𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 4
Je me réveille en sursaut, tirée hors des bras de morphée avec violence à cause de mon réveil qui semble sonner depuis des heures comme s'il me criait dessus depuis trop longtemps déjà, et d'un mauvais rêve qui tournait vraiment en cauchemar. Pourtant, étrangement, il semble s'être parfaitement finis, sans coupure brutale, comme en attente du prochain épisode. Je me frotte les yeux, et pose un pied sur le sol froid, somnolente. Je tire mon bras vers mon téléphone pour éteindre ce bruit répétitif insupportable qui me vrille les tympans et me lève, difficilement. Quel rêve étrange. Pourtant, loin d'être le premier. J'attrape mon carnet et fais une petite note vite fait pour ne pas oublier de le noter, avec tous les autres. Des années que mes rêves s'enchaînent, tous plus incongrus les uns que les autres. Mon suivit thérapeutique ne semble même plus aider. Ils me parlent de traumatismes, de vieilles blessures, de souffrances oubliées à travers mes cauchemars tordus. Je ne pense pas. Mais ils ne me demandent jamais ce que je pense.
Je me retourne vers mon armoire, l'ouvre et attrape de quoi m'habiller. Je récupère mes lunettes, et les pose sur mon nez avant d'enfiler mes vêtements. Ma mère entrouvre la porte pour me dire de me dépêcher, malgré mes dix minutes d'avances. J'obéi, sinon elle risquerait de vraiment s'énerver. C'est comme ça tous les matins, et je n'ai pas encore la force de changer mon présent. Mais bon, je suis comme les autres, j'aurais des regrets dans le futur. J'ouvre ma porte et file dans la cuisine, comme une ombre, pour attraper une pomme en guise de petit déjeuner, puis m'enfuis presque vers l'extérieur.
Mes pas sur la route goudronnée me paraissent infiniment bruyant, dans tout ce silence. Ils semblent le déchirer, comme s'ils se noyaient dedans, sans honte. J'essaye de les faire moins lourds, mais alors leur bruit est simplement différent, sans pour autant être plus ou moins forts. Je me résigne à les laisser faire leurs vies, bruyantes soient-elles, et observe les alentours encore sombres de l'aube. Elle se lève doucement, embrassant la cime des arbres de ses lèvres dorées, éclairant ma partie du monde d'un regard chaleureux. Les nuages se teintent d'orange, le soleil tisse des filets d'or dans les champs, et vient se refléter dans les flaques et les perles de rosée. Le vent frais du matin souffle sur mon visage un air qui me semblerait presque pur. J'en oublie même mon manque d'enthousiasme quant à la journée qui s'annonce. Des pas rapides, bien plus bruyant viennent alors résonner dans toute la rue juste à côté, et se dirigent droit vers moi. Un boulet de canon aux cheveux bruns en sort alors, essoufflé, mal coiffé, et la veste à moitié mise. Je reconnais donc par cet élan de charisme et par ce style vestimentaire fort raffiné qu'il s'agit de Lucifer. Il me regarde quelques secondes, et m'offre son plus beau sourire fier.
« J'ai pris un raccourci.
-Je vois ça. Sinon tu serais arrivé par derrière.
-Cache ta joie de me voir. »
Je me mords la lèvre pour retenir un sourire, sans succès, et reprend ma quête héroïque de parcourir cette route jusqu'à mon arrêt de bus, cette fois lui sur mes talons. Quoique non, car bien vite il me passe devant et marche à reculons, jetant des regards en arrière.
« Raconte.
-Te raconter quoi ? Ma soirée ?
-Ouais ! »
Il ne lâche pas ce sourire et sa façon de trottiner comme un golden retriever, et je finis par me demander s'il ne s'avale pas trois tasses de café le matin pour être dans cet état.
« C'était incroyable. J'ai fait mes devoirs, j'ai mangé, je suis allée me coucher. Ça change, hein ? »
Il roule les yeux au ciel, et je comprends bien vite que mon sarcasme l'épuise. Heureusement, la caféine dans ses veines va lui redonner l'énergie nécessaire pour m'affronter moi et la journée qui arrive. Je garde le silence dans ma poche et en sème dans la discussion, avant de le ranger pour lui demander :
« Et toi ? Bonne soirée ?
-Bien sûr ! Pour une fois, mon père était en pleine forme. Bon, ma mère moins, mais elle ne peut pas être de bonne humeur tout le temps ! »
Je hoche la tête. Je n'ai rien à ajouter, étant donné que je suis de mauvaise humeur tout le temps. Je ne parle pas sans expérience, et dans ce contexte je n'en n'ai aucune. Il saute sur le rebord du trottoir, tandis que je joue avec ma vie sur la route, et commence à faire l'équilibriste, les bras tendus. Je le regarde faire, admirant son insouciance. Je n'ai pas cette spontanéité innocente, qui pourrais me permettre de profiter de la vie et de mes jours en conscience. Je suis plutôt du genre à tout regarder de recul, à réfléchir, reculer, me questionner, sans jamais écouter les réponses. Je reste dans le passé, par peur de la découverte du futur. Lui, il est dans le présent parfait. Je n'ai jamais rencontré de personne qui vivent dans le futur, pour fuir le passé. Dans l'antre deux oui, mais jamais dans des lendemains.
L'arrêt de bus, autrefois d'un joli vert maintenant terne par le temps, apparaît en face de moi comme s'il essayait de me défier à un jeu auquel nous jouons tous les deux depuis bien trop longtemps déjà. Je ne perdrai pas, c'est sûr, mais il paraît sûr de lui, sûrement persuadé que rien ne peut l'abattre. Pas de chance, je m'avance vers lui d'un pas décidé, et me plante dessous, prête à monter dans un bus qui ne sait pas venir à l'heure. Lucifer, bien plus doux, s'accroche à un des piliers écaillés qui soutiennent la plaque de métal qui sert d'abris, et tourne autour, en chantonnant « my mother told me », donnant un effet de suite plus sérieuse à la situation. Je me berce de droite à gauche, que quelques minutes, avant de voir notre moyen de transport se garer presque face à nous. Alors que nous montons à l'intérieur, j'entends des exclamations au loin d'un groupe qui réalise qu'ils sont plus en retard que le bus. Je les regarde courir d'un œil amusé, puis m'en vais rejoindre Lucas, qui s'est assit pile au milieu, comme d'habitude. Aussi contradictoire que ça puisse paraître, la monotonie m'ennuie sans que je ne puisse me passer de certaines habitudes. Celle-là par exemple. Est-ce que j'irai dans le fond du bus ? Non. Définitivement pas. Il me pousse un peu avec son épaule, pour attirer mon intention. Je lui donne, et il l'échange contre son écouteur. Je ferme les yeux, la tête en appui contre le siège, et somnole un peu. Puis m'endors.
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