gonfla en lui, et pas seulement cela. Entre le travail, la grossesse bien avancée de la jeune femme et tous les stress qui allait avec, cela faisait quelque temps que le couple n'avait pas partagé de moment intime. S'il devait être honnête, sentir le corps de sa fiancée prisonnier du sien lui manquait énormément.

— Arrête de jouer avec moi, pleurnicha le châtain.

— Mais je n'ai rien fait, ricana le jeune femme, parfaitement consciente qu'elle venait d'éveiller l'excitation de son compagnon. Bébé, j'ai vraiment envie de toi, confessa cette dernière.

Le cœur de Taehyung fit un bon dans sa poitrine tandis qu'il sentit son membre pulser dans son jogging. Un sourire taquin sur les lèvres, Lilith prit la feuille de papier de ses mains et la déposa au sol tout en venant à la rencontre de ses lèvres qu'elle convoitait.

Le couple s'embrassa de longues minutes, laissant libre cours à leurs mains pour explorer le corps de l'autre. À mesure que les minutes passaient, leur excitation grandissait. Voulant être plus à l'aise, Taehyung signifia silencieusement à sa fiancée de se lever et l'amena jusqu'au canapé où il s'installa, l'invitant à venir sur ses genoux.

Désormais assise à califourchon face à son amant, Lilith retrouva rapidement sa bouche avant que celle-ci ne la quitte pour se perdre dans son cou, descendant sur sa clavicule qu'il humidifia de ses baisers. Sans cesser ses caresses, il passa son index sous la bretelle de son haut en soie et la fit glisser le long de son épaule, suivant le mouvement du bout de ses lèvres.

Frémissant sous ce toucher si fugace, Lilith observait son amant, ses doigts enfouis dans ses mèches bouclées. Quand elle sentit la chaleur de sa bouche contre son téton, un soupir d'aise la quitta, accompagné d'un faible gémissement qui survint au contact de sa langue brûlante contre ce bouton de chair durci.

Désireux de s'occuper de son jumeau, Taehyung s'apprêtait à le libérer de son vêtement lorsque la sonnette de la porte d'entrée résonna dans l'air, le stoppant dans son élan. Une part de lui ordonnait d'aller ouvrir la porte, mais celle qui mourrait d'envie de faire l'amour de sa bien-aimée lui criait de faire abstraction de cette visite impromptue et de continuer.

Bien décidé à satisfaire sa dame, le lieutenant saisit le bas de son débardeur bordeaux et le leva avant d'être de nouveau interrompu, mais cette fois, par une série de coups plus forts contre le battant en bois. Comprenant que son visiteur ne partirait pas, Taehyung soupira de ton son soûl, laissant son visage tomber entre la poitrine de Lilith qui se mit à rire en grattant tendrement son cuir chevelu.

— Allez, va ouvrir, fit-elle d'une voix douce.

— Je suis désolé, poussin, pleurnicha le châtain, une moue enfantine sur le visage.

— Ce n'est pas grave, assura Lilith en l'embrassant du bout des lèvres.

La brune se laissa choir sur le sofa, laissant ainsi son fiancé se lever tandis qu'elle se rhabillait.

— Tae ? T'es là ? appela une voix que le couple reconnut immédiatement. S'il te plaît, o-ouvre moi.

En entendant la voix si brisée de son frère, Taehyung sentit son cœur tomber à ses chevilles et se précipita vers l'entrée. Sans attendre une seconde de plus, il ouvrit la porte et fit face à cet homme avec qui il avait grandi. Les larmes qui ruisselaient abondamment sur son visage rougi par le froid ne firent qu'accentuer l'inquiétude du châtain qui le tira à l'intérieur et commença à l'examiner.

— Eh, petit frère, qu'est-ce qu'il y a ? Tu as eu un accident ? Tu es blessé ? demanda-t-il, pris de panique.

— Je... je suis désolé, j-je savais pas où aller, bafouilla Jungkook, la gorge nouée par les hoquets de sanglots qui ne le quittaient pas.

— Arrête de t'excuser. Dis-moi plutôt ce qui t'arrive, tu m'inquiètes.

— C'est... c'est Jimin il... il...

— Il quoi ? Est-ce qu'il va bien ? Il s'est passé quelque chose ?

Taehyung voyait bien que son frère ne parvenait pas à respirer correctement tant il tentait de contenir ses pleurs. Le voir ainsi était pour lui le pire spectacle au monde.

— Non... i-il va b-ien, répondit le brun, la gorge obstruée par les sanglots.

Si Jimin allait bien alors ça ne pouvait qu'être lui la cause de tout ça, et son côté protecteur fit naître en lui une certaine amertume vis-à-vis de son cadet. Ce n'était pas la première fois que Jungkook se retrouvait dans une telle détresse à cause de lui et il haïssait cela.

— Respire Kook, ça va aller, ok ? parla le châtain avec le plus de douceur possible. Allez, inspire et expire calmement. Peu importe ce qui se passe, ça va s'arranger, mais tu dois d'abord te calmer.

Ses paumes à plats sur les épaules de son petit frère, Taehyung exécutait ses propres conseils, tentant ainsi de le guider afin qu'il retrouve son calme. Il fallut quelques minutes pour que les sanglots du tatoué ne cessent et qu'il ne retrouve le contrôle total de sa respiration.

Dans la cuisine, Lilith écoutait discrètement ce qui se passait entre la fratrie et les pleurs de son ami ne l'avaient pas laissée insensible. Elle mourrait d'envie de le prendre dans ses bras, mais elle connaissait Jungkook et savait pertinemment que ce dernier risquait de se braquer si elle intervenait sans y être invitée. Son inquiétude se fit également présente pour Jimin qui, jusqu'à maintenant, n'avait pas donné signe de vie. S'étaient-ils disputés ? C'était la deuxième fois en deux jours. Que pouvait-il bien se passer pour que la dynamique et la sérénité du couple soient à ce point chamboulée ?

— Ok, viens t'asseoir deux secondes, lança Taehyung en prenant le poignet de son frère pour l'entraîner jusqu'au salon.

Le commandant s'échoua lourdement sur le sofa et prit un mouchoir dans la boîte qui était à sa disposition sur la table basse. En gardant la tête baissée, il essuya de ses mains tremblantes, ses joues puis son nez avant de ranger le morceau de papier dans sa poche.

— Maintenant, tu veux bien me dire ce qui s'est passé ? demanda Taehyung sans perdre de sa douceur.

— On s'est disputés, annonça le brun d'une voix branlante.

— Ça j'avais bien compris, mais une simple dispute ne te mettrait pas dans un tel état.

— On est allé voir Julian Hale.

— Le médium qu'on a rencontré hier ?

— Oui. Il a dit à Jimin qu'il pourrait l'aider au sujet de Yoongi, donc on est allé le voir en quittant le commissariat. Ce connard lui a vendu tout un tas d'espoirs en lui disant qu'il pourrait revoir les derniers souvenirs de Yoongi en faisant une projection de l'esprit ou je sais plus quoi.

— D'accord, je ne comprends pas vraiment tout ce charabia de médium, mais où est le souci ? Si ça peut l'aider à avancer dans son enquête, c'est bien non ?

— Non, c'est tout sauf bien. Si... Si Jimin fait ça, il y a de grandes chances qu'il y reste.

Cette fois, les yeux de Taehyung s'écarquillèrent tant il était ahuri et confus par cette information. Depuis qu'il avait quitté la colocation, il passait à côté de tant de choses qu'il se sentait très souvent perdu.

— Comment ça y rester ?

— Julian a dit que s'il ne maîtrisait pas le truc correctement, il ne pourrait plus revenir. En gros, son esprit serait perdu dans les limbes. Il... il ne maîtrise rien du tout, Tae. Je l'ai supplié de ne pas le faire, mais il m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit que ça ne me regardait pas. Qu'avec ou sans moi, il le ferait. Il... il va mourir et je ne peux rien faire pour l'empêcher. Je... je suis fatigué de tout ça. Yoongi lui a dit d'arrêter, je lui répète sans cesse qu'il ne doit plus se mettre en danger, qu'on trouvera une autre solution, mais il n'écoute plus.

Le lieutenant n'en revenait pas. Depuis le temps, il avait appris à connaître Jimin peut-être mieux qu'il ne se connaissait lui-même et s'il y avait bien une chose qui ne l'étonnait plus, c'était son entêtement. Lorsque son cadet avait une idée derrière la tête, il était pratiquement impossible de le faire changer d'avis. Toutefois, aujourd'hui, il ne s'agissait pas d'un petit risque sans incident. Non, cette fois, il risquait sa vie et ça, c'était impensable. Pourtant, ce dernier était un adulte responsable, que pouvait-il faire ?

— Tae je... je peux pas le perdre, mais je supporterai pas d'être là et de le voir mou-... non je... je peux pas, reprit Jungkook, la trachée totalement broyée par le flot de larmes qu'il tentait de contenir.

— Eh, eh, je ne veux pas non plus le perdre, mais Jimin est un grand garçon.

— Alors quoi ? Je le laisse se suicider ?! s'emporta le commandant en se levant brusquement, les yeux humides.

— Julian a bien dit que c'était risqué ? Il n'a pas dit que c'était certain qu'il y reste ?

— Il a dit qu'il y avait de grandes chances, répondit le brun, les sourcils froncés. Mais Tae, le risque est là !

— Je sais Kook, mais qu'est-ce que tu veux faire ? Le séquestrer ? L'attacher aux barreaux de ton lit ? L'enfermer dans une cellule ? Tu sais aussi bien que moi qu'il ne laissera pas tomber. C'est... C'est triste à dire, mais depuis qu'il est enfant, Jimin ne vit que pour Yoongi et après sa mort ça n'a pas changé. Il fera tout pour le venger et arrêter celui qui l'a tué. Tu ne peux pas l'en empêcher, je ne peux pas, personne ne peut, mais en tant que famille, on peut être là pour lui, argumenta Taehyung d'une voix reposante.

Le commandant écoutait, néanmoins, son cœur refusait d'entendre raison. La peur de voir l'amour de sa vie s'éteindre dans ses bras le paralysait et l'empêchait de voir la vérité en face. Son frère avait raison, il ne faisait pas le poids contre l'entêtement de son amant.

— Après ce qui s'est passé la dernière fois, j'ai lu quelques articles sur ce genre de projection. Ils disaient que comme pour les gens dans le coma, la présence ou la voix d'un proche pouvait aider l'esprit à revenir. S'il y a bien une personne qui pourra le ramener si ça tourne mal, c'est toi, ajouta le lieutenant, un sourire compatissant sur les lèvres.

— Ce ne sont que des "si". Et si j'échoue ? Et s'il meurt, qu'est-ce que je deviendrai ?

— Tu sais, maintenant que je suis au courant, moi aussi, j'ai peur, mais d'un côté, j'ai envie de croire qu'il y arrivera. Jimin est une vraie tête de mule, il a le sang chaud, il est très émotif, mais tu sais aussi bien que moi qu'il a une force de volonté incroyable. Ce garçon a vécu l'enfer pendant toute sa vie et malgré tout ça, il n'a jamais abandonné. Je veux croire qu'il y arrivera et si jamais ce n'est pas le cas, on aura été à ses côtés jusqu'à la fin. Ne te méprends pas, je ne veux pas le voir mourir, mais je ne veux pas non plus vivre avec le regret de l'avoir abandonné quand il avait le plus besoin de moi, et toi non plus, tu ne veux pas ça.

Les arguments du châtain plantèrent un silence de plomb dans le salon. Le regard rivé sur ses mains, Jungkook essayait du mieux qu'il pouvait d'être aussi positif que son frère, mais il n'y parvenait pas. Cette petite voix dans sa tête lui répétait sans celle qu'un compte à rebours avait commencé et qu'à la fin de celui-ci, il perdrait le seul homme qu'il avait véritablement aimé. Cette possibilité lui donnait envie de hurler tant elle était douloureuse.

Dans la cuisine, Lilith fixait la casserole remplie de soupe au bœuf qu'elle venait de sortir du feu. Elle avait écouté toute la conversation de son amant et des milliers de questions se bousculaient dans son esprit. Elle avait bien compris que la vie de Jimin était en jeu et qu'il le faisait volontairement. En revanche, ce qu'elle ne saisissait pas, c'était la raison de cela. Yoongi était mort huit ans auparavant, comment allait-il voir ses derniers souvenirs ? Y avait-il quelque chose au sujet de son ami qu'elle ignorait ? Si c'était le cas, la jeune psychiatre comptait bien avoir les réponses à toutes ses questions.

Malgré toutes ses interrogations, la jeune femme mit tout cela de côté et apporta le dîner jusqu'à la table sur laquelle elle avait rajouté un couvert. Voyant que l'état de Jungkook semblait s'être calmé, elle décida enfin de se montrer.

D'un pas feutré, la future maman s'avança jusqu'au salon où elle croisa le regard de son beau-frère. Embarrassé par ses yeux rougis et bouffis par les larmes, ce dernier se leva d'un bond et tourna la tête sur le côté, essuyant ses joues avec les manches de son sweat à capuche.

— Salut, fit le brun en tentant de garder une voix stable.

— Bonsoir Kook, sourit cette dernière avec tendresse en l'enlaçant rapidement. Le dîner est prêt, annonça-t-elle à l'attention de son fiancé.

— Ok, merci poussin, répondit le concerné.

— Je... je vais y aller. Encore désolé d'être venu à l'improviste, lança Jungkook, le regard fuyant.

Le commandant s'apprêtait à rejoindre le hall pour se chausser et s'en aller quand il sentit la main de son frère s'enrouler autour de son poignet.

— Ne sois pas stupide. Tu vas rester dîner avec nous et ensuite, tu pourras rentrer si tu le souhaites. Sinon, tu peux aussi passer la nuit ici.

— Non Tae, je... je me suis assez imposé.

— Où est-ce que tu vas aller ? demanda Lilith.

— Je sais pas, je vais aller faire un tour. J'ai pas envie de rentrer.

— Voilà, donc tu vas rester ici avec nous, imposa Taehyung.

— Tae a raison. Reste ici au moins cette nuit. Tu sais bien que tu es toujours le bienvenu, surenchérit la jeune femme en caressant tendrement le bras de son ami.

Ce geste, aussi futile soit-il, donna à Jungkook une violente envie de pleurer, mais il parvint à retenir ses larmes. En guise de réponse, il hocha la tête et remercia son frère et sa fiancée d'un sourire.

Ce fut donc dans une ambiance étrange que le couple et leur invité passèrent à table. Le commandant ressentait le manque de son amant. Une part de lui, la plus dépendante, voulait rentrer à la maison et le prendre dans ses bras, continuer de le supplier d'abandonner cette idée folle. Cependant, le côté le plus fier de sa personnalité, refusait de revivre une nouvelle perte, du moins pour le moment, il ne se sentait pas capable d'aller vers lui.

Taehyung lui, tentait de garder la face, d'être positif et confiant pour soutenir son frère, mais au plus profond de son être, une vraie colère grandissait en lui. Jimin se comportait égoïstement, mais il était également ingrat envers ceux qui l'avaient sauvé. Après tout ce qu'ils avaient fait pour lui, il ne donnait aucune valeur à sa vie.

⊱⋅ ──────────── ⋅⊰

Le couple et leur invité avaient diné dans le calme, discutant de divers sujets. Lilith et son amant faisaient de leur mieux pour distraire Jungkook qui n'avait pas esquissé l'ombre d'un sourire depuis son arrivée.

Après le repas, le commandant se proposa pour aider son frère et ensemble, ils montèrent les deux berceaux ainsi que le reste des meubles pour la nurserie. Fiers de leur travail, ils s'étaient offerts une bière qu'ils avaient sirotée devant la deuxième mi-temps d'un match de football. Quand vint l'heure du coucher, Lilith apporta à son beau-frère, toute la literie nécessaire pour qu'il soit au chaud, et ce dernier ouvrit le canapé pour s'y installer.

Jungkook savait qu'il ne fermerait pas l'œil de la nuit. Son petit ami lui manquait et c'était la première fois depuis longtemps qu'il dormait loin de lui ou sans son odeur. Une part de lui voulait le contacter par message, mais sa fierté le stoppa avant qu'il ne le fasse. Il avisa rapidement son portable et vit six appels manqués de sa part ainsi que trois messages dans lesquels il le suppliait de rentrer. Une larme orpheline le quitta et s'échoua sur le coussin alors que le commandant verrouilla son téléphone et le retourna, écran vers le bas. Dans un long soupir et le cœur lourd, il s'allongea sur le ventre, le visage enfoui dans son oreiller parfumé par la lessive. Demain serait une nouvelle journée et il espérait sincèrement que cette nuit, séparés, ferait réfléchir Jimin.

Dans la chambre parentale, le silence était roi. Adossée contre la tête de lit, Lilith regardait avec tendresse son fiancé qui s'était allongé près d'elle, sa tête posée sur son ventre arrondi. Depuis quelques mois, Taehyung se plaisait à écouter ses bébés qui, parfois, bougeaient dans le ventre de leur mère. Cela avait sur lui un effet apaisant, surtout après une journée comme celle qu'il venait de vivre.

Le calme qui les berçait fut interrompu par les vibrations d'un téléphone qui fit trembler la table de chevet. D'un geste débordant de lassitude, le lieutenant de police tendit la main pour saisir l'appareil et le déverrouilla pour voir l'identité de son interlocuteur.

En voyant le prénom de Jimin s'afficher, un long soupir le quitta alors qu'il laissa son téléphone retomber contre le matelas. Son cadet l'avait contacté deux fois déjà en plus des messages qu'il avait envoyés.

— Il m'a aussi envoyé un message. Tu sais, à un moment, il faudra bien que tu lui répondes, fit Lilith d'une voix douce.

— Je sais, mais si je le fais maintenant, je vais l'étriper. Je déteste voir mon frère dans cet état et ça fait deux fois que Jimin en est le responsable. Bon ok... la première fois, j'avoue, c'est Jungkook qui a merdé, mais quand même.

— On n'est pas dans leur couple bébé, on ne sait pas vraiment ce qui se passe entre eux. En tout cas, je n'ai pas pu m'empêcher d'écouter votre conversation et, c'est quoi cette histoire de projection de l'esprit ?

Taehyung se crispa à l'entente de cette question. Il avait été si concentré sur la détresse de son frère, qu'il en avait oublié la présence de Lilith, et cette dernière n'était toujours pas au courant pour le don de leur cadet.

— Je euh... non tu as dû mal comprendre, bafouilla-t-il.

— Ne me prends pas pour une idiote, Kim Taehyung, je sais que tu mens, affirma Lilith d'un ton plus dur. Pourquoi Jimin voudrait faire une projection de l'esprit ? Et c'est quoi cette histoire de voir les souvenirs de son défunt meilleur ami ?

Résigné et surtout incapable de mentir à sa bien-aimée, le lieutenant Kim se redressa, une moue boudeuse sur le visage, tel un enfant qui venait d'être pris la main dans le sac.

— Je suis désolé, poussin, mais ce n'est pas à moi de t'en parler.

— Tu vois quelqu'un d'autre ici ?

— Non, mais je... Jimin m'a demandé de ne rien dire.

— À qui ? À tous nos amis ou juste moi ?

Le silence du châtain répondit à la question de la jeune femme qui sentit une pointe douloureuse dans sa poitrine. Alors Jimin avait un secret et elle était visiblement la seule qui n'était pas au courant. Pourquoi ? Son ami n'avait-il aucune confiance en elle ? S'était-elle faite des idées quant à ce lien fort qui les unissait à présent ?

En voyant la peine et la déception sur les traits de sa future épouse, Taehyung se sentit coupable de l'avoir laissée dans l'ignorance depuis si longtemps.

— Bébé, ne le prends pas personnellement, tenta le policier d'une voix douce. Jimin a un... don. Il peut voir et entendre les fantômes. Je sais que ça peut paraître fou, mais c'est la vérité. C'est comme ça qu'il nous a aidé dans plusieurs enquêtes.

— C'est une sorte de médium ? questionna la psychiatre.

— Oui, c'est ça. Quand Yoongi est mort, il a commencé à le voir. Il avait quinze ans à l'époque et quand il s'est confié à ses parents, ils l'ont fait enfermer.

— Quel rapport avec moi ? Je... je ne comprends pas pourquoi j'ai été tenue à l'écart alors que tout le monde est au courant. Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?

Lilith, qui d'ordinaire ne dégageait que douceur, mais aussi une certaine assurance, semblait touchée par le manque de confiance que son ami avait à son égard, à tel point que sa voix en devint chancelante.

— Non, poussin, tu n'as rien fait de mal, la rassura Taehyung. Au contraire, tu as toujours été incroyable avec lui et Jimin t'adore. C'est un psychiatre qui l'a enfermé, je suppose qu'il craignait que tu ne penses la même chose. Il allait t'en parler, je t'assure, il attendait le moment opportun pour le faire.

Même si elle voulait y croire, la jeune femme ne ressentait que tristesse et déception. Ne voulant plus poursuivre la conversation et surtout sentant les larmes comprimer son œsophage, Lilith hocha simplement la tête, affichant un sourire sans joie.

— D'accord. Je suis fatiguée, je vais dormir maintenant, annonça-t-elle en éteignant sa lampe de chevet. Bonne nuit.

Sans rien ajouter, la jolie brune s'allongea sur le flanc, dos à son fiancé et ramena la couverture contre son visage, essuyant ainsi les larmes silencieuses qu'elle s'était permise d'évacuer. Taehyung n'était pas dupe, il savait bien que sa compagne était terriblement peinée par le secret de leur cadet. Voulant la réconforter, il s'allongea derrière elle, venant à la rencontre de son dos, et déposa un baiser contre son omoplate.

— Je t'aime poussin, murmura-t-il.

— Moi aussi, répondit simplement cette dernière.

Le lieutenant ne lui tint pas rigueur et la serra simplement dans ses bras, espérant que cette révélation n'entacherait pas l'amitié qui unissait sa bien-aimée à Jimin.

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Le soleil se levait doucement sur Busan. Si une grande partie de la population avait passé la nuit dans leur lit, ce n'était pas le cas pour Jimin. Assis sur le canapé, un plaid sur les genoux, il avait regardé les heures défiler sur l'écran de son téléphone, attendant désespérément le retour de Jungkook qui ne vint jamais.

La mine livide et les traits tirés par la fatigue, il avait vu l'aurore pointer lentement le bout de son nez, lui offrant un spectacle bien trop beau pour qu'il ne le voie seul. De longues minutes s'écroulèrent avant qu'il ne trouve le courage de se lever et de partir vers la salle de bain, suivi de Zeus qui ne l'avait pas quitté depuis la veille. Cette boule de poil avait été sa compagnie durant ces longues heures de solitude et il lui en était reconnaissant.

Une fois lavé et habillé, le jeune médium ne prit même pas la peine de manger, il prit simplement son portefeuille et son portable, puis partit en direction de l'arrêt de bus le plus proche. Cela ne servait à rien d'attendre, Jungkook ne rentrerait pas.

Pendant cette longue soirée où seul le silence et ses larmes lui avaient tenu compagnie, le jeune consultant avait réfléchi à leur conversation et la part la plus naïve de lui refusait de croire que c'était terminé. Après tout, son amant avait simplement besoin d'espace. Lui aussi avait déjà ressenti cela, ça ne voulait pas dire qu'il l'avait quitté, pas vrai ?

Dans son esprit où le déni régnait en maître, son amant reviendrait auprès de lui et le soutiendrait comme il l'avait toujours fait. Après tout ce qu'ils avaient enduré, il n'allait pas l'abandonner comme ça. La solution à cette longue enquête se trouvait à portée de bras et il était impensable qu'il renonce maintenant. Jungkook finirait par le comprendre, il en était persuadé.

Malgré tout l'optimisme dont il tentait de faire preuve, une petite voix dans sa tête lui répétait que tout ça n'arriverait pas, que son petit ami ne reviendrait pas. Et si elle avait raison ? Est-ce que ça voudrait dire qu'en fin de compte, ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre ?

Finalement, peut-être même que c'était mieux ainsi. S'il ne parvenait pas à revenir de sa projection, sa disparition ne ferait de mal à personne.

Il fallut plus de trente minutes de bus pour que Jimin arrive enfin au poste de police. Ses écouteurs dans les oreilles, il salua brièvement les officiers en uniformes avant de monter à l'étage où ses collègues se trouvaient déjà. Quand il passa la porte du QG, son regard se posa sur la silhouette qui était déjà assise à son bureau, le regard rivé sur son ordinateur. Pendant un bref instant, le médium ressentit le besoin vital de courir vers lui et se jeter dans ses bras afin de combler ce manque qui le rongeait déjà, néanmoins, il ne fit rien.

D'un pas dénué de motivation, il se mit en marche vers cette pièce qui lui semblait étrangement si étroite avant qu'une voix grave ne l'interpelle.

— Ce n'est pas la peine de poser tes affaires. Tu vas venir avec moi, je crois qu'une petite discussion s'impose, somma Taehyung en marchant vers lui, le visage totalement fermé.

Jimin fut à la fois surpris et heurté par le manque de politesse et de délicatesse de son aîné. Lui qui était toujours si chaleureux à son égard, n'était qu'amertume. Touché dans son orgueil, mais surtout en plein cœur, le médium s'arma de son insolence et leva les yeux au ciel.

— Bonjour à toi aussi. Si tu comptes me faire la morale, ne te fatigue pas. J'ai déjà un père et un beau-père, je n'ai pas encore besoin que tu t'y mettes, répliqua le plus jeune d'un ton désinvolte.

— Ne joue pas la carte de l'insolent avec moi Jimin parce que ma patience a des limites. Je t'ai dit qu'on allait discuter, et c'est ce qu'on va faire.

Cet échange quelque peu houleux attira l'attention de Jungkook qui croisa le regard de son amant. Ce dernier sentit la main de Taehyung saisir son bras et le tirer hors du QG, tel un père qui était sur le point de réprimander son enfant. Jimin était conscient qu'il allait passer un sale quart d'heure et s'il le voulait, il pouvait aussi bien envoyer paitre son aîné. Toutefois, le profond respect qu'il avait pour l'homme qui lui avait sauvé la vie était bien trop grand pour qu'il s'autorise cela.

Tel un meuble qu'on déplaçait sans souci, le médium se laissa traîner hors du QG jusqu'à la salle de pause dans laquelle Taehyung les enferma. Le visage dénué de sa tendresse habituelle, ce dernier pivota vers son cadet qui attendait que la sentence ne tombe.

— Projection de l'esprit ? Vraiment ? Alors, tu es à ce point suicidaire ?

— Pitié Tae, tu ne vas pas t'y mettre. Jungkook m'a-

— Oh, tu veux parler de Jungkook ? l'interrompit Taehyung d'un ton dur. Très bien, parlons-en. As-tu la moindre idée de l'état dans lequel je l'ai trouvé devant ma porte hier soir ? As-tu pensé un seul instant à l'impact que tes décisions auraient sur lui ?

— Oui, j'y ai pensé, mais Jungkook doit aussi comprendre que tout ça est nécessaire. J'ai fait une promesse.

— Tu m'en as fait une à moi aussi, tu te souviens ? Tu m'as promis que tu ne te mettrais plus jamais en danger ! Et à peine, j'ai le dos tourné, qu'est-ce que tu fais ?! s'emporta Taehyung à bout de nerf.

La nuit avait été des plus courtes pour lui aussi. Son esprit n'avait cessé de penser à son frère, mais aussi à ce qui arriverait à Jimin s'il ne parvenait pas à le raisonner. Le châtain avait donc tourné sur lui-même toute la nuit avant de se lever lorsque les premiers rayons de soleil avaient commencé à éclairer le ciel. Il avait trouvé Jungkook les yeux ouverts, fixant le plafond de son salon, qui lui non plus, n'avait pas fermé l'œil de la nuit.

— C'est fou de voir la confiance que vous avez en moi, pouffa amèrement Jimin en posant ses affaires sur l'une des chaises.

Expirant par le nez, il appuya la naissance de ses fesses contre la table et reporta son attention sur son aîné. Celui-ci le sondait avec dureté, mais aussi une immense inquiétude.

— Oh non non, tu ne retournes pas la situation. Ce n'est pas le manque de confiance qui nous fait agir ainsi, mais la peur de te perdre ! répliqua le lieutenant.

— Et vous ne vous êtes pas dit une seule seconde que j'allais y arriver ? Ça ne vous a pas traversé l'esprit ? Je l'ai déjà fait, pourquoi je ne parviendrais pas à recommencer ? Je sais que je vais réussir. C'est ce que je veux plus que tout. J'ai une volonté de fer et je suis bien plus fort que vous ne le pensez. Putain, je ne suis plus la petite chose fragile que tu as sortie de cet asile ! Jungkook, toi et tous les autres, vous me traitez comme un morceau de porcelaine qui peut se briser à tout moment, mais je suis un adulte ! cria presque le médium, la vue voilée par les larmes qu'il contenait. Je sais que je craque facilement, que le contrôle des émotions ce n'est pas encore gagné, mais ça ne veut pas dire que je vais m'effondrer au moindre obstacle. J'ai confiance en moi et en ma volonté d'arrêter celui qui a tué une des personnes que j'aimais le plus dans ce monde de merde ! J'ai peur, je suis même terrifié, je ne peux pas le nier, mais j'arriverai à mes fins. J'aurais simplement espéré que mon petit ami et mon grand frère soient à mes côtés pour couvrir mes arrières. Visiblement, j'ai été trop naïf.

Quand il sentit la première larme quitter ses yeux, Jimin tourna brusquement la tête sur le côté et la fit disparaître du revers de la main. Il inspira ensuite profondément pour reprendre le contrôle de ce nœud qui compressait sa trachée et reprit d'un ton bien plus calme, presque trop reposant.

— Chacun a un but dans la vie, le mien, c'est celui-là. Tu le sais Tae, je te l'ai dit. Je te remercie du fond du cœur de m'avoir empêché de sauter du toit ce jour-là. Grâce à toi, j'ai trouvé une famille, un petit ami que j'aime du plus profond de mon cœur, mais si le destin m'a gardé en vie jusque-là, c'est pour que je tienne la promesse que j'ai faite. Tu n'es pas obligé de l'accepter. Tout ce que je te demande, c'est de ne pas te mettre en travers de mon chemin.

Taehyung était pantois face au monologue de son cadet. Jimin avait raison, il n'avait plus rien du garçon apeuré qu'il avait sauvé six mois plus tôt. Ce Jimin là débordait d'une assurance qui pouvait parfois paraître fragile, toutefois, sa volonté était notable au ton de sa voix. Le lieutenant devait accepter la situation ; rien ne pourrait le faire changer d'avis.

— Si tu ne reviens pas, Jungkook ne se relèvera pas, tenta le châtain dans un dernier espoir. Il en a trop bavé, je sais que cette fois, il ne le supportera pas.

— Qui a dit que j'allais y rester ? Ce gros bêta a promis de m'épouser à Las Vegas. Je compte bien porter son nom, répondit le plus jeune, un sourire débordant de tristesse sur les lèvres.

Totalement chamboulé par cet échange, Jimin ressentit le besoin vital de s'en aller. Il récupéra alors ses affaires et s'inclina poliment devant son aîné qui le fixait, désarmé.

— Excuse-moi, je dois aller travailler.

Sans rien ajouter, le blond quitta ainsi la pièce et se précipita vers le toit sur lequel il resta une bonne heure, assis sur le banc, observant le panorama hivernal qui s'offrait à lui.