Confinement, divagations
Comment, moi, en retard? Juste de 40 jours. Ce n'est pas du retard, ça, monsieur. Il faut dire, j'ai une vie tellement remplie! (ahahahahah rendors toi Sianne.)
*
En fait non, je n'avais juste pas envie d'écrire sur ça. Parce qu'en toute honnêteté, ça me soûle. Pas d'être enfermée chez moi, mais d'être continuellement face-à-face avec les mêmes personnes (familia bonjour), d'avoir ces fichus cours à distance qui me pompent l'énergie, l'absence de motivation, d'intimité, de vivre le manque de mon copain qui est trop loin de moi.
Et puis, il y a les réseaux, les réseaux-sangsues, que j'ai peu à peu délaissé. Instagram, d'abord. Puis pinterest. Snapchat, bientôt, les suivra sûrement. La recherche de l'isolement? Je dirais plutôt le désir d'éloigner de moi ce qui m'impacte négativement. Ce n'est pas de la propagande anti-réseaux, mais presque, à vrai dire. J'ai prit énormément de plaisir à voir les retours positifs sous certaines photographies postées sur instagram. Pourtant, plus ça allait, moins l'application me laissait de répit. En fait, le risque est le même partout. Des perches, encore, et encore, reste un peu Sianne! Juste le temps de regarder ce tuto DIY qui a l'air si utile. Ou peut-être encore pour ces photos postées par des amis. Des amis? Les amis d'amis rencontrés sur la plateforme, mais on s'en fiche, ce sont des photos quand même. Puis ils ont l'air heureux, que tu sois là.
L'effacement laisse plus de place au reste. Les sangsues disparues, la musique reprend le dessus. Pourtant, malgré tout, wattpad ne reprend pas la place qu'il avait auparavant. La pandémie serait arrivée seulement deux ans en arrière, j'ignore combien d'heures j'aurais passées sur watty, à guetter l'arrivée des derniers chapitres de mes fictions favorites, à compléter les bouts de mes livres adorés. L'abandon a tant gagné cette page, tant fait fuir ceux qui auparavant lisaient attentivement ce que j'écrivais, que j'en ai perdu mes accroches.
J'écris. J'écris énormément, j'écris tant que parfois j'en oublie de me faire vivre. Si, ici, exister est un poids, pourquoi ne pas profiter de son absence? Nous ne sommes qu'à 350 mots, après tout.
J'aimerais retrouver ce que j'ai perdu. Je vous ai perdu, vous. Je ne sais plus trop comment. Peut-être au moment où j'ai réalisé que je m'étais perdue aussi? Les lecteurs se sont effacés. Au début, je n'en avais pas grand chose à faire. Mais j'ai peur, maintenant, de poster. Parce que j'ai peur que ce que j'ai passé des heures à créer ne soit qu'un fantôme au milieu de mille autres.
-Ose, Sianne, ose!
-Oui, mais j'ai peur.
Je ne veux plus écrire comme une enfant, je veux écrire comme je suis, maintenant. Je n'ai plus 14 ans, j'en ai 17, maintenant. J'aime toujours Undertale, mais je ne sais plus crier la phrase de Temmie avec autant de passion et de ferveur. Je veux réfléchir, apprendre à réfléchir, savoir réfléchir. Je veux être heurtée par les vers de Baudelaire sans que l'on me morde à coup de mots.
-Tu vieillis, Sianne.
-Je sais. On passe tout notre temps à vieillir.
Chaque expérience qui s'additionne aux autres nous conduit plus loin. Nous évoluons tous différemment. Finalement, je ne pense pas que la pandémie du Coronavirus soit un tournant si puissant que ça, à l'échelle d'un homme. Je ne me sens pas différente. Je me sens concernée, ce n'est pas la même chose. Pourquoi tant de bruit? Parce que nous changeons, à l'échelle d'un monde.
-Le monde va changer, Sianne.
-Oui, le monde passe son temps à changer.
-Tu crois qu'il va changer assez pour que tout aille bien?
-Tout n'ira jamais bien, Sianne.
-Alors ça sert à quoi, de rester chez soi?
Et on s'isole, on s'isole, comme si on soignait tous nos blessures sans oser effleurer les autres. Des milliards d'humains blessés, acculés, terrifiés par ce qu'on ne voit pas. C'en est à croire que la menace fantôme fait plus peur que celle que l'on voit.
-Je ne vois rien, pourtant, Sianne.
-Non, on ne voit plus rien. Il paraît que les baleines reviennent près des côtes.
-Il paraît. Je ne sais plus à quoi me fier, à vrai dire.
-Crois ce que tu as envie de croire, ainsi tu rendras le monde plus beau, à ton échelle.
-Les baleines sont venues, alors. Tu penses qu'elles nous souhaitent bonne chance?
-Je ne pense pas. Je pense qu'elles sont heureuses, de nous voir terrifiés. Enfin, de ne plus nous voir, du coup.
Et les baleines s'éloigneront, quand le cri des machines reviendra percer l'océan. Le monde éclatera, bientôt. Cette pandémie n'est à coup sûr qu'un échauffement. Reprends tes droits, terre dévorée, ou tes heures sont comptées. Non, elle ne disparaîtra pas ainsi. C'est nous, qui partirons. Nous ne sommes que des poussières, qui ne seront jamais que des instants infimes dans l'infinité du cosmos. Quand les virus préhistoriques, vieux prisonniers des glaciers que nous prenons plaisir à faire fondre, viendront nous souhaiter une bonne disparition, nous rirons bien.
-On va mourir?
-On finis tous par mourir, Sianne.
-Je n'ai pas très envie de mourir.
-Tu as le temps. Si tu n'attrape pas le Covid-19.
-Si je l'attrape, je meurs?
-Je ne sais pas. C'est pas clair, tu sais? Les gens s'arrachent des informations sorties de nulle part, en créent de nouvelles, puis ça se mélange, et la soupe-internet nous sort un joli pâté coloré fait pour nous plaire. Comme ça, on reste.
-Je n'y comprends rien. Je vais mourir, ou pas?
-Pas tant que tu reste protégée, dans ta chambre-grotte. Après tout, toi, tu n'as pas besoin de l'extérieur.
-Mais il y a des gens que j'aime, dehors. Ils vont mourir?
L'inquiétude prend le pas sur l'habitude. On craint chaque personne, et chaque personne nous attire. Les corps s'éloignent malgré eux, on voudrait rester dans les bras de ceux qu'on aime. Et puis, toutes les lèvres articulent lentement les mêmes mots, les mêmes questions. Il y a celles sans réponses, celles qui espèrent. Et puis, il y en a une, en particulier. Comment sera le monde, en sortant?
-On s'en fout. De toute façon, tu auras le bac. Enfin, le début, au moins. C'est ça qui compte.
-Mais si le bac ne sert plus à rien?
-Alors, tu auras le droit de t'affoler.
-J'irais mieux, après m'être affolée?
Non, ça ne résout rien. Tu ne t'affoleras pas, tu ne t'affole que rarement. Puis, pas pour ça. Non, tu encaisseras silencieusement, et feras sortir les idées noires avec ton piano comme catalyseur. Stupide bac, stupide année. Sacrifiés jusqu'au bout, les 2003.
-Alors, si même ça ne va pas, pourquoi on applaudis?
-On applaudis pour ceux qui se battent. Pour ceux qui donnent leurs larmes et leur sang, pour guérir les gens.
-Les gens, mais pas le monde?
-Non, on ne guérit pas un monde comme ça.
-Applaudissons quand même.
Plus l'isolement pèse, plus le son bref des claquements de mains venus des autres fenêtres m'apaise et me fait sourire. C'est agréable, d'entendre le monde. Et puis, c'est important de rester chez soi, de ne pas contaminer les autres, de ne pas se faire contaminer.
-Mais alors, Sianne, pourquoi il y a des gens qui sortent?
-Soit ils doivent faire leurs courses, soit ils promènent leur chien. Soit...
-Soit?
-Soit ils sont stupides et égoïstes. Mais beaucoup de gens sont stupides et égoïstes. Ils veulent juste sortir, parce que c'est pénible, de rester enfermé. Et tu vois, ils sont trop importants pour subir quelque chose de pénible.
-S'ils tombent malades, ils réaliseront?
-Je ne pense pas. La mort, ça n'efface pas la stupidité. Ça la cache, c'est tout.
Et j'en oublie que dehors, dehors les gens meurent, qu'à l'autre bout du monde, les gens meurent, que peu à peu les chiffres grimpent sans qu'on ne sache trop comment les lires.
-Retourne dans tes écrits, Sianne. On y est mieux.
-Oui, tu as raison. Oublions tout ça, pour l'instant.
-Notons-le quelque part, avant de partir. C'est important de savoir se souvenir.
-Ici, ça me semble être une bonne idée.
-Alors, notons ici.
*
25/04/2020
Confinement, jour 40.
La pandémie du Coronavirus frappe le monde.
Des milliards d'êtres humains vivent confinés.
Certains chantent, certains dessinent, certains applaudissent, certains meurent. Et moi, j'écris.
Bonne soirée, petit monde. N'oublie pas de sourire.
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