Prémices d'une pluie de sang - Partie 3

Antoine ne déviait pas ses yeux clairs des titans quadrupèdes contre lesquels se battaient Mike, Albert et Gelgar. Ces deux-là peinaient sérieusement à suivre la cadence : dès qu'un œil explosait, un talon régénérait. Il ne pouvait pas imaginer la difficulté avec laquelle ils tentaient d'échapper à la mort. Heureusement, Mikasa s'était déjà mise en chemin.

Lui était en sécurité, posté en rappel contre un tronc glacé plus en hauteur. De l'autre côté, accroupi sur une branche, Livaï ; et au-dessus d'eux, Hansi. À la ceinture de celle-ci pendaient bien des grenades. Son travail consistait ni plus ni moins à étudier le moindre mouvement de la bataille se déroulant devant elle ; le jeune homme l'assistait en attendant de plonger dans la bataille.

Reiner, Wilson et Peak s'étaient déjà montrés. Où sont les autres ? Peut-être dans ces trous que laissaient cavaliers et tireurs, qui combattaient désormais au corps-à-corps. Plus bas, la neige était rouge et bien des cadavres démembrés ou troués y gisaient.

D'où vont-ils surgir ? Sa vue incroyable détecta subitement un mouvement étrange, plus bas, au nord-ouest de la base au gris triste. « Livaï », appela la major au même instant. L'intéressé leva la tête vers elle.

« Je crois que votre cible est là-bas. Est-ce qu'un de vous peut me vérifier que mes yeux ne me font pas défaut ?

— La personne qui se relève d'entre les morts, là ? demanda Antoine. Elle a une capuche et un équipement tridimensionnel. Je ne l'ai jamais vue avant, bien entendu...

— Isaac se charge de Wilson et Mike attaque Peak, informa le caporal-chef.

— ... mais qu'on se réveille dans un état pareil, c'est possible que si on est un semi-géant. Hannah Steel, tu penses ?

— Oui. »

Les deux alter-egos chargèrent leurs manettes de commandement.

« Attendez qu'elle se transforme, intervint-elle. Si c'est bien elle...

— Ne t'inquiète pas, je n'aurais pas accepté que Livaï parte avant moi, railla le jeune homme. »

Railla, mais son expression restait grave. Il arrangea un peu plus son chignon, le cœur un poil battant. Lui, avec Livaï, affronter un ennemi pareil ? Il avait la désagréable impression que tous ceux se battant là – Divisions, fantassins, élites – avaient une épée de Damoclès au-dessus de la tête... Annie mise à part, car elle dépasse Reiner de loin. Il soupira, pour fixer de nouveau leur suspect numéro un, qui allait peut-être devenir leur proie.

« Un... deux...

— Ne commence pas à compter, jeta Livaï. C'est pas le moment.

— Ne commence pas à pinailler, répliqua l'autre. »

Lequel sursauta presque lorsqu'une détonation crama bien des soldats à la ronde. En effet, le titan Forgeron et ses muscles éternellement blancs y naissait. On voyait à peine son visage, derrière les lambeaux immaculés recouvrant la moitié de sa face. Et déjà matérialisait-il un marteau...

« Maintenant ! » vrombit le caporal-chef. Lui comme le plus jeune sautèrent du chêne à nu, zigzaguèrent vivement entre les autres troncs et plantèrent directement leurs axes dans les mollets musclés de la géante.

Elle fit illico un pas en arrière : Antoine décrocha sa pointe et remonta son torse immense à pleine vitesse, les dents serrées. Son menton carré le surplomba, puis se baissa d'un coup. Tu peux pas me mordre, abrutie, je suis trop rapide. Qu'est-ce que tu cherches à faire ?!

Livaï, lui, avait déjà tranché son talon d'un vif geste circulaire. À peine une seconde, et elle chutait sur son genou. Lui-même, pourtant encore en vol, sentit la terre trembler. Mais à sa grande surprise, sa nuque resta ouverte à toute attaque. Se faisait-elle confiance à ce point ?

Il ne savait pas si elle c'était à tort ou à raison. Mais ça pue quand même !

Lorsqu'Antoine plongea droit vers son aisselle, elle balança son coude en arrière ; il se rattrapa de justesse dans son dos, les paupières écarquillées. Il avait failli se faire écraser par sa fluorine. On n'avait rien exagéré, en disait qu'elle la contrôlait sur le bout des ongles. Si je reste là, elle peut se retourner et me foutre un bon coup. Si je grimpe, je serai pas mieux loti ! Elle le poussait à retourner plus bas, et il dut s'y plier dans l'instant.

Puis, contre toute attente, une giclée de sang jaillit de sa face. Livaï lui a explosé un œil... Un œil, un seul. La bougresse matérialisa une lame à la place de sa main et la lança vers lui ; Antoine repéra illico son alter-ego fuir au niveau de ses cuisses. Voici qu'ils se retrouvaient au même étage : mauvais présage. « Et merde ! » siffla-t-il.

Il jeta un regard à l'officier, dont les traits étaient tout autant frustrés. Elle se relevait déjà, et eux devaient suivre sa cadence. « Livaï ! Un ! » Il acquiesça sèchement : le jeune homme dérapa donc à terre, étudia le trentenaire contourner le mastodonte et vit celui-ci jeter son pied... Vers moi ?!

Il planta son axe dans la base elle-même. Ses orteils cristallisés le frôlèrent de justesse. Il sentit très, trop bien le souffle puissant de son mouvement. Et je me retrouve encore dans son dos, au même endroit que Livaï. Elle nous pousse à rester du même côté ! On est censé se séparer, bon sang !

Là l'ombre de leur adversaire pesa-t-il lourdement sur lui. Elle savait comme s'y prendre et eux n'avaient pu attaquer que deux fois. Si elle veut briser notre formation... Il appuya sèchement sur ses gâchettes et fonça à pleine vitesse vers son bras. Elle fit volte-face au même instant ; il prit une lame à revers, dérapa sur son poignard de fluorine, puis remonta son bras avec vivacité. Ses épées, il les planta profondément dans sa chair. Celle-ci craqua soudain devant lui. Il hoqueta lorsque ses armes s'éclatèrent contre la fluorine recouvrant le biceps de l'américaine. Une fraction de seconde d'hésitation, et elle plaquait sa paume sur lui...

Qu'il explosa avec rage. Il traversa cette pluie de sang et de doigts sectionnés, pour se retrouver à la gauche de Hannah Steel.

Les entailles que j'ai laissées sur son bras déconnectent son épaule de sa main. Il ouvrit la bouche, mais ce fut inutile. Livaï était déjà passé par là. Il sectionna pour de bon ce coude géant, pour plonger vers ses deux genoux. Sous l'œil rond d'Antoine, il les sectionna à la chaîne et décampa juste avant qu'elle ne tombe de nouveau.

Plus qu'un bras et ton cerveau ! Tu comptes faire comment ?! Le Résistant rechargea ses manettes, s'accrocha à la tempe du monstre, prit de la hauteur et fondit droit sur son visage immense et blanc. Un premier passage, il découpa les lambeaux recouvrant ses yeux. Dès qu'il vira dans son dos, une saucée écarlate suivit. Livaï avait achevé la vue de la semi-géante.

Et devant son cadet se dressait le haut dos musclé de la capitaine.

Sa nuque ! Est-ce que c'est trop tôt ?! Oui. Il grimpa sur son aisselle, et y enfonça ses lames... à l'instant où elle plaquait son coude sur ses côtes. Il échappa de justesse à l'écrabouillage ayant dû suivre. Encore une fois, elle avait prédit ce qu'il allait faire. Encore une fois, bordel !

Puis, il remarqua du coin de l'œil que son alter-ego se trouvait derrière les omoplates de Steel. Il va vers sa nuque ?! Peu de choix s'offraient à eux, après tout. Son bras restant cherchait frénétiquement Antoine, et il lui fut aisé de l'esquiver. Toutefois, lorsqu'il s'apprêta à le charcuter à son tour, des mâchoires claquèrent juste à côté de lui.

Dans sa descente précipitée, il vit tout juste la lumière surgissant de la colonne vertébrale du monstre. Des pics de cristal la remontèrent en un éclair... droit sur Livaï, lequel se retourna d'un coup. Antoine ficha derechef son axe derrière le crâne de l'américaine, fonça en trombes sur son collègue et le ceintura brutalement.

L'impact les souffla plus loin ; Antoine contracta les mâchoires en sentant les égratignures sur ses cuisses. Mais son alter-ego avait failli se faire empaler : quelques griffures étaient un prix bas à payer pour sa survie. Il se rattrapa au béton des bâtiments, et lâcha le torse du caporal-chef, qui se mit lui-même en rappel. À ce moment précis résonna ce qu'Antoine supposa être la détonation de la transformation d'Isaac.

Hannah Steel... C'était un vrai monstre qu'ils avaient en face. Un monstre de glace, d'aiguilles et de vapeur, qui s'appuya sur son poing libre dans l'espoir de se relever.

« C'est une teigne, cracha Livaï. Génie que t'es, t'as un plan magique en tête ?

— Non, siffla l'intéressé. À part si je l'occupe quelque part pendant que tu tranche enfin sa foutue nuque. Ne t'accroche pas sur son géant, ou elle te sentira. »

L'autre hocha la tête. Mais à l'instant où ils s'élancèrent de nouveau, une lumière aveuglante brûla les iris du français. Il serra les dents, sa main devant le visage. Puis, ce qui se déroulait sous son nez le heurta de plein fouet. Une lumière aveuglante...

Il se tourna vers Wilson et Peak avec affolement. « Isaac ! » s'écria-t-il – en chœur avec Marion. C'est une blague ?! Il se retint de justesse de virer vers lui, et préféra se tourner vers la capitaine, les dents serrées et les lames levées. « Livaï », cracha-t-il, « il va falloir l'achever. »

***

Isaac dressait de nouveau ses épées, le regard perçant. Une fraction de seconde plus tard, les talons arrières de Wilson cédèrent sous son poids. Il tournoyait ainsi depuis un moment : son opposant n'était pas officier pour rien. Ses réflexes retardaient sa victoire, et son large champ de vision compliquait sérieusement les choses. Mais au moins, je ne combats pas Steel.

Le capitaine perdit encore son équilibre, mais releva brutalement le nez et tenta de nouveau de le mordre. En un éclair, l'albinos esquiva agilement le coup, rebondit sur son dos immense, planta sa pointe sur la terre et déchiqueta son flanc. Dès que ses semelles dérapèrent sur le névé pourpre et fumant, il rechargea ses lames, fila sous le ventre de l'officier, puis enchaîna ses deux aisselles.

À demi aveugle et enfin infirme. Isaac devait faire vite, très vite. Alors, il frôla la terre, explosa ses orbites restantes et partit droit vers son visage. Son dernier assaut, c'était tout ou rien. Il se mordit donc sauvagement le pouce : un puissant éclair le foudroya. Son titan trapu et pâle se matérialisa et il se jeta farouchement sur le visage de Wilson, griffes en avant.

Mais son aîné se saisit de son bras, pour le balancer dans les arbres. Son estomac se serra illico : les arbres s'écroulaient à la chaîne autour de lui. Est-ce que Marion a été touchée ?! La terreur le frappa de plein fouet. Si elle était morte par sa faute, il allait s'en vouloir pour le reste de sa vie. Il surgit d'avance de la nuque de son mastodonte, puis scruta le moindre buisson, les mains tremblantes.

Oui, il reconnut sa silhouette accroupie derrière les fourrés. La rage tua son effroi. Il reprit un jeu de lames et fonça en criant vers la nuque de Wilson. Naturellement, ses épées s'éclatèrent dessus, mais il lui suffisait d'en tirer de nouvelles.

Les choses étaient aussi simples que cela.

Marion a failli mourir par ta faute. Il éleva le débit de son gaz au maximum. Les mètres s'empilèrent sous ses bottes. Dès qu'il arriva assez haut, juste assez haut, il piqua droit sur l'orbite droit de la face hideuse du monstre et l'éclata en rugissant. Il passa sous sa gorge avant que Wilson n'ait le temps d'attaquer afin de s'occuper du second. Il ne restait plus que les joues. Non. Non, s'il faisait ça, son ennemi allait encore protéger son point vital et guérir quelques-unes de ses blessures. Mais si je vais directement sur sa nuque, ça sera la même affaire. Qui ne tente rien n'a rien !

Un bref regard devant lui lui apprit que Steel était désormais à genoux : des pointes se hérissaient sur son dos. Même aveugle et à demi handicapée, était terriblement dangereuse. Il remarqua Antoine fuir à juste raison en rameutant Livaï derrière lui.

Cette petite seconde lui suffit pour se faire un tableau de la scène. Il planta donc son axe restant dans le mur derrière Peak et Mike. Et il s'éleva de terre, et il fondit pour de bon vers le corps de Wilson, et le menton de la capitaine se releva d'un coup. Il tourna la tête vers elle, les sourcils froncés : elle le regardait d'un œil lourd. Il écarquilla les siens dès qu'elle le pointa vivement du doigt...

... et matérialisa subitement une longue lance.

Des rayons blancs jaillirent de cette transformation hideuse, ces mêmes rayons qui cramèrent aussitôt les pupilles d'Isaac. Il en hurla, les paumes plaquées contre ses paupières. Cette douleur était affreuse. Il l'avait oubliée depuis longtemps, et elle lui revenait en pleine face à un moment si critique.

Son pied glissa sur le cristal de son ennemi ; il dérapa maladroitement à terre. « Isaac ! » s'égosilla Marion, en chœur avec Antoine. Il s'apprêta à courir aveuglement vers sa direction, mais s'arrêta net. S'il montrait où elle se trouvait, elle allait être en danger. Pour rien au monde ne devait-il dévoiler sa position.

Derrière lui naissait un bruit lourd. Il tenta d'ouvrir les yeux, mais la lumière froide du jour lui transperça les rétines. Il contracta les paupières avec furie, puis se résigna à tourner les talons vers Wilson.

Ce fut à l'aveuglette qu'il reprit ses épées, écouta le moindre mouvement de l'officier et tenta de foncer encore. Mais il ne rencontra qu'un souffle chaud, une haleine puante, un gargouillis hideux. Il bondit vivement en arrière, trop tard. Ce fut, au final, la terreur qui le compressa de toute part.

La dernière chose qu'il entendit fut un « non ! » hurlé et détruit de Marion. La dernière chose fut sa voix, à elle. La dernière chose avant que les incisives de Wilson ne le décapitent sèchement.

Lien vers le fanart : https://www.zerochan.net/3298405, par Pixiv Id 61258259

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