𝓛𝓾𝓬𝓪𝓼
Lorsque Cyrus avait dit qu'il « allait partir », je pensais avoir une journée devant moi. Pourtant, c'est en fin de matinée qu'ils mont annoncés le départ, et que Karmen ma tiré hors du tunnel. Je commençais déjà à retenir à peu près certains chemins : ça doit faire quatre ou cinq jours que je suis là, mais les routes sont simples, et très différentes les unes des autres. Lair frais et vif de l'extérieur me balaie le visage avec satisfaction, et je pousse un soupire. C'est vrai que c'est plaisant aussi d'atteindre la surface, même sil n'y a pas de beau ciel dégagé. Il ny a plus cette odeur de poussière, de fumée et de métal, me rappelant soudainement la légèreté de lair.
Cyrus nous rejoint, avec cinq ou six hommes et femmes derrière lui. Probablement plus de femmes que dhommes, en fait. Il passe une main dans mes cheveux, avec un petit sourire.
« On va juste devoir faire un petit détour. »
La curiosité de Karmen ouvre grand les yeux pour se jeter sur lui avec la force dune tigresse, sans pitié.
« Pourquoi ? »
Cyrus hausse un peu les épaules en ouvrant la marche, son sac sur le dos.
« Parce quOnyx veut le voir. Il sarrête quelques secondes pour se tourner vers moi, Cest une mage un peu folle mais pas méchante, qui a eu vent de ton arrivée. Et surtout du fait que tu nes pas encore retourné dans ton monde. »
Je hoche la tête, un peu indifférent quant à cette information. Il faut dire que cest loin dêtre la chose la plus incroyable ou étrange que jai entendue, alors honnêtement, pourquoi pas ? Tant que Cyrus et Karmen sont dans la même pièce, je sais que je ne risque pas grand-chose. Je le suis donc, ne sachant pas quel chemin emprunté.
« Ne tinquiète pas, ce ne sera pas long. Ce nest pas le genre de personne qui ouvre de longues conversations.
-Pourquoi tu dis quelle est folle ? »
Il me jette un regard enrobé dun soupire et rit doucement, comme par peur de déchirer un silence.
« Tu verras. Je ne veux pas trop ten dire, jai peur que tu essaies de fuir.
-Cest en disant ça que tu vas me faire partir. »
Là, cest Karmen qui rit. Mais plus fort, parce quil na peur de rien, et il ne veut pas respecter les silences. Je peux le comprendre.
« Il marque un point. »
Un croassement tend lair, venant de plus loin derrière, et je me retourne avec un sourire. La silhouette noire tachetée de blanc est là, avançant un peu vite pour nous rattraper.
« Raven ! Il est venu ! »
Il vient à côté de moi, poussant un peu Karmen au passage qui en profite pour râler. Les autres lèvent également les yeux au ciel, comme deçu de la voir ici. Mais il n'en tient pas compte, comme si tout ça ne le préoccupait pas, et que l'avis des autres ne l'importait pas. Je crois qu'il ny a que mon sourire qu'il prend en compte, et ça me rassure un peu. Karmen finit par grimacer.
« Pourquoi il est là lui ?
-Parce que cest un ami.
-Cest un Bruit, Addow. Il ne fait que du Bruit. »
Je hausse les épaules, et me tourne vers Cyrus.
« ça fait quoi si jessaye de le toucher ?
-Je ne sais pas, je nai jamais essayé.
-Ah non ?
-Où est l'intérêt ? Cest un Bruit. Pourquoi tu voudrais attraper un Bruit ? »
Leur manque de curiosité m'abasourdi. Je suis particulièrement étonné, et de ce fait, ma soif de savoir à priori bien plus grande que la leur, j'avance ma main vers Raven qui ne bouge pas. J'ai la sensation qu'il mobserve, aussi intrigué que moi, si ce n'est plus. Bien vite, ma main frôle ce qui me semble être son visage. Je ne sais pas dire pourquoi, mais il me fait penser à ces enfants timides qui voudraient de l'attention sans être au centre d'une conversation. Comme si j'arrivais à deviner sa personnalité sans qu'il ne soit quelquun au sens humain.
Mes doigts frôlent la noirceur qui fait sa forme, et un froid mordant me transperce. Je ne retire pas ma main pour autant, et reste proche de lui, continuant même de me rapprocher. Je me rends compte du regard de Karmen sur mes épaules, de la pression générale. Leur intérêt pour ce Bruit, soudainement réveillée et affamée, dirigée vers moi et mon constat. Bien vite, toute ma main se retrouve contre ce que je pense être sa joue. La situation me frappe : Je touche un Bruit. Aussi improbable que ça sonne, il est sous ma main, ses vibrations frémissantes contre ma peau. Ce n'est pas un croassement qu'il prononce, mais une sorte de ronronnement, pourtant bien volatile et non félin. Il avance un peu. Il est gelé, c'en est presque douloureux, mais bien vite il se réchauffe et devient tiède, puis chaud. Une immense peine vient prendre mon cur et ma gorge en otage, se serrant autour avec la force dun enfant perdu contre sa peluche. Ce nest pas agressif comme un serpent autour de sa proie, mais doux, triste. Je sens des larmes monter dans mes yeux, sans que je ne puisse les chasser. Jai limpression de ressentir toute sa peine, son sentiment dêtre ignoré, délaissé, lorsque personne ne lécoute et quon le chasse. Lorsqu'on le maudit, qu'on le laisse de côté. Soudain, je me rappelle des mots de Karmen : Bienvenue chez les exilés. Ce dernier pose une main sur mon épaule.
« Addow tu pleures »
Il me le signale comme si je ne sentais pas la perle froide rouler contre ma joue. Je m'avance un peu, prenant la forme noire dans mes bras, qui se laisse faire. Je n'ai pas l'impression de tenir quelque chose, c'est plus comme une vague fumée, peut-être un peu plus solide. Mais la chaleur qu'elle dégage, elle, est bien matérialisée. Elle menroule et me console alors que cest lui la victime des sentiments que je viens de traverser. Je finis par le relâcher pour essuyer les quelques larmes qui se sont frayées un chemin hors de mes iris, et je ris un peu.
« Il est seul. »
Je ne trouve pas de résumé plus clair que celui-ci. Toutes ses nuances de tristesses sont mélangées dans ce simple mot : « seul ». Cen est presque trop cruel, et une part de moi se met à haïr les alentours pour lavoir maudit comme ça.
« Et il naime pas ça. »
Lorsque je me retourne vers le groupe, je me rends compte quils sont tous rivés vers Raven qui observe sans yeux mais avec passion une sorte de chat. Je dis « une sorte » parce quil nest pas comme dans le monde des réveillés. Ses trois yeux sont dirigés vers le sol, son pelage presque rouge brillant dans la faible lumière du jour. Quelques-uns poussent des soupires lourd, comme pour se réveiller de leurs transes. Cyrus se racle la gorge, dans le même état.
« OnOn va reprendre la route, sinon on va être en retard. »
Je hoche la tête et les suit. Raven se détourne de lanimal et revient à mes côtés. Je regarde les rues autour de nous, me demandant jusqu'où va la souffrance. Est-ce que tous les Bruits se sentent comme lui ? Est-ce que tous les Exilés en général ? Les hybrides, les Bruits, certains orcs ? Pour un rêve, je le trouve sacrément cruel. Et quelque part, inconsciemment, je commence à suggérer l'idée que cen nai pas un.
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