𝓛𝓾𝓬𝓪𝓼
Les routes que sur lesquelles nous marchions étaient désertes, vides, et rocailleuses. Ce n'était pas très plaisant de les pratiquer, d'autant plus qu'il n'y avait pas un arbre pour nous faire de l'ombre, que les nuages s'en allaient pour faire place à un soleil agressif et brûlant. Cyrus me jeta un regard, et arqua un sourcil. Il fallait admettre que j'étais à la traîne, et Karmen s'efforçait de ralentir pour me tenir compagnie. Il avait pitié, sûrement. Ou il avait juste de la compassion, mais je ne vois toujours pas bien la différence entre les deux -si différence il y a. Raven lui, ne semblait pas souffrir de la chaleur. En tout cas, encore moins que Karmen et Cyrus. Ce dernier finit par s'arrêter et se tourner vers moi :
« Tu tiens le coup ? »
J'hoche la tête, replaçant la hanse de mon sac à dos sur mon épaule. Je prends une grande inspiration, comme pour me redonner de la détermination, et accélère le pas pour les rejoindre. Cyrus passa sa main dans mes cheveux. C'était comme s'il se voyait en moi, il y avait quelque chose de doux dans son regard, et pourtant de douloureux. Comme un mauvais souvenir remué, un cauchemar longtemps endormi que je réveillais par accident.
« Si tu fatigues trop on peut...
-Non. »
Je le coupe, parce que je ne veux pas avoir à porter cette phrase en plus de mon sac et de ma fatigue. Cette phrase qui montrera clairement la différence de niveau entre eux et moi, qui assumerait nos différences.
« Non ça va. »
Il hocha alors la tête, et passa sa main dans mon dos comme pour me pousser à aller de l'avant. Le ciel ne cesse de s'éclaircir, et s'il y avait des arbres, ça pourrait être beau. Le groupe avec lequel nous sommes parti avance droit devant nous, bien plus en avant. L'un s'écrit, à l'adresse de Cyrus :
« Tout est détruit ! »
Et on ne comprend pas bien, jusqu'à ce que l'on soit à leur égal, côte à côte, face au désastre. La route est coupée nette, comme si une immense lame l'avait tranchée en deux. Elle tombe jusque bien dix mètres plus bas, et s'arrête en bas dans un véritable torrent d'eau marron, agitée comme si elle était secouée de rage. Toujours plus bas mais à plusieurs kilomètres du fleuve, on peut voir des montagnes. Le soleil inonde les forêts qui les recouvre, traverse le feuillage et éclaire les oiseaux colorés qui s'en échappent. Le ciel, là-bas d'un bleu complet, paraît particulièrement immense sans ses nuages pour le cacher. Mis à nu, face à nous, il nous rappelle à quel point nous sommes petit. Je me risque à troubler le silence pour dire d'une petite voix :
« Comment on fait ?
-Je ne sais pas. Il y avait un pont avant, et il nous permettait d'aller directement aux montagnes. Mais je crains qu'on ait besoin de descendre la falaise. »
Cette phrase noue mon ventre d'angoisse. Je n'ai jamais fait d'escalade, et j'ai le vertige. Rien ne s'annonce pour que je puisse descendre une dizaine mètres indemne. Et ça, Cyrus le remarque.
« Addow, ne t'inquiète pas, on va trouver une solution. Karmen, fait ton boulot. »
Ce dernier se met à sourire, et attrape mon bras.
« Il peut venir ?
-Fais ce que tu veux. »
Alors, sans me demander, il m'entraîna avec lui je ne sais où, pour qu'on fasse je ne sais quoi. Fort heureusement, il comprend que je suis confus. Il se retourne, moi sur ses talons et me lance :
« Je suis une sorte d'éclaireur. C'est mon rôle dans la communauté de chercher des chemins praticables.
-Mais ce n'est pas dangereux ?
-Si, mais je sais faire. C'est pour ça que c'est moi l'éclaireur. »
Il haussa les épaules comme indifférent, mais à la taille de son sourire j'en conclu que c'est le genre de personnage qui non seulement aime le danger, mais en plus s'y glisse avec satisfaction. Je comprends qu'on puisse être accro à l'adrénaline, mais il y a des limites qui sont pour moi difficile à franchir. Pas pour lui.
« Tu vois, là, il y a un endroit un peu moins raide pour descendre. Donc c'est un accès. Et là il y a plein de roches, ce sera plus pratique pour escalader. »
En fait, le lieu est étrange. La route est en hauteur, sur une montagne, mais pour y accéder il n'y a qu'un trajet : celui que l'on a emprunté à l'aller. Or, il est des kilomètres en arrière, et on ne va pas faire marche arrière pour contourner la falaise. Il faut juste trouver un chemin pour couper la descente sans se blesser. Chose qui me paraît impossible, mais comme toute la troupe est fort enthousiaste je ne compte pas casser leur optimisme.
« Pourquoi on a emprunté ce chemin ? Pourquoi on n'est pas passé directement par en bas ? Il y a des arbres et des forêts, c'est bien plus joli. »
Il me jette un regard en s'aventurant sur un petit sentier fort rustique, et peu praticable, tout en me répondant :
« Cette route s'appelle la Traversée. Elle passe par les hauteurs parce qu'en contrebas il y a des Hydres, des Wendigos, des Changeurs de Peau...Une jolie civilisation de créatures infames que tu ne veux pas apprendre à connaître. »
Il commença à disparaître de mon champ de vision, alors je pris mon courage à demain pour le suivre sur le sentier. Il le remarque et sourit.
« Tu sais, tu peux m'attendre en haut de la falaise.
-Quel genre d'ami regarde l'autre sans le rejoindre ? Au moins si tu tombes, je tombe aussi.
-Tu préfères le suicide collectif à la survie au singulier ?
-Principalement, oui. »
Je crois l'entendre rire un peu, mais trop concentré sur chaque pas je n'y prête pas vraiment attention. Pourtant, malgré ça, je fais un pas sur une mauvaise pierre qui se défait de la terre et glisse sous mon pied. Une grande partie de mon poids tombe alors dans le vide, et pour des raisons évidentes de physique et de gravité je perds l'équilibre et tombe également dans un cri étouffé. Il m'attrape par l'avant-bras, s'accrochant à une roche avec force. Je l'entends lâcher une injure, sûrement sous la frayeur, puis tire sur mon bras pour me remonter à son niveau. Il ne me lâche pas mais pose sa main sur mon épaule pour me garder contre la pierre le temps que je m'accroche.
« Tu ne t'es pas fait mal !? »
Je secoue la tête avec énergie, encore en proie à une légère frayeur. L'adrénaline de la chute me fait trembler, mais je parviens à m'accrocher à des prises dans la roche. Il soupire, à priori soulagé, sans pour autant me lâcher. Au bout de quelques secondes, il commence à retirer sa main, testant mes appuis.
« Tu tiens ?
-Je tiens. »
Ma voix est assurée comme si je ne voulais rien laisser paraître. Sauf que je suis un livre ouvert, alors il comprend que certes je me tiens bien, mais que j'ai tout de même un peu peur de glisser de nouveau. Sauf que ce n'est pas une question de chemin non-praticable, c'est juste que je ne sais pas faire. Il cherche mon regard, et je lui donne.
« Ne bouge pas Addow.
-Pourquoi ? Tu vas où ?
-Je vais prévenir à Cyrus qu'on va prendre ce chemin. Mais je reviens de suite, tout va bien. »
Je secoue un peu la tête, regarde la distance qu'il reste à descendre. Si je tombe, je meurs. Ou je me brise les os, ce qui n'est finalement pas une meilleure option. Mais en relevant la tête, je réalise qu'on a plus descendu que ce que je pensais, et qu'e je suis pile à la moitié -ou pas loin. Et je n'ai pas envie de risquer de tout remonter pour ensuite tout redescendre.
« Je...Veux pas ? »
C'est entre une question et une affirmation, et je vois bien que ça l'embête. Parce qu'il ne sait pas s'il doit me laisser là, me pousser à remonter, ou me pousser à tout descendre. Il regarde le sol, la forêt qui longe le bord de la falaise, et râle un peu.
« Bon, je vais descendre avec toi. Mais tu m'attends en bas, et tu ne bouges surtout pas. Tu resteras dans un arbre, et caché. D'accord ? »
Je hoche la tête. Probablement que si je savais à quoi ressemblait les monstres dans la forêt, j'aurais dit non, mais l'ignorance sied les fous pour de bonnes raisons et j'accepte. Il m'aide donc, difficilement mais avec brio à descendre la montagne. Je glisse plusieurs fois, mais il me rattrape à chaque fois. La pierre est brûlante à cause du soleil, et se rafraîchit peu à peu alors que l'ombre des grands pins se met à nous couvrir. Bientôt, nous baignons dans de profondes ténèbres, un peu inquiétantes. Sur les trois derniers mètres, il s'arrête, me laissant finir de descendre seul, puis me dit sans lâcher la pierre :
« Tu ne t'éloigne pas, Addow. Peu importe ce qu'il se passe, tu restes là, et en cas de soucis tu grimpes. Ou sur la falaise, ou dans un arbre, mais tu ne cours pas dans la forêt. »
Je fronce les sourcils. Il semble presque plus paniqué de me voir là que sur une roche à six mètres de hauteur, tremblant.
« Et si je n'ai pas le choix ?
-Tu arrêtes de bouger et tu pris Saryx de venir te chercher vite. »
Je cherche à comprendre sa phrase, mais mon cerveau la traduit bien vite tout seul : Si je n'ai pas le choix, le mieux c'est de mourir vite. Finalement, la chute était peut-être meilleure option. Je hoche la tête, ne voulant pas perdre la face, et je le regarde commencer l'ascension avec l'agilité d'une araignée. Pendant ce temps, je me retourne, dos contre la falaise, et observe la forêt entre les troncs de pins, guettant le moindre mouvement. L'ambiance est lourde, malsaine. Je me sens observé, à l'étroit, pas à ma place, et plus le temps passe plus je sens un poids peser sur mes épaules. Je ferme les yeux pour prendre une grande bouffée d'air, mais l'odeur de mousse sur les troncs ressemble à celle de la moisissure. Finalement, un craquement un peu lointain me pousse à ouvrir les yeux, de plus en plus méfiant. Je tourne la tête, essayant de voir ce qu'il se cache derrière les troncs, et un deuxième craquement résonne, à l'opposé, plus proche. L'ambiance se tend, un coassement de corbeau me fait sursauter, mais il s'arrête net. D'un coup, un silence de plomb s'abat sur toute la forêt. Je n'entends plus un murmure, plus un craquement, même pas le bruit lointain du groupe, plus haut.
Mes yeux ne quittent plus le tronc où j'ai entendu le dernier craquement, mais le lourd silence semble essayer de me dire qu'il n'y a rien. Je sais qu'il me ment. Je n'entends plus que mon cœur battre, de plus en plus fort, tandis qu'un froid glacial m'atteint et m'arrache un frisson. Je baisse les yeux, observant de la brume se glisser entre les troncs, serpenter et se répandre comme une vague sur le sable. J'arrête de bouger lorsqu'elle s'arrête, et un craquement brise tout. Effrayé, je relève la tête, et deux yeux me fixe à travers l'obscurité. Rond, mais distinct, comme si une lumière les éclairait, or le reste du corps n'est qu'une vague silhouette qui ne se détache pas des ténèbres. Puis, un autre craquement, encore plus proche, à ma gauche. Je me retourne, et elle est là. Juste à mes côtés. Je suis incapable de bouger, ou même de respirer. Je ne fais plus un son, plus un mouvement. Un énième bruit résonne, à ma droite, mais la chose à mes côtés est toujours là. Je sens son souffle dans mon oreille, sans que je ne décide à tourner la tête, par peur de la voir. Je sens un poids, un vrai cette fois, comme si elle m'escaladait. Je voudrais fermer les yeux, fuir, mais je ne peux m'y résoudre. Au loin, quelque chose bouge. Je distingue vaguement une forme humaine, avec un crâne de je ne sais quel animal sur son crâne. Il cri quelque chose. Mes yeux se ferment avant que je ne comprenne, et je tombe au sol, dans un noir complet.
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