Prémices d'une pluie de sang - Partie 4
Un claquement. La lourde chute d'un corps inerte. Les gouttes vermeilles qui suivirent. Ces sons s'isolèrent de la fureur des batailles alentours. Ils explosèrent hideusement aux oreilles de Marion. Là, en face d'elle, après les buissons derrière elle où trois autres personnes se cachaient...
Isaac venait de mourir.
Pourquoi... ? Ses paupières s'écarquillèrent lentement, si lentement, si longuement, jusqu'à n'en plus pouvoir. « Pourquoi... ? » Sa propre voix rauque lui fit à peine écho. Les cliquetis de ses lames, fusil et munitions la recouvraient trop bien. Une nouvelle fois, elle avait vu quelqu'un qu'elle chérissait, qu'elle aurait voulu chérir, mourir. Juste devant elle. À cause de son impuissance.
Non... Ses doigts se serrèrent sur ses gâchettes. Elle vit tout juste Mikasa, jusque-là béate et estomaquée, se tourner vers elle. « Marion », intervint-elle. L'intéressée se leva en chancelant, sourde au moindre de ses mots. Elle fit un faible pas dans les ronces en face d'elle : l'asiatique posa illico sa paume sur son épaule. « Tu dois... »
Elle s'étouffa la seconde d'après. Marion la poussa furieusement, bondit hors de sa cachette et planta son axe dans le flanc de Wilson. Elle s'éleva en rugissant, la joue en larmes ; puis, un éclair naquit de la bouche de son ennemi. Une déflagration tonitruante explosa la tête de l'américain : de sa bouche surgit une esquisse de titan. Elle aurait presque pu s'apparenter à un fœtus, tant sa forme était faiblarde. Elle ne voyait plus que ce monstre, sentant à peine le vent brûlant chauffer sa cicatrice.
Car cette seule vue l'électrisait sur place. Il lui suffit de voir cette excuse de peau pâle, et les os minables qui suivaient, et le capitaine tiré de force de sa nuque, pour que la rage la heurte pour de bon. Il posa deux yeux exorbités sur elle ; elle fonça droit sur lui, aveugle des alentours. Lorsqu'elle glissa sur son dos, il se retourna vers elle, trop tard.
Elle dégaina illico une lame, lui chopa les cheveux avec violence et lui trancha la tête dans toute la haine l'animant. Du sang jaillit en abondance, mais ce n'était pas assez. Ce visage, elle le plaqua contre la chair du mastodonte. Elle chargea son fusil, l'explosa en hurlant, continua même à tirer dans cette bouillie blanchâtre et vermeille, remonta vers son corps, le troua de parts en parts, passa à ses épées, le découpa du mieux qu'elle le put. Encore et encore. Jusqu'à ce que ce cadavre ne ressemble plus qu'à un bout de viande tout juste hachée.
« Marion », résonnait une voix grave. Elle contracta violemment les mâchoires et se retourna d'un bond vers un grand homme qui venait d'atterrir juste à côté d'elle. Derrière lui, une asiatique se battait contre un titan à quatre pattes. Elle leva illico ses épées dans des cris désespérés ; il les bloqua de justesse.
« Marion ! » tonna-t-il.
Elle se figea illico. Son cœur cessa presque de battre. ... Mike. Ses bras ballèrent le long de son corps. Le chef d'escouade la descendit fermement jusqu'au pied de la carcasse du quadrupède, loin de l'autre titan autour duquel... Mikasa tournoyait avec agilité.
J'ai encore... Le froid, le tumulte des sabots, les rugissements de la bataille, explosèrent ses sens. ... perdu l'esprit... Mais... Elle leva son œil valide et tremblotant sur le titan d'Isaac. « Marion », intervint Mike. « Est-ce que tu me reconnais ? » Elle acquiesça lentement, pour chanceler jusqu'à ces os et cette chair et ces membres déformés.
S'il s'était transformé, il ne pouvait qu'être vivant. Son corps décapité gisait certes plus loin dans un lac vermeille, mais il devait être vivant. Le moindre de ses muscles battait sa terreur. Il est peut-être encore vivant. Si ce n'est pas le cas...
« Marion, il faut absolument pénétrer dans le bâtiment.
— Isaac... est une clef pour notre victoire, dit-elle d'une voix rauque.
— Gelgar peut s'en charger. Nous, Rebecca, et...
— Je vais voir comment il va ! s'écria-t-elle. »
Elle s'approcha plus rapidement de lui. Elle manqua de trébucher sur des membres et des cadavres, mais continua sa route, la respiration sifflante et les paupières écarquillées. Qu'allait-elle trouver ? Enfin, ce colosse d'à peine trois mètres la surplomba. Il était désormais affalé sur lui-même, et complètement inerte. Elle planta son axe dans ce qui semblait être sa nuque, la rejoignit avec frénésie et discerna un dos nu, là, sous la chair blanche du monstre.
Chair qui s'évaporait, nota-t-elle avec horreur.
« Sa cape !
— Bon sang, rugit Rebecca, tu as perdu combien de points de QI ?! »
Elle fila jusqu'à elle et lui balança l'habit sous le nez, les dents serrées. Son visage triangulaire et élégant, elle ne l'avait jamais vu aussi irrité et pressé. Elle sortit elle-même un jeu d'épées, trancha les alentours du corps de l'élite et le sortit de là sans ménagement. Marion retint un hoquet dès qu'elle en vit la forme.
Des moignons remplaçaient ses bras et des jambes ; mais surtout, sous son torse immaculé saillait chaque côte, chaque vertèbre. Isaac avait certes la même taille qu'avant. Néanmoins, sa musculature équivalait celle d'un enfant de six ans. Et elle ne parlait pas des quelques parties encore béantes, laissant voir le dessous de son épiderme. Un dessous rougeâtre et luisant. Le tout émettait si peu de vapeur qu'elle ne savait plus s'il pouvait se régénérer ou pas.
Elle recouvrit l'albinos avec son manteau, le prit dans ses bras et trembla en sentant qu'elle ne soulevait qu'un poids-plume. Lorsqu'elle atterrit, une déflagration naquit derrière elle : le titan mâchoire – Porco, conjectura-t-elle – galopait de l'arrière de la base, droit vers eux. Elle se mit illico sur ses gardes, les mâchoires contractées. Mais une autre explosion agressa ses mirettes et le monstre d'Ymir se jeta avec fureur sur l'américain. Ils boulèrent avec violence dans la forêt. Les rugissements qui suivirent et les craquements sourds des arbres tombant autour d'eux témoignèrent du versus qui s'enchaînait désormais.
Elle courut donc jusqu'à la lisière du bois, et inspecta le visage délicat et androgyne d'Isaac. Tous ses traits étaient intacts. Survivait-il ? Elle posa une main tremblotante sur sa carotide. Son cœur rata un battement en sentant ceux de celui d'Isaac. Un soulagement immense l'assomma sur place. Elle tomba à genoux, et serra lentement le semi-géant contre elle, les dents serrées au possible. « Bon sang... », siffla-t-elle.
On s'avança alors derrière elle. « Marion », déglutit Gelgar. « Je vais l'amener auprès de Carla et de Weierstrass. Mike... » Celui-ci dérapa justement à côté d'eux, les paupières plissées. Historia et Rebecca attendaient derrière.
« Il faut une élite de plus... Isaac était censé vous garder aussi, mais maintenant...
— Magath ! » hurla la voix déformée du monstre d'Hannah Steel.
Puis, la terre trembla brutalement sous leurs pieds. Le titan Forgeron s'affaissa sur lui-même ; de ses épais nuages de vapeurs surgirent deux silhouette identiques. Elles furent vite cachées par Peak. Elle fonçait vers leur emplacement, la bouche grande ouverte... et Mikasa de filer face à ses longues mâchoires. Elle sectionna vivement ses joues et reprit son combat dans un cri.
« Mike ! » héla une voix familière, par-dessus tout ce raffut de balles, d'épées et de mugissements. Livaï venait de se mettre en rappel avec fermeté contre un tronc glacé. Il n'avait plus qu'un jeu de lames. Ses bouteilles semblaient quasiment vides. Comment diable comptait-il continuer de se battre ?
« Le Forgeron s'est cristallisée », expliqua-t-il. Il atterrit dans le névé, sans une esquisse de glissade sur le versant ardu. « Antoine est parti remplir son stock. » Puis, ses prunelles acérées se posèrent sur ce qu'il restait de l'albinos. Il plissa les paupières. « Je m'en doutais, au vu du boucan que t'as fait », lâcha-t-il à Marion. « Je vous accompagne à sa place. »
L'intéressée béa quelques secondes ; Gelgar en profita pour récupérer ce qu'il restait de l'américain et partir aussi sec. Elle se releva en chancelant. Une douleur affreuse lui perça l'arrière du crâne. Son état ne s'améliora pas lorsqu'un autre titan se transforma, plus loin.
« Tu étais en... quoi, « Instinct » ? demanda l'officier, le nez froncé.
— Oui, répondit Mike à sa place. Elle a failli m'attaquer.
— Tu peux marcher ? »
Elle inspira un coup. « Je pense », chuchota-t-elle. D'autres arbres s'écroulèrent, et des rugissements sauvages et déformés en brisèrent en bon nombre. Livaï la retint par l'épaule de justesse.
« Et merde, jeta-t-il. C'est pas le moment, on n'a pas le temps de t'envoyer chez Carla et Weierstrass. Je peux pas te prendre sur mon dos non plus...
— Je peux la porter, proposa Historia.
— Tu ne pourras pas te défendre, contra son supérieur.
— Vous êtes là pour ça, non ? fit remarquer Rebecca, les pupilles perçantes. »
Le caporal-chef jeta une œillade à Mike. « Je peux courir », intervint la chercheuse. « Si je tombe, on pourra se débrouiller... Mais il y a des affaires bien plus importantes. La machine numéro sept... », s'étrangla-t-elle. Le chef d'escouade acquiesça, pour se tourner vers Rebecca. Elle tenait toujours ses deux fusils d'assaut en rab.
« Pour vous, oui », lâcha-t-elle. Puis, elle resserra son chignon déjà bien strict. Pas une seule mèche ne s'en échappait. Tout de sa face était dégagé et ses mirettes sombres criaient une seule chose : elle voulait mettre fin à cette guerre. Pour la seconde fois de sa vie, Marion était en accord avec elle.
« La porte est juste en face », enchaîna l'ancienne sergente. Elle chargea son arme à feu là-dessus. Elle ne tremblait pas d'un poil, réalisa la scientifique. Elle a changé... Non. Elle s'était toujours montrée assurée, dans la base sud. Elle avait certes flanché, à l'ouest... Mais il y a quelque chose en plus. Des réminiscences, encore... ? Marion effleurait d'autres sentiments. De nouveau. Et ce n'est pas le moment !
Les prunelles pâles de Mike pesèrent sur elle. Elle raffermit sa prise sur son propre M6, le regard noir. Et le cœur battant. Et l'estomac noué. Et le coffre en feu. Isaac avait failli mourir et d'autres risquaient encore leur vie au front. Le combat entre Ymir et Porco, à côté, se faisait de plus en plus rude. Ils se devaient de régler cette affaire le plus vite possible.
Toutefois, ce qui poussa Marion à s'avancer vers la porte avec détermination fut le visage de Leah. Une fois ce transfert passé... Elle allait la revoir. Et rien, personne n'allait se mettre sur son chemin. Elle comptait remplir sa promesse, tuer tous les ennemis qui allaient se dresser contre elle, venger la mort de celle qu'elle avait le plus aimé, puis la retrouver, même si elle devait chercher dans tous les recoins du vingt-et-unième.
Et ainsi déboulèrent-ils dans un premier couloir gris aux néons blafards. Ils sont tous dehors ? Aucun guerrier ne se dressait sur leur chemin, et leur absence la clouait sur place. « La pièce que personne ne peut approcher est au nord-est ! » débita la noiraude. Bientôt, les cloisons de béton lisse étouffèrent le raffut de la bataille. Leur lourde course résonnèrent presque dans les bâtiments. Presque...
« Contre le mur », siffla subitement Livaï. Il plaqua Marion sur le côté et se posta devant elle. Ne crevez pas pour moi, manqua-t-elle de sortir ; que nenni. Lorsque trois soldats déboulèrent, il explosa le crâne d'un premier et mit un violent uppercut au second. Mike, lui, avait mis le troisième à terre dans une aisance stupéfiante et lui avait déjà tordu le cou. « On continue. Rebecca, guidez-nous. »
Elle reprit donc les devants. Livaï laissa Marion passer devant lui, pour courir à sa droite, un poil derrière. Son collègue, lui, était en face, à gauche : ils encadraient tout bonnement et simplement Historia et la borgne.
De nouveau, leurs semelles crissèrent sur le sol. Aucun bruit parasite ne vint les perturber. Et non seulement chaque pas que faisait Marion compressait son cerveau et vidait sa cage thoracique, mais en plus une pression ignoble pesait sur ses épaules. Plus les portes s'enchaînaient, plus le bout du corridor se rapprochait, plus elle manquait de bondir à chaque intersection.
« Stop 'em ! » clama-t-on alors derrière eux. Des cliquetis suivirent. La jeune femme se retourna en hoquetant ; la pluie de tirs suivant lui démolit les tympans. Mike. Mike avait abattu ces trois bougres à la chaîne.
Livaï, lui, se rapprocha un peu plus, alerte à chaque mouvement extérieur. « Ne t'éloigne pas d'un centimètre », lui siffla-t-elle. Elle acquiesça, le pouls affolé... et le regard noir. Ici sonnaient ses dernières minutes à ses côtés, et elle ne comptait pas le voir crever sous ses yeux.
Enfin plus loin se dessina un large battant métallique.
« C'est là ? abrégea Mike.
— Oui, c'est la pièce où je n'ai jamais pu aller.
— Il y a un... la même chose que dans la base est, trancha Livaï. Le machin qu'Antoine avait déverrouillé.
— Un écran, l'informa Mike. Historia nous sera utile ici, si c'est bien ce que je pense. »
Ils accélérèrent la cadence, le souffle court, pour arriver vite nez-à-nez contre la porte renforcée. Marion serra les dents en voyant l'écran bleu incrusté dans le bitume.
« Un clavier ? Pas de scanner d'œil ou que sais-je ?!
— On va devoir forcer le passage, articula Livaï.
— Vous voulez enfoncer la porte ? Vous aller juste vous blesser ! »
« Vous », littéralement. D'un commun accord, Mike et Livaï fichèrent un violent coup de pied au bord de l'ouverture. Comment encaissèrent-ils un tel choc ? Ils se sont entraînés avant ?! Et le pire étant que l'entrée s'enfonça légèrement ! Elle observa, l'œil rond, les secrets de sa serrure se fragmenter. Cette même serrure censée ne s'ouvrir qu'avec un code. Mais qui avait besoin d'une telle chose, avec deux baraqués dans les parages ?
Rebecca se planta en face et tira avec violence dans ce trou de rien. Il explosa bien des coups de feu plus tard, et le pauvre battant s'entrouvrit en grinçant. « Superbe », lâcha Livaï. Il le finit sans une once de délicatesse : en face d'eux se présenta une vaste salle carrée. En son centre, un fauteuil et un électroencéphalogramme. Devant... bien des ordinateurs.
Marion grinça des dents.
« À terre ! » cracha soudain Rebecca. Elle l'amena contre le béton avec elle ; en face, deux ennemis chutèrent dans un long râle douloureux. La chercheuse n'avait pas même entendu les coups de feu qui les avait finis. Là, sur le sol froid, sous cette obscurité étouffante... Bien trop de scènes.
« Expérience numéro trois... Start ! » Dès lèvres pulpeuses, liées aux siennes. « Marion. Les bras. » Deux grands iris turquoise et enfantins. « Je l'ai fait ! attack_on_titan&0.7... C'est marrant... Même si j'espère ne jamais me faire transférer par cette merde. » Le visage jeune de Kenny, dénudé de tout sourire. Et pourtant...
« Kenny. Les américains, ils pratiquent la torture, n'est-ce pas ? » « Kenny... S'il-te-plaît... » « C'est la dernière chose que je te demanderai. » « Tu préfères mes lunettes à moi, c'est ça ?! » « Fabien, qu'est-ce que tu fais ici ?! »
« Kenny... Je t'aime. »
« Marion ? » Un millier de souvenirs. Non, un million. Non, elle ne pouvait pas les compter. Car ils la heurtèrent et la jetèrent de droite à gauche et la compressèrent brutalement et l'électrisèrent d'un coup. Elle empoigna ses cheveux avec violence, l'œil écarquillé et en larmes.
Cette souffrance, celle qui labourait son coffre, elle était insupportable.
Elle se redressa sur ses coudes, se pencha en avant et vomit convulsivement son dernier repas. « Marion ?! » s'exclama Rebecca. L'intéressée se tourna brusquement vers elle. Son pouls s'affolait. La silhouette de la biologiste était plus ronde avant. Elle eut beau serrer les mâchoires, elle ne put se retenir plus longtemps. Le sentiment hideux remontant sa gorge gicla de lui-même.
Elle se recroquevilla sur elle-même, puis s'époumona à en crever.
Comment... ? Comment ?! L'une de ses mèches flotta jusqu'au sol. S'arrachait-elle les cheveux ? Elle avait mal. Partout. Alors que deux bras forts l'avaient étreinte. Elle l'avait insulté. Lui. « Comment ?! » hurla-t-elle. Elle éclata violemment son fusil d'assaut contre le mur d'en face. Suivirent des paroles incompréhensibles, des syllabes égosillées.
Sa trachée crama. Elle se déchira peu à peu. Sa voix fonça tête la première vers sa mort. Ce cataclysme de réminiscences et de scènes et de phrases et de sensations explosait son coffre. Tout, tout tombait en lambeaux. Même le monde autour de lui. Où était Kenny ? Où était Historia ? Où sont mes papiers ?!
Non, elle n'y était plus. Kenny l'avait jetée de cette base du Nevada sans qu'elle n'ait pu dire au-revoir à Rebecca, ou Historia, ou l'ancien Résistant même. Cette seule famille qu'il lui restait, celle de ce début de vingt-et-unième, comment avait-elle pu l'oublier ? Elle s'était amusée avec attack_on_titan&0.7. Elle avait pris du plaisir à la faire. Si obnubilée par la science... Elle était folle, depuis le début. Elle avait ignoré toutes ces victimes.
Leah était presque morte de ses mains, et elle avait oublié Antoine, durant ces années de recherche.
Ses paupières s'écarquillèrent. Antoine. Lui. Où se trouvait-il ? Était-il mort ? Comment se déroulait la bataille ? Isaac était au bord du décès. Par ma faute... alors que je récoltais ce que je semais... Qui d'autre... ? Ses puissantes plaintes se coupèrent d'un coup, une nouvelle fusillade lui détruisit les tympans, un cri de douleur la saupoudra. Elle releva la tête et vit avec horreur Historia tomber au sol.
« Non ! » s'égosilla Rebecca. Marion ouvrit la bouche ; seuls un toussotement et des crachats grenat en sortirent. ... Historia. Elle se leva en chancelant : deux mains la retinrent avec fermeté. Livaï était planté devant elle. Du sang gouttait de son front. Des ombres envahissaient de nouveau la pièce. Les prunelles claires du caporal-chef étaient glaciales, acérées, figées, frémissantes, que savait-elle, mais elles aussi criaient quelque chose.
« Marion, écoute-moi ! » jeta-t-il. Il resserra sa prise sur ses clavicules et prit une courte inspiration saccadée. « Mon prénom », souffla-t-il. Les pleurs de l'ancienne sergente manquèrent de recouvrir son court murmure. Murmure à la limite du tremblotant. Il la cloua douloureusement sur place. Quelle genre de terreur lui avait-elle fait ?
Il pense que je l'ai encore oublié. Livaï... « Li... », s'étrangla-t-elle. La brûlure torturant ses cordes vocales était trop forte. Elle ne hurlait plus. Le sang lui ayant monté à la tête redescendit. Sa chaleur la quitta. Le monde tourbillonna. Elle n'avait plus rien à vomir. Ses genoux prirent le relai, à tenter de la lâcher.
Son interlocuteur la détourna d'une Historia étalée à terre. Mike examinait la pièce, arme à feu en main et nez froncé. « Suis-moi », lâcha tout bas Livaï. Il l'assit sur une chaise et s'accroupit devant elle. Il ne la quitta pas du regard une seule seconde. « Mon prénom », répéta-t-il, l'air sombre. Elle planta ses coudes dans ses cuisses, et se prit lentement la tête dans les mains.
« ... Livaï », énonça-t-elle d'une voix rauque. Il bloqua un instant. Marion pinça les lèvres, et en profita pour jeter une œillade à mère et fille. La première plaquait désespérément ses mains sur l'épaule sanguinolente de la seconde. Mais elle ne les étudia pas bien longtemps : son interlocuteur la força à lui faire encore face.
« Regarde-moi, trancha-t-il abruptement. Moi. Quel jour est-on ?
— Le... vingt-deux décembre.
— L'année ?
— Huit cents cinquante-deux.
— Où est-ce qu'on se trouve ?
— Base américaine ouest, chevrota-t-elle. »
Bref soupir. « Oui », laissa-t-il tomber. « C'est bien ça. » Et les pleurs de Rebecca de les séparer de nouveau. Il lâcha un juron : cette situation semblait lui déplaire au plus haut point – à juste titre.
« Historia... ? s'étouffa-t-elle néanmoins.
— Elle s'est pris une balle. »
Elle retint un hoquet paniqué ; Livaï l'empêcha sèchement de se lever. « Rebecca s'en occupe. Regarde-moi. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » Cette fois-ci, ce fut à elle de bloquer. Elle gémit et tenta de se saisir de nouveau de son carré. Livaï lui prit les poignets bien avant.
« Réponds-moi, martela-t-il.
— Je m'en souviens. Livaï, débita-t-elle soudain. Je ne devrais pas être là. Des gens meurent. Dehors. Je n'aurais pas dû venir. Je suis dangereuse. Transférez-moi loin. Je suis hideuse. Affreuse. Horrible. Une meurtrière. Et...
— Tu n'es pas comme ton alter-ego. »
Elle se tut illico ; sa respiration se hacha. « Il n'avait pas d'œil en moins. En bref, il n'avait pas sacrifié son visage pour quelqu'un. Ici, les choses sont différentes. Tu ne tourneras pas comme lui, car tu n'as pas vécu les mêmes choses. Saisi ? »
Mike leur jeta un lourd coup d'œil, pour retourner à son affaire.
« Non..., gémit-elle. Je ne sais pas...
— Tu te souviens de moi. Les choses ne déraperont pas.
— Elle a dit que vous étiez tous morts...
— On est vivants.
— Mais la bataille n'est pas finie ! vrombit-elle. »
Elle toussa dans l'instant. Son sang n'éclaboussa que le creux de son coude.
« Si ce n'est pas la machine numéro sept, on retourna dans les Murs et attaquera au nord.
— Tout ça est de ma faute, contra-t-elle faiblement.
— Ne te fous pas de moi. Il y a des centaines de personnes, avec toi. »
Elle fut à court de mots. Ce qu'il lui exposait là était logique. C'était elle qui se trompait. Je ne tomberai pas dans la folie. Même si cette machine...
« C'est la numéro six, » annonça Mike. Il tira dedans, explosa les ordinateurs les contrôlant, arracha tous les câbles possibles et imaginables, et renversa le reste sens dessus-dessous jusqu'à ce que le tout soit inutilisable. Il se tourna ensuite vers Marion. « Ça suffit, comme dégâts ? » Elle acquiesça presque par réflexe.
« Dans ce cas, on bat en retraite, trancha Livaï.
— Mais Historia..., geignit Rebecca.
— Elle n'est pas morte. L'armée l'a forgée. On l'emmènera à Weierstrass. »
Elle le gratifia d'un regard enragé, mais se releva tout de même, sa fille inconsciente dans ses bras. Mike se saisit de son M6 gisant au sol et se dirigea vers Marion et Livaï. Il le passa à la première, l'étudia un court instant, puis repartit vers les couloirs. « Marion. Tu peux courir ? »
Elle se remit sur ses pieds, malgré son mal de crâne étouffant et son esprit chaotique. Au moins savait-elle encore qu'elle avait bien d'autres choses à faire. Devenir cinglée si tôt était hors de question. Si ses jours de sanité devaient être comptés, si elle allait peut-être sombrer dans la folie avant de retrouver le vingt-et-unième siècle, elle ne pouvait qu'agir le plus vite possible. Elle comptait bien retrouver Leah – ou mieux, boucler ce qu'elle avait retrouvé dans le Nevada – avant que son état ne tourne au vinaigre.
Non... Mon cas n'est peut-être pas encore désespéré. Le transfert l'attendant pouvait la sauver. Ce transfert devait la sauver. Courir ? pensa-t-elle, l'œil furieux. Bien sûr, que je peux courir. Et je courrai autant qu'il le faudra !
Parce-que c'est super rigolo de faire des previews pourries, voici celle du prochain chap :D :
https://youtu.be/Y-FQG08eRF8
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