𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 36


A l'aube, avant même que le soleil n'apparaisse vraiment, je sors de la maison comme un courant d'air en fin de journée et me glisse à l'extérieur, dans la clairière. Les rayons du soleil ne percent qu'à peine l'horizon de montagne, créant des dégradés de couleurs chaudes qui illuminent le paysage d'un halo doré. La rosée du matin brille sur l'herbe verte, et couvre les fines toiles d'araignées qui semblent être faites en soie. Je cours un peu dans le pré, vers le collier de montagnes au loin tandis que le Marchand de Lumières me fait un petit salut de sa grande main en s'éloignant à ma droite. J'y réponds avec un sourire, moins surprise quand je le vois. Je m'y habitue.

Je me faufile derrière la colline, me confrontant au vent salé de la mer et au rugissement des vagues qui, comme la dernière fois, se jettent au pied de la falaise avec la détermination d'une armée de terre. Mais à part le bruit de la nature et des oiseaux, pas un murmure. Ou du moins c'est ce que je crois, jusqu'à ce qu'une voix masculine un peu aiguë s'élève dans un râle :

« Zodiaque ! Non ! Lâche cette chaussette ! »

Je me mords l'intérieur des joues pour retenir un sourire, et escalade la petite falaise pour descendre.

« Adam ! »

Je commence à avancer vers la cavité en l'appelant pour le prévenir de mon arrivée. Un lourd silence s'en suit, puis une petite tête aux boucles tombant comme un cascade se glisse à peine hors d'un des murs de pierre pour me dévisager de long en large, avant de sourire :

« Présent.

-Me voilà.

-Je constate, oui. »

Il sort complètement de la grotte, une chaussure et une chaussette en moins, et un grand sourire se fraie un chemin sur mes lèvres sans que je ne l'y ai convié.

« Dure matinée ?

-Il n'en fait qu'à sa tête. Le début de l'adolescence, je suppose. »

Comme pour approuver ses propos, Zodiaque passe sa tête également hors de la grotte pour la poser sur celle de son père adoptif. Puis, il me jette un regard, et s'approche en tournant la tête, méfiant, ce qui a le don de me faire reculer. Adam attrape ma main pour m'en empêcher.

« Non, ne bouge pas. Il faut que tu le laisses venir, sinon tu lui manque de respect.

-Et s'il s'approche parce qu'il veut me manger ? »

Il arque un sourcil avec un sourire malicieux aux coins des lèvres.

« Ce serait un honneur de sa part de s'intéresser à toi gustativement parlant. »

Je le regarde de haut quelques secondes, avant de lui tirer la langue en guise de répartie -pour la simple et bonne raison que je n'ai aucune réplique cinglante. Le griffon fait quelques pas, me pousse avec sa tête, puis détourne son attention vers un petit papillon bleu qui passait par là. Adam ricane doucement.

« Tu vois ? Tu es encore en vie. Tu as été adoptée, félicitation. Aller, viens. »

Il ne me lâche pas et m'entraîne dans la cavité tandis que Zodiaque tourne autour de l'insecte avec satisfaction. Dans la petite grotte, des bougies sont allumées dans des trous dans la pierre et illumine l'endroit chaleureusement. Au sol, il y a une petite couverture rouge particulièrement moelleuse à première vue, avec dessus un panier en ce qui semble être de l'osier, mais qui est probablement en une autre matière. Tout semble adorable, mais un violent contraste du côté du nid de Zodiaque m'arrache un frisson : des os larges comme ceux d'un mouton et un ou deux crânes d'humain. Adam me sourit.

« J'ai eu peur que le côté un peu effrayant de l'endroit te fasse fuir... Du coup j'ai ramené de quoi le rendre un peu douillet.

-Comme une cabane ?

-Exactement comme une cabane.

-Je pourrais mettre des fleurs ?

-Pousse pas non plus. »

Je ris un peu, et m'affale sur la couverture -qui est effectivement bien moelleuse. Il reste debout, et observe avec attention Zodiaque qui revient parmi nous, le petit papillon coincé dans sa gueule. Il est mort.

« T'es content ? T'as bien mangé l'insecte ? »

La créature s'allonge et se frotte contre le sol, à priori très heureux de sa chasse, même si je suis sûr que c'était pour lui comme une chips plutôt qu'un vrai festin. Adam ouvrit le panier et sorti une large pièce de viande d'un rouge vif, encore un peu saignante. J'eu une grimace, mais fut satisfaite de constater que ça semblait venir d'un bétail et non d'un humain. Et puis, après un court moment de réflexion, j'eu de la peine pour le bétail.

« Tu ne veux pas qu'on le fasse devenir végétarien ?

-ça ne va pas non ? Pauvre bête. »

Il lui jeta la viande, et Zodiaque se rua dessus pour la déchiqueter.

« En plus imagine comment ce sera cool quand il viendra dévorer mes ennemis.

-Quelle horreur. Pourquoi Zodiaque ?

-Parce que c'est le seul griffon que je connais, tiens. »

Je ris de nouveau en secouant la tête, et tritura un peu la couverture.

« Non, je veux dire, pourquoi tu l'as appelé comme ça ? »

Il se tourna vers moi, puis s'installa à mes côtés, le dos contre la pierre. Il prit une grande inspiration en se tournant vers moi, un air très mystérieux. Son regard était perçant, comme s'il voulait me traverser. Et il y arrivait, facilement en plus. Il semblait prêt à se confier, l'air lourd, probablement sous l'emprise d'une lourde histoire. Ou pas, car soudainement un grand sourire illumina son visage digne d'un Dieu grecque.

« Aucune idée. C'est venu tout seul. Et puis, ça claque Zodiaque. Zodiaque ! Mange mes ennemis ! »

Il haussa les épaules, sûr de lui, tandis que la créature relevait la tête en entendant son prénom.

« Tu vois ?

-Tu es quelqu'un de très prévisible, et malgré tout je n'arrive pas à anticiper tes réflexions, c'est particulièrement énervant. »

Il rit, et se releva pour aller gratter un peu la tête de l'animal. Je soupire en le regardant faire, puis reprends, bien décidée à lui soutirer des informations.

« Qui c'est tes ennemis ? »

Il secoua la tête, un air amusé.

« Ce n'est pas des ennemis, juste un groupe que je n'aime pas. Dans l'école où je suis.

-Un grand groupe ?

-Non, ils sont cinq. Ou six. Ils sont bêtes et méchants, donc je suppose que je devrais passer au-dessus du venin qu'ils me crachent à longueur de journée. »

Le « je suppose » me pèse sur le cœur.

« Tu n'as pas d'amis ?

-Non. Sauf Zodiaque. Et toi, peut-être ? »

Il me jeta un regard interrogateur et un peu suppliant, ce qui m'arracha un sourire.

« Moi ça me va. Tu seras mon premier ami dans ce monde.

-J'avais oublié que tu étais une Eveillée. Ce n'est pas trop bizarre ?

-Si. Mais on s'y habitue. Tu es dans quelle école ?

-Moorän. C'est une école publique, à quelques villes d'ici. Pourquoi ? »

Je hausse les épaules, hésitante. Je ne sais pas, mais l'idée d'aller dans une école de magie est tout de même assez tentante. On ne peut pas dire que c'est quelque chose que je pourrai essayer plus tard, alors bon, je suppose que ça vaut le coup d'essayer.

« Ma famille d'accueil m'a demandé si je voulais m'inscrire dans une école...et je n'ai pas su quoi répondre. »

Il écarquilla les yeux, avant de cligner longuement des paupières plusieurs fois d'affilé.

« Toi ? En école de magie ? Tu sais faire de la magie ? »

Je roule les yeux au ciel.

« Oui ! Enfin, je veux dire...non, mais ça ne saurait trop tarder ! Je vois les Eclipseurs. Et il y a aussi ces... »

Rêves étranges. Non, je ne veux pas lui parler de ça. Je l'aime bien, mais je ne le connais pas non plus assez, et je ne connais pas non plus assez ce monde. En parler si tôt serait particulièrement irresponsable et peut-être même dangereux.

« Rien, juste ça. Mais je ne vais pas passer mes journées chez eux...et puis je pourrais te tenir compagnie ! Quel âge tu as ? On sera peut-être dans la même classe !

-J'ai treize stalactites. »

Je fronce les sourcils cherchant à savoir combien ça pourrait bien faire dans mon monde, et il explose de rire.

« Non, je rigole, ça ne veut rien dire. J'ai dix-sept ans. Je viens de les avoir. »

Je lui donne un coup de coude, puis grimace.

« Tu es plus vieux.

-Oui mais j'ai redoublé. On sera dans la même classe. Et si tu veux, tes parents feront une demande auprès du directeur en disant que je suis...je ne sais pas, ton cousin. Il faudra juste négocier avec mes parents. Ou leur mentir. Sûrement leur mentir.

-C'est qui, au fait, tes parents ?"

Il haussa un sourcil, puis secoua la tête.

« Non, je n'ai pas envie d'en parler. Ils ne sont pas très ouverts. C'est pour ça que je passe mes journées ici.

-Et tu fais comment pour te nourrir ? »

Il garda un lourd silence qui m'arracha une sueur froide d'angoisse le long de ma colonne. Je me lève et commence à sortir.

« Viens.

-Où ?

-Voir « mes parents ». Et prendre un petit-déjeuner. Ils seront contents de voir que je connais quelqu'un d'autre qu'un homme escargot, aussi charismatique soit-il.

-Je ne vais pas déranger ? »

Je ne réponds rien, parce que je sais que si je lui dis que non, il insistera. Alors je sors juste pour commencer à rentrer, d'abord seule, puis je le vois me rejoindre presque en courant.

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