𝓛𝓾𝓬𝓪𝓼

Nos pas résonnent contre les murs, trempés par les flaques. Ma vue, malgré mes pupilles peu communes, n'a pas changée, et je perçois ce monde étrange normalement. Ou du moins, à mon échelle, qu'en est-il de la vue de mon gardien ? Ce dernier marchait un peu devant. La conversation ne s'était pas tellement développée, mais après quelques tentatives, je réussis à lui décrocher quelques informations : Il s'appelle Cyrus, il est l'archétype parfait du méchant au cœur de miel, et il a un ami qui est un « Bruit ». Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris, mais il semblerait que ce soit comme la chose qui imitait une goutte d'eau, dans la ruelle. Son ami en question fait un bruit de corbeau. J'ai pu le voir quelques instants, le temps que Cyrus l'envoie chercher, je crois, des affaires. Pour moi probablement, et il faut admettre que je n'ai pas grand-chose si ce n'est une chemise trop grande et un vieux pantalon, le tout trouvé sur un fil à linge.

D'ailleurs, bien vite, un vieux croassement se fait entendre. Il est gras, épais, comme si une mélasse noire baignait dans sa gorge, l'empêchant de faire un son ne serait-ce qu'un peu délicat ou commun. C'en est presque effrayant pour être tout à fait honnête. Je ne relève pas et me tourne en même temps que Cyrus.

« Bruit. Te revoilà. »

Nouveau croassement, un peu plus grave encore que le précédent. Il est complètement noir, me faisant rapidement penser à une ombre, sans vraiment pouvoir dire la forme exacte qu'elle prend. Est-ce que quelqu'un peut vraiment le faire ? je pense comprendre que les Bruits n'ont pas de formes particulières, c'est ce qui les rendent assez unique.

« Où sont les vêtements ? »

S'en suit une cascade de cri d'oiseaux, à mes oreilles incompréhensible mais pour Cyrus très sensée. Il hausse un sourcil.

« Donc ils t'ont mis dehors ? »

L'ombre hoche la tête. Comment je le sais ? Aucune idée, ça me parait juste...évident. Ça me semble même bête de ne pas comprendre ça.

« Bon, ce n'est pas grave. Je m'en occuperai une prochaine fois, ne t'inquiète pas. »

Je fronce les sourcils en me tournant vers Cyrus.

« Comment tu comprends ce qu'il dit ?

-Avec de la patience. Et de l'ouverture d'esprit. Tu sais, les gens ne comprennent pas ce qu'ils disent parce qu'ils ne sont pas patients, et qu'ils sont vite frustrés. Si tu ne dis rien et que tu essayes vraiment de comprendre, tu comprendras. »

Il haussa les épaules, reprenant sa route, tandis que je regarde le Bruit avec curiosité.

« Tu sais, c'est un peu comme avec leur apparence. Tu ne sais pas comment ni pourquoi tu les vois comme ça, mais en attendant tu les comprends. Tu comprends leur apparence. C'est pareil pour leur langue. Si tu oublies juste le fait que leur façon de s'exprimer peut parfois faire mal à tes tympans, tu comprends tout ce qu'ils disent. Et crois-moi, ils ont beaucoup à raconter. »

J'hausse un sourcil et finit par suivre Cyrus qui commençait sérieusement à nous semer.

« Bruit en est la preuve. Une vraie pipelette.

-Il n'a pas de prénom ?

-De prénom ? Non, c'est un Bruit. C'est juste un croassement, mais sans corbeau. »

Je fronce les sourcils.

« Oui mais il a une personnalité.

-Et alors ? Une chèvre a beau être charmante, elle n'a pas de nom. »

Je m'arrête. C'est complètement faux, quand quelqu'un s'entend bien avec une chèvre il lui donne un prénom.

« Ben si, justement. »

Il s'arrête aussi et se tourne vers moi, les sourcils levés.

« Très bien Monsieur je-sais-tout, et comment tu veux l'appeler ? »

Il me prend de court. C'est vrai que je parle beaucoup, mais qu'est-ce que j'en sais de comment le nommer ? D'autant plus qu'aussi bien je vais oublier son nom. Ou alors faut quelque chose de simple, pratique à se rappeler.

« Raven. »

Cette fois, c'est lui que j'ai pris de court. Il me fixe de longues secondes, et je ne sais plus si c'est pour comprendre le mot ou pour me comprendre moi. Il finit par répondre à cette question :

« Ça veut dire quoi ? C'est juste un prénom ? »

Je secoue la tête. Ils ne connaissent pas l'anglais ici, c'est curieux sans vraiment l'être. J'ai pourtant l'impression qu'ils parlent ma langue. Ou alors je parle la leur, ce serait bien plus logique. Ce qui l'est moins, c'est que du coup je ne sais plus parler ma langue d'origine.

« Ça veut dire Corbeau dans une langue de...mon monde.

-Corbeau hein ? Ce n'est pas hyper original.

-Oui, bon ça va, si tu n'aimes pas t'a qu'à trouver mieux. »

Il rit et passe sa main dans mes cheveux, d'une façon qui me paraît très paternel. Ça me décroche un sourire contre mon gré.

« Hey, je n'ai pas dit que ce n'était pas bien. Raven. Qu'est-ce que t'en dis ? »

Le Bruit était resté un peu en arrière, immobile. Il sembla réaliser que c'était à lui que Cyrus s'adressait, parce qu'il sursauta et fit un énième croassement. Je me tourne vers mon gardien qui m'offre un grand sourire.

« Bravo champion. Raven a validé. »

Je sens un sourire vainqueur frapper mes lèvres, que je n'essaye pas de cacher. On reprend la route, Raven comprenant peu à peu qu'il a sa place parmi nous, cri de corbeau ou non, et finit par marcher à notre hauteur. Enfin, marcher...Il semble plutôt se téléporter sur des très courtes distances, centimètres par centimètres. Ça ressemble un peu à l'espèce de bogue du début, lorsque j'étais encore avec Emy.

Emy.

Je soupire. Et si elle ne s'est pas réveillée ? Et si elle est perdue ? Et si elle me cherche ? Je ne peux pas la laisser comme ça, je ne veux pas la perdre. Et puis, Cyrus est très gentil, Raven aussi, mais ce n'est pas mon monde, ni mes codes ou mes lois. Je suis complètement à la ramasse, et j'ai l'impression que les soldats que j'ai vus veulent me mettre à terre. Ce que je ne comprends pas, d'ailleurs.

Je sens un regard brûler ma nuque, et je remarque alors les yeux de Cyrus sur moi.

« À quoi tu penses bonhomme ?

-Et bien à mon amie...On est arrivé ici ensemble, et je ne sais pas où elle est. Ça m'inquiète. »

Il sourit doucement, surement pour me rassurer.

« Tu sais, ce monde est grand. Elle peut être partout, et je suis sûr qu'elle va bien. On la cherchera quand on sera arrivé, d'accord ? On va la trouver. »

J'essaye de lui rendre son sourire, difficilement.

Le monde est grand.

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