𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 38

    J'entre dans la cuisine, Adam sur mes pas, qui me suivait avec bien moins d'assurance. Il me faisait penser à un chiot, qu'on venait de recueillir et qui ne savait pas encore bien s'il avait sa place. Chacun de ses pas semblaient être précis, réfléchit, pensé à l'avance. A le voir, c'était comme si le sol avait, caché sous la surface, des dizaines de pièges qu'il essayait d'éviter à tout prix. Il ne savait pas trop où poser ses pas, alors il les posait les uns devant les autres. Et heureusement, ceci dit, parce que c'est ainsi que l'on marche.

Ce fut sans surprise Aeglos que je vis, et qui m'offrit un immense sourire avant de retourner sur sa découpe de je-ne-sais-quoi. Un aliment, probablement connu pour eux, mais qui était d'un bleu turquoise un peu trop radioactif pour mon monde.

« Et bien bonjour toi ! Tu es partie de bonne heure !

-Oui, c'est parce que je devais aller rejoindre...Euh...lui. Aeglos, je te présente Adam.

-Adam ? C'est encore une Varcelle ? »

Il se tourna de nouveau, croisant enfin le regard du garçon, et sourit. Ça me donna encore plus l'impression que mon camarade n'était qu'un chiot qui attendrissait absolument tout le monde.

« Et bien bonjour aussi ! »

Il lui répondit un « bonjour » aussi, bien plus timide et effacé, ce qui m'arracha un sourire.

« Est-ce qu'il peut manger avec nous ? Il est tout seul sinon. »

Il sembla pris de court, mais hocha la tête.

« Oui, bien sûr ! Pourquoi pas ? »

Bien vite, les pas nus d'Oromë résonnent dans les marches. Son parfum de printemps se répand dans la pièce tandis qu'elle lance d'une jolie voix joviale :

« Tiens Aeglos, tu me feras penser à... »

Elle s'arrêta net en regardant Adam, puis sourit également.

« Oh ! On a un invité surprise ?

-Oui, c'est Adam ! C'est un ami ! Je l'ai rencontré euh...dans la plaine, là-bas.

-Ciel. A peine deux semaines et tu nous ramène déjà un garçon. »

Un rire perça mes lèvres, un peu gêné tout de même. Mon ami rit aussi, absolument pas déconcerté par cette remarque, comme s'il en avait l'habitude. Ce qui était peut-être le cas, ceci dit. Il passa une main dans ses boucles, en regardant le salon. Oromë embrassa son mari dans le cou, puis se tourna vers moi.

« Tu peux lui faire visiter si tu veux ! C'est ta maison aussi. »

Cette phrase me laissa un frisson de réconfort, mais aucun d'entre eux ne le remarqua. Ce n'était sûrement pas des mots marquant pour eux qui, finalement, avait toujours eu un endroit où être. Or, pour moi qui n'avais jamais eu de maison, ce fut un véritable bonheur d'entendre cette phrase. Et puis, en me tournant pour inviter Adam à me suivre, je surpris quelque chose dans son regard. Il ne s'était pas retourné et observait la pièce avec attention, mais une pensée semblait l'enfoncer dans le sol, lui poser un poids sur les épaules, l'épuiser.

C'est fascinant. On dit que le regard est le reflet de l'âme, mais je ne m'étais jamais autant penché sur cette phrase qui, pourtant, est bien réelle. Si on ne voyait plus que les yeux d'un être, il serait clair que l'on pourrait malgré tout le comprendre, le traduire, l'écouter. L'écoute passe d'abord par le regard, avant de traverser la voix et l'ouïe. Mais il ne faut pas confondre avec la vue. On n'a pas besoin de voir pour porter un regard lourd en parole et pourtant bien silencieux. Je finis par rompre son instant de réflexion, à priori sombre, pour lui sourire :

« Tu viens ? »

Il se retourne comme si je l'avais pris de court, et me fixe avec de grands yeux, avant de hocher la tête. Il semble bien moins insolent face à deux adultes, mais ça le rend assez attendrissant. Je désigne de la tête l'escalier avant de commencer à l'escalader, comme si je voulais le prépare à l'avance à cette montée. Il me suivit de près -voir même de très près-, et bien vite, j'ouvris la porte de ma chambre pour le laisser entrer. Je ne pris pas la peine de la refermer, de toute façon il n'y avait aucune chaleur particulière à garder. Ici, il fait bon partout. Et ça ne semble pas être quelque chose de commun, car un grand sourire perça ses lèvres tandis qu'il observait chaque meubles et objets avec attention.

« C'est très chaleureux...Et il ne fait pas froid. Malgré la pierre. »

Pour appuyer sur ses propos, il se dirigea vers un des murs et laissa ses doigts courir sur la pierre. Je hoche la tête avec satisfaction :

« Oui, je suis bien d'accord.

-Ce n'était pas comme ça, dans ton monde ? »

Je peine à trouver les mots, parce que trop me viennent. Pourtant, aucun ne me semble juste. Ils sont tout ou rien, trop étroits ou trop grands, trop froids ou trop chauds. Alors, je secoue simplement la tête, ne trouvant rien d'autre de plus court qu'un simple :

« Pas vraiment... »

Sans pour autant y raconter toute ma vie. Il me jeta un petit regard, peiné et pourtant très compréhensif. Trop. Mes sourcils se froncèrent.

« Chez toi non plus, c'est ça ? »

Il fit à peu près comme moi, en attrapant un livre de la bibliothèque que je n'avais toujours pas passée au peigne fin d'ailleurs, et s'immola quelques secondes dans un silence pourtant lourd en émotion, avant de hausser les épaules.

« Oui, voilà. Disons cela. C'est bien plus blanc. Et les fenêtres sont toujours fermées.

-Pourquoi tu n'ouvres pas celle de ta chambre ?

-Elles sont condamnés. Clouées. Elles ne peuvent physiquement pas s'ouvrir. Ma mère a ordonné, en plus, à Ellie et Jessina de coudre les rideaux à la tapisserie. Tu sais, pour ne plus avoir de soleil. »

Plusieurs questions sortirent de la mer de mes pensées. A commencer par : Qui sont Ellie et Jessina, pourquoi les fenêtres sont condamnées, qui ne voudrait pas du soleil, et finalement, est-ce que les vampires existent ? Une sorte de cocktail de tout ces points d'interrogation forma alors un raccourci à toutes ces questions :

« Pourquoi ? »

Mais je crois que ça l'embêta encore plus que moi. Il ouvrit la bouche, la referma, commença des phrases qui se fondirent dans l'espace. Ces idées passaient par la fenêtre, n'étaient plus à son goût à la seconde où les mots commençaient à se former pour s'affirmer. Il haussa juste une nouvelle fois des épaules, comme pour faire une conclusion à tous ces débuts de conversation.

« C'est comme ça. »

Mais ce n'est pas « comme ça ». Non, c'est bien plus complexe, et une curiosité affamée me ronge pour en savoir plus sur sa situation, comme si c'était le mystère le plus intriguant que j'ai affronté. Mais il ne dit rien de plus, et observe juste ma chambre avec ses yeux de chat, et ses boucles blondes. Ses fins doigts couvrent la fiole où la fleur offerte par le Marchand de Lumières somnole, et un grand sourire vient tirer les coins de ses lèvres en une expression bien plus lumineuse, laissant son air sombre se jeter de la fenêtre.

« C'est joli. C'est toi qui l'as fait ? »

Je secoue la tête, son sourire me contaminant, et me surprend donc à lui offrir une moue amusée.

« Non, absolument pas. Je ne suis pas assez délicate. Non, c'est le Marchand de Lumières qui me l'a assemblé.

-Le grand escargot ?

-Lui-même. »

Sa bouche s'entrouvre en une expression impressionnée, tandis qu'il commence une phrase sans réussir à la finir. Il secoue la tête, comme pour se réveiller, et fronce les sourcils.

« Mais tu...Pourquoi ?

-Je ne sais pas. Peut-être qu'il m'aime bien, non ?

-Je pensais qu'il devait être neutre. »

Je hausse les épaules parce que je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. C'est compliqué d'entrer dans ce genre de conversation alors qu'il s'agit de son monde et non du mien. Alors, je ne dis rien, et le regarde juste tourner dans ma chambre. Il finit par arrêter son observation et me jette un joli regard, curieux, profond, et pourtant taquin. Il sait transmettre tout un mélange d'émotion par ses yeux de façon remarquable, à croire que c'est un art qu'il perfectionne depuis des années. Ceci dit, c'est peut-être bien le cas. Il finit par casser ce silence qui semble être le bruit de mes réflexions, et me sourit.

« Alors, tu penses donc vraiment aller dans la même école que moi ? »

Je hoche la tête, avec plus d'assurance que prévue.

« Oui, je pense bien. C'est une expérience à ne pas rater en tant qu'éveillée. Enfin, j'espère. »

Il rit un peu, et s'assoit sur mon lit.

« Tu vas demander à tes parents ?

-Oui, je pense que je vais aborder le sujet à table. Tu seras là en tant qu'argument.

-Quoi, tu vas leur dire « je veux y aller parce qu'il est là » ?

-Quelque chose dans cet esprit là, oui. Pourquoi ?

-Ne le prend pas mal, mais tu me connais depuis hier soir. Ce n'est pas que je veux te repousser, mais aussi bien je suis un énorme sociopathe. Ou un cannibale. Ou un... »

Je l'arrête en plaquant ma main contre sa bouche dans un rire.

« T'as eu trop de belles occasions pour me tuer pour être un taré. »

Il hocha la tête en reculant pour pouvoir parler.

« Ce n'est pas faux.

-Et si tu continues, tu risquerais de me repousser.

-Je ne voudrais pas provoquer quelque chose d'aussi affreux. »

Je me surprends à glousser comme ces filles dans mon collège lorsqu'elles se retrouvent à proximité d'un Kevin, et assimile peu à peu le terme « flirter » ainsi que sa définition en temps et exemple réel. Mes sourcils froncés, je lui lance alors, peut-être un peu trop honnêtement :

« Est-ce qu'on se drague, là ? »

Il semble pris de court, mais commence à rire. Evidemment, il ne sait pas quoi répondre. Je pense que mon problème est que je suis dans un rêve, donc je me crois tout permis. J'oublie qu'ils sont comme moi, et que cette demande est anormale. Ou du moins, spontanée. Alors, il rit, les joues rosées d'une probable légère gêne :

« Je ne sais pas trop, je crois, oui. C'est grave ? »

Oui. Oui parce que si je tombe amoureuse, je ne voudrais plus me réveiller. Oui parce que je ne suis pas la même ici que dans mon monde. Oui parce que m'attacher à lui viendrait à en faire quelque chose de vital. Oui parce que c'est du suicide. Oui parce que tomber amoureuse dans un rêve est la pire des idées qui existe, et que ça me rendra folle à mon réveil. Oui pour encore pleins d'autres raisons qui me prendraient des heures à citer. Oui parce que c'est irrationnel. Et pourtant :

« Non. »

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