Putain ils sont bavards aujourd'hui - Partie 2

Shiganshina, 18 juillet 852, quelques instants plus tard

Marion aurait pu reconnaître le hall des bâtiments du Bataillon sans même en avoir vu la façade. Vieux murs abîmés et rêches, poutres un poil moins dépoussiérées qu'à leur départ, dalles inégales aux quelques traces de semelles des nouvelles recrues passant par là... Et, surtout, Hansi, qui attendait au milieu, les bras croisés.

Elle était certes un facteur important pour savoir qu'on se trouvait chez son corps d'armée, mais la chercheuse était tout de même fière de s'y être retrouvée, puisqu'elle n'avait pas vu grand-chose de la cour, ni de Shiganshina même. Seulement Mikasa trancher des fausses nuques dans une combinaison type américain, et les cristaux enfermant les immenses titans Muraux.

Pourquoi ? Le sommeil. Il l'avait méchamment capturée, à tel point qu'Eren avait dû l'aider à marcher jusqu'ici. Elle s'appuyait d'ailleurs encore contre son épaule ; et si ses deux paupières intactes papillonnaient avec difficulté, ses neurones, eux, se remirent très vite en place. C'était-à-dire, dès qu'ils enregistrèrent les cernes soutenant les yeux auburn de la major.

Quoi... ? Hansi ? Fatiguée ?! Elle se dégagea du bras de son neveu, pour manquer de se casser le pif contre le sol. On lui rattrapa le coude dans un « Tat... Marion, fais gaffe » plus grogné qu'énoncé. Mais cette esquisse de lapsus n'enleva rien à l'inquiétude qui bouffait désormais la jeune femme.

« Hansi », débita-t-elle. « Tout va bien ? Tu as l'air... » Elle grimaça lorsqu'un éclair de douleur assaillit sa cicatrice. « Comme l'a dit Eren, fais gaffe, et parle moins vite », soupira la brune. « C'est moi qui devrais te poser cette question. Je n'ai pas de problème. Juste... Tu le vois, des nouveaux venus à gérer... »

Livaï s'avança avant que la plus petite ne puisse faire plus de commentaires.

« Quel est le plan ? Je balance les trois dans le dortoir de Marion, puis je me mets à jour ?

— Non... On va avoir besoin d'elle. Ton bras s'est bien remis ?

— Oui. Mais l'énergie de Marion, moins.

— Je m'en doute... Seulement...

— Je vais citer Rico, les interrompit la Marion en question. »

Ils se tournèrent vers elle avec surprise. « Est-ce que vous pourriez arrêter de parler de moi comme si je n'étais pas là ? Septembre 851, il y a un peu plus d'un an. J'ai changé le pronom, certes. Comment est-ce que je peux me rendre utile, Hansi ? »

Quelques secondes passèrent. Une adolescente aux courts cheveux châtains passa par là, suivie d'un gars coiffé d'un carré tout aussi marron. La borgne fut jalouse de ses lunettes, mais ne releva que leur regard mi-impressionnés, mi-mal à l'aise. Toujours fut-il qu'ils filèrent vite autre part, peut-être car ils rencontraient le regard acéré de ce cher Livaï pour la première fois de leur vie. La scientifique avait beau ne voir qu'un peu plus de la moitié de son environnement, elle n'en ratait pas grand-chose : et elle le voyait, le couloir du rez-de-chaussée, se vider progressivement.

« Eren, Ymir, allez voir Moblit, trancha la haute gradée. Il se trouve dans mon bureau. Entrez directement. Marion... J'attendais Livaï afin de parler à Antoine.

— Je crois qu'elle et moi n'avons pas le même physique, lâcha le combattant. Tu as beau être bigleuse, tu saurais faire la différence entre moi et une crevette borgne ?

— C'est au sujet du lien. Marion devrait être présente, puisqu'elle est concernée.

— A Antoine de décider. Ce sont ses affaires.

— Il ne sait pas de quoi je vais vouloir lui parler.

— Tu lui jettes à la face, il s'en remettra.

— Non, siffla-t-elle. Ce que je veux dire, c'est que...

— ... tu voudrais que je rattrape si tu n'arrives pas à faire comme Erwin ? balança Marion de but en blanc. »

Un lourd silence tomba sur eux. Dans le mille. Elle ferma son œil intact, et inspira longuement. Ne rien montrer de la douleur hallucinante qui la torturait. Ne rien en montrer. Pas une miette. Peut-être l'affaire allait-elle s'avérer plus simple qu'il n'y paraissait, si son meilleur ami n'était plus son meilleur ami. Elle allait pouvoir s'en détacher, et faire comme si de rien n'était, et...

« Marion... »

Elle rouvrit brutalement les paupières, pour se figer illico. Ce foutu connard de ses deux passait par là, quatre grosses caisses sur les bras. Ses cheveux noirs étaient toujours aussi longs. Il était toujours aussi petit et musclé. Il n'avait toujours pas d'uniforme à proprement parler, et le bleu de ses prunelles ne variait pas d'un poil.

Toutefois, sa face fine, elle, reflétait un choc inédit. Une ambiance étrange pesa sur le quatuor : Hansi et Livaï étaient encore cloués par l'évocation brutale d'Erwin, et le Chaillot laissa lentement ses bras retomber le long de son corps. Le raffut incroyable qui suivit ne l'électrisa pas d'un poil. « Ramasse tes boîtes, ducon », eut-elle envie de lui reprocher. A la place, des larmes brûlantes naquirent dans son pauvre iris vert.

Elle aurait pu sortir cette phrase au vingt-et-unième siècle. Mais ici. Maintenant. Mes actes. Ils ne me le permettent plus. C'est entièrement de ma faute s'il se retrouve ici. Dans ce merdier. Je devrais crever. Là. De suite. Je n'aurais jamais dû naître. Oui. Cette guerre n'aurait jamais eu lieu. Je ne suis... Elle serra sèchement les dents, et fit volte-face sans un mot de plus. ... qu'un désastre...

Une course précipitée s'éleva derrière elle ; elle s'arrêta sous la stupeur. Un instant plus tard, deux bras forts l'enserrèrent subitement. « Ne pars pas », gémit Antoine en français. Son cœur rata un battement dès qu'elle sentit son nez humide dans son cou.

... Hein ? Et celui du jeune homme battait avec force contre son dos. Pourquoi ? Elle observa ces mains qui l'empêchaient de bouger. A qui appartenaient-elles ? Antoine. Pourquoi était-il là ? Pourquoi ? Pourquoi ? Merde, pourquoi ?! « Pourquoi ? » énonça-t-elle d'un ton mort.

Il ouvrit la bouche pour parler, mais se contenta d'appuyer d'autant plus son front brûlant sur son épaule. Peut-être était-il devenu muet. Elle n'y comprenait rien, son esprit partait dans tous les sens, le monde manqua de tourner autour d'elle. Et ce dernier finit par la tourmenter violemment. « Je suis... » Antoine inspira un bon coup, pour l'étreindre un peu plus. « Je suis désolé », souffla-t-il d'une voix brisée.

Les genoux de la châtaine la lâchèrent la seconde d'après. L'autre la rattrapa sans mal, et ne la quitta pas. Il se mura dans un silence saupoudré de légers tremblements durant un long moment. Et Marion, elle, se contenta de fixer la double porte parfaitement fermée, les lèvres entrouvertes sous le choc. La tempête qui réduisait son coffre en miettes était indescriptible.

« Car je ne pensais pas ce que je disais », débita-t-il enfin. « Si tu t'en vas... Je t'ai vue, dans les douches... Et ça, je ne veux pas que ça recommence... C'était affreux. Je me suis senti comme une grosse merde. Tu ne méritais pas... des paroles aussi odieuses... » Il renifla un coup, puis baissa progressivement ses biceps autour des côtes de la plus grande.

« Et merde, hein... », rit-il nerveusement. « Tu n'es pas un monstre. Tu as été humaine, c'est tout. J'en suis convaincu. Je te connais : la science et toi... Enfin... Y en a plein qui auraient fait pareil. Quoique, peut-être pas. Mais personne, ici, connaît le contexte dans lequel tu étais. T'as oublié, en plus. Donc, je n'avais aucune raison de t'insulter. Ni de dire que tu n'aurais pas ma compassion ni mon aide ni... Ni mon amour », sembla-t-il grimacer.

Quelques secondes. De nouveau, il marqua plusieurs hésitations. Elle le sentait, aux légers mouvements de sa tête contre sa mâchoire. « J'ai traversé des lignes d'univers, tué Annie, Reiner et Bertolt, combattu Isaac, dit au revoir à Jean... pour toi. Pour te sauver de l'enfer que tu vivais... » Ces dernières paroles, il les avait laissées tomber sur un ton détruit. Détruit.

« Lorsque j'ai appris ton suicide de la bouche de Stéphane Bern, j'ai cru que j'allais crever sur place. Vraiment, si tu meurs... » Il contracta sèchement les mâchoires ; cela ne suffit pas à étouffer son sanglot.

« Marion, je n'y survivrais pas... »

Mutisme pesant. Qu'il parle ainsi, dans une franchise pareille, était une première. Heureusement qu'il avait décidé de déblatérer tout cela dans la langue de Molière, ou les deux officiers derrière n'auraient rien compris à ce comportement.

L'intéressée parvint enfin à lever mollement une main, et à la poser sur l'avant-bras de son ami. Celui-ci tressauta à ce contact. « D'accord », dit-elle simplement ; la façon dont ses doigts se crispèrent sur la chemise de l'autre démentirent la froideur de sa voix. Les larmes qui gouttèrent dessus n'arrangèrent rien.

Merci. Un léger sourire se dessina sur son visage entaillé. Elle ne parvint pas à le sortir ; cependant, elle croyait dur comme fer que le jeune homme la connaissait encore assez pour savoir ce qu'elle pensait. Ce fait fut vérifié lorsqu'il la relâcha doucement, et l'aida à tenir debout en lui tenant simplement la main. Il tourna la tête avant qu'elle n'ait pu voir l'air qu'il tirait.

Cette scène était plus que familière. La façon dont il la traîna derrière lui, et l'altercation de Hansi. « Antoine, viens dans mon bureau. Marion aussi », précisa-t-elle. « Antoine, Marion ! » avait un jour crié leur institutrice de première année de primaire. On lui libéra enfin les doigts. Là, , elle put voir que les traits fins du noiraud se faisaient sombrement interrogateurs.

« Le fameux sujet délicat, hein.

— Historia, lâcha subitement Livaï. »

La blondinette venait d'arriver, et posait un regard désapprobateur sur ces pauvres menottes, chaînes, bâillons de qualité supérieure, cordes, pinces, et autres choses joyeuses que les cargaisons du Chaillot avaient déversé au sol. « ... Qu'est-ce que c'est que ça ? » énonça-t-elle lentement, l'œil rond.

Ça sent la torture. Et, bon sang, ils se sont blindés. Je comprends mieux pourquoi tout le monde s'est barré d'ici... « Ce n'est pas pour Bertolt... ? » murmura-t-elle encore. La major inspira un coup. « Mikasa est en train d'essayer le nouvel équipement à l'extérieur. Va la chercher, et amène-la dans mon bureau. » De longues secondes coulèrent. Le visage angélique de la fille Reiss passa d'horrifié à impassible. Elle posa son poing contre son cœur, et sortit au trot sans décrocher un mot.

C'est vrai qu'ils ont récupéré l'un des deux Bertolt. Et cette histoire sent mauvais..., pensa Marion en interceptant le bref regard lugubre de la brune. Brune. Brune... Elle se redressa subitement. « Où est Carla ? » laissa-t-elle tomber. Sa collègue la dévisagea un instant ; les battants se refermèrent ensuite dans un claquement sec, les plongeant de nouveau dans la pénombre, renforcée par l'étroitesse de ce vieux hall.

« Elle s'entraîne contre Rebecca.

— Elles ont rejoint le Bataillon... ?

— Bien évidemment. Elles viennent du camp adverse, on ne peut pas cracher dessus.

— Et elles y ont été affiliées comme ça, boum ?

— Avec l'approbation... expresse du général Zackley.

— D'accord. Et pour lui ? jeta-t-elle en désignant Antoine. »

L'intéressé détourna ses prunelles claires, un index nerveusement enroulé autour de l'une de ses longues mèches. Son amie béa un instant.

« ... Me dis pas que tu fais traîner l'affaire ?

— Je dirais plutôt que les hauts-gradés ne savent pas quoi faire de moi, glissa-t-il.

— Ton cas est délicat, trancha Hansi. »

Face à son ton brutalement distant, Livaï comme la chercheuse plissèrent les paupières. « On va dans mon bureau, voilà tout. » Puis, elle se mit énergiquement en marche. Sans un coup d'œil pour le trio. Marion bloqua, Antoine lui tapota l'épaule. Alors, elle finit par suivre mécaniquement. C'était définitif : l'état de la gérante des explorateurs était sérieusement inquiétant.

Elle vit à peine ce fameux couloir éclairé par ses nombreuses fenêtres aussi rustiques les unes que les autres. Un soleil digne d'un mois de juillet déversait ses rayons en abondance sur vieilles pierres, vieilles portes et vieilles dalles. Après le côté pseudo-sophistiqué de l'hôpital de Sina, retrouver le quartier général devenait une expérience étrange, qu'elle n'avait pas remarqué la première fois... Peut-être car j'étais trop shootée pour y faire gaffe.

Mais, étrangement, cela lui fit du bien de revoir l'aspect peu ordonné de l'office de sa collègue. A l'instant où ils en franchissaient la porte, une ribambelle de souvenirs tournoyèrent dans son crâne. La dernière fois qu'elle avait entendu autant de bruit dans une base du Bataillon, cela avait été avant la reprise de Shiganshina. Avant la mort de Leah...

Elle passa sa paume sur la poche intérieure de sa veste, l'estomac noué. Sa lettre, elle l'avait encore. Elle l'avait lue et relue en boucle. Tout comme lors de sa première hospitalisation. Là, ce lieu revit enfin. Elle s'assit sur la première chaise qui se présenta à elle. Un sourire aussi infime que triste se dessina sur ses lèvres.

Et toi, Leah... Est-ce que tu le savais, que j'avais construit la machine numéro sept ? Bien évidemment. Tu étais quelqu'un d'intelligent. Tu l'avais au moins deviné. Et... Elle entendit à peine les autres prendre place. ... si tu en avais appris les détails... Une seule sensation s'imposa à elle : la bouche humide de la Résistante contre la sienne, ses mains sur sa taille, ses longs cheveux chatouillant ses joues. ... est-ce que tu m'aurais aimée quand même ?

La réponse à cette question-ci était tout aussi triviale. Elles avaient passé peu de temps ensemble, et Marion ne connaissait probablement pas tous les aspects de son ancienne amante ; cependant, sa miséricorde, elle l'avait au moins effleurée. Je suis une alliée, désormais. De plus...

Mais son fil de pensée se coupa brutalement. Deux petites filles apparurent dans son esprit. Une blonde, aux grands yeux ciels et au nez rouge et retroussé. La plus jeune, elle le savait, elle le sentait. Quant à l'autre... Elle avait... des longs cheveux châtains...

Son œil s'écarquilla avec lenteur. Le cri d'une gosse qui marchait sur un Lego, ses mèches douces et auburn que Marion avait caressées pour la réconforter ; un homme qui lui ressemblait terriblement, au détail près que sa coiffure, à lui, était aussi courte qu'en bazar... Et la frappèrent ensuite la courbe des iris de cette recrue châtain qui était passée là, avant qu'Antoine ne lui saute dessus.

Elle manqua de se lever d'un bond. Le lien, elle l'avait fait en trop peu de temps. Qu'est-ce que c'est... que ce bordel ?!

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